Ces deux noms sont étonnants parce que leur genre ne correspond pas à leur aspect extérieur. Ces sont des empêcheurs d’établir des règles universelles en rond. Seraient-ils absents de notre langue que l’on pourrait énoncer sans balancer : « En français, tous les noms terminés en -ment sont masculins et tous les noms terminés par -ette sont féminins. » Las, ce bel édifice était sapé par ces exceptions : une jument et un squelette. Mais ces originaux eurent à lutter. Dans son Dictionnaire, Littré nous apprend qu’« Au xviie siècle, les puristes voulaient faire squelette du féminin ; aujourd’hui les gens du peuple font souvent cette faute ». Il cite pour appuyer ses dires la Requéte des dictionnaires, de Ménage : « Ils veulent, malgré la raison, qu’on dise aujourd’hui la poison, une éventaille, une squelette. » Longtemps aussi, pour faciliter la prononciation, la langue populaire pourvut ce squelette d’un e prothétique pour en faire un esquelette. Peut-être s’agit-il d’un trait méridional puisque l’espagnol dit esqueleto. Le nom féminin jument semble, lui, n’avoir jamais eu la tentation du masculin. En revanche, le nom latin dont il est issu, jumentum, « bête de somme », est à l’origine de noms de genre différent dans certaines langues latines : en espagnol jumentum a donné jumento et jumenta, « âne » et « ânesse », tandis que l’italien distingue le nom masculin giumento, « bête de somme » du nom féminin giumenta, « jument ».
Le rôle qu’a joué cet animal dans la littérature, même s’il n’est pas aussi important que celui du cheval, est loin d’être négligeable. On songe d’abord à l’héroïne du roman éponyme de Marcel Aymé, La Jument verte, qui s’ouvre ainsi : « Au village de Claquebue naquit un jour une jument verte. » L’animal va apporter fortune et prospérité à son propriétaire Jules Haudoin. Celui-ci, accablé jusque-là de toutes sortes de malheurs, deviendra riche et respecté.
Nommé, par le préfet, maire et élu conseiller général, il aura ce mot qui se prête à de nombreuses interprétations et que semblent avoir fait leur ministres et parlementaires : « Quand on est dans la politique, on ne peut guère refuser de montrer sa jument verte, même au premier venu »…
Balzac a lui aussi brossé un intéressant portrait de jument dans La Vieille Fille. Après avoir présenté les domestiques de ce personnage, il ajoute : « Peut-être faudrait-il compter pour beaucoup la grosse vieille jument normande bai-brun qui traînait mademoiselle Cormon à sa campagne du Prébaudet, car les cinq habitants de la maison portaient à cette bête une affection maniaque. Elle s’appelait Pénélope, et servait depuis dix-huit ans […]. Cette bête était un perpétuel sujet de conversation et d’occupation : il semblait que la pauvre mademoiselle Cormon, n’ayant point d’enfant à qui sa maternité rentrée pût se prendre, la reportât sur ce bienheureux animal. Pénélope avait empêché mademoiselle d’avoir des serins, des chats, des chiens, famille fictive que se donnent presque tous les êtres solitaires au milieu de la société. Ces quatre fidèles serviteurs, car l’intelligence de Pénélope s’était élevée jusqu’à celle de ces bons domestiques, tandis qu’ils s’étaient abaissés jusqu’à la régularité muette et soumise de la bête, allaient et venaient chaque jour dans les mêmes occupations avec l’infaillibilité de la mécanique. »
Et l’on n’oubliera pas que dans Tout va très bien, Madame la Marquise, c’est par l’annonce de la mort de la jument grise que commence la longue liste des catastrophes ayant touché les biens et la famille de l’infortunée marquise.
La littérature semble n’avoir pas accordé une aussi belle place au squelette. On prête certes à Voltaire ce mot « Un Dictionnaire sans citations n’est qu’un squelette ». Reste le squelette dans le placard, plus souvent remplacé aujourd’hui par le cadavre dans le placard. D’aucuns pensent que c’est à Thackeray, l’auteur de La Foire aux vanités, que l’on doit d’avoir popularisé le skeleton in the closet. Mais n’oublions pas que, dès 1792, parut une caricature intitulée Le Squelette de Mirabeau sortant de l’armoire de fer, qui illustrait un article révélant que l’on avait trouvé dans la correspondance de Louis XVI, cachée dans cette fameuse armoire, des documents montrant que Mirabeau était entré secrètement en contact avec le roi et sa cour. Cette révélation fit que Mirabeau fut chassé du Panthéon, dont il était le premier occupant, et remplacé par Marat. Sa dépouille erra ensuite de cimetière en cimetière jusqu’à une fosse commune du cimetière de Clamart. Le grand orateur s’était fait squelette errant…