ACADÉMIE FRANÇAISE
SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE
DU JEUDI 20 DÉCEMBRE 1917
RAPPORT SUR LES CONCOURS DE L’ANNÉE 1917
DE
M. ÉTIENNE LAMY
SECRÉTAIRE PERPÉTUEL
MESSIEURS,
L’Académie Française réserve, depuis 1914, ses couronnes littéraires aux soldats. Pour accueillir ceux de 1917 comme leurs devanciers, elle a un motif de plus. Parmi les livres des premiers beaucoup étaient antérieurs et étrangers à la guerre. C’est la guerre qui a fait écrivains les combattants de 1917. Sa longueur, sa cruauté, son importance, les ont retenus, pénétrés, remplis. Quand ils ne la vivent pas, il faut qu’ils en parlent. Ils notent leurs « Commentaires ». Mais, comme aucun d’eux ne se croit César, ils ne prétendent enseigner ni l’histoire de toute la lutte, ni le secret de la victoire. Amenés sur un étroit espace du champ immense où se récolte la mort, ouvriers d’un outil dans la tragique moisson, ils racontent seulement ce qu’ils ont vu et fait. Dans les boues des Flandres, les craies de Champagne, les bois d’Alsace, les contrées d’Orient, sur la mer voisine ou lointaine, et plus haut que les nuages, ils ont été matelots, fantassins, servants de pièces, pionniers, aviateurs, convoyeurs du mouvement formidable et perpétuel qu’il faut pour faire vivre les armées de combattants et faire revivre les armées de blessés ; ils disent leur existence de tranchées, d’offensive, de vol, de sape, de marches, d’hôpital, de repos. Ces témoignages ne diminuent pas la dignité que le silence donne à la vie militaire : même sous les armes, le soldat a le droit de parler pour dire : « Présent ».
Plus encore que la multiplication de l’effort, apparaît dans ces témoignages l’unité de l’âme. Cette guerre nouvelle a créé un courage nouveau. Celui de notre passé réunissait toutes les hardiesses et toutes les élégances. Il prenait volontiers un ton un peu avantageux, notre air souriait d’avance à la victoire, comme si les armes fussent un art où nous étions naturellement les maîtres, et comme si, à nous battre, nous goûtions une joie indépendante de la cause soutenue et des gains espérés. Aujourd’hui le courage a cessé de sourire. Tout l’a rendu grave. La modestie, notre parente pauvre, est admise à nos conseils de famille, et elle a amené avec elle des compagnes, au vêtement terne mais inusable : la patience, le calme, la ténacité. Les Français, victimes d’épreuves que le malheur ne connaissait pas, les soutiennent sans se lasser, non par amour de la guerre, devenue plus laide, mais par amour de la patrie, devenue plus sainte. Ils savent que si elle était vaincue, avec elle succomberait l’indépendance du monde ; qu’ils ne défendent pas seulement un peuple, mais une civilisation. La conscience de tout ce qu’ils sauvent les tient fermes contre tout ce qu’ils souffrent ([1]).
Nos soldats ne sont pas toute la France. D’autres, sans armes, la défendent aussi, et par l’intelligence la renouvellent. Après avoir rappelé à notre pays ce que valent ses soldats, l’Académie veut rappeler à ces soldats, combien reste multiple en ses richesses, généreuse de son abondance, utile à l’univers, la France protégée par eux.
La langue est le moule sonore où chaque peuple verse son génie. La nôtre reçoit en ce moment un précieux hommage du dehors. Copenhague s’honore du professeur Nyrop : après avoir établi que « l’étude des mots est liée à l’étude de l’homme et de la société », il a choisi les mots les plus dignes d’un tel travail, en composant la Grammaire comparée de la langue française. Rendons lui un peu de l’honneur qu’il nous apporte ; les plus prévenus contre l’aridité de la linguistique apprendront, à lire ses quatre volumes, que seules sont ennuyeuses les sciences incomplètes, et combien l’orthographe peut contenir d’érudition et de philosophie.
Quand le cardinal de Richelieu fonda notre Compagnie, sur le sceau qu’il lui donnait, il fit graver ces mots : « À l’immortalité. » C’est à la langue française que Richelieu souhaitait cet avenir. Il confiait aux Quarante le soin de la garder intacte par leur dictionnaire, et pressentait que quelques-uns la serviraient mieux encore par leur génie. Elle hérita, en effet, la puissance d’universalité qu’avaient obtenue la grecque, puis la romaine. Nous étions la race la plus fameuse par les armes, la plus hardie de desseins, la plus féconde en enfants, la plus répandue au dehors. Les luttes de la Révolution et de l’Empire nous coûtèrent tant de sang que l’anémie commença de couler dans nos veines. La stérilité volontaire, complétant les destructions des batailles, réduisit les émigrants de France qui étaient les ambassadeurs de notre langue. Depuis quarante-cinq ans, elle cessa de retentir comme le verbe du victorieux. Des rivales lui ont pris l’accent d’autorité, le retentissement des échos innombrables, la commodité de servir aux plus importants négoces. La conquérante de jadis a besoin d’être défendue. Au dehors lui reste une fidèle aristocratie du goût, détournée elle-même quelquefois par les œuvres de nos propres écrivains. Il faut convaincre que ces défaillances, même les pires, sont des maladies de quelques-uns et de quelques jours, que la clarté, l’ordre, la noblesse, l’harmonie de la langue française forment sa nature originaire, incorruptible, inégalée, qu’elle n’est pas seulement un dialecte à l’usage d’un peuple particulier, mais un instrument de précision au service de l’esprit humain, et le plus pur cristal où la lumière pénètre sans dévier. Dans le monde entier, ces bons serviteurs de notre langue existent. L’Académie Française a voulu reconnaître sa dette envers ceux qui s’associent à sa fonction. Elle a fondé pour eux, à la veille de la guerre, un prix annuel de 10 000 fr.
