Mécénat sans frontières
PAR
M. Gabriel de BROGLIE
Chancelier de l’Institut de France
En quelques lustres, la mondialisation s’est imposée comme cadre général des échanges, des relations sociales, des modes de vie. La philanthropie ne pouvait échapper à son emprise. Il n’est pas trop tôt pour tenter de dégager quelques-unes des conséquences d’un mécénat sans frontières.
La philanthropie est, par définition, sans frontières. Fille des Lumières, elle est universaliste par nature. Elle anime les archéologues de toutes les civilisations, les explorateurs de toutes les contrées, les amis de tous les artistes, les imprimeurs de toutes les littératures.
Devenu village, le monde contemporain nous montre que la planète entière est à sauver. Le mécénat, d’un simple mouvement de la conscience, est devenu une évidence dans tous ses domaines d’intervention et une nécessité personnelle et collective. Cette globalisation presque instantanée des flux et des connexions allait-elle affaiblir la force de la philanthropie ? Il n’en est rien. Le souci de la transmission et de la solidarité demeure intact. Il n’est pas de civilisation de l’oubli ni de l’indifférence.
La mondialisation préside donc à toute démarche philanthropique. L’identification des besoins, la recherche et la sélection des candidats, ne sauraient plus se limiter à une prospection locale. De même que les phénomènes météorologiques, les activités économiques et les travaux de l’esprit relèvent désormais d’une approche globale, de même chaque mécène devient un navigateur infatigable ou un explorateur parcourant de multiples champs.
Si dans sa motivation, le mécène répond à une vocation qui lui est personnelle, et demeure autonome, c’est-à-dire libre, dans l’action, les méthodes du mécénat s’internationalisent selon un modèle de nature anglo-saxonne fondé sur des principes de rationalité des choix, de bonne gouvernante et de recherche d’efficacité. Sans frontières, le mécénat conserve son élan naturel qui est celui du don. La mondialisation y ajoute toutes les ressources de l’internet qui abat les frontières, et permet la diversification et l’optimisation des flux.
Les fondations abritées à l’Institut de France illustrent cette nouvelle géographie de la générosité, comme le montre chaque année la carte des grands prix distribués sous cette Coupole. Certaines fondations agissent selon le schéma classique du Nord vers le Sud, telle la Fondation Mérieux qui mène ses projets dans les pays en développement pour créer de toute pièce des écoles d’infirmiers et des laboratoires, les rendre opérationnels puis les remettre aux autorités locales, comme elle l’a déjà fait au Mali, à Madagascar, au Cambodge. La Fondation Louis D. pour sa part dans son dernier grand prix culturel aide à reconstituer les bibliothèques en Haïti après le tremblement de terre. Que l’on se souvienne que le Grand prix mondial del Duca a couronné dans le passé Simon Levs, Marin Vargas Llosa et Milan Kundera.
Depuis le premier jour, les Grands Prix scientifiques ont montré la voie. Que ce soit selon des règles statutaires ou dans les faits, les lauréats sont choisis alternativement parmi les candidats français et parmi les étrangers. Les modes de sélection associent les plus grandes académies des sciences au monde. Dans les domaines scientifiques ouverts à la compétition, les jurys recherchent la collaboration des meilleurs spécialistes étrangers membres le plus souvent des académies des sciences de leur pays. Il faut rappeler que la Fondation Cotrel rassemble chaque année, en une sorte d’université virtuelle mondiale, tous les chercheurs dans le domaine de la scoliose.
Les démarches, soulignons-le, reposent sur l’expertise irremplaçable qu’apportent les académiciens membres des jurys. Elles prolongent et donnent des points d’application aux travaux académiques eux-mêmes. Elles contribuent
à placer les académies et l’Institut, comme partenaires dynamiques, au coeur du très important réseau assurant par la voie du mécénat mondial, une part du financement de la recherche et la notoriété de ses bénéficiaires.
Ce fut l’un des thèmes sur lesquels nous réunissions, en 2007, une première rencontre des Académies européennes. Lorsque nous disposerons d’un grand auditorium, ce seront les Académies du monde que nous pourrons réunir.
