INAUGURATION DE LA STATUE DU MARÉCHAL DE VILLARS
À DENAIN
Le Dimanche 13 juillet 1913
DISCOURS
DE
M. LE MARQUIS DE VOGÜÉ
DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE
MESSIEURS,
Le premier mot qui me vient aux lèvres en voyant tomber le voile qui cachait la statue de Villars est le mot : Enfin !
Après deux siècles d’attente, la dette contractée par la France envers les vainqueurs de Denain est acquittée et, sur la place même où s’est accompli leur acte victorieux et libérateur, se dresse enfin le monument grandiose qui doit consacrer leur gloire et perpétuer leur souvenir.
Hommage tardif, mais d’une singulière ampleur ! C’est la France entière qui le rend, la France présente à cette cérémonie par les représentants autorisés de tous ses enfants : dépositaires du pouvoir, élus du suffrage populaire, l’armée d’aujourd’hui dans ses chefs éminents et des détachements de ses régiments, l’armée d’autrefois dans les descendants des combattants de 1712 ; les lettres, l’industrie, le commerce, le travail de la pensée et celui des bras, tous les rangs confondus, les divisions un instant oubliées, dans la communion des souvenirs et des espérances, dans le culte des gloires du passé et dans la confiance en l’avenir.
L’Académie française a tenu à s’associer à cette manifestation de la reconnaissance nationale. Elle n’a pas oublié que Villars a siégé dans ses rangs. Elle a de bonne heure pris l’habitude de ne pas circonscrire ses choix dans les limites d’un recrutement strictement littéraire : de tout temps elle a distingué les services rendus au pays, à la science, à l’humanité, les grands exemples de vertu civique et de vertu militaire. Villars est le premier homme de guerre qu’elle ait honoré de ses suffrages : elle devait un hommage spécial à sa mémoire ; je l’apporte en son nom.
Il n’est que juste de rappeler que l’initiative de cette manifestation appartient à la ville de Denain. Il y a plus de vingt ans, sous les auspices de la municipalité d’alors, un premier projet fut conçu, des souscriptions furent recueillies, une maquette fut exécutée. Puis vint un temps d’arrêt, le projet avait été abandonné par ses promoteurs. Il y a trois ans, à la suite de l’érection du monument de Malplaquet, il était repris par l’élan spontané des habitants de cette ville. Un Comité, né de l’assentiment populaire, se constituait, groupait toutes les bonnes volontés, faisait la trêve des partis et se révélait par la magnifique et inoubliable journée du 24 juillet 1912. L’élan était donné ; un mouvement d’opinion se produisit : il a abouti à la cérémonie d’aujourd’hui. C’est votre œuvre, Monsieur le Président et Messieurs les Membres du Comité de Denain. C’est l’œuvre de votre initiative, de votre patriotique union, vous en félicite et je vous remercie de la grande joie que vous avez causée à ma vieillesse.
Quand, il y a quatre ans, j’inaugurais, avec beaucoup d’entre vous, le monument de Malplaquet ; quand, après avoir rendu hommage au courage malheureux, je m’associais d’avance à l’hommage promis au courage victorieux, je n’osais espérer en être l’interprète. Grâce à votre activité, au zèle de vos collaborateurs, l’œuvre a été rapidement conduite et il m’est donné aujourd’hui de présider à son achèvement ; il m’est donné de célébrer la gloire des vainqueurs, d’une voix sans doute que les années ont affaiblie, niais d’un cœur resté. Dieu merci ! assez jeune pour vibrer à l’unisson du votre et pour savourer avec vous le consolant contraste des deux journées.