L’Alliance française, dans les principales villes d’Europe et d’Amérique, présente et rend familiers au public les ouvrages, quelquefois les personnes des lettrés français ; à Paris elle attire les auditeurs étrangers autour d’un enseignement, et donne sur notre intellect une connaissance générale aux hôtes qui reportent en leurs pays l’écho de ces leçons. L’Alliance française groupe les hommes les plus opposés de convictions politiques et religieuses, aussi s’abstiennent-ils de répandre leurs idées par cette propagande. Dans l’Europe et dans l’Amérique copartageantes de notre culture et agitées par les mêmes controverses, notre langue a droit de cité comme messagère de cette commune civilisation : il y a prudence à ne pas rétrécir ce large accès en employant cette langue comme arme de combat dans les désaccords qui séparent les esprits. En d’autres continents, l’Asie, l’Afrique, abondent des races qui, loin d’être liées à la nôtre par cette éducation, traditionnelle, sont défendues de la curiosité même, soit par une sauvagerie stagnante, soit par une civilisation orgueilleuse et fermée. Pour s’ouvrir ces races closes, le seul moyen est de les convaincre qu’entre elles et les visiteurs venus de si loin, les différences sont secondaires, et essentielles les similitudes, que tous les hommes, enfants du même créateur, doivent vivre unis dans la justice et l’affection. Entre ces abîmes de méconnaissance et d’éloignement, l’Évangile jette un pont surhumain. Or, l’apostolat fut de tout temps une vocation française et les missionnaires français tiennent pour deux fois chère la langue de la nation par laquelle se sont accomplies les grandes œuvres de la chrétienté. Un sens profond leur révèle les sympathies mystérieuses de la foi catholique et de la parole française. C’est pourquoi leur ministère religieux ne s’exerce pas sans ouvrir des écoles à notre langue. Où elles sont les plus anciennes et les plus nombreuses, dans le Levant, notre verbe est devenu la seconde langue des races diverses, est étudié par les enfants des religions étrangères à la nôtre, et a acquis le privilège d’exprimer la pensée générale. Partout ailleurs, le temps prépare les mêmes résultats au même labeur, parce que partout ce labeur est l’expérience, la continuité, le désintéressement, et quand il le faut l’héroïsme. Nous avons donc partagé le prix de 1915 entre l’Alliance française et les Jésuites de Chine, donné le prix de 1916 aux Lazaristes du Levant, et offert celui de 1917 au chef du plus grand diocèse qui soit en Afrique, à l’évêque de Dakar.
Notre langue s’est formée au XIIIe siècle, le plus chrétien de l’histoire. La Renaissance, par le goût des humanistes, accrut son harmonie, la Réforme avec la controverse de Calvin et de ses disciples, parfit sa netteté. Mais elle courait risque en acquérant l’élégance et la précision, de perdre la suavité, cet accent d’une tendresse inconnue à l’insensible paganisme et oubliée par la dure Réforme. L’onction lui fut gardée, grâce au mysticisme que les sécheresses philosophiques de l’antiquité et les sécheresses contentieuses du protestantisme entretenaient par contraste en certaines âmes. Cette influence mystique est le sujet d’un vaste travail auquel M. Henri Bremond a donné pour titre : Histoire littéraire du sentiment religieux en France depuis la fin des guerres de religion jusqu’à nos jours. L’auteur ne compte pas épuiser, en moins de huit ou dix volumes, le sujet. Mais la manière dont il a fait les deux premiers prouve qu’un travail non fini peut être une œuvre achevée. Nous lui avons offert le grand prix Broquette-Gonin.
