Célébration du troisième centenaire de l'Académie française, au Louvre

Le 18 juin 1935

Gabriel HANOTAUX

DIX-HUIT JUIN

AU LOUVRE, SALLE DES CARIATIDES
 

 

Le mardi 18 juin, à 2 heures, a eu lieu au Louvre, dans la Salle des Cariatides, où Louis XIV, après la mort du chancelier Séguier, avait installé l’Académie française, la réception des délégués chargés par les Académies et Universités de France et de l’étranger de déposer des adresses sur le bureau de l’Académie.

Une estrade avait été installée, sur laquelle avaient pris place les membres de l’Académie française. A l’appel de leur nom, sur une liste qui fut lue par M. Louis Madelin, les délégués, à qui avaient été réservés dans la salle les premiers rangs de chaises, quittaient leur place et venaient, sur l’estrade déposer les adresses imprimées ou calligraphiées et; revêtues de belles reliures, dont, ils étaient, porteurs. Ces adresses, amoncelées en une masse imposante, seront soigneusement gardées dans les archives de l’Académie, comme un précieux témoignage des sentiments qu’inspire à tout le monde lettré son œuvre trois fois séculaire.

 

A cette cérémonie, présidée par M. Gabriel Hanotaux, directeur de l’Académie en exercice, et que M. Mario Roustan, ministre de l’Éducation nationale, a bien voulu honorer de sa présence, ont été prononcés les discours suivants.

DISCOURS

DE

M. GABRIEL HANOTAUX
DIRECTEUR DE L’ACADÉMIE

 

Monsieur le ministre,
Mesdames, Messieurs,

L’Académie française, qui fut appelée ainsi, selon que Pellisson le rapporte, « parce que ce nom était le plus modeste et le plus propre à sa fondation », a été établie par le cardinal de Richelieu pour la surveillance constante et autorisée de cette faculté qui est le propre de l’homme, l’expression.

Les considérants de l’acte royal qui la crée lui donnent le mandat « de rendre le langage français non seulement élégant, mais capable de traiter tous les arts et toutes les sciences ».

On le voit, c’est vers les diverses manifestations de l’activité et de l’esprit humain que s’élevait la conception et, j’oserai dire, l’intuition merveilleuse de son illustre fondateur.

La précision et la justesse de l’expression ne sont-elles pas, en effet, le signe de l’ordre et de l’harmonie dans la pensée et dans l’action ?

La famille les essaye sur les tendres lèvres de l’enfance. La société s’établit sur les prescriptions exactes de la Loi. Les relations internationales sont réglées par les traités qui concilient les intérêts divers dans la formule stricte de leurs articles. La religion enfin, qu’est-elle autre chose que l’obéissance à la parole de Dieu ? « Le verbe s’est fait chair. »

La langue française, à l’époque du Grand Siècle, s’éleva avec une rapidité singulière au niveau où Richelieu avait voulu la porter. L’académicien Charpentier, parlant des langues en général, déterminait leur progrès d’après ce qui s’était accompli sous ses yeux : « Si l’usage ou le hasard les introduit, c’est la délicatesse du goût, qui les purifie, c’est la fertilité de l’imagination qui les rend abondantes ; c’est la noblesse des sentiments qui leur donne de la force et de la sublimité. »

Dans ce palais du Louvre où Louis XIV, après la mort du chancelier Séguier, assigna le domicile de l’Académie française, « ne voulant pas, selon la propre expression d’un contemporain, qu’elle tînt ses assemblées en un autre lieu que dans son propre palais », sous ces voûtes de la salle des Cariatides, réalisation unique d’un de nos plus grands architectes, Pierre Lescot, et devenue l’asile des plus belles œuvres de l’antiquité, l’Académie française, célébrant le troisième centenaire de sa fondation, est heureuse et fière de saluer l’incomparable concours des délégations que les deux continents ont envoyées vers elle pour participer à cet anniversaire.

N’est-ce pas un fait remarquable et d’une autorité singulière que cette coutume, répandue maintenant dans tout l’univers, que l’humanité confie à certaines élites se recrutant elles-mêmes le soin de veiller à l’œuvre intellectuelle et à l’adaptation du langage à la pensée ? Et n’est-ce pas un fait considérable, et dont nous ne pouvons assez admirer la spontanéité et l’élan, de voir aujourd’hui, rassemblées ici, les délégations de ces corps augustes, accourues pour s’unir à nous, en ce jour de communion et de joie ? Quel spectacle ! Quel. encouragement ! Quelle leçon !

