Un ami de Saint François de Sales "Le président Favre"

Le 25 octobre 1924

Henri ROBERT

SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE DES CINQ ACADÉMIES

DU SAMEDI 25 OCTOBRE 1924

UN AMI DE SAINT FRANÇOIS DE SALES

LE PRÉSIDENT FAVRE

PAR

M. HENRI-ROBERT
DÉLÉGUÉ DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

 

MESSIEURS,

Le véritable patriotisme, disait Fustel de Coulanges, ne saurait se concevoir sans la connaissance et l’amour du Passé, sans une sorte de religion des souvenirs glorieux qui constituent notre patrimoine historique. Par là seulement se relient les générations successives ; elles communient dans un même idéal d’honneur et s’enracinent profondément à la terre natale.

Il n’est pas une région de notre France, si belle en sa diversité, qui ne possède quelque intéressant vestige de notre histoire. Des vieilles pierres, des ruines émouvantes des monuments puissants ou pittoresques — églises, châteaux, remparts ou forteresses — évoquent le prodigieux, l’inlassable labeur ancestral, l’existence rude et la vie morale intense des siècles défunts et attestent aussi, par l’ère de splendeur et de prospérité dont ils témoignent, la force et la fécondité de la race, en des régions aujourd’hui, hélas ! trop dépeuplées...

Ce qui nous intéresse surtout, à travers ces ruines, c’est l’humanité disparue dont elles ont abrité les jours.

Témoins d’un passé mort, ces monuments séculaires en ont-ils gardé, peuvent-ils nous en redire les secrets ?

S’ils sont comme les traits de pierre qui forment le visage de la cité, ne peuvent-ils aussi en évoquer pour nous les états d’âme successifs ?

Est-ce que dans leur ombre ne vont pas se lever soudain, à notre appel, les ombres de ceux à la vie de qui ils ont participé pour qui ils ont été le cadre familier de l’existence quotidienne, avec ses amours et ses haines, ses ambitions et ses deuils, ses soucis et ses joies ?

En quoi se distinguaient-ils de nous ? Quelle fut leur formation intellectuelle ? Quels furent leurs caractères et leurs sentiments ? Comment ont-ils vécu au temps lointain où ils peuplaient et animaient ces lieux, restés depuis lors, dans leur aspect général, semblables à eux-mêmes ?

Ce paysage, aimé de nous, nous parle d’eux parce qu’ils l’ont aimé aussi. Et comme il s’enrichit ! comme il prend, pour nous, plus de sens et plus de valeur si nous savons, devant lui, évoquer du tombeau de l’oubli les figures ensevelies de ceux qui se plurent, avant nous, à venir y rêver ?

L’ombre de Lamartine ne hante-t-elle pas le lac du Bourget et les échos de ses rochers n’ont-ils pas gardé, pour ses fidèles, la plainte harmonieuse de ses nostalgiques amours ?

Le lac d’Annecy, dont l’incomparable beauté s’enrichit de tant de souvenirs, est, lui aussi, tout peuplé des fantômes du passé, au-dessus desquels plane la lumineuse et sereine figure de saint François de Sales.

« Je vais me retirer pour l’hiver dans mon petit Annecy où j’ai appris à me plaire », écrivait le saint évêque vers l’année 1610. C’était là, en effet, le centre, le foyer ardent d’où sa divine charité rayonnait inlassablement sur toute la Savoie. Là aussi eurent lieu, quelques années plus tard, au milieu d’un immense concours de fidèles éplorés, ses magnifiques funérailles.

Cecidit corona capitis nostri, lisait-on sur son cercueil, et aussi cette belle parole d’espérance dans le deuil : Lux extincta lucet ! Oui ! sa lumière éteinte n’a pas cessé de luire et de rayonner sur toute cette région savoyarde où le souvenir du saint évêque est resté si vivant dans les cœurs, qu’il réalise la véritable union sacrée.

Le 14 septembre dernier, l’Académie Florimontane procédait, en présence de l’Évêque et du maire d’Annecy, réunis pour cette circonstance, à l’inauguration solennelle du monument élevé à la mémoire de François de Sales, l’un de ses fondateurs. L’Académie française, en déléguant M. Henry Bordeaux pour la représenter à cette cérémonie, avait montré tout le prix qu’elle y attachait.