Ces deux volumes apportent à notre attention une longue surprise. Ils nous obligent à mesurer de façon toute nouvelle la force qui alors détachait du divin les âmes et la force qui les gardait à lui. Une surabondance de clercs et de laïcs, de moniales et de femmes demeurées dans le monde se sentent alors la vocation de rappeler à ce monde ce qu’ils croient en péril d’oubli. Traités, prières, thèses dogmatiques, études savantes, poésies, contes et romans, tout leur sert à atteindre par l’esprit la conscience. Il y a un mysticisme qui pour s’élever au ciel, se détache de la terre et meurt à la vie présente par impatience de la vie future. Ceux-ci au contraire sont du siècle, de leur siècle où bouillonne une sève de jeunesse, où chante une si terrestre certitude des beaux lendemains. Ici graves, là familiers, là tendres, là pathétiques, parfois sublimes, rarement monotones et, jusque dans le raffinement de la grossièreté où ils tombent parfois, toujours naturels, ils ont la curiosité et le goût de ce monde, de ses spectacles, de ses amusements, et toutes choses, même les minuscules et les éphémères, conduisent au créateur, par les innombrables chemins de la gratitude, ces amis des joies et des beautés créées. Leurs œuvres empruntent ces traits une originalité vigoureuse et parfois riche d’un admirable talent. Ce dont on s’étonne n’est pas qu’elles et eux se soient imposés à leur époque, mais qu’eux et, elles aient si complètement disparu de la nôtre. Il y a une tristesse à constater qu’ainsi maintes ligures du passé furent pleines et nous semblent vides. Le vide est clans notre mémoire, incapable de contenir tout ce qui méritait de durer, et le temps est tin infatigable faiseur de ruines qui ensevelissent des trésors.
Les hommes et les idées ne se mêlent pas sans que de la rencontre naisse une réciproque influence des idées sur les hommes et des hommes sur les idées. Laquelle l’emporte ? La méthode la plus habituelle aux curieux d’une idée est de la regarder en un homme et, ainsi qu’il y a des héros de roman, on se fait des héros de doctrines. Politiques, sociales, religieuses on les incarne en tel ou tel maître : on les cherche en lui comme s’il était leur créateur, on les circonscrit en lui comme s’il les contenait, on mesure en lui leur poussée et leur décadence comme s’il disposait de leur avenir, on les regarde sur l’écran de son intelligence comme sur ce mur de Platon où le spectateur, le dos tourné au jour, voit passer l’ombre des choses. C‘est le concept aristocratique, d’après lequel une élite créerait seule pour tous.
Un autre concept répond mieux à l’état présent de la science et de la société. L’une et l’antre mènent la revanche des infiniment petits et constatent la souveraineté des impondérables. Oui les idées de chaque époque empruntent quelque chose aux maîtres de leur temps, mais ils reçoivent plus qu’ils ne donnent. Dans celles qu’ils modifieront peut-être, ils vivent d’abord plongés comme en une atmosphère, ils y respirent l’influence éducatrice d’une tradition. Cette continuité on le passé enfante le présent, assure au passé sur le présent cet avantage que toutes les générations des morts pèsent de leur volonté sur une génération de vivants et, plus qu’elles sont la voix de la race. La voix des vivants même n’est pas seulement celle de ceux qui sont l’élite, mais celle de ceux qui sont le nombre, et par cela seul qu’ils sont le nombre, ils sont la puissance de ce murmure universel et anonyme qui est le sentiment général, toute heure l’intelligence des plus obscurs et plus petits assiège, pénètre, instruit, l’intelligence des plus célèbres et des plus grands. C’est ainsi qu’à l’élite s’impose la volonté de tous.
Ne pas exagérer le personnage des hommes qu’il ressuscitait, a été le mérite de M. Henri Brémond. Ses mystiques possèdent les joyaux les plus éclatants de la piété française. Mais cette piété qui brille en chacun d’eux, solitaire, multiple, inégale de couleur et d’intensité, ils ne la créent pas, ils la reflètent, ils l’avivent de leur étincellement. Ils accroissent la clarté d’une autre lumière plus complète qui, réfractée et brisée clans leurs œuvres, unit ces œuvres d’un jour à sa splendeur permanente et universelle. Cette flamme à laquelle flambeaux vivants ils se sont allumés, est la foi de la nation. Le génie chrétien de la race, voilà le maître de ceux lui prêchaient leur temps, voilà l’unité que M. Henri Brémond a reconnue à travers les contrastes de leurs personnes et de leurs travaux. Cette pensée-maîtresse gardera à l’ouvrage aussi l’unité, selon la promesse de l’auteur « jusqu’à nos jours ». Certains peut-être pensent que tenir le sentiment religieux pour le génie de la race au XVIIIe et au XIXe siècles soit passer de l’étude au paradoxe. Au XVIIIe siècle, en effet, l’esprit français semble subir une métamorphose profonde et définitive. La renaissance n’avait changé la tradition qu’en adoucissant l’austérité par un parfum de fleurs, la Réforme en ébranlant l’autorité par les disputes dogmatiques, et c’était l’œuvre de deux minorités. Le XVIIIe siècle est celui de la Révolution qui conduisit la raison au doute, la sensibilité à l’impudeur, et, cette révolution parut consentie par la majorité. Si les propagandistes de la double émancipation n’ont pas parlé seuls, ils ont parlé en maîtres. Paris, où se faisaient presque tous les livres et toutes les renommées, ne goûtait plus guère la raison que sceptique et l’imagination que sensuelle. L’audace commande même au nom de ceux qui se taisent. Ainsi nous sommes devenus le plus hardi des peuples dans la destruction de tous les respects. Pourtant la France restait abondante en provinces où les modes de Paris ne se portaient pas, en compagnies où se perpétuaient les anciennes modesties de l’intelligence et des mœurs, en retraites des âmes où chantait toujours l’hymne de la race. La partie capitale pour nous des études préparées par M. Henri Brémond, sera celle où il comparera la puissance vraie de ces forces contraires et sous les indifférences éclatantes de la France nouvelle, découvrira les sources profondes du sentiment religieux, semblables à ces eaux souterraines que les sables recouvrent sans les absorber.