Ces délégations, si nombreuses que je ne puis même tenter de les nommer pour leur dire notre gratitude, vont déposer sur le bureau de l’Académie française les adresses que nous apporte, avec le salut du monde entier, le flot fraternel qui nous pousse à poursuivre notre long voyage. Nous contemplerons leur cortège avec recueillement ; mais, puisque nous ne pouvons les entendre toutes, nous prierons quelques-unes d’elles de parler en leur nom dans nos diverses réunions.

Nous entendrons d’abord la voix de la plus ancienne des Compagnies réunies ici : le Portugal parlera. L’Institut de Coïmbre, fondé en 1290, nous dira comment ce pays, reprenant la tâche de la découverte du monde là où Hercule s’était arrêté, sut ouvrir des routes ignorées sur les mers inconnues, à la recherche des terres nouvelles, et comment, pour guider ses marins, il sut capter les signes du ciel.

L’Espagne aussi parlera. Elle a répandu si largement dans l’univers la langue de Cervantès que, dans l’espace occupé par l’empire sur lequel ne se couchait pas le soleil, la croix du Christ, plantée par elle, règne encore.

La Belgique se lèvera ; elle apportera le cri de cette terre des embouchures où se déposent les richesses et les tourments de l’Europe, mais où se déploient, pour la paix, la sagesse des neutralités, l’esprit de sacrifice, de conciliation, et l’énergie d’un indomptable héroïsme.

Et ce sera l’Angleterre, le plus puissant agent de civilisation qui ait paru sur la terre depuis qu’elle est entièrement découverte. Londres dira la splendeur de la ceinture d’argent qui est le lien nouant maintenant et rattachant sur le monde entier, la double gerbe de la liberté et de la prospérité.

Nous entendrons la voix des États-Unis d’Amérique qui retentira dans cette enceinte avec tant d’autorité, venant de l’homme qui personnifie l’esprit international, Nicolas Murray Butler.

La France est tout entière dans cette salle ; elle vous entoure et vous acclame, membres des délégations étrangères.

Vous entendrez la délégation de cette Université de Paris où Thomas d’Aquin enseigna, dont l’Europe entière connut le chemin, où Dante s’assit, où Richelieu se forma. Toulouse vous apportera l’écho des premières aubades saluant le jour nouveau, et du doux-parler courtois qui ennoblit l’amour. Vous entendrez Strasbourg si chère au cœur de la France, dont le génie plane sur la double rive, tandis que sa flèche perce le ciel.

Jeudi prochain, Rome parlera. L’un des plus illustres écrivains de cette Italie, dont nous sommes tous les tributaires, dira l’héritage qu’elle nous a transmis ; il évoquera les services et la gloire qui résonnent dans son nom. Peut-être, M. Ugo Ojetti voudra-t-il se souvenir que, tandis que le canon tonnait sur le Carso, nous avons visité ensemble les ruines émouvantes de l’antique Aquileia.

Puis nous entendrons le représentant de cette Université Laval, qui, aux terres occidentales, conserve, avec une fidélité touchante, la religion et la langue des découvreurs, Jacques Cartier, Champlain, Cavelier de la Salle. Nous entendrons le représentant de l’Académie de Copenhague parlant au nom de ces contrées septentrionales où la lumière s’attarde si longuement, si magnifiquement sur les eaux.

La France élèvera de nouveau la voix. Nous entendrons Bordeaux qui entendit Montesquieu ; nous entendrons Lyon où l’humanisme fleurit sur les restes magnifiques de l’antiquité, Rouen qui ne se lasse pas de faire retentir dans le monde ton nom illustre, Normandie.

Je dois m’imposer la loi de taire tant de hautes présences. Mon excuse est le respect de votre temps. Cependant, comment ne signalerais-je pas les représentants de ces compagnies scientifiques, artistiques, techniques, relevant soit des enseignements d’État, soit des enseignements libres, l’École des Chartes, l’École des Langues orientales, l’École des Arts et Métiers, les diverses Facultés, dont la présence nous enorgueillit particulièrement, puisqu’elle nous autorise à penser que nous n’avons pas trompé les prévisions de l’acte de notre fondation, qui nous prescrivait « de rendre le langage français capable de traiter de tous les arts et de toutes les sciences ».

