Séance d'inauguration des rencontres littéraires entre la France et la Belgique, à Royaumont

Le 1 juin 1953

Georges DUHAMEL

SÉANCE D’INAUGURATION DES RENCONTRES LITTÉRAIRES
ENTRE LA FRANCE ET LA BELGIQUE

DISCOURS PRONONCÉ

PAR

M. GEORGES DUHAMEL

AU NOM DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

A Royaumont, le lerJuin 1953

 

Mes chers Confrères, Mesdames, Messieurs,

C’est un message de gratitude et d’affection que je vous apporte ici, au nom de l’Académie française, qui m’en a expressément chargé dans sa dernière séance, au nom de tous les écrivains et lettrés de France que votre visite honore et qui voudraient tous avoir la chance de vous manifester leurs sentiments.

L’an dernier, quand l’Académie française a été si courtoisement reçue, à Bruxelles, par l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, il m’est arrivé de rappeler, au cours d’une séance, ce qu’avait représenté pour nous l’apport de nos chers voisins du Nord à notre trésor de poésie et de prose. Quel plaisir pour moi de revenir sur un tel sujet et dans une telle occurrence !

Les hommes qui ont fait leurs premiers pas en littérature pendant les premières années du siècle entendaient souvent leurs aînés parler, non sans un charmant orgueil, de ce que l’on appelait alors la révolution de 1885. Les poètes, environ cette date, avaient, avec succès, entrepris de s’affranchir de l’autorité dont jouissaient encore les romantiques et dont les parnassiens avaient été les héritiers. Hugo venait de mourir et son influence demeurait justement fort grande. Les romanciers en étaient à célébrer, dans d’admirables œuvres, leur ferveur réaliste et naturaliste. Et c’est à ce moment que nous étaient parvenus, de Belgique, d’admirables présents qui allaient confirmer nos poètes dans leur nouvelle religion, celle de l’allusion, de l’allégorie, du symbole, pour en venir au mot essentiel.

Le sanctuaire du symbolisme, c’est-à-dire de la poésie, au début du siècle, se trouvait au « Mercure de France ». C’est là que j’eus l’audace de me présenter, passés les premières expériences et les premiers sacrifices, — car, en ce temps béni, les poètes travaillaient fièrement et durement pour payer l’impression de leurs premiers ouvrages et tous avaient un second métier qui leur permettait d’honorer leur art dans une parfaite et intransigeante pureté —. Je fus admis, en 1912, à collaborer régulièrement au Mercure comme critique de la poésie. J’ai certes donné jadis quelques-uns de mes livres à d’autres éditeurs, mais j’ai fini par confier le plus clair de mes ouvrages à la vieille demeure de la rue de Condé. Si je fais ici mention de ces événements personnels, c’est pour dire que j’ai pu, dès mes commencements, célébrer les poètes dans la maison qui était alors leur citadelle, que j’ai pu connaître aussi certains d’entre eux, personnellement.

Nous avions, nous de la nouvelle équipe, décidé de nous détourner du symbolisme, ce qui est normal dans la marche du monde et dans la libre recherche; nous allions vers une poésie humaine et directe; mais nous considérions nos aînés avec dévotion. Or, parmi ces aînés, les Belges étaient nombreux et avaient depuis longtemps soulevé notre admiration, notre enthousiasme. C’est au Mercure que Maeterlinck, Rodenbach, Van Lerberghe, Verhaeren, Max Elskamp, Mockel. Eckhoud, Grégoire Leroy et d’autres encore avaient publié certains de leurs premiers ouvrages. Quand j’entre dans la grande pièce qui fut longtemps le bureau d’Alfred Valette et, durant trois années, le mien, j’aperçois encore le portrait de Verhaeren, non loin des bustes de Verlaine, de Rimbaud et de Bloy. Depuis, d’autres poètes et écrivains belges ont retrouvé le chemin de la vieille demeure. J’y ai souvent rencontré Albert Mockel, j’ai de la joie à y accueillir parfois Thomas Braun. Je ne les cite pas tous, mais, dans mon cœur, je les salue tous et je salue leur œuvre.

Puisque j’en suis encore à ces temps de notre initiation, me faut-il rappeler que l’épopée de la Flandre, c’est un illustre écrivain belge qui l’a composée, et qui l’a composée en français ? Je tiens Thyl Ulenspiegel pour un ouvrage qui demeurera au premier rang de nos grandes chansons de geste, entre la Chanson de Roland et le Kalevala, entre le Nibelungenlied et l’Iliade. Jeune écrivain, je me sentais fort honoré quand je recevais une lettre de Camille Lemonnier, ou la visite de mon cher Louis Piérard. Ainsi la nation belge tout entière était, à mes yeux, unie sans réserve pour offrir sa riche contribution à la littérature de langue française.

Cette belle dévotion n’a pas faibli, le temps venant. Les écrivains belges de ma génération et des générations nouvelles ont généreusement travaillé, depuis un demi-siècle, à enrichir notre commun patrimoine. À tous ceux qui sont ici, je veux dire ma reconnaissance à tous je veux marquer ma confiance, à ceux qui travaillent sur le sol métropolitain comme à ceux qui célèbrent les belles-lettres en Afrique, dans ce Congo que j’ai eu le bonheur de visiter et dont je garde grand souvenir.

Merci, mes chers Confrères, de tout ce que vous faites, de tout ce que vous ferez encore pour sauver la civilisation occidentale du désordre et des périls qui la menacent, pour orner sans cesse le monument littéraire qui est notre orgueil et notre justification devant l’avenir.

 

Georges DUHAMEL.