Dès maintenant elles montent. Tandis que l’émancipation de toute foi conduisait les penseurs logiques à l’idolâtrie de la matière, le résultat rendait odieux le principe à des âmes également conséquentes, et pour elles la doctrine la plus préservatrice de l’enlisement dans la matière, était la doctrine la plus haute d’idéal. Une fois de plus le génie de la race luttait contre la plus redoutable des déformations qui l’eussent menacé. Après s’être d’abord recueilli dans le silence, il a senti grandir en lui sa vigueur défensive, et, de plus en plus, déborde du cœur aux lèvres la revanche de notre tradition. J’ai à saluer ici quelques-unes de ses victoires.
Le grand prix de littérature appartient cette année à M. Francis Jammes. Pour Francis Jammes, l’âge de poésie vint avant l’âge de raison, il ébauchait ses premiers vers à cinq ans. La nature inspira à sa jeunesse ardente et vigoureuse la fierté, l’impatience et l’indiscrétion des joies qui appartiennent aux hommes. Francis Jammes a dit de lui-même : « J’ai tout à la fois l’âme d’un faune et l’âme d’une adolescente. » Le faune parla le premier, ou du moins d’une voix plus forte. Il aimait toutes les beautés et avec une prédilection, celles qui non seulement se laissent aimer, mais aiment en retour. À l’âge où les plus indépendants sont encore disciples, il apprenait des modèles consacrés, cette licence poétique. Pour avoir travaillé où régnaient ces modèles, être devenu l’adopté d’un cénacle et le captif de sa réputation, plus d’un, a été toute sa vie un débutant et jusqu’à son dernier livre a refait le premier. Tout, au contraire, protégea en Francis Jammes le droit de se modifier. Béarnais, il était demeuré fidèle à sa province, aux siens, à sa maison. Les fièvres et les modes lointaines parvenaient amoindries à ce rural dans le monde tout proche dont la pérennité calme le pénétrait et le gagnait. La famille et la terre y étaient souveraines, y perpétuaient la vie dans le silence, un silence sur lequel passait la poix des clochers. Déjà il leur faisait écho par les premiers chants où résonna sa personnalité : De l’Angelus de l’aube à l’Angelus du soir. Tout cet espace était une continuité de soumission, de patience et d’espoir, toute cette vie l’unisson d’une pensée que Francis Jammes, même sans s’y joindre, entendait. Elle lui enseigna que toute rébellion de l’esprit ou de la chair contre la paix de cet ordre attentait, par l’anarchie d’un égoïsme solitaire et passager a un bien permanent et universel, peu à peu il sentit l’attrait d’être tout à ce qu’il admirait, de se vaincre pour ne plus se contredire, d’entrer dans l’ordre par les actes. Les villes, entre leurs monuments surélevés, ne lui eussent laissé voir, et comme la moindre de leurs splendeurs, qu’un lambeau d’azur. C’en est l’étendue qui partout où la nature est maîtresse, s’impose, spectacle et symbole. À lui, en 1905, Francis Jammes dédie Clairières dans le ciel où maintenant sa croyance habite et regarde la terre avec piété. Dès lors il chante aux ignorés, aux ignorants, aux êtres de misère, aux êtres de douleur comme aux prédestinés des béatitudes futures, ses hymnes de tendresse et de respect, et dont le plus célèbre est le livre des Géorgiques chrétiennes. Tous multiplient les preuves de cette vérité que l’Univers se révèle surtout à ceux qui ne le cherchent plus en eux-mêmes. Les désintéressés qui s’oublient ont par cela seul délivré leurs regards, les rendent aptes à découvrir les richesses partout répandues. Toutes attirent Francis Jammes, et il assemble en sa curiosité insatiable et fervente tout ce qui a part à l’existence, non seulement les hommes, mais les animaux, mais les plantes, mais les objets inanimés. Il les honore comme les multiples vêtements du même mystère, il se promène comme en un paradis terrestre dans tout le domaine des choses, il jouit de leur présence collective par la synthèse de son regard, sa sympathie reconnaît entre elles des parentés obscures, son génie de rapprochement unit les êtres, discerne dans les uns les apparences des autres, et peuple la vie d’aspects nouveaux.
