RAPPORT SUR LES CONCOURS DE L’ANNÉE 1863.
DE M. VILLEMAIN,
SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE,
Le 23 juillet 1863
MESSIEURS,
Le nombre toujours croissant des ouvrages présentés au principal concours de l’Académie est une difficulté pour elle plutôt qu’un sujet de plainte. Elle ne peut nommer en public tout ce qui lui a paru digne d’attention et d’estime. Parfois aussi elle a eu sous les yeux de grands travaux mêlés de science économique et d’études législatives, qu’elle n’a pas dû ni voulu juger, même en approuvant la pensée qui les inspire.
Cette réserve, dans l’examen du concours des ouvrages utiles aux mœurs, laisse encore cette année bien des ouvrages à comparer, et d’heureux efforts de savoir et de talent à signaler au public. La philosophie, sous sa forme la plus générale, a naturellement une place dans ce choix. La science servant à la vertu, la pensée contemplative ennoblissant la pratique de la vie, c’était le sujet qu’un esprit élégant et juste a résumé sous ce titre : La Philosophie du bonheur, dans un livre qu’on ne peut lire sans profit et sans charme. Ce n’est ni à l’érudition ni à l’exposition dogmatique des systèmes que M. Paul Janet, professeur applaudi dans des cours publics, emprunte ici son autorité ; c’est à la justesse du sens, à la droiture du cœur, à la conscience la plus scrupuleuse et au point d’honneur le plus éclairé. Que le spiritualisme soit le principe de cet ouvrage, il n’est besoin de le dire. Un traité du Bonheur ne saurait être qu’un rigoureux traité de morale. C’est du devoir accompli que dépend tout le bien de la vie ; c’est au perfectionnement de l’âme qu’il faut le demander.
Cette âme, l’auteur la suit dans toutes les épreuves, mêlée aux affaires, occupée d’études, active pour les autres, résignée pour elle-même, chargée d’obligations à remplir, et ne pouvant trouver quelque satisfaction ici-bas que par beaucoup de raison, de travail et de dévouement. Ce n’est pas seulement au nom d’une philosophie généreuse qu’il combat la doctrine de la Rochefoucauld c’est du spectacle même de la vie qu’il fait sortir la réprobation de l’égoïsme, et c’est ainsi qu’il en démontre l’erreur autant que le vice. Pour lui, cette vérité touche aux consolations religieuses. En étudiant ce qu’il nomme beauté et misère de la vie, sa foi dans ce qui dépasse le monde ne lui laisse que plus d’espérance pour le progrès moral de ce monde lui-même. Comme il voit dans la pratique du bien la seule chance de bonheur personnel, c’est du bien généralement pratiqué qu’il attend le bonheur social. Il y croit avec ardeur, et il a pour l’avenir de l’humanité quelque chose de la confiance dont le remplit l’avenir immortel de l’âme. L’Académie décerne un prix de trois mille francs à M. Paul JANET pour cette œuvre de science et de bonté morale, de bon sens et d’esprit délicat, de raison forte et de talent d’écrire.
À côté de cet ouvrage elle place un autre nom, un autre écrit, différent d’origine, livre de morale aussi, mais né sans le secours de la science, sans l’expérience du monde. C’est le recueil de quelques lettres et des pensées d’une jeune fille vivant dans la demeure délabrée de sa famille noble et pauvre, au milieu des soins vulgaires du ménage relevés par les efforts d’une charité que rien ne lasse. Eugénie de Guérin, ses lettres, son journal, telle est l’œuvre que l’Académie choisit comme un exemple utile pour les âmes.
Cette jeune fille, près d’un père âgé, près d’une sœur et d’un frère plus jeune qu’elle, n’a respiré que pieux dévouement et soins de famille. Elle a lu quelques livres de piété d’un intérêt fort inégal, de simples légendes et des volumes de Bossuet et de Fénelon. Elle a lu peu de nos poëtes ; mais elle sait d’instinct la poésie, comme sa langue natale, et il y a d’elle quelques vers pleins d’émotion et de la plus gracieuse élégance. Ce talent des lettres qu’elle ne croit pas avoir, elle le prédit, elle l’excite dans son frère, que l’étude y préparait, et dont la vocation religieuse ou mondaine, mais toujours poétique, devait laisser quelques traces éclatantes.