À Malplaquet, nous étions dominés par le douloureux souvenir de la défaite : mérité que nous distribuions aux vaincus était tempéré de réserves ; nous nous défendions de chercher, dans la formule décevante du Gloria victis, la vaine satisfaction d’une revanche verbale ; nous réservions la plénitude de la gloire pour la vraie revanche, celle qui se conquiert sur le champ de bataille et lave dans le sang les taches faites à l’honneur militaire et les humiliations infligées à la Patrie. Cette gloire est celle des vainqueurs de Denain et nous pouvons la célébrer sans réserve, sans mesure, la tête haute, le cœur fier, devant le monument qui en perpétuera à jamais la mémoire.
Un beau monument, Messieurs, et digne du héros ! Villars se détache en plein ciel, tel que votre imagination le peut concevoir, entraînant ses hommes à l’attaque, le panache au vent, l’œil dominateur, le geste impératif, franchissant les obstacles au galop d’un cheval auquel il semble avoir communiqué son ardeur fougueuse. Le groupe est d’une haute allure et d’une savante exécution. L’auteur, M. Henri Gauquié, un enfant du pays, y a mis tout son talent et tout son cœur ; il a mérité la plus enviée des récompenses, la médaille d’honneur du Salon décernée à l’artiste par ses pairs et ses émules. Nous ajoutons nos félicitations les plus cordiales à celles que M. Gauquié a déjà recueillies de toutes parts.
L’architecte de talent qui a dessiné et construit le piédestal de la statue, M. Guillaume, est aussi un enfant du pays. Il a fait une œuvre d’un puissant effet, qui s’harmonise heureusement avec les contours pittoresques de la statue. Les lignes en sont fermes ; des motifs habilement distribués, figures, armoiries, inscriptions, complètent la signification historique du monument, tout en assurant à sa base une décoration d’une élégante sobriété. Je ne saurais décrire ces détails ni refaire ici l’histoire de tous les officiers généraux dont la glorieuse liste se déroule sur une des faces du monument ; mais je dois une mention spéciale aux deux médaillons qui en décorent les deux faces principales.
Ce sont les portraits de deux hommes dont l’histoire impartiale doit associer les noms à celui de Villars, tout en les maintenant au rang que l’événement sainement apprécié leur assigne et que symbolise la place occupée par leur image sur la base du monument : ce sont un homme de robe, Lefebvre d’Orval, et un homme d’épée, le maréchal de Montesquiou.
Une curieuse et intéressante figure, ce petit brasseur de La Bassée, intelligent, actif, entendu en affaires, épris de la passion du bien public, s’élevant au premier rang par la valeur de ses services, à travers les étapes de l’échevinage, du bailliage, d’un siège au Parlement. Il a les aptitudes les plus variées, une curiosité éveillée et perspicace, l’instinct de l’organisation, un certain sens des opérations militaires. Merveilleusement doué pour les délicates démarches que l’euphémisme officiel comprend sous le nom de « service des renseignements », il les poursuit avec habileté et audace, au péril même de sa vie ; remarquablement informé, il fournit aux chefs militaires, aux ministres eux-mêmes, les informations les plus précises et les plus précieuses. Il a montré, dans Tournai assiégé, qu’il savait assurer les subsistances, procurer des ressources, assister utilement le commandement. Il va plus loin : il donne des conseils, rédige des plans de campagne, les communique aux états-majors et, avec l’optimisme un peu candide du donneur d’avis sans responsabilité, s’étonne qu’ils ne soient pas tous adoptés, presse, écrit, gourmande et s’impose à l’attention. Toute sa vie il aura cette activité ingénieuse et convaincue : en 1733, quand recommencera la guerre, il reprendra la plume : « Rien n’est plus facile, écrira-t-il au ministre Chauvelin, que de soumettre l’Allemagne », et, sans hésitation, il tracera le tableau des négociations, des alliances, des opérations militaires qui doivent infailliblement, suivant lui, isoler l’Autriche et la réduire à merci.