Vous ne vous étonnerez donc point que je veuille aujourd’hui évoquer devant vous — puisque aussi bien cette année marque le tricentenaire de sa mort, l’autre fondateur et la véritable cheville ouvrière de l’Académie Florimontane, celui que François de Sales nommait son ami et « son frère » et auquel il donnait le beau titre de « Phénix de notre Savoie » je veux dire le président Favre.

« Antoine Favre, — écrivait-il du président du Genevois, et cet éloge prend tout son prix sous une plume inhabile à la flatterie, — Antoine Favre, l’une des plus riches âmes et des mieux faites que notre âge ait portées et qui sait allier son exquise dévotion à la dextérité et vigilance aux affaires publiques ! »

Leur ami commun, Honoré d’Urfé, l’auteur de l’Astrée, avec lequel Favre et François de Sales se retrouvaient parfois à dîner chez l’évêque de Belley — petite ville où les plus savoureuses traditions gastronomiques se sont heureusement conservées, — Honoré d’Urfé surnommait le président Agathon parce qu’il réalisait, à ses yeux, le type même de l’homme juste et bon.

Prodiguer à ses concitoyens les trésors de sa sagesse et de son expérience, se dépenser pour le bien public sans oublier la charité privée, mettre au service de la Justice les admirables ressources de son esprit et de sa science juridique, enfin consacrer à la vie de famille, à l’étude du Droit, au culte de la Poésie et de la Morale tous les loisirs que laissait à son cerveau, jamais inactif, ses écrasantes fonctions de magistrat — telle fut, jusqu’au bout, la vie du président Favre.

Son mérite seul, l’indépendance de son caractère, l’éclat de son talent et de sa science juridique l’avaient désigné au choix du Prince alors que, simple avocat à Bourg-en-Bresse, il ne songeait qu’à remplir avec honneur les devoirs de sa profession.

Il s’y était, mûrement et soigneusement préparé. Fils d’un avocat fiscal de Bresse, docteur ès droit de l’Université de Bourges, il était né en 1557 à Bourg-en-Bresse, second d’une famille de huit enfants. Après de fortes études primaires dans sa ville natale, il était allé terminer son instruction à Paris, au collège des Jésuites. Le grec et le latin lui étaient devenus familiers, au point qu’il pouvait écrire et dicter dans l’une ou l’autre langue.

Enfin, à l’Université de Turin, il étudia le Droit et fut reçu, d’acclamation, docteur in utroque jure.

À vingt-trois ans, il publia les premiers livres de son important ouvrage juridique Conjecturarum juris civilis libri, qui compte plus de vingt volumes. Le grand Cujas, étonné de la nouveauté et de la hardiesse de ses théories et de ses critiques, s’écria : « Ce jeune homme a du sang aux ongles : s’il vit âge d’homme, il fera du bruit. »

La prédiction ne devait pas tarder à se réaliser. La réputation grandissante du jeune avocat de Bourg-en-Bresse attira bientôt sur lui l’attention du duc Charles Emmanuel Ier. Il le nomma juge-mage de Bresse, puis, trois ans plus tard, membre du Sénat de Chambéry et enfin président du Conseil de Genevois à Annecy.

C’est dans les dernières années du XVIe siècle qu’il vint s’y installer avec sa nombreuse famille. De son mariage avec Benoîte Favre, il devait avoir douze enfants.

Il acheta 18, rue Sainte-Claire, une vaste demeure « la maison de Bagnorea » qu’il paya 2 000 ducatons et 100 ducatons d’épingles. Il devait en laisser plus tard, en 1610, lorsqu’il quitta Annecy pour Chambéry, la libre jouissance à François de Sales qui l’occupa jusqu’à sa mort.

C’est en cette pittoresque ville d’Annecy, au milieu de ses nombreux enfants et de ses justiciables, qu’il nous plaît d’évoquer la belle et grave figure du président Favre.