Séparée de lui par les efforts qu’il fait pour chercher la célébrité, elle existe pour lui : elle tient un journal des conseils, des vœux qu’elle lui adresse et des incidents de sa propre vie si modestement uniforme. Une visite de parenté ou de voisinage, une œuvre de charité, une lettre reçue, une nouvelle apprise, cela suffit pour l’inspirer et lui donner de nobles idées sur quelques noms célèbres et quelques graves questions d’alors.
Cette épreuve n’est pas la seule. Eugénie de Guérin devra survivre à son espérance, à son orgueil, et perdre celui qui était l’objet d’une affection si pure et d’une ambition si dévouée. Ce frère, qu’elle prédestinait à la gloire et qu’elle voyait heureux d’un mariage souhaité, meurt presque aussitôt. Elle vit quelques années encore, s’entretenant avec ce souvenir, redisant ses inconsolables regrets, et semblant quelquefois reprendre ses espérances et continuer ses conseils pour celui qui n’est plus. Les pensées écrites qu’on a recueillies d’elle, datées de ces divers temps de sa vie, sont vraies et parfois éloquentes. C’est la physionomie d’une âme forte, généreuse et tendre. Ce n’est pas un livre à juger. C’est une image sainte à honorer. Le prix décerné à l’œuvre d’Eugénie de Guérin ira trouver l’héritière de ce nom, et sera comme une marque de l’intérêt public pour ces prémices de talent qu’enlève si cruellement la mort.
De savants ouvrages ont ensuite fixé l’attention de l’Académie. La Psychologie de saint Augustin par M. Ferraz, professeur de philosophie au Lycée impérial de Strasbourg, se présentait d’abord. Par son génie et l’esprit de son siècle, Augustin fut autre que le brillant rhéteur de Carthage et de Milan, que le prédicateur populaire, que le grand évêque et le saint il fut un maître de la science philosophique ; il en discuta les problèmes ; il en reporta quelque chose dans sa théologie, où plus tard la philosophie d’un monde nouveau vint puiser à son tour. Étudier ce mouvement, suivre saint Augustin de Platon à l’Évangile, constater d’après lui le travail de l’intelligence humaine, son action interne et spontanée, et le montrer, dans cette science de la pensée, précurseur de Descartes et souvent d’accord avec les progrès qu’a faits de nos jours l’observation intellectuelle de l’âme sur elle-même, c’était un curieux travail, une œuvre d’analyse savante et de sagacité, que l’Académie devait distinguer, pour le sujet, pour la doctrine et pour l’expression.
Près de cet ouvrage, elle désigne également l’Étude sur Malebranche par M. l’abbé Blampignon, docteur en théologie et docteur ès lettres. La littérature générale, celle qui touche le plus aux sentiments et aux idées des hommes, est intéressée à ces nobles directions de métaphysique et de philosophie chrétienne. Elle en saisit parfois le rapport avec la pensée publique ; elle y sent combien est fortifiante pour l’esprit la recherche pure de la vérité pour elle-même. L’essai, par un jeune prêtre, d’une discussion libre sur les hardiesses d’un pieux penseur tel que Malebranche, demeuré pour nous un grand écrivain, devait être accueilli dans ce concours.
Près de la biographie, complétée sur quelques points, de ce novateur du XVIIe siècle, si paisible et pourtant persécuté, l’Académie place volontiers la vie et la doctrine d’un philosophe du XVIIIe. Mais ce philosophe fut un vrai sage, avant d’être un ministre réformateur. Il attaqua les tendances du matérialisme, autant que les traditions de l’arbitraire. Il voulut rectifier les doctrines, pour préparer le règne des lois ; et dans la retraite, comme dans la vie publique, il unit toujours dans une même pensée, il chercha d’une même ardeur, l’élévation des principes moraux et le progrès de la liberté politique. L’Académie avait proposé et couronné l’Éloge de Turgot, il y a déjà bien des années, et dans un temps différent du nôtre. Elle aime qu’on revienne aujourd’hui à ce souvenir, à cet exemple. Le nouvel ouvrage sur Turgot par M. Mastier, ancien élève de l’École normale, docteur ès lettres, ne sera pas la dernière étude qu’on essayera, de nos jours, sur ce nom respecté. Mais l’Académie, appréciant les recherches et le style de l’auteur, lui décerne une médaille de deux mille francs, comme à chacun des deux précédents ouvrages.