En 1712, ses regards embrassaient un champ moins étendu : ils étaient concentrés sur l’étroit espace où, entre Eugène et Villars, se jouaient les destinées de la France ; de Cambrai, où il résidait, en contact avec l’ennemi, il suivait de près ses opérations, s’inquiétait de ses progrès. Ne connaissant ni les instructions prudentes données à Villars par la Cour, ni les négociations secrètement suivies avec l’Angleterre, il s’étonnait de l’inaction du maréchal, voyait avec une angoisse croissante tomber l’une après l’autre les places qui couvraient Paris, cherchait avec une intensité fébrile le moyen d’arrêter l’invasion menaçante. Par ses relations habilement ménagées, par ses périlleuses investigations, il eut bientôt constaté le rôle essentiel de la place de Marchiennes, unique centre de ravitaillement de l’ennemi, et l’importance du camp de Denain qui le couvrait et assurait les communications. Il suffisait d’enlever le camp pour couper Eugène de sa base d’opérations et pour l’obliger à la retraite. Là est le salut : c’est l’évidence même. Pénétré de cette idée, Lefebvre d’Orval s’y attache avec son ardeur accoutumée ; il en poursuit fiévreusement la réalisation : il écrit à Voysin, à Villars. Non content d’indiquer le but, il prétend indiquer les moyens de l’atteindre. Il rédige tout un plan de manœuvres. Villars l’examine en homme de guerre et le juge impraticable, Lefebvre d’Orval insiste. Villars persiste ; heureusement pour lui et, pour la France, il écarte le projet et garde l’idée, qu’il appliquera à son heure et avec les moyens convenables. Le mérite de Lefebvre d’Orval est de l’avoir le premier signalée à son attention : mérite réel, qui, dégagé des exagérations posthumes et ramené à ses véritables proportions, suffit à sa gloire et justifie l’hommage que nous lui rendons.
Montesquiou, belle figure de soldat, mais de second plan. Il n’a ni commandé des armées, ni conçu de vastes opérations, mais il a eu, à un haut degré, les vertus du champ de bataille : la bravoure élégante, l’autorité, la ténacité. À Malplaquet, c’est sa résistance héroïque qui lui a valu le bâton de maréchal ; à Denain, c’est en soldat qu’il a pris part à la dernière et décisive phase de combat. C’est à ses qualités de soldat qu’il doit l’honneur de figurer sur le piédestal de la statue de Villars.
Dois-je maintenant, Messieurs, décrire la figure historique de Villars ? Je ne le crois pas. Cette description a été si souvent et si magistralement faite, qu’elle vous est bien connue. Si, d’ailleurs, je reprenais aujourd’hui ce tableau d’ensemble, je devrais, pour être complet, ne pas en dissimuler les ombres. Cette étude critique ne serait pas à sa place. Je l’ai faite autrefois, on me rendra cette justice, avec un jovial souci de la vérité historique. Je n’ai pas à la refaire, en ce jour consacré aux joies du triomphe, à la glorification d’une victoire qui a sauvé la France et relevé l’honneur de ses armes, d’une victoire qui est due aux qualités militaires de Villars. Or, ces qualités, nul n’a osé les contester : les plus violents ennemis de Villars ne les ont pas mises en doute. Saint-Simon lui-même, le plus acharné de ses détracteurs, les a hautement proclamées : il a vanté l’« audace sans pareille » de Villars, sa « valeur brillante » ; il a reconnu en lui « le capitaine des projets vastes et hardis, presque toujours bons ». Et, de fait, seul peut-être de tous ses contemporains, Villars avait conservé la tradition des Condé et des Turenne avait l’instinct de la grande guerre, des combinaisons stratégiques à longue portée ; il réprouvait la lente et stérile guerre de sièges, trop en l’honneur de son temps. Son plan de campagne de 1703 sur le Danube était un chef-d’œuvre ; s’il eût été exécuté tel qu’il avait été conçu, il eût marqué dans l’histoire militaire. Sans l’égoïsme suspect de l’Électeur de Bavière, sans les lenteurs inexplicables de Vendôme, sans les courtes vues de Tallard et du duc de Bourgogne et sans l’insuffisance de Chamillart, Villars eût, par l’action convergente de trois armées, frappé l’Autriche au cœur et aurait sans doute terminé, sous les murs de Vienne conquise, la guerre de la Succession d’Espagne.