Pourtant cette imagination, trouve son habitat familier dans les petitesses, les insignifiances de la nature et de la société. De ce nid placé dans les buissons bas, comme fait le rossignol, elle monte. Et ce n’est pas là un jeu de plus dans les souplesses de sa fantaisie, mais l’élan de sa certitude. À l’exemple de son maître, qui a pris les plus simples des choses, le pain et le vin, pour la plus sublime métamorphose, le disciple choisit les plus infimes des créatures pour célébrer plus complet le miracle de leur transfiguration. Il fait sa compagnie des humbles, elle l’unit aux derniers qui sont, les premiers, elle lui laisse contempler plus pure en ces dépouillés de tout ce qui périt, la gloire de l’homme. Par sa sollicitude pour les animaux, il continue François d’Assise : il doit de la charité à ces frères inférieurs qui ont aussi Dieu pour père, dans lesquels le créateur nous a ébauchés, et dont les instincts nous donnent parfois des leçons. Non moins affectueux aux plantes, il respire tous leurs parfums, il reçoit toutes les caresses de leurs couleurs, il est dévot à l’infinie variété de leurs formes, parce que tout en elles proclame le soin du Créateur pour tous ses ouvrages, et parce qu’elles-mêmes montrent leur créateur à l’homme. Sorties de la terre, vivant de la terre, elles ne restent pas rampantes et couchées contre leur nourrice, elles s’en éloignent par toute leur force de vivre, c’est-à-dire de monter, toutes, de l’arbre immense à la feuille d’herbe, unies en leur geste d’ascension, sont d’innombrables doigts dressés vers le ciel. Ce geste est celui de Francis Jammes, et son art est inséparable de la foi.
Ce n’est pas non plus au scepticisme qu’appartient le prix du Roman. M. Charles Géniaux est un Breton et son talent est un gars solide et sain, qui garde dans ses yeux et dans ses paroles la triple mélancolie des flots, des brumes et des landes, mais sa tristesse virile n’est que la gravité du courage et la prescience des mécomptes préparés par la vie à l’espoir. Certain que les livres comme les existences s’appauvrissent à se surcharger de détails, il va simplifiant sa manière. On avait déjà distingué l’Océan, lutte entre les marins qui sauvent et la mer qui tue ; éducation des êtres simples par les forces de la matière qui enseignent toutes les rudesses, et pas de vices ; tragique mariage des airs et des eaux qui laissent à peine aux hommes le temps de reconnaître et d’aimer la voix de la femme dans la voix des tempêtes ; fureur passionnée et comme vivante de la nature où les êtres vivants sont emportés comme des choses mortes. L’Océan était l’épopée des éléments. Armelle Louannais est l’épopée du silence. Un bourg de paysans muets, une gentilhommière, une église, une femme et un prêtre, que leur solitude fait plus importants l’un à l’autre : ici l’orage est dans les âmes, il s’y tait, il y étouffera. Si l’on eut dit il y a vingt ans : un écrivain composera un roman où deux personnages, qui n’agissent pas, ne parlent pas davantage, où les battements secrets de deux cœurs sont le seul mouvement de deux vies, où tout consentement, toute surprise d’un attrait humain sont anéantis dans le prêtre par une vertu que la tentation n’approche pas et prévenus dans la femme par un respect plus fort que l’amour, où la mort du prêtre vient avant qu’il ait eu rien à interdire, où la femme sous le deuil dont elle meurt à son tour reste fidèle à la religion de son secret, les maîtres des cénacles littéraires auraient, pris en dédain l’indigence d’un tel sujet. Or cette œuvre a trouvé grâce devant notre goût rénové. Loin qu’il s’ennuie à la double austérité de cette morale et de cet art, il leur en a su un double gré. La surabondance des traits empâte notre littérature. Elle oublie un peu qu’il y a un art de ne pas dire et une puissance, la plus grande peut-être, du silence. À ceux qui gardent le culte de nos dons traditionnels, les deux personnages apparaissent semblables à ces statues voilées et dont les corps demeurent visibles et les visages expressifs sous les défenses des plis. Et à ceux qui accusaient notre littérature de chercher sa vie dans les licences malsaines, cette œuvre oppose la décisive réponse de sa chasteté et de son succès.
Or celle-là n’est pas la seule. Mais il faut se borner, les écrivains d’imagination, explorateurs des espaces sans limites, m’entraînaient trop loin des curieux positifs qui, pour notre profit se sont fixés sur une place précise du temps et de la terre.