Une étude d’histoire bien faite, et dictée par un grand scrupule de vérité, une réhabilitation, partielle, il est vrai, de Philippe If, obtient la même distinction. C’est l’ouvrage de M. Charles de Mouy, Don Carlos et Philippe II. À l’intérêt que le roman et le théâtre avaient jeté sur l’infortuné don Carlos, à cet amour partagé qui aurait fait deux victimes, à cet enthousiasme de philosophie et de liberté dont le prince espagnol aurait été le complice et le martyr, est substitué, d’après des pièces authentiques, le récit d’une longue démence et d’une maladie terminée par la mort. Il n’y a plus rien des fictions de Saint-Réal, ni des rêves généreux et des crimes atroces mis en tragédie par Schiller et Alfieri. Mais il reste la justice de l’histoire sur le souverain qui rendit contre lui toute calomnie vraisemblable et mérita même les mensonges accusateurs qu’il encourut. Il reste le pathétique de la vérité, assez touchante par elle-même. L’Académie décerne à cet ouvrage une médaille de deux mille francs.
Elle avait encore à choisir parmi de nombreux ouvrages de poésie. L’art des vers, et quelques traces de l’inspiration qui le renouvelle, s’offraient sous bien des formes. L’Académie s’abstient de citer ce qu’elle n’a pu préférer. La gravité morale du sujet, le mérite littéraire d’une étude difficile passionnément suivie, sont des titres qui devaient surtout prévaloir à ses yeux.
Une version poétique calquée sur les Psaumes, et en reproduisant les formes les moins connues, a frappé l’attention par l’effort et quelquefois par le succès. Une préface instructive, des notes savantes d’histoire et de critique, ajoutent à l’intérêt de cette étude, en attestant l’ardeur de conscience et d’admiration qu’y porte l’interprète. Si maintenant le sublime d’un modèle inaccessible n’est pas touché d’aussi près, dans ce long travail de traduction fidèle, que dans quelques rares imitations parties de la main de nos grands poëtes, du moins les teintes douces et pures qui reposent de ce sublime sont rendues avec âme. Le style, grave et simple, se ressent par moments de la grandeur originale. L’Académie décerne à cette œuvre de M. de la Jugie une des médailles qu’elle réserve pour l’emploi moral du talent poétique.
Puis, avec la liberté d’un examen aussi divers qu’il est étendu, elle distingue une œuvre d’art, pour l’art même, la traduction en vers français du théâtre de Térence, de ce poète qui, sous le reflet de l’élégance attique et de l’urbanité des Scipions, trouva l’accent naturel du sentiment de l’humanité et exprima la bonté du cœur, bien avant l’avènement de la pitié sociale. Elle décerne une des médailles du concours à M. de Belloy, pour cette étude de goût.
S’il n’a pas toujours conservé l’élégance choisie du poëte admiré par César, qui ne le nommait pourtant qu’un demi-Ménandre, il en approche assez dans sa diction facile et naturelle, pour paraître souvent un demi-Térence et cet éloge est bien un titre d’honneur.
Le grand prix fondé par le baron Gobert pour le morceau le plus éloquent d’histoire de France ne sera pas transféré cette année. Il reste encore acquis au travail savant et neuf qu’a publié M. Camille Rousset : l’Histoire de Louvois et son administration politique et militaire jusqu’à la paix de Nimègue. Cet écrivain habile, formé dans l’enseignement, n’a pas seulement la patience et l’activité des recherches il a réfléchi fortement sur les matériaux découverts il en a tiré des vues générales ; et ce qu’il voyait et ce qu’il pensait, il l’a exprimé avec vigueur et naturel, dans ce style du sujet qui en atteste la parfaite connaissance et qui devient le style de l’auteur, par l’empreinte durable de la passion et du talent.
À ce titre et dans les termes du concours, l’ouvrage de M. Camille Rousset sur Louvois ne pouvait être dépossédé de la première place par quelques récits de nos anciennes guerres du moyen âge, et quelques tableaux même expressifs de nos temps barbares.