La manœuvre de Denain n’a pas la même ampleur, mais elle procède des mêmes principes et révèle le même capitaine. Elle est bien l’œuvre de Villars : le plan, les mesures d’exécution, tout porte l’empreinte de son génie. Le projet a jailli de son cerveau dans la décisive et mémorable matinée du 22 juillet 1712. Le moment était particulièrement critique. Maître de Bouchain et du Quesnoy, l’ennemi assiégeait Landrecies, la dernière place qui le séparât de Paris. Le danger était menaçant ; l’angoisse était grande à Versailles : Louis XIV, inquiet mais inébranlable, avait rendu à Villars sa liberté d’action et insistait vivement pour qu’il fît, à tout prix, lever le siège de Landrecies. Villars s’était mis en mouvement le 19 ; il avait offert le combat à l’ennemi, qui l’avait refusé ; il avait tâté ses lignes d’investissement et en avait trouvé l’attaque périlleuse et incertaine. Il était alors revenu au projet de Denain, jugé praticable depuis que l’armée ennemie s’était éloignée de sa base d’opérations. Il avait fixé le mouvement au 22 et avait désigné le corps détaché qui devait l’effectuer : mais Montesquiou en avait décliné le commandement : Broglie, Vieuxpont, Tingry avaient hésité devant les difficultés de l’exécution ; Voysin lui-même déconseillait l’aventure : chacun avait dégagé sa responsabilité. C’est alors que Villars engage résolument la sienne et seul, sous les seules inspirations de son génie, en chef suprême et responsable, conçoit dans son ensemble et prépare dans ses moindres détails le plan qui devait assurer la victoire, changer la face des choses, libérer le territoire national, sauver la France et lui rendre dans le monde la place que neuf années de revers avaient compromise.
Ce plan, ce n’est ni l’expédition chimérique rêvée par Lefebvre d’Orval au début de la campagne, ni l’expédition restreinte et douteuse que Voysin et Lefebvre d’Orval ont ensuite conseillée et que Villars a été tenté d’entreprendre ; c’est un projet complet et fortement conçu, qui lui appartient à lui seul. Il annoncera hautement son intention de passer la Sambre et d’attaquer par le sud les circonvallations qui entourent Landrecies : il trompera non seulement l’ennemi, mais ses propres lieutenants ; et, après avoir ostensiblement commencé l’exécution de ce plan supposé, après avoir profondément convaincu ennemis et amis de sa réalité, il changera brusquement de front : par une rapide contremarche de nuit, il se transportera sur l’Escaut, le franchira au matin et aura emporté le camp de Denain avant qu’Eugène, revenu de son erreur, ait eu le temps de venir le défendre. Et ce n’est pas avec un corps détaché qu’il exécutera ce hardi coup de main, c’est avec son armée tout entière qui, ne laissant derrière elle aucune fraction exposée aux coups de l’ennemi, à l’abri derrière l’Escaut, fortement établie sur la base d’opération de l’ennemi, maîtresse de ses communications, libre de lui reprendre les places qui les gardent, ne lui laissera d’autre ressource que la retraite et l’abandon de toutes ses conquêtes.