Annecy présentait alors l’aspect d’une ville fortifiée. Le mur d’enceinte était commandé par un certain nombre de tours, rondes ou carrées, aujourd’hui disparues. Elles portaient les noms des localités avoisinantes. Il y avait la tour de Menthon, de Montfalcon, de Genève, d’Ossens, de Turens et de Talloires. On ne pouvait pénétrer dans la ville que par cinq portes, précédées de pont-levis que le portier abaissait chaque matin et relevait chaque soir à un signal donné par les cloches de l’église Notre-Dame. Il ne recevait guère pour ce travail, peu absorbant il est vrai, que le modique salaire d’un sol par jour.

Il convient toutefois d’ajouter que la vie n’était point aussi chère que de nos jours. Une ordonnance consulaire de l’an 1600 — l’année même où Henri IV vint à Annecy — nous fait connaître « qu’une truite d’une livre valait 12 sols, une poule grasse 11 sols, un chapon gras 20 sols, une paire de perdrix rouges 30 sols, un lièvre 11 sols, un faisan gentil 30 sols, une paire de gélinottes des bois 3 florins, 1 coq d’Inde gras 5 florins, une oie grasse 20 sols ».

Il y avait déjà ces galeries voûtées à arcades, ces ruelles étroites et sombres, ces passages couverts, ces petits ponts moussus enjambant les canaux tranquilles, où de vieilles maisons se reflètent dans l’eau verte — qui donnent tant de cachet à Annecy et lui ont valu d’être appelée « la Venise de la Savoie.

Il y avait aussi le Château, aux quatre tours carrées à créneaux, qui domine la ville, résidence ancestrale des ducs de Genevois, datant du XIIIe siècle, deux fois brûlé, deux fois reconstruit au cours du XVe siècle.

Il y avait enfin le palais de l’Isle, gracieusement campé à la pointe de l’île qui partage, comme la proue d’un navire, les eaux claires du canal du Thiou. D’abord hôtel des Monnaies, il était devenu Palais de Justice et c’est là que le président Favre tenait ses audiences et rendait ses arrêts.

Mais son activité ne se bornait point à cela, bien que ses fonctions et ses œuvres de bienfaisance absorbassent le plus clair de son temps. Il continuait la publication de ses Conjecturarum ; il écrivait ses cinq volumes de commentaires des Pandectes, Rationalia in Pandectas. Il y ajoutait son Codex Fabrianus, recueil raisonné des arrêts du Sénat de Chambéry, dédié au duc Charles Emmanuel et qui, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, est resté la charte de la Savoie.

On demeure confondu devant un tel labeur, en marge d’une vie déjà si bien remplie. Il faut encore y ajouter quelques essais poétiques dont l’inspiration édifiante vaut mieux que la réalisation. Il avait même écrit une tragédie : les Gordians et Maximins ou l’Ambition.

On peut citer encore une Centurie de sonnets spirituels de l’amour divin et de la pénitence et surtout des quatrains moraux qui ont été plusieurs fois publiés, sous le titre : la Belle vieillesse ou quatrains sur la vie, la mort et la caducité des choses humaines, et aussi sous celui-ci : les Quatrains du seigneur de Pybrac, du président Favre, et de la Vanité du monde, avec cinq sonnets et les plaisirs de la vie rustique et du gentilhomme champêtre.

Le président Favre se proposait moins de plaire que de faire œuvre utile en servant la morale.

L’avertissement au lecteur en fait foi :

Je n’ai tâché cet œuvre façonner
D’un style doux afin qu’il puisse plaire
Car aussi bien n’entends-je la donner
Qu’a ceux qui n’ont souci que de bien faire

Et voici quelques-uns de ses quatrains qui permettent de juger du ton de l’œuvre :

Pour vivre heureux jamais ne t’imagine
L’état meilleur où tu voudrais te voir.
Dis-toi plutôt que tu dusses avoir
Pis que tu n’as, comme en étant plus digne.

N’attends d’avoir achevé ta carrière
Pour faire part aux pauvres de ton bien.
En pleine nuit, faut-il pour y voir bien
Que ton flambeau t’éclaire par derrière ?

Ne cherche point de ressembler mais d’être
Tel que tu veux de tous être estimé.
A quoi te vaut-il d’être renommé
Si Dieu te voit, s’il te tient pour un traître ?