Mais, en dehors du premier prix, et pour la seconde place si honorablement remplie l’année dernière par le solide et curieux travail de M. Jules Caillet : l’Administration en France sous le cardinal de Richelieu, un livre mêlé de biographies politiques et privées, de vues sur la vérité dans l’histoire, de jugements sur les talents le plus heureux à reproduire cette vérité, et parfois à l’altérer avec une partialité plus piquante encore, a paru justement désigné. C’est l’ouvrage en deux volumes intitulé : les Mémoires et l’Histoire en France, par M. Caboche, inspecteur de l’Académie de Paris. On peut l’appeler, il est vrai, une œuvre de critique littéraire, encore plus qu’une œuvre d’histoire. Mais l’esprit des deux vocations s’y retrouve, et l’un sert à l’autre. Savant et très-classique de goût, l’auteur, après une introduction élégante sur l’ensemble du sujet qu’il se propose, et quelques vues sur les Mémoires dans l’antiquité grecque et romaine, entreprend à partir de notre plus ancien moyen âge, et suit, à travers nos trois grands siècles jusqu’à nos jours, une étude attentive de nos Mémoires français, où je le crois tenté de voir surtout notre histoire.
La vie des auteurs mêlée à leurs récits, leur degré de passion et par là d’éloquence, les conditions diverses de ces témoins, depuis le vieux maréchal Villehardouin ou le troubadour Froissart, jusqu’au terrible Montluc, au cardinal de Richelieu, et à quelque éloquent ministre parlementaire d’une époque récente, c’est là sans doute une heureuse variété de tableaux. Elle comprend encore bien des noms, deux surtout qui nulle part n’ont été mieux étudiés, celui du narrateur trop mêlé dans l’action et trop partial de souvenir, le cardinal de Retz, et celui du spectateur inexorable qui, pour avoir été toujours inactif, n’en était pas plus patient et plus calme, le duc de Saint-Simon. Ces juges sévères, interrogés à leur tour, ces peintres dessinés avec des touches quelquefois dignes d’eux, d’autres portraits encore, depuis le politique Commines jusqu’à la sincère Mme de Motteville, et depuis Sully jusqu’à Mme Rolland, font de cet ouvrage une instructive et piquante lecture, un livre bien pensé et bien écrit. Ce livre, que l’auteur peut augmenter de quelques noms et de nouveaux détails, est bien placé dans un concours fondé à la gloire des souvenirs nationaux de la France.
Une autre récompense confiée à l’Académie reçoit cette année une destination toute dans l’intérêt des études historiques. L’érudition dévouée à ces études est une grand partie des lettres. Elle en représente plus d’une application non moins utile que laborieuse. C’est à ce titre que le prix fondé par feu M. Bordin, pour l’encouragement de la haute littérature, est attribué à un vaste travail sur un côté des temps antiques et des origines de la société moderne, à une étude d’histoire et de législation, le Droit municipal dans l’antiquité, le Droit municipal dans le moyen âge. Résumé d’immenses lectures, excédant parfois le sujet, et trop développé, sans être toujours exact dans l’analyse des constitutions de la Grèce, savant et précis sur la commune romaine et l’extension qu’elle reçut au loin par la conquête, et dans le long travail de résistance et d’envahissement d’une partie de l’Europe, plus curieux encore dans le tableau des divers efforts du droit communal à travers le moyen âge et les grands siècles qui suivirent, ce livre de M. Béchard, ancien député, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, méritait un sérieux examen.
Écrit sous des formes simples, non sans conviction dominante, mais sans préjugé systématique, l’Académie l’a jugé digne d’un Prix qui s’applique bien à la gravité des études et au caractère savamment historique des ouvrages.
Le Prix fondé par feu M. Halphen pour l’œuvre jugée la plus remarquable au point de vue littéraire ou historique, et la plus digne au point de vue moral, ira chercher le récent souvenir d’un homme de savoir et de talent qui n’est plus. L’Académie décerne ce prix à l’Histoire du royaume mérovingien d’Austrasie, par M. Huguenin, habile professeur, consume jeune par une diversité de travaux opiniâtres, et laissant après lui, sur une époque importante de la formation unitaire de la France, un livre où l’ardeur des recherches originales a jeté parfois beaucoup d’intérêt et de coloris. Cette récompense tardive sera un honneur pour son nom, un appui pour sa veuve.