Cette magistrale manœuvre est aussi brillamment exécutée que fortement conçue. Un seul temps d’arrêt se produit, le 24, vers midi. La longue et fatigante marche de nuit a été accomplie avec un rare entrain ; les ponts ont été rapidement jetés sur l’Escaut. La cavalerie de Broglie a pénétré dans les lignes dédaigneusement appelées par l’ennemi le grand chemin de Paris ; elle a coupé la communication avec Marchiennes. Sous sa protection, les trente bataillons de Vieuxpont se sont massés entre les mêmes lignes, et Montesquiou les dispose pour l’attaque ; les vingt bataillons d’Albergotti arrivent successivement ; le reste de l’armée, soit cinquante et quelques bataillons, est encore sur la rive gauche de l’Escaut et défile lentement sur les ponts. Montesquiou voudrait brusquer l’assaut. Villars refuse : il tient à ne rien donner au hasard et à n’attaquer qu’avec toutes ses forces dans la main. De plus, il est inquiet pour son arrière-garde : il a cru voir des mouvements menaçants du côté de l’ennemi ; il craint une attaque d’Eugène sur ses derrières ; il court de sa personne aux ponts, afin d’organiser leur défense éventuelle et hâter le passage des dernières troupes.
Cependant Montesquiou a été rejoint par Albergotti et a rapidement terminé ses dispositions. Les onze colonnes d’assaut, sont prêtes. Il s’impatiente dans l’attente d’ordres qui ne viennent pas. Villars s’obstine de son côté. Des messages pressants s’échangent entre les deux maréchaux. Enfin ils se rejoignent ; une explication un peu vive se produit, mais, cette fois, c’est Montesquiou qui a raison : la prudence n’est plus de mise. Les têtes de colonnes ennemies se montrent déjà sur les hauteurs de Quérenaing. La victoire sera au premier qui atteindra les ponts de l’Escaut. Le parti le plus audacieux est devenu le plus sage : Montesquiou le soutient avec fermeté ; sa ténacité l’emporte : Villars se rend à son avis et, reprenant son rôle de chef responsable, donne l’ordre de l’assaut.
À ce moment solennel, une scène imposante et grave : tous ces hommes, qui vont affronter la mort, mettent genou en terre et inclinent leurs fronts sous la bénédiction des aumôniers de régiment, qui donnent une absolution générale. Puis, au milieu de ce religieux silence, éclate le signal du combat : le commandement si français, celui qui relève les têtes, raffermit les cœurs, déchaîne les énergies guerrières et la légendaire furie de la race : En avant ! Une immense acclamation lui répond, le cri, si français aussi, poussé par des milliers de poitrines, qui résume tous les devoirs, toutes les fidélités, tous les sacrifices et toutes les espérances du patriotisme : Vive le Roi ! Les chapeaux volent en l’air, les drapeaux s’inclinent, les armes, brandies par des bras vigoureux, scintillent au soleil ; un instant de confusion bruyante et joyeuse : puis chacun reprend sa place, rectifie sa position et, le fusil sur le pli du bras, comme à la parade, toute la masse s’ébranle d’un pas rythmé et fier, en avant ! Il s’agit de sauver la France, d’effacer ses humiliations, de rendre à l’honneur national son prestige et son éclat, en avant ! Cependant l’ennemi a ouvert le feu : les boulets d’abord, la mitraille ensuite, puis la mousqueterie creusent dans les files profondes de sanglantes trouées. On ne s’attarde pas à répondre. En avant, serrez les rangs ! Les têtes de colonnes atteignent le retranchement ennemi : le fossé est profond et escarpé, on n’a ni fascines, ni échelles, en avant ! On saute, on s’élance, les baïonnettes des grenadiers, les espontons des officiers, plantés dans le talus, servent de gradins ; les palissades s’ouvrent sous l’effort de milliers de bras ; le flot humain, un instant arrêté par l’obstacle, bondit et déborde de toutes parts. L’ennemi recule en désordre. Alors c’est l’ivresse de la poursuite, le délire de la victoire. Les fuyards courent à l’Escaut ; le pont de Denain s’écroule sous leur poussée : il n’y a plus d’issue ; tout est tué ou pris. Le général Albermarle rend son épée à Villars lui-même. Eugène, arrivé trop tard avec ses premières colonnes, arrêté par le fleuve, assiste impuissant au désastre ; après une inutile fusillade, mordant ses gants de dépit, il donne l’ordre de la retraite.