Le gouvernement de la République ne voulait pas être absent de cette réunion. Une mort soudaine ayant frappé le bien regretté M. Marcombes, son successeur, M. Mario Roustan, si populaire dans le monde de l’enseignement et dans le monde des Lettres, a bien voulu répondre à l’appel de l’Académie française. Nous l’entendrons exprimer, au nom du gouvernement de la République, les sentiments qui sont ceux de la plus haute tradition française.

Au moment, où paraît cette Grammaire de la Langue française, si longtemps attendue et, qui, malgré la vivacité de certains critiques, s’est enlevée à près de deux cent mille exemplaires, tant elle répondait à un besoin, au moment où s’achève la nouvelle édition du Dictionnaire l’Académie qui paraîtra cette année même, l’Académie a la conscience de s’être appliquée persévéramment à remplir la tâche qui lui était dévolue et, n’eût-elle qu’à s’occuper de polir la langue et du choix des mots, elle aurait répondu, dans la mesure des forces humaines, au désir des générations qui l’ont soutenue de leur confiance.

Il y a quelques années, celui que l’âge a désigné pour parler ici, en l’absence de l’illustre écrivain que sa santé retient loin de nous, fut reçu à Rome par le grand homme d’État qui veille aux destinées de l’Italie. La première question qu’il m’adressa fut celle-ci : « Depuis que vous n’êtes venu à Rome, n’avez-vous pas trouvé Rome très changée ? — Monsieur le Président, lui répondis-je, j’ai vu le peuple romain. » Le Président se leva et il me dit avec cette simplicité forte qui est tout lui-même : « Les mots font beaucoup. »

Oui : les mots font beaucoup ; mais ils ne font pas tout. Au delà des mots et des paroles les mieux agencées, il y a une musique, un rythme, un langage des sentiments, des passions, des rêves, de l’idéal, qui se fait comprendre par l’art, par les sons, par le sourire, par le geste, et nous n’avons pas cru devoir laisser ces mystérieuses façons de faire entendre le langage de l’âme en dehors de cette solennelle rencontre.

D’abord, vous entendrez des paroles françaises, d’admirables paroles françaises, celles qui furent consacrées par Racine à célébrer Corneille : — Racine, le maître de la lumière, de l’émotion contenue, de la souveraine aisance dans l’entraînement passionnel et dans l’exaltation vitale ; Racine, l’écrivain qui, selon le précepte de saint François de Sales, a su corriger l’immodération modérément. Les acteurs de la Comédie-Française vous feront goûter cet art de la diction qui est comme un achèvement, un couronnement de l’expression.

Mais, ensuite, nous vous demanderons de prêter votre bienveillante attention aux scènes qui seront représentées par les artistes de l’Opéra. Ils exprimeront, ce qui ne se dit pas, ce qui se chante, ce qui se danse. La musique, la danse évoqueront devant vous l’élégance du Grand Siècle, ainsi l’Académie française vous consolera de nos trop longs discours, par le spectacle du rythme et de la grâce classiques dans ce qu’ils ont d’inexprimable par les mots.

L’Académie est encore dans son rôle, agrandi par les siècles, en n’écartant pas le souci de veiller sur l’ineffable et l’impondérable. En effet, de hautes générosités lui ont confié la mission de rechercher, dans la nation française, des mérites différents de ceux qui relèvent de l’effort intellectuel. M. de Montyon lui a remis le soin d’attribuer chaque année un prix fondé « en faveur d’un Français pauvre qui aura fait l’action la plus vertueuse » ; d’autres généreux fondateurs l’ont suivi et ont multiplié des prix destinés aux actes de dévouement et de courage.