Le Prix fondé par feu M. Lambert, pour un homme de lettres digne d’une marque d’intérêt public, était à décerner cette année. L’Académie, appréciant quelques essais dramatiques aussi purs de bienséance morale que de langage, attribue cette distinction à M. Léopold Laluyé.
Longtemps avant ces nombreuses médailles d’honneur fondées au nom de la sympathie publique pour les lettres, il y avait d’autres concours dont l’Académie propose les sujets. Une attention bienveillante en accueille toujours le renouvellement, sous les titres de Prix d’éloquence et de poésie.
Pour le premier de ces Prix, l’Académie avait proposé une étude Sur le génie et les écrits du cardinal de Retz. Trop peu saisie d’abord dans ses vrais caractères, cette étude amena surtout de longs récits, où la grande supériorité de Retz, son génie d’écrivain, le don le plus vivace en lui, disparaissait sous les redites de l’histoire du temps.
Maintenu cependant au concours, le même sujet a mieux inspiré quelques-uns des nombreux candidats qu’il attirait encore. Sur vingt-six discours, la plupart trop longs et trop chargés d’anecdotes, deux ouvrages ont paru par des mérites divers avoir droit à une égale préférence. L’un de ces ouvrages, inscrit sous le n°12, porte pour épigraphe cette pensée de la Rochefoucauld : « L’envie de parler de nous et de faire voir nos défauts du côté que nous voulons bien les montrer, fait une grande partie de notre sincérité. » Cet ouvrage, où la narration domine encore, et dont l’ensemble, inégal d’ailleurs, dépasse de beaucoup l’étendue permise à une lecture publique, est semé de recherches heureuses et parfois assez neuves. Il suffit de citer le jugement, ou plutôt la découverte, sur le premier écrit de Retz, et sur la transformation que le jeune étudiant français avait fait subir au récit italien, dont il empruntait son début d’éloquence et de faction. D’un livre à la gloire de Doria il tirait l’apothéose de Fiesque, et d’un ambitieux vaincu il faisait un héros libérateur et victime. J’ignore si Richelieu connut ce changement de texte ; mais il devina l’intention, et en prévit la hardiesse et la portée, après lui du moins. L’auteur de l’ouvrage, en décrivant ces suites, a bien marqué et parfois sévèrement jugé la place de Retz dans la société politique de son temps. Mais on peut douter qu’il explique toute la part de sagacité supérieure qui conserve à l’adversaire malheureux de Mazarin un rang si élevé dans les lettres. Il admire fort son talent d’écrire et la vivacité de ses récits ; mais il ne dit pas assez ce que le politique, souvent trompé dans ses entreprises, a laissé de pensées profondes et vraies à l’historien.
Ce travail n’en a pas moins paru devoir, pour la justesse habituelle du sens, la précision des recherches et quelques morceaux d’un style ferme et sain, partager le Prix avec une œuvre plus courte et plus vive, où la pensée souvent généreuse est sans déclamation, mais dont quelques parties sont moins étudiées et moins complètes. C’est le discours inscrit sous le n°15 et portant pour épigraphe : « Retz jeta dans la langue française la verve et le mouvement de son imagination impétueuse. » Ce discours, animé de langage et mêlé de vues historiques bien conçues, caractérise avec talent quelques faits de la vie et le génie d’écrivain du cardinal de Retz.
L’auteur du discours inscrit sous le n°12 et appelé au partage du prix est M. TOPIN, receveur de l’enregistrement et des domaines, à Aigues-Mortes.
L’auteur du discours inscrit sous le n°15, dont nous venons d’indiquer brièvement les titres au partage du prix, est M. Joseph MICHON, docteur ès lettres et docteur en médecine, que sa jeunesse, son nom, ses études variées, semblent destiner à ce libre culte de la pensée, à cette mission d’écrivain qui demande chaque jour plus de connaissances réunies et de forces appliquées.
L’Académie, dans ce concours, réserve encore pour une mention honorable le discours inscrit sous le n°16 et portant pour épigraphe ces paroles de Quintilien : Si aliqua contempsisset, si non parum concupisset, si non omnia sua amasset. Cette étude, digne d’éloges en bien des points, fait honneur à la fermeté de jugement et à l’esprit littéraire de M. Ferdinand Belin, maître répétiteur au Lycée impérial Charlemagne.