Les historiens cette influence, sont réparti les études comme s’ils eussent voulu montrer dans les âges changeants la face permanente de la France. Le souvenir aussi a son imagination : l’enfance des peuples ainsi que celle des hommes croit d’abord aux contes et l’histoire, quand elle examine les légendes, semble un appauvrissement, car elle dépouille les faits plus qu’elle ne les complète et éteint l’éclat des crédulités dans un brouillard d’incertitudes. L’origine même de la France apparaît dans Paris à l’époque Gallo-Romaine. Ce livre, qui a valu à M. de Pachtère le prix Berger de 15 000 francs, ne ménage pas les traditions complaisantes d’un Paris plus ancien que Rome, qui devrait sa fondation aux Troyens, son nom au frère d’Hector ; son premier évêque à l’Aréopage, et ses chartes municipales aux plus anciens de ses marchands, ses « nautes ». Mais les mensonges valaient- ils les vérités que voici ? Le premier acte certain de la cité qui n’avait pas encore de nom définitif, est un effort en faveur de la nation que la Gaule n’a pas su constituer et qui menace Rome : Paris est le premier et le plus fidèle allié de Vercingétorix. Cette énergie attire la redoutable attention de César. Conquise, la ville offre une capitale à cette infidélité singulière qui attire de l’Italie épuisée les empereurs vers la Gaule comme vers une vie plus jeune. Quand l’Empire n’est plus que le décombre de ses pierres, et quand la framée franc brise la Gaule elle-même en plusieurs royaumes, Paris est déjà une cité trop dominatrice pour qu’aucun des co-partageants la veuille abandonner aux autres. Elle reste leur bien indivis et, dans les démembrements, la pierre d’attente de l’unité française.
À la même époque, dans la Gaule, une autre région, la plus lointaine et la moins possédée par Rome, retrouvait avec son indépendance sa passion d’isolement. L’Histoire de Bretagne, de sa solitude, puis de son voisinage, puis de son union avec la France, a été un même édifice, construit en dix-sept années, par deux architectes. M. de La Borderie habita l’ombre des fondations ; il reconnut le sol, la mer, le climat du pays et les légendes dans les caractères, les mœurs, les constances et la tristesse du peuple. Trois volumes étaient publiés en 1901, quand M. de La Borderie mourut. La province, attentive, tenait à ce que ce portrait d’elle ne restât pas inachevé. Elle tendit le pinceau au plus digne. Et nous, à notre tour, offrons au continuateur, M. Barthélemy Pocquet, le grand prix Gobert, pour avoir raconté les quatre siècles où la Bretagne nous compléta de sa vie et s’accrut de la nôtre.
L’essentiel de ce travail n’est pas la clarté qui se pose successive sur chaque instant de cette longue durée ; c’est la lumière générale que chaque fait apporte sur l’union de la province et du royaume. Là s’affirme, dans son plus éclatant exemple, la méthode habile, sage, morale, qui rendit possible, continu el solide la construction de la vieille France. L’amour de chaque contrée pour toutes ses indépendances était contraire à la vocation de la monarchie pour l’unité. L’art de nos rois fut, même quand ils auraient dû contraindre, de persuader. Dessein digne de la maxime dès lors reçue par notre droit publie : « nul n’entre esclave sur la terre de France. » La conquête pacifique de la Bretagne est un monde de cette lucrative patience. Le royaume a déjà vaincu le duché par les armes, ce n’est pas par elles qu’il a hâte de s’imposer. Quarante ans d’approches caressantes calment les méfiances, deux mariages de la duchesse Anne avec Charles VIII et avec Louis XII nouent et renouent entre les souverains la communauté, les voyages et la grâce de François Ier obtiennent enfin qu’à ces actes des princes, la Bretagne entière signe, que les États demandent la réunion au royaume. Une plus grande difficulté commence quand toutes les franchises, depuis celles des États jusqu’à celles des moindres corps, entrent en contact avec une unité qui les use par son frottement même et grandit à les amoindrir. Pour établir que ces rapports fussent le principal de la vie bretonne dans la vie française. M. Pocquet a emprunté l’architecture particulière à certaines églises de Bretagne. Les plus originales et les plus complètes, semblent celles qui n’enferment pas sous les voutes d’un vaisseau unique toute leur piété, mais au dehors et alentour élèvent des monuments, assemblent en groupes les statues de saints préférés, et complètent les nefs closes par la leçon perpétuellement ouverte des calvaires. Ainsi hors son grand édifice élevé à la Bretagne, M. Pocquet, a sculpté deux calvaires à ses deux dévotions préférées, le Parlement et les États. Dans le Duc d’Aiguillon et La Chalotais, il a raconté la lutte de la monarchie et du Parlement. Dans Les Origines de la Révolution en Bretagne, la lutte de la monarchie et des États. Là, surtout, il faut chercher la raison pour laquelle une antinomie irréductible ne créa pas de luttes irréconciliables.
La royauté renierait sa vocation si elle ne disciplinait pas les indépendances, mais l’embarras qu’elles lui donnent ne la fait ni oublieuse de ses promesses, ni impatiente de leur obstination ni tentée d’en finir avec elles d’un coup. Elle les ménage, sa bienveillance a des allées et venues qui, tantôt empiètent sur les libertés, tantôt leur concèdent et ne les laissent ni satisfaites ni désespérées. Ces intérêts moins étendus qu’elle, même quand elle les restreint sont fiers d’elle, ont le sentiment de devoir quelques sacrifices à la grandeur nationale. La conscience d’une union perpétuelle affermit, dans l’État et les provinces, la même volonté de ne pas compromettre le bien nécessaire des existences indissolubles, la concorde. Et dans les rapports entre les autorités, comme entre les hommes, il y a de la patience, de la probité, du respect. Cela ne vaut-il pas pour cimenter une nation, la rigueur et le sang ?
