HARANGUE au Roi à ſon Retour de la Campagne de Hollande. Prononcée le 13. Aouſt 1672. par Mr. PERRAULT.
SIRE,
IL n’y a perſonne qui voyant aujourd’huy l’Académie Françoiſe ſe preſenter à Vôtre Majeſté, ne croye qu’elle vient la remercier de la grande & illuſtre matiere qu’elle donne à ſes Hiſtoriens, à ſes Orateurs & à ſes Poëtes, & luy promettre en même temps l’Immortalité qui eſt dûë à tant de belles actions. Cependant, SIRE, l’Académie ſe trouve dans une diſpoſition toute contraire : Elle vient, ſi elle oſe le dire à Vôtre Majeſté, elle vient ſe plaindre du trop grand nombre & de la trop grande beauté de vos exploits, qui la mettent dans l’impuiſſance de les égaler jamais par la parole, & bien loin qu’elle prétende leur donner l’immortalité, elle vient reconnoître ſincerement que ce ſeront ces mêmes exploits qui donneront l’immortalité à ſes ouvrages. Car s’il eſt vray, SIRE, que la poſterité la plus éloignée recherche avec ſoin & liſe avec plaiſir ces Odes, ces Eloges & ces Panegyriques qui celebrent vos louanges, ce ſera principalement parce qu’elle y trouvera le Nom auguſte de Vôtre Majeſté, qui ſera éternellement ſon admiration & ſes delices. Tous ces monumens élevez à vôtre gloire, qu’ils ſemblent n’être faits que pour la conſerver, ſeront eux-mêmes conſervez par vôtre gloire ; ſemblables à ces figures que l’Architecture employe dans ſes ornemens, qui ſont portées & retenuës par l’édifice même qu’elles paroiſſent ſoûtenir. Il ne reſte donc, SIRE, à l’Académie Françoiſe qu’à tâcher de ne point avilir la matiere precieuſe que luy fourniſſient vos grandes actions, & d’en tirer les images fidelles ſans y employer l’exageration qui luy ſera deſormais inutile : Elle eſpere d’autant plus réuſſir dans ce deſſein, qu’elle ſe voit ſoûtenuë de la protection toute puiſſante de vôtre Nom, & qu’elle ſe voit auſſi appellée dans la demeure ſacrée de Vôtre Majeſté. Cette derniere grace, SIRE, a rendu les Muſes bien glorieuſes : Elles n’ont jamais ſi bien crû, ny à ſi bon titre être filles de Jupiter ; mais il étoit juſte de leur élever le courage, ayant à leur demander des choſes qui en veulent tant pour être entrepriſes & pour être bien executées. Elles y feront, SIRE, tous leurs efforts, & ſi la force leur manque, du moins ne manqueront-elles jamais de zele ny de reconnoiſſance.