Une mention honorable est également accordée au discours inscrit sous le n°26, et portant pour épigraphe les mots de Voltaire : « Cet homme singulier s’est peint lui-même dans ses Mémoires, écrits avec un air de grandeur, une impétuosité de génie et une inégalité qui sont l’image de sa conduite. » L’auteur, dont le nom n’est pas connu, montre dans cet écrit un sens historique qui lui promet d’autres succès.
L’Académie regrette de ne pouvoir faire connaître dans cette séance que par quelques morceaux peu étendus les mérites différents et les traits distinctifs des deux ouvrages jugés dignes de partager le prix. Elle est du moins assurée de l’attention favorable qu’obtiendra cette lecture, et qui i suivra les deux ouvrages publiés.
Pour sujet du prix de poésie, l’Académie avait proposé : « la France dans l’extrême Orient. » Elle sait combien de nos jours les terribles réalités de la guerre, et sa puissance de destruction agrandie sans cesse, doivent faire souhaiter la paix. Elle n’avait désigné qu’un épisode dans la gloire militaire de la France, une influence lointaine plutôt qu’une grande guerre, une victoire de la civilisation plutôt qu’une lutte entre de grands États civilisés. Cette pensée a été comprise. L’action des armes françaises sur les royaumes d’Asie, le génie chrétien et sociable qu’elles portent avec elles, ce vaste empire de la Chine, où jadis pénétrait avec péril la religion cachée sous la science, ouvert maintenant à l’Europe, pour être transformé par son commerce et ses lois, tout cet ordre de faits et d’idées, résultat de la hardiesse savante et de la force disciplinée, convient à l’imagination et ne peut qu’inspirer le talent. Parmi bien des ouvrages présentés au concours cette année, une pièce de vers portant pour épigraphe les paroles de Gœthe mourant : « De la lumière ! encore plus de lumière ! » a justifié l’attente et le choix de l’Académie. Vous entendrez aujourd’hui ces vers. Il n’est pas besoin de les louer. L’auteur est M. de Bornier, couronné déjà dans un autre concours de poésie, sur les travaux de l’Isthme de Suez, pour des vers à la gloire de la puissance et de la pensée françaises, qu’il ne sépare pas dans son admiration, et dans le but de grandeur et d’humanité qu’il souhaite à leurs efforts.
L’Académie avait encore un Prix à décerner sur une question toute spéculative : « De la nécessité de concilier dans l’histoire critique des lettres le sentiment perfectionné du goût et les principes de la tradition avec les recherches érudites et l’intelligence historique du génie divers des peuples. » Il s’agissait d’une étude de littérature comparée, d’un libre hommage à rendre au génie classique, dans ce qu’il a de plus savant avec naturel, et au génie, sous toutes les formes, dans ce qu’il a de plus vrai. C’était un appel au sentiment du beau et à la réflexion érudite, à l’enthousiasme et à l’impartialité. Cette intention du programme paraît n’avoir pas assez dirigé les candidats. Dans plusieurs Mémoires, ou trop courts ou trop longs, sans variété, on a soutenu quelques thèses pour ou contre l’antiquité, pour ou contre le moyen âge mais on n’a pas essayé de reconnaître les principes essentiels du Beau, et d’en noter les gradations et les formes sortant, avec constance et nouveauté tout ensemble, du fonds inépuisable de l’humanité, tantôt d’une simplicité presque inculte, tantôt d’une civilisation jeune encore et presque isolée dans le monde, tantôt de l’émulation et du mouvement d’un nombre croissant de peuples éclairés, et enfin de l’intelligence plus vaste du passé et de l’élan vers l’avenir.
L’Académie, qui n’a pas donné le Prix, proroge le concours à l’année 1865. En même temps elle rappelle un autre Prix de littérature élevée, une autre étude de nobles sentiments et d’amour de l’art, de générosité civique et d’éloquence, qu’elle a proposée pour l’année prochaine, en la résumant sous ces mots d’un respect familier pour le grand écrivain que nous avons perdu, et pour les grandes renommées qui ne meurent pas : l’Éloge de Chateaubriand.