Les conséquences de la victoire ne se font pas attendre ; Villars, les poursuit avec sa décision retrouvée, son activité surexcitée par le succès. Les coups se succèdent, rapides, pressés, frappés au bon endroit. Marchiennes, Saint-Amand, Douai, Le Quesnoy, Bouchain sont vivement repris, sans qu’Eugène essaye de les sauver : il a levé le siège de Landrecies, abandonnant sa grosse artillerie ; et a repassé la frontière. Bientôt ce sera Villars lui-même qui la franchira à son tour, qui prendra Landau et Fribourg sous les yeux d’Eugène impuissant, et signera avec lui, à Rastadt, au nom du Roi, le traité qui, effaçant neuf années de revers, rendra à la France ses limites nécessaires, rétablira ses alliés dans leurs États et maintiendra sur le trône d’Espagne la dynastie française qui l’occupe encore.
Une seule journée a amené ces grands résultats c’est pourquoi elle figure avec honneur clans la série des événements les plus considérables et les plus ‘décisifs de notre histoire. Elle est la juste cause de la notoriété et de -la gloire qui s’attachent au nom de Villars.
Elle comporte, en outre, de profonds enseignements qui s’imposent à nos méditations. Elle nous apprend à ne jamais désespérer de la France, même après les plus sanglants revers. Elle nous apprend à quelles conditions un grand peuple se relève de ses chutes et en efface la trace ; et, parmi ces conditions, elle nous indique comme la plus essentielle la puissante organisation de ses institutions militaires ; elle nous montre la guerre comme l’instrument du relèvement national.
Certes, la guerre est un fléau et nul ne saurait en souhaiter l’apparition ; mais chacun a le devoir d’apprendre à le regarder en face, comme le mal, comme la maladie, comme la mort elle-même, comme toutes les manifestations de la souffrance, partie intégrante du mystérieux et éternel plan de la création. La guerre est, pour les nations, la forme de la concurrence vitale, loi qui régit tous les êtres, les armes pour la lutte et condamne à disparaître tous ceux qui n’ont pas su se préparer énergiquement au combat et ceux qui, le combat engagé, n’ont pas su vaincre. La guerre est l’épreuve décisive qui sonde les reins et les cœurs, assigne à chacun sa valeur réelle, exalte les grandes vertus, les oppose aux instincts déchaînés. Et s’il m’était permis d’emprunter une image aux grandes industries dont l’activité rayonne autour de cette enceinte, je dirais que c’est dans le creuset, rougi au feu des batailles, que s’épure le fin métal des vertus civiques et militaires, rejetant les scories impures de l’égoïsme et de la lâcheté ; que, dans le même creuset, s’affinent l’acier des caractères bien trempés, l’or des grands courages et des grands sacrifices et jusqu’au pur cristal du charitable dévouement que symbolise la Croix-Rouge.
C’est la guerre, la guerre victorieuse, ne l’oublions pas, qui est, à l’origine des grands progrès nationaux, des grandes ères de prospérité économique : c’est la guerre victorieuse, enfin, qui procure la paix et c’est la forte préparation à la guerre qui maintient cette paix, qui assure aux nations les bienfaits de l’indépendance et de la sécurité.
Saluons donc d’un élan unanime les héros qui, au péril de leur vie, ont fait la démonstration de ces grandes vérités. Faisons mieux, Messieurs, imitons-les. Inspirons-nous de leur exemple ; apprenons d’eux le sentiment du devoir, l’esprit de discipline et de sacrifice, l’union surtout. Et que le souvenir de cette belle cérémonie. Œuvre elle aussi d’union patriotique, soutienne notre effort stimule notre confiance ; que les volontés qu’elle a rapprochées, les cœurs qu’elle a fait battre à l’unisson, les mains qui par elle se sont serrées restent unis d’une loyale étreinte pour assurer le présent, pour préparer l’avenir.