Mais les mécénats dont bénéficie l’Institut ont des profils variés. Certains sont issus de la mondialisation. D’autres relèvent de la sainteté. Je m’en voudrais de ne pas saluer ici le geste de deux mécènes hors de nos frontières, une université américaine et un grand collectionneur genevois, qui viennent de rendre chacun à la bibliothèque de l’Institut deux documents précieux autrefois volés, deux lettres originales de Descartes qui figuraient légitimement dans leurs collections.
Quels enjeux la mondialisation offre-t-elle au mécénat en ce début de XXIe siècle ?
Il existe à travers le monde un nombre croissant de grands mécènes généralistes qui agissent dans des domaines très étendus, dont certains sont plus riches et plus puissants que bien des gouvernements. À titre d’exemple, le mécénat américain dispose de ressources équivalentes à celles du Pentagone.
Jusqu’à présent, les grands mécènes ont préféré s’entourer d’un certain secret. Ils refusent tout ce qui pourrait conduire à coordonner leurs actions, et ils ont raison. Mais ils se connaissent peu et auraient sans doute intérêt à se concerter.
Certes, leurs origines et leurs ressources, leur statut et leurs préoccupations peuvent différer. Mais leur vocation et leur éthique les rapprochent. Ils ont une force économique et un poids social qui leur valent, presque partout, un accueil favorable. Mais ils ont à défendre partout leur indépendance qui est leur raison d’être, vis-à-vis de tous les pouvoirs et pas seulement des pouvoirs publics. Ils s’interrogent sur leur politique de communication et leurs besoins
de médiatisation. Ils ont le souci d’une bonne gouvernante, veulent témoigner d’une irréprochable transparence, et d’un bon discernement, notamment dans les jugements de valeur. Ils ont aussi une riche expérience des précautions à prendre pour éviter les risques de conflits d’intérêt et de confusion des genres, notamment entre le lucratif et le non-lucratif.
Une réflexion concertée est donc souhaitable à propos de la situation internationale du mécénat. Elle l’est aussi à propos de son exercice. Dans de nombreux cas, le mécénat s’efforce de combler les lacunes des politiques publiques, de lancer des expériences, des actions pilotes, de suppléer aux carences de la société. Un regard transversal peut aider à expertiser de nouvelles pratiques, à transformer des tentatives éparses en un type efficace d’action. Par exemple, le micro-crédit est sans doute l’un des leviers d’avenir du mécénat à travers le monde. Il s’en faut cependant que la pratique soit déjà stabilisée, ce qui devrait engager les mécènes à beaucoup de prudence et en particulier de ne pas le pratiquer en direct. De même, le souci de la rentabilité du don inspire de nombreuses actions de mécénat. Cela consiste à appliquer à ces actions la philosophie de l’investissement, mais en substituant à la rentabilité d’autres critères de retour, humain, social, environnemental, culturel. Les notions d’indice de performance et de quantum d’action apparaissent progressivement. Elles consistent à pallier la ponctualité du geste et l’annualité des ressources du mécénat pour éviter la dispersion des actions et surtout, favoriser la pérennité du résultat.
Sur ces différents sujets nés de la mondialisation, l’Institut de France ne saurait prétendre à dégager lui-même des solutions, ni à s’engager dans une compétition, ni à se livrer à aucun démarchage vis-à-vis de mécènes potentiels. Il offre un cadre rigoureux et efficace quia fait ses preuves. Il se présente en allié de la générosité et de l’intérêt général. L’expertise des académiciens est une expertise ajoutée, tout comme leurs liens avec l’étranger, anciens mais sans cesse développés.
Peut-être cette Coupole offre-t-elle à la réunion des mécènes, des lauréats et des académiciens le cercle qui convient pour engager la réflexion et la concertation sur le mécénat sans frontières.
J’ai donc envie, Mesdames et Messieurs, pour conclure, de lancer cet appel : « Pour le bien commun, mécènes de tous les pays, unissez-vous ! »