Ce sont nos prix de vertu. La vertu se fait rare, disait-on naguère. Et, pourtant, les candidats à nos prix ne manquent pas. Nous aurions plutôt l’embarras du choix. Mais la vertu ne fait pas de bruit. Elle n’appartient pas à la publicité. Et nous sommes en présence de cette noble difficulté d’avoir à chercher les actes de vertu au fond de l’humilité qui les dérobe aux regards inattentifs. Cette attention, nous l’apportons chaque année à bien choisir, et ce choix, selon une logique supérieure, achève et couronne notre mission intellectuelle.

M. et Mme Cognacq-Jay ont fondé d’autres prix d’une importance sans seconde pour aider et encourager les familles nombreuses. Et n’est-ce pas une preuve de la confiance faite à l’Académie que de lui fournir les moyens de distinguer et d’honorer ces familles sur lesquelles s’appuient la force et l’avenir de la nation ?

Considérez, Messieurs, combien ces tâches variées, se multipliant le long des siècles, honorent notre Compagnie. Dites-vous, qu’ici tout près, dans notre chère France et au loin, sur ces terres nouvelles qui ont accru son territoire et doublé sa population, qu’à l’étranger enfin, dans les plus hautes maisons et dans les plus humbles chaumières, on s’applique à l’étude, à la leçon, à la répétition de cette langue, de cette littérature que trois siècles de création continue n’ont cessé d’accroître, de renouveler, d’ennoblir, pour assurer et grandir le champ de la civilisation chrétienne, méditerranéenne, européenne. Des rives du Jourdain aux rives du Tibre et aux rives de la Seine, la leçon se transmet.

Elle est écoutée ! Non seulement elle conserve ses antiques traditions, mais elle s’applique aux créations nouvelles qui vont sans cesse s’élargissant et se surpassant jusqu’à toucher au miracle. Les transitions se font sans heurt : l’expression va de pair avec les réalisations les plus hardies et les plus imprévues. L’acquis antérieur n’alourdit pas la découverte qui l’emporte dans son bagage. L’âge de la vitesse n’a pas à rompre les vieux cadres de la réflexion et de la méditation. Tout au contraire, il s’y nourrit et se repose, en quelque sorte, dans sa chambre obscure.

Nous sommes des grammairiens. Mais nous ne sommes pas que des grammairiens. Et quel honneur pour nous, de voir tant de noblesse, de puissance et d’expérience se réunir ici pour célébrer le souvenir de notre fondateur, de ce visionnaire de la grandeur par l’ordre que fut le cardinal de Richelieu, de ce grand ministre qui, parmi tant d’autres soucis, — qui s’appelaient alors comme ils s’appellent aujourd’hui : la politique, — a créé notre Compagnie, l’Académie française, pour assurer par delà les siècles aux efforts désintéressés du travail intellectuel une gloire pure et intangible parmi les œuvres de l’humanité.

 

A L’HOTEL DE VILLE

Le soir, dîner à l'Hôtel de Ville, offert par la Municipalité de Paris aux membres de l'Académie française, à leurs invités et à leurs familles. A la réception qui suivit et qui se termina par un brillant programme artistique et musical, ont été prononcés les discours suivants.

 

DISCOURS

DE

M. GABRIEL HANOTAUX
DIRECTEUR DE LACADÉMIE

 

Messieurs,

C’est, sans doute, un Parisien, le plus grand de tous les Parisiens, dont nous célébrons aujourd’hui les services et la gloire dans l’Hôtel de Ville de Paris. Je dis : sans doute, par un joli euphémisme de notre langue. Car ce n’est pas tout à fait sûr.

Richelieu lui-même, quand on l’interrogeait au sujet de son lieu de naissance, donnait des réponses différentes selon ses interlocuteurs : aux Parisiens, il déclarait invariablement qu’il était né à Paris, et aux Tourangeaux, non moins invariablement, il disait qu’il était né à Richelieu. Ce sont les jeux de la politique.

D’heureux et laborieux chercheurs ont établi, de nos jours, que le père et la mère de Richelieu avaient, avant la date de sa naissance, le 9 septembre 1585, acheté un hôtel à Paris, rue du Bouloi, à proximité de l’actuel passage Vero-Dodat ; on a d’autre part retrouvé son acte de baptême dans les registres de la paroisse Saint-Eustache, sous la date du 5 mai 1586.