Ce n’est le tout de brouiller mainte affaire
Pour n’être dit, justement, paresseux.
Le principal c’est n’être point de ceux
Lesquels font tout, fors ce qu’ils doivent faire.

Si tu fais mal ton plaisir est d’une heure,
Mais le regret t’en demeure à jamais.
Si tu fais bien, outre que tu t’y plais,
La peine passe et le plaisir demeure.

Assurément ces quatrains ressemblent moins à de la poésie légère qu’aux commandements de Dieu et de l’Église, mais ils sont d’une belle âme et d’un honnête homme.

Le président Favre était, entre temps, chargé des missions les plus importantes et les plus flatteuses. Il accompagna et assista dans un voyage à Rome la charmante Anne d’Este, petite-fille de Louis XII, veuve de François de Lorraine, duc de Guise, qui lui avait confié la séparation de son testament et la défense de ses intérêts. Ronsard, charmé de la pure et suave beauté de la duchesse de Guise, l’avait surnommée « Vénus la Sainte ». Elle fut sans doute l’héroïne de la Princesse de Clèves.

Le président Favre fut désigné, avec François de Sales, pour assister le prince-cardinal de Savoie, lorsque celui-ci se rendit en France pour la conclusion du mariage de Victor Amé de Savoie, prince de Piémont, son frère, avec Christine de France, fille de Henri IV.

La Chronique nous dit que l’évêque et le président « firent paraître en cette occurrence comme en toutes leurs autres actions les merveilles de leur génie ». Ils furent reçus solennellement par le Roi et le Parlement, et l’on raconte que Louis XIII, dit le Juste, offrit au président Favre la dignité de chancelier de France et la présidence du Parlement de Toulouse. Le magistrat savoyard déclina ces honneurs et répondit au Roi « Un honnête homme ne doit jamais se séparer ni de son Dieu, ni de son Prince.

À son retour en Savoie, ses compatriotes lui offrirent du poisson, des chapons, des confitures et un tonneau de Malvoisie.

Dans le courant de l’hiver 1606-1607 le président Favre et l’évêque François de Sales fondèrent à Annecy l’Académie Florimontane.

Charles-Auguste de Sales en rapporte ainsi la genèse : « La cité d’Anîcy était semblable à celle d’Athènes sous un si grand prélat que François de Sales et sous un si grand président qu’Antoine Favre et était habitée d’un grand nombre de docteurs soit théologiens, soit jurisconsultes, soit bien versés en lettres humaines.

« C’est pourquoi il entra dans l’esprit tant du bienheureux François que du président Favre d’instituer une Académie en une si grande abondance de beaux esprits... Et parce que les muses fleurissaient parmi les montagnes de la Savoie, il fut trouvé fort à propos de l’appeler « Florimontane et de lui bailler pour emblème un oranger avec cette devise : Fleurs et Fruits. »

Le nombre des membres de cette Académie était fixé à quarante. Les recherches des érudits n’ont pu retrouver tous les noms des premiers académiciens ! Vanité de la gloire !

Il n’est pas certain que les femmes n’aient point été admises...

Voici quelques-uns de ses statuts :

« La fin de l’Académie sera l’exercice de toutes les vertus, la souveraine gloire de Dieu, le service des Sérénissimes princes de l’utilité publique.

« Les seuls gens de bien et doctes y seront reçus.

« Le style de parler ou de lire sera grave, exquis, plein et ne ressentira en point de façon la pédanterie. On y traitera de l’ornement des langues et surtout de la française.

« On n’y admettra point l’hérétique, schismatique, infidèle, apostat, ennemi de la patrie ou des sérénissimes Princes perturbateurs du repos public ou marqués de quelque infamie publique.

« Tous les Académiciens nourriront un amour mutuel et fraternel. »

Le grand président, et le saint évêque seraient heureux de constater que cette règle est toujours observée par tous les membres de l’Institut de France.

« Nul ne fera signe de légèreté d’esprit, quelque petit qu’il puisse être ; autrement il sera corrigé par les censeurs.

