DISCOURS
DE
M. GEORGES LECOMTE
DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE
PRÉSIDENT DE L’INSTITUT
à la réception de l’Institut, à Chantilly, le 26 octobre 1927
EN L’HONNEUR DES DÉLÉGUÉS ÉTRANGERS
Mesdames, Messieurs,
En ma qualité de président de l’Institut de France, j’ai l’honneur de vous souhaiter, en son nom, la bienvenue dans cette vieille et noble demeure qui, en son décor de beauté, abrite tant de gloire française.
Nous désirons que, tous et toutes, vous y sentiez la cordialité de notre accueil ; que, devant la noblesse de ses architectures harmonieuses, devant la majesté de ses eaux et de ses bois, au milieu des œuvres d’art réunies au Musée Condé, vous goûtiez un délicat plaisir des yeux et de l’esprit ; et que, de retour en vos pays — où, comme nous-mêmes ici, vous vous attacherez selon la foi et l’espérance de Marcelin Berthelot, à fortifier, par la science, la paix entre les hommes et entre les peuples — vous gardiez un agréable souvenir de l’accueil que vous a fait la France, et en particulier de celui que vous recevez à Chantilly.
Vous savez avec quelle attention sympathique et toujours en éveil, l’Institut de France suit les recherches et les découvertes scientifiques, les travaux d’érudition, les créations artistiques et littéraires des divers pays du monde. Il le fait, non pas seulement par souci de n’en rien ignorer et d’en tirer profit pour ses propres investigations, mais par esprit de justice et de solidarité, et afin de pouvoir, en parfaite connaissance de toutes les théories, expériences et œuvres, rendre hommage à ceux et à celles qui en font cadeau à l’humanité.
Votre visite à Chantilly nous sera donc un cher souvenir, car nous apprécions la valeur et les mérites de chacun de nos hôtes, l’importance de chacune des célèbres académies et associations auxquelles vous appartenez, la noblesse scientifique, littéraire, artistique des nations que vous représentez avec tant de distinction, d’autorité et de prestige.
En cet après-midi de fête à Chantilly, nous vous demandons d’apercevoir un instant, derrière l’Institut de France, comme nos cœurs reconnaissants la sentent toujours, la présence invisible de Mgr le duc d’Aumale, charmant et digne continuateur d’une séculaire lignée de princes français, qui, dans son respect pour les Sciences, dans son amour si éclairé des Lettres et des Arts, en fit don à l’Institut de France pour que les Sciences, les Lettres et les Arts y fussent toujours honorés.
Nous ne sommes ici que les fidèles exécuteurs de ses volontés.
C’est lui qui, par nos mains, vous a ouvert les portes de son domaine historique. C’est lui qui, par notre entremise, vous fera les honneurs des collections de son Musée Condé. S’il était encore vivant, si nous avions encore le plaisir de voir parmi nous son clair, vif et doux regard bleu, couleur des jolis ciels fins de l’Ile-de-France, c’est lui-même qui aurait accueilli dans la maison de ses ancêtres les savants du monde, venus pour célébrer un illustre savant français, gloire de notre pays.
Et, bien plus loin que Mgr le duc d’Aumale dans le cours des siècles de l’Histoire de France et du domaine de Chantilly, nous vous demandons aussi de reconnaître en ce jardin et ce parc, dessinés par Le Nôtre, au milieu des parterres d’eau et des futaies magnifiques, le fier visage de son illustre aïeul Louis de Bourbon, prince de Condé, qui ne conçut et en fit exécuter la magnifique ordonnance.
Tout se tient dans l’Histoire de France. Mgr le duc d’Aumale, qui siégea dans nos Assemblées et à l’Académie française à côté de Marcelin Berthelot, a magistralement écrit l’Histoire des princes de Condé. Et Bossuet, dont l’Académie française célébrait solennellement dimanche dernier à Meaux le troisième centenaire, a tracé dans sa fameuse Oraison funèbre du Grand Condé, un délicieux, portrait de ce prince recevant ici même les écrivains, les savants, les artistes.
« Sa conversation était un charme, rappelle Bossuet, parce qu’il savait parler à chacun selon ses talents, et non seulement aux gens de guerre..., aux courtisans... et aux politiques, mais aux voyageurs curieux de ce qu’ils avaient découvert, ou dans la nature, ou dans le gouvernement, ou dans le commerce, à l’artisan de ses inventions, et enfin aux savants de toutes les sortes, de ce qu’ils avaient trouvé de plus merveilleux. »
Mesdames, Messieurs,
Votre imagination peut donc se représenter que, par delà les membres de l’Institut de France, par delà Mgr le duc d’Aumale, vous êtes accueillis en ces lieux par le Grand Condé lui-même qui, las des lauriers conquis sur les champs de bataille, s’était réfugié ici pour y créer de la beauté, et qui, nous dit encore Bossuet, se plaisait à conduire ses hôtes « dans ces superbes allées, au bruit de tant de jets d’eau, qui ne se taisent ni jour ni nuit ».
Au tournant de ces allées, sous ces grands arbres qui resplendissent de leur parure d’automne, suspendez une seconde vos conversations, interrogez le mystère des eaux et des bois, et peut-être vous apparaîtront les figures méditatives de La Bruyère, de La Fontaine, de Boileau, de maints autres écrivains qui, avec les savants et les artistes, furent les familiers de cette demeure.
Voilà les souvenirs que, au-dessus des réalités qui nous rassemblent en ce moment et dans ce beau décor, l’Institut de France a la fierté de pouvoir offrir à ses hôtes.
En faisant le panégyrique du Prince de Condé, Bossuet — qui pour le monde intellectuel de l’Univers est d’actualité comme Berthelot — a dit cette grande, juste et mémorable parole qui résume les plus profonds sentiments traditionnels de la France humaine et pacifique :
Loin de nous les héros sans humanité.
Marcelin Berthelot dont, aujourd’hui, nous incorporons pour ainsi dire le souvenir au grand passé de cette vieille et glorieuse demeure de France, n’a pensé qu’à servir, par la Science et à travers son pays bien-aimé, l’Humanité tout entière,
C’est le type même du héros français.
Voilà pourquoi il est bon, il est juste que de hauts représentants de toutes les Nations le fêtent et l’acclament en ces lieux, tout rayonnants d’histoire française.
Notre cœur vous en remercie.