Or le délai qui s’écoula entre ces deux dates donne à réfléchir. Il n’est pas impossible que la mère, en ces temps si tristes de notre histoire, ait été faire ses couches au château de Richelieu et que l’enfant souffreteux, comme il le fut toujours, n’ait pu être transporté que tardivement à Paris. Il reste donc une certaine incertitude.

Quoi qu’il en soit, le futur cardinal est Parisien de famille, de volonté et de cœur. Il s’est voulu Parisien et nous l’acceptons comme tel. Son grand-père, l’avocat La Porte, fit toute sa carrière à Paris ; on pense même qu’une jolie maison à tourelle qui subsiste encore, au coin de la rue de l’École de Médecine, lui appartenait. Sa mère était Parisienne ; c’est elle qui l’éleva, puisque le père mourut jeune ; et elle l’éleva, le nourrit, le développa dans l’esprit et les mœurs de Paris.

L’Académie française, fondée par Richelieu, est aussi toute parisienne. L’acte de sa fondation est daté de Paris « au mois de janvier, l’an de grâce 1635 ». Et comment pourrait-elle ne pas être parisienne ? La conçoit-on naissant ailleurs, se développant ailleurs, vivant ailleurs que sous la Coupole, logée ailleurs, sous l’ancien régime, que dans le palais de nos rois, fêtée aussi magnifiquement que vous le faites, Messieurs, dans l’Hôtel de la bonne ville de Paris ?

Il s’agissait d’épurer, de modeler, d’achever la langue française. Où l’ont-ils fait ailleurs qu’à Paris ? Vous vous souvenez du mot de Malherbe sur le parler des Halles. A quelles autres rencontres populaires que celles de Paris, Malherbe eût-il confié une telle autorité ? Normand, pourquoi n’a-t-il pas songé à sa Normandie ?

Malherbe a bien le sentiment que la besogne à laquelle il s’agit de travailler est à moitié faite par Paris. De quoi s’agit-il, en effet ? De donner à ce peuple, à peine unifié, une langue à la fois assez relevée, mais assez populaire pour pouvoir être admise par tous, comprise par tous ; en même temps assez riche, assez ferme pour qu’elle puisse servir aux plus nobles opérations de l’esprit ; mais cela, c’est un exercice auquel Paris, en raison des nécessités de son existence et de son rôle, ne cesse de travailler depuis des siècles.

Tout le monde le sait : ils parlent beaucoup, mais ils parlent si bien, ces Parisiens ! Le vieux proverbe ne va-t-il pas répétant : « Il n’est bon bec que de Paris ».

D’ailleurs, ce génie de Paris, de quoi est-il fait, sinon du génie de nos provinces qui font de la grand ville le lieu de leur rassemblement ? Paris n’est pas un être isolé, replié sur soi-même, c’est un être collectif, s’il en fut ; c’est une capitale, c’est-à-dire une tête imbibée constamment de l’afflux du sang de la France entière. Un autre proverbe est non moins formel à ce sujet : on disait « Paris emprès Pontoise », ce qui signifiait que sans Pontoise, il n’y aurait pas de Paris.

Et puis, il y a l’esprit de Paris. Le Paris de Malherbe avait les Halles, mais il avait aussi les Précieuses. Il y avait alors et il y a encore les salons, les théâtres, les cafés, l’Université, la vie particulière et la vie publique. Je dirai le tout d’un mot : il y a la rue, à savoir cette déambulation perpétuelle des Parisiens se rendant à leur plaisir, à leur travail, à leurs réunions, à leurs querelles, ce va-et-vient journalier qui se saisit du promeneur pour lui injecter par les yeux, par les oreilles, ce venin délicieux, exquis, inguérissable, mais fortifiant tant qu’on peut le supporter : l’air et les façons de Paris.

Il y a l’esprit de Paris, il y a la liberté de Paris. Paris est une province immense qui s’est entièrement débarrassée de la servitude provinciale. La province vit sous l’empire d’un « on dit » effroyablement exigeant pour les autres. Tout le monde passe sa vie à surveiller tout le monde et à tâcher de se dérober à la curiosité de tout le monde. Le geste de la province est le doigt sur les lèvres. Comment apprendre à parler quand il faut se taire et feindre d’être sourd, puisque l’on ne s’entend qu’en criant ?

