Le Dévouement de Malesherbes, ode

Le 24 avril 1822

François-Juste-Marie RAYNOUARD

LE DÉVOUEMENT DE MALESHERBES,

ODE,

LUE DANS LA SÉANCE PUBLIQUE DU 24 AVRIL 1822.

PAR M. RAYNOUARD.

 

Quand l’heure du repos, sur le soir de la vie,
Dans les champs paternels rappelle avec honneur
Un sage qui servit le prince et la patrie,
Détaché de la gloire il se livre au bonheur ;
L’opprimé, l’orphelin, la famille indigente
Ont à bénir encor son zèle et sa bonté :
Le temps finit pour lui ! Sans crainte il se présente
Aux portes de l’éternité,

 

Tel sera ton destin, magistrat vénérable,
Malesherbes! des champs illustre le séjour,
Toi, qui subis deux fois un revers honorable,
Appelé par le prince et chassé par la cour.
L’intrigue dans ces lieux respecte sa victime;
A tous ceux que pourront atteindre tes bienfaits,
Procure ce bonheur que ton vœu magnanime
Exigeait pour tous les Français.

 

Ce vœu, ce vœu touchant devient une espérance.
Quel prestige orgueilleux nous a déjà séduits?
De plus brillants destins sont promis à la France ;
L’arbre du bien public mûrit de nouveaux fruits.
Mais l’air se noircit, gronde, et la tempête arrive ;
Par le choc des torrents sans relâche insulté,
Tombe cet arbre heureux qu’une source d’eau vive
Abreuvait de fécondité.

 

Redirai-je ces jours de sanglante mémoire?
Ah ! plutôt oublions tant d’horribles excès!
Qu’à leur place on écrive au livre de l’histoire :
En ces jours Dieu voulut éprouver les Français. »
Malesherbes gémit sur le sort des victimes,
Implore l’Éternel, prie et n’espère plus.
L’Éternel lui répond que les temps des grands crimes
Sont les temps des grandes vertus.

 

Louis, dépossédé de la grandeur suprême,
Est captif; on l’accuse, on prétend le juger.
Ah! pour ce tribunal, qui se créa lui-même,
Condamner est un crime, absoudre est un danger.
Qui défendra le roi ? L’ami de la patrie.
Malesherbes réclame un si noble devoir;
Il n’hésitera point à dévouer sa vie
Sans regrets, même sans espoir.

 

On pardonne, on permet ce zèle magnanime;
Mais, hélas! de Louis changera-t-il le sort?
C’est ainsi qu’autrefois on parait la victime
Avant de la traîner aux pompes de la mort.
Dans sa prison Louis se plaint qu’on l’abandonne,
Elle s’ouvre; il s’avance : « Eh quoi ! c’est Lamoignon!
Vous qui m’avez quitté quand j’étais sur le trône,
« Vous accourez dans ma prison ! »

 

Qui pourrait dignement traduire leur langage,
Ces généreux sanglots, ces royales douleurs
Louis sur ses destins s’attendrit davantage;
Des périls d’un ami s’accroissent ses malheurs.
Mais comment repousser un ami si fidèle?
Le prince infortuné l’embrasse tendrement :
Je vous dois, lui dit-il, le prix de tant de zèle ;
J’accepte votre dévoûment.

 

Je m’en fais un devoir, non que votre courage
De mes persécuteurs puisse rien obtenir;
Avant de prononcer, on m’insulte, on m’outrage :
Mais le présent n’est rien, je songe à l’avenir.
Si l’affreuse imposture espérait dans l’histoire
Conserver contre moi son coupable crédit,
Il suffirait d’un mot pour venger ma mémoire :
MALESHERBES LE DÉFENDIT. »

 

Quels généreux Français seront encore dignes
De prêter au malheur et leur zèle et leur voix?
C’est de Sèze, Tronchet : Louis, tu les désignes;
Leurs cœurs reconnaissants répondent à ton choix ;
Malesherbes vous trace une route de gloire;
0 vous, de ses périls illustres compagnons,
Marchez à ses côtés ; que l’équitable histoire
Un jour confonde vos trois noms.

 

Combien d’autres Français ont droit à mon hommage !
Lally, ton dénoûment ne nous étonne pas;
Fils d’un père immolé, ton fidèle courage
Reconquit son honneur par dix ans de combats.
Ah ! c’est encore toi, piété filiale,
Qui dirigeais Lally, quand, pour sauver son roi,
Le premier il osa dans l’arène fatale
Jeter le gage de sa foi.

 

De quels hommes pourtant Louis craint l’injustice!
Accusateurs, témoins et juges à la fois,
Que n’oseront-ils pas? La peur est leur complice,
Et croit frapper en lui tous nos soixante rois.
J’adore tes décrets, divine Providence!
Rien ne détournera le malheur des malheurs;
O de Sèze! ô Tronchet ! gardez votre éloquence;
Malesherbes! garde tes pleurs.

 

Comment vous flattez-vous d’une vaine espérance?
Votre zèle ne fait qu’accroître le danger;
Le malheur de Louis était réglé dance :
Eh! quel roi fut absous, quand on l’osa juger
Entendez-vous l’arrêt cruel, irrévocable?
Ils ne l’ont prononcé du moins qu’en frémissant;
À l’instant où leurs voix ont répondu : COUPABLE,
Leurs remords disaient : INNOCENT.

 

France, pleure ton roi; mais non : invoque, honore
Cet exilé du trône, arrivé dans les cieux;
Vivant il pardonna, mort il pardonne encore;
Accepte de ton roi le legs religieux.
Malesherbes, portant son deuil dans sa retraite.
Pleure, invoque Louis, mais croirait l’outrager.
Si, de ses derniers vœux infidèle interprète.
Il aspirait à le venger.

 

Habitants des hameaux! ô vous à qui ce sage
Enseignant les vertus, prodiguait les secours,
Par vos égards touchants relevez son courage,
Par vos propres vertus consolez ses vieux jours.
Il pleure; que son deuil soit paisible, tranquille :
Veillez sur son repos; c’est pour vous un devoir.
Hélas! s’il quitte encor cet innocent asile
Craignez de ne plus le revoir.

 

Mais j’espérais en vain; on l’appelle au supplice.
Pleurez, infortunés dont il était l’appui :
De toutes ses vertus sa famille est complice,
Et sa famille entière est proscrite avec lui.
Magnanime vieillard, il entend sans murmure
L’arrêt que son grand cœur subira sans effroi,
Paye un dernier tribut qu’il doit à la nature,
Et ne pense plus qu’à son roi.

 

Tranquille et résigné, courageux et modeste,
On le conduit au lieu marqué pour son trépas.
Il entre lentement dans l’enceinte funeste :
Sa noble fermeté ne l’abandonne pas.
Avec un saint respect, Malesherbes contemple
Le lieu même où son roi reçut le coup mortel :
Cette enceinte à ses yeux se montre comme un temple,
Et l’échafaud comme un autel.

 

Refusez vos regards au spectacle du crime;
Le combat est fini; le prix est remporté.
Louis vient au-devant de l’auguste victime :
Malesherbes revit pour l’immortalité.
Généreux dans sa mort, généreux dans sa vie,
De ce fils vertueux, France! enorgueillis-toi.
Citoyen, il vécut toujours pour la patrie;
Français, il mourut pour son roi.