D’autres procédés sont offerts à la puissance par la politique moderne. Elle ne ménage plus la collaboration du temps ni des volontés, elle ne parle que de délivrer sans attendre, mais selon son dessein, et ne compte que sur sa force. Dans Bonaparte président de la République italienne, M. Pingaud, et dans L’Albanie et Napoléon, M. Boppe, montrent l’offensive irrésistible et le soudain anéantissement des improvisations conçues même par le génie. Faute d’avoir fondé l’avenir dans les âmes, et malgré l’obéissance perpétuelle de l’Italie aux ordres changeants par lesquels il la rénove, Napoléon y a préparé, pour le jour où il tombera, le rétablissement du passé. Ses ambitions sur l’Albanie n’ont pas cherché de collaborateurs, elles n’ont plus de partisans dès que sa volonté et ses soldats passent ailleurs. Au contraire, les dons de la race, même sous les gouvernements qui les dédaignent ou les découragent, suffisent à de grandes œuvres, et durables. M. John Finley, un Américain, a mesuré l’immense place que, par leur seule vocation d’explorateurs, ont occupée Les Français au cœur de l’Amérique.
C’est au cœur de la France qu’aujourd’hui rappel de la race réunit les Français. L’invraisemblable excès d’une ambition qui, par son seul aveu, détruit tout l’ordre du monde, obsède d’angoisse le plus grand nombre de ceux qui pensent à cela et pour cela quittent le reste, poètes, psychologues, moralistes. Leur plus complet exemplaire est peut-être M. Henry Bidou. Son renom de lettré délicat, original et spirituel ne rendait justice qu’à son talent des jours heureux. La guerre l’a transformé en observateur du sol et du sous-sol, en géographe dont la science est au profit des stratégistes ; nos épreuves ont accru ses dons. Ces épreuves, qui rendent indivisible la cause des peuples, ont inspiré à un officier Suisse, le colonel Feyler, un livre de morale et qu’il a lui-même nommé : La manoeuvre morale. Certain que la force matérielle n’est pas la seule, qu’elle a des sources invisibles, et, pour durer, doit descendre de haut, il mesure par les faits l’altitude des âmes. Sur le principal théâtre de la guerre, il suit pas à pas les batailles, juxtapose ce qu’elles ont été, et ce qu’en ont dit les combattants, compare la parole des Anglais et des. Français à la parole allemande. Les Anglais ne songent pas à tromper. Non pas que, même dans leurs récits, tout soit exact. Il en est de la vérité comme de l’or, qui circulerait mal sans un peu d’alliage. Mais c’est une monnaie loyale. Une grandeur saine est dans un peuple qui n’a pas honte d’être malheureux, mais rougirait d’être fourbe et a toujours fini par dominer ses épreuves eu ne se cachant jamais ses fautes. La nature des Français est moins simple : la sincérité en fait le fond, mais ils ont un tel besoin de ne pas déchoir à leurs yeux et aux yeux des autres qu’il leur faut un peu de temps pour s’accommoder des surprises déplaisantes. C’est pourquoi nos rédacteurs de nouvelles les donnent intactes quand elles sont bonnes, et travaillent à les rendre bonnes quand elles le sont moins. Mais nous n’altérons les choses que par des retouches improvisées, des corrections irréfléchies, des parades instinctives à des coups inattendus. Nos inexactitudes n’ont rien d’un dessein suivi, d’un calcul profond, d’un système. Leurs variantes se contredisent dans leurs inexactitudes successives. Notre esprit répugne à la besogne de préparer à l’avance la fausseté, pour la rendre plus efficace, et notre droiture se venge par la pauvreté de nos artifices et notre maladresse à mentir. Pour les Allemands, au contraire, donner aux faits les apparences utiles est une forme éminente de l’action. La force n’impose ses contraintes violentes que sur un nombre restreint de gens et de lieux ; elle commande presque partout par sa réputation d’être irrésistible : l’œuvre la plus nécessaire est donc de dominer les esprits, et l’erreur qui les persuade vaut la vérité. Ils estiment la diffusion des erreurs une science. Ils en font un art. Tout, chez eux, est réfléchi, continu, préparé d’avance et, d’ensemble pour déformer tout à leur profit. Ils ont le génie du mensonge.
Ce mensonge, pourtant, est traversé par des éclairs de franchise quand, à la vue du butin, la cupidité de la race laisse échapper ses secrets. Plusieurs fois elle a tendu la main vers ce qui nous reste de Lorraine, et pour que nous ne nous abusions pas sur la gravité de ce geste, M. Engerand a écrit Les frontières lorraines et la force allemande. La nature avait offert à la France dans le sol lorrain la richesse magnifique et du charbon et du fer. La Prusse de 1815 a rompu l’équilibre en prenant le bassin de la Sarre. L’Allemagne de 1871, par ses annexions de Lorraine nous a enlevé, après le charbon, le fer. Ce trésor de fer ne nous a pas été pris tout entier, le pays de Briey nous reste ; c’est lui que l’Allemagne réclame par droit d’accroissement. Le député français montre qu’en effet là est un but de guerre, que l’intérêt est égal pour nos ennemis de prendre toute la Lorraine et pour nous de la recouvrer toute ; que le maître de ce sol sera longtemps un maître de la richesse. Il rappelle combien l’occupation de Briey a aidé l’Allemagne à soutenir la guerre, et a rendu la lutte plus difficile à la France. Et notre sollicitude, éveillée à la fois sur l’avenir et sur le passé, cherche encore par quelle influence le recul de nos troupes à 8 kilomètres en deçà de notre frontière, à la veille des hostilités, a donné sans combat Briey à l’Allemagne comme s’il lui appartenait déjà, et nous a privé de notre fer comme s’il n’était plus à nous.