Or, Paris a inventé une façon de parler qui lui est propre et qui met à l’abri de l’un et l’autre excès : c’est « le mot à l’oreille ». Ce qu’on se dit en secret et qui circule secrètement de bouche en bouche dans un très minime auditoire qui saisit le sens d’un mot, mais qui ne l’a pas entendu.

Et c’est ainsi que la confiance parisienne construit à mi-voix ce chapitre de la grammaire française divisé en deux tableaux : ce qui se dit, ce qui ne se dit pas. Une action, un caractère, un homme est jugé ; une pièce réussit ou tombe, un livre est lancé ou périt, un ministère tient ou est renversé. Paris a parlé. Il a parlé en nuance, en finesse, même par son silence, etiam et nuta. Il travaille sans cesse au Dictionnaire. Mais il y travaille lentement.

Il y a le parler de Paris ; il y a l’esprit de Paris ; il y a Cœur de Paris. Paris ne connaît pas l’envie. Paris ne connaît pas la haine. Paris, c’est bon accueil, hospitalité joyeuse et familière. Il n’y a pas d’étrangers pour Paris. Comment ne serait-il pas aussi accueillant pour les idées et pour les mots qu’il l’est pour les personnes et pour les choses ? La note vraie est là. Une langue destinée à être nationale et internationale, doit être largement compréhensive. Comme dit notre Montaigne qui, entre parenthèses, aimait tant Paris : « Que le gascon y aille, si le français n’y peut aller ». Il fallait une langue aux bras ouverts. C’est cette disposition qui donne à la nôtre une richesse si variée et si souple, et qui la fait reluire par ce perpétuel frottement qui est la politesse de Paris, — politesse qui, elle aussi, vient du cœur. Tolérance, respect mutuel, léger scepticisme, contacts faciles et familiers, entrain, belle humeur, voilà de quoi enrichir une langue, lui donner le vernis et la lumière, le tour fin qui lui conquiert les esprits et, les cœurs. La meilleure façon d’être aimé, c’est encore d’aimer soi-même. En cela, Paris est passé maître.

Et puis, il fallait, un labeur constant, soutenu, persévérant, appliqué, raffiné. Mais, où travaille-t-on ainsi, si ce n’est à Paris ? Le travail de Paris ce n’est pas l’occupation calme et régulière, le train-train journalier qui constitue l’activité rythmée et l’hygiène sociale de la province. C’est un élan, un spasme perpétuel. On s’y met, on esquisse, on s’éloigne, on juge, on y revient : ce n’est, jamais fini. Les muscles, le cerveau, les nerfs du Parisien sont toujours à l’état de tension.

Mais, cette perpétuelle obsession du bien et du mieux, n’est-ce pas là la loi même de la création de notre langue ? Et c’est aussi l’élaboration, à la fois soudaine et lente, de ce qui fut d’abord l’œuvre du peuple, puis l’œuvre, académique par excellence, cette chose immense, variée, flottante, débordante comme une mer, lumineuse comme le ciel, fuyante comme le vent, infinie comme l’espace, une langue, la langue française !

Mais, dira-t-on : Et votre fameux Dictionnaire, qui, toujours commencé, ne finit jamais ?... Eh bien, oui ! Que voulez-vous, c’est du travail de Paris. « On n’a pas bâti Paris en un jour. »

 

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En souvenir de son Troisième Centenaire, l’Académie a fait frapper une médaille commémorative, œuvre du graveur Dammann, qui a été remise à tous les délégués.

Un timbre-poste à l’effigie de Richelieu a été dessiné et gravé par le graveur Ouvré. M. Georges Mandel, ministre des Postes, Téléphones et Télégraphes, a bien voulu le faire imprimer par les ateliers des timbres de son ministère.

Un tableau, groupant dans leur salle des séances tous les membres qui composaient l’Académie à la date de juin 1935, a été exécuté par le peintre Devambez, de l’Académie des Beaux-Arts.

Sous le titre de Trois cents ans de l’Académie française, un livre a été publié à la librairie Firmin Didot, imprimeur de l’Institut, œuvre collective à laquelle ont collaboré tous les membres de l’Académie en l’année 1935, chacun d’eux évoquant un chapitre spécial de l’histoire de l’Académie, hommage des académiciens d’aujourd’hui aux académiciens d’autrefois.