« Le secrétaire sera d’un esprit clair, subtil, expéditif et généreux et bien versé aux lettres humaines. »

Les séances se tenaient dans la demeure du président Favre. La première année fut consacrée à l’étude des mathématiques, de la cosmographie, de la navigation et de la musique.

Trois ans plus tard, en 1610, le président Favre dut quitter Annecy pour Chambéry, où il était nommé Président du Sénat. Dans ses hautes fonctions il se préoccupait de la création d’un Tribunal suprême où les Rois viendraient soumettre leurs différends pour éviter les guerres futures... C’est l’idée première de la Société des Nations !...

« Le 6 juillet, dit la Chronique, il fait sa dernière audience au Conseil de Genevois, en fin de laquelle il dit adieu à la ville par une fort belle harangue. Et le lendemain il est parti pour s’en aller, à cheval, accompagné de 90  personnes, Messieurs de justice, nobles, avocats, procureurs, syndics et autres bourgeois à cheval, une partie desquels le suivit jusqu’à Greisi, l’autre jusqu’à Chambéry. »

La semence qu’il avait jetée n’était pas perdue... Un quart de siècle plus tard elle contribuait, sans doute, à faire germer dans la pensée du grand cardinal l’idée même de l’Académie française.

Lorsque M. de Vaugelas, fils du président Favre, fut appelé à venir y siéger, on vit mieux encore et l’on put saisir matériellement le lien qui rattachait la fille morale du cardinal-ministre à celle du grand président savoyard.

Mais quelque importante qu’ait été son œuvre écrite son action personnelle et son influence l’ont de beaucoup surpassée. Ses contemporains seuls en ont pu juger, car seuls ils ont connu son autorité bienfaisante, l’intégrité de son caractère, son inlassable activité au service de la justice et de la charité, jointes à sa rare modestie — et pour rappeler le beau vers que dUrfé lui appliquait

Le miracle d’amour dont son âme est enceinte !

Nous aimons à nous le représenter en son palais de l’Isle, étendant sa juridiction toujours humaine, faisant rayonner l’influence pacifiante de sa bonté sur tous les petits villages que baigne et que relie le beau lac d’azur, changeant comme le ciel, dans le cirque harmonieux de ses montagnes mauves et or, sous le soleil... quand il daigne apparaître !

Nous voulons imaginer la vision sereine d’une humanité laborieuse et paisible, meilleure que la nôtre, plus idéaliste, plus heureuse et comme modelée à l’image même de la nature où elle vivait.

La vie religieuse y semblait intense : les cloches des églises, des couvents, des monastères, des abbayes, des prieurés, se répondaient aériennes et pures dans les échos légers de la montagne...

Nous savons qu’il y avait de nombreux pèlerinages et notamment à Talloires, celui de la chapelle Saint-Germain de l’Hermitage, qui attirait une si grande foule que les religieux de l’Abbaye de Talloires se virent obligés d’acheter un champ situé sous la chapelle « pour en rendre l’avenue plus aisée et plus praticable » les jours d’affluence. Cette abbaye, que visitait, souvent François de Sales était située sur les bords du lac même, dans l’anse heureuse et paisible qu’il forme en eau profonde et transparente, à l’abri de ce roc de Chère où Taine dort son dernier sommeil...

Mais, peut-être, est-ce céder à une illusion que de se représenter ainsi une humanité meilleure et de se figurer que tous les contemporains du président Favre lui ressemblaient ou que son époque pouvait se comparer au fabuleux âge d’or ?

Son fils aîné, René de la Valbonne, n’a-t-il pas, au surplus, pris soin de nous détromper, lui qui avait fait inscrire, à l’entrée de son château de Pringy, près d’Annecy, ce quatrain d’une philosophie burlesque, mais désabusée :

Les amis de l’heure présente
Sont du naturel du melon :
Il en faut bien chercher cinquante
Avant que d’en trouver un bon !

Et le président Favre lui-même n’a-t-il pas écrit dans son testament cette phrase révélatrice : « En un siècle si corrompu et pollu de tant d’hérésies comme est celui-ci... »

Allons ! quittons tout regret, car, décidément, chacun médit de son époque et, sans doute, est-ce précisément parce que la nature humaine est bien ce qui change le moins !