Je ne vous ai présenté que des hommes. Pourtant ici chez nous la femme est chez elle : et même un prix lui a été réservé de droit. Est-ce que la dureté des temps sévirait surtout contre elle, et son génie de douceur ? Au contraire, par eux, la femme au lieu d’être amoindrie a été complétée, et leur tragique leçon a suscité en elle une virilité de l’esprit et du cœur. Voici une jeune fille, Mlle Zanta, grâce à laquelle le substantif philosophe est désormais de deux genres : la première qui ait droit à ce titre en Sorbonne et qui y ait professé, elle vient d’écrire un traité sur la Renaissance du stoïcisme au XVIe siècle. Que ce stoïcisme soit une goutte d’antiquité tombée dans notre tradition nationale, qu’il nous ait fait la philosophie plus religieuse, et la religion plus raisonneuse, que le mélange ait favorisé le jansénisme, voilà des méditations et des arguments où notre amour-propre aime à reconnaître la clarté, la méthode, et la vigueur de l’homme. Et chez Mme Adam, à qui nous offrons le prix Jules Favre, tout n’est-il pas viril, sauf le corps ? Sa jeunesse ne connut pas de passion plus ardente que la politique. Ambitieuse de bonheur pour le genre humain, elle croyait à l’efficacité souveraine des doctrines gouvernementales. Pour leur ouvrir une école, elle fonda une revue, et découvrit, à défaut d’idées nouvelles, de nouveaux écrivains. Mais accroître la joie raffinée d’une élite n’était pas assez à cette impatiente du bien général qu’elle ne séparait pas de la grandeur française. Elle compte sur un parti et ses chefs : elle ne sait ni être déçue sans souffrir, ni souffrir sans crier. Chacun de ces cris échappés à son patriotisme se prolonge en un volume et ainsi se sont succédé les mémoires de ses désenchantements : elle y dit tout, plus sévère à ceux dont elle avait espéré davantage. Et tandis qu’elle reprochait à ses anciens amis de changer, les vicissitudes d’une longue carrière la changeaient elle-même, l’instruisaient peu à peu à moins se fier aux procédures humaines, à se reposer des opinions dans les croyances. La même évolution qui emporte notre temps, s’accomplissait en la femme qui après avoir signé payenne le livre de sa jeunesse a signé chrétienne, le livre de sa maturité, et, entre ces contrastes de sa pensée demeuré la même par sa nature, étrangère à l’incertitude, aux déguisements et à la peur.
Les femmes dont les noms s’offrent à nous ne sont pas seules présentes à notre souvenir. Il va plus pieux encore à des femmes qui nous semblent sans nom, tant elles sont humbles et nombreuses, à celles que notre malheur a faites les plus viriles de toutes. Elles vivent dans nos campagnes, elles y accomplissent la tâche des paysans devenus soldats, elles aussi défendent le sol, elles en chassent la stérilité, elles nourrissent ceux qui combattent. Héroïnes qui s’ignorent, gloires de l’ombre, elles sont comme dans la lumière ces rayons des ténèbres, hier inconnus et de tous les plus puissants. Obscurité, silence, nous vous regardons, nous vous écoutons, nous vous vénérons dans les hommes qui savent se donner, se taire, et dans les femmes qui forment de tels hommes, les suppléent et les égalent.
[1] René Labruyère : Deux années de guerre navale. — Lieutenant Pericard : Face à face. — Le duc de Levis-Mirepoix : Les campagnes ardentes. — Capitaine Droin Du sang sur la mosquée. — De Tessan : Quand on se bat. — Marcel Nadaud : En plein vol. — VteR. de la Frégeolière : À tire d’ailes. — Jean des Vignes-Rouges : Bourru, soldat de Vauquois. — Capitaine F. Belmont : Lettres d’un officier de chasseurs alpins. — Robert Deville : Le carnet de route. — M. Gandolphe : La marche à la victoire. — V. Piquet : Le Maroc. — M. Delorme-J. Simon : Âmes de guerre, âmes d’amour. — J. Vassal : Dardanelles, Serbie, Salonique. — Lieutenant Christian Frogé : Morhange et les marsouins en Lorraine. — R. P. Lambert : Une âme vaillante et rayonnante. — Abbé Lenfant : Notes d’un prêtre mobilisé. — Marcel Dupont : En campagne.