La France, une volonté
Séance publique annuelle des cinq Académies
La France n’est le fruit ni du hasard ni de la fatalité. Elle n’appartient pas au nombre des pays que leur insularité, ou l’enserrement des montagnes, ou encore l’homogénéité de leur peuplement désignent à l’unité. Elle ne compte pas non plus parmi ceux dont un accident de l’Histoire a figé le destin. Les accidents, elle les a tous connus.
Ouverte au Nord, ouverte à l’Est, convoitée de partout, avec de longs rivages d’un abord facile, des limites fluviales fragiles et des cols franchissables, elle fut de toujours, et durant notre siècle encore, exposée aux envahissements. Elle le demeure.
Sa géographie ne comportait qu’une seule obligation : Paris comme centre et nœud de communications routières. César ne s’y était pas trompé lorsque, parcourant de son œil de stratège cet occident du continent, il avait fixé à Lutèce la convocation de la première assemblée des Gaules. Et peut-être faut-il reconnaître là le premier gène de l’embryon de l’unité française. La France, c’est d’abord une étoile aperçue par un regard de génie.
Des peuples étonnamment divers qui se sont, au cours des millénaires, superposés et mêlés, par afflux massifs ou lentes infiltrations sur ce territoire enviable et envié, lequel pourrait-on gratifier d’y avoir instauré l’unité ? Certes pas les Gaulois, qui ne sont vraiment ancêtres des Français que par leur goût pour la chamaille, leur ardeur à la brouille et leur aptitude à la division. Le premier ciment de la Gaule fut importé de Rome, et l’on pourrait dire plus justement « nos ancêtres les Romains », si ce mortier-là n’avait été seulement administratif et fiscal, sans rien de national dedans. À chacun sa colonisation. En tout cas, c’est la seule occupation dont la France ait eu jamais à se féliciter.
La première manifestation unitaire, le premier signe de vie de l’embryon France dans la matrice de l’Histoire, fut une résistance, la résistance aux Huns, qu’organisa et conduisit Aetius, général et négociateur également remarquable. Dans l’armée qu’il constitua pour repousser Attila, il réussit à rassembler Wisigoths, Armoricains, Francs, Burgondes et troupes gallo-romaines. Ce stratège, génial lui aussi, qui était né quelque part du côté de l’actuelle Bulgarie, fut appelé « le dernier des Romains », car il remporta effectivement la dernière victoire de l’Empire. Il pourrait être appelé aussi bien « le premier des Français », et j’attends toujours qu’on élève sa statue, tournée vers l’est, sur un pont de Paris, en pendant à celle de sainte Geneviève, car ce fut lui l’auteur du miracle.
Le roi qui commandait aux Francs Saliens, et fut avec Aetius aux champs Catalauniques, se nommait Mérovée.
Les astrologues de l’Antiquité prenaient pour heure de la naissance d’un prince celle de son premier cri. Quand donc la France poussa-t-elle le cri qui annonçait sa venue au monde des nations ? D’aucuns veulent que ce soit au baptême de Clovis. Il s’agit de savoir ce qu’on entend par nation.
Certes les Gaules en ce temps-là prennent le nom de Francie ; certes Lutèce devient Paris. Mais peut-on regarder même comme une préfiguration de nation le regnum mérovingien qui constituait la possession personnelle du roi, possession étendue jusqu’au-delà de nos frontières actuelles s’il était homme vigoureux, conquérant et obéi, ou bien qui se rétrécissait s’il était faible, pusillanime, malchanceux, et qui de toute manière était partagé à sa mort entre ses enfants mâles ? L’un établit sa capitale à Soissons, d’où il commande jusqu’à la Meuse ; l’autre à Orléans, d’où il tâche de gouverner jusqu’aux Pyrénées ; le troisième ailleurs.
Ainsi Paris connut-il, au décès de Caribert, l’aventure d’être déclaré « ville indivise » entre les trois frères du défunt, administrée par trois fonctionnaires délégués. Un peu le statut de Berlin depuis la seconde guerre mondiale.
Une seule personne, en cette période, eut l’idée de l’unité nationale, la reine Brunehaut, qui tenta d’imposer que le regnum entier passât au fils aîné, roi sur tous les autres. Cette Wisigothe, et qui parlait le latin classique, eut tant de succès dans son entreprise qu’à soixante-dix-neuf ans, ses derniers héritiers égorgés devant elle, elle finit promenée sur un chameau parmi les huées de l’armée, avant d’être attachée par les cheveux à la queue d’un cheval mal débourré.
J’attends qu’on élève une statue à cette Espagnole qui fut peut-être bien la première des Françaises.
Si l’on tient absolument que la France, comme projet de nation, soit née sous les Mérovingiens, alors il faut admettre que les Carolingiens n’ont pas fait grand-chose pour démailloter l’enfançon de ses langes.
Les descendants de Charles Martel sont des hommes de l’Est, des Rhénans. Et ce ne sont pas des patriotes, mais des impériaux. La France n’importe à Pépin le Bref que pour s’y faire couronner roi des Francs, à Saint-Denis, par un pape fragile. Elle n’importe à Charlemagne que pour la traverser avant d’aller se casser les dents sur l’Espagne.
La mouvante capitale de son impossible empire se transporte de la Meuse au Rhin et du Rhin au Main. Pas une fois dans sa vie Charlemagne n’est venu à Paris, et l’on se demande pourquoi sa statue, dont le bronze eût mieux servi à d’autres effigies, encombre le parvis de Notre-Dame.
Si Verdun, point de passage obligé de nos épreuves, surgit dans l’Histoire, c’est pour ce traité des Trois Frères, où apparaît certes une ébauche de langue française, mais qui dessine une Francia occidentales — et non pas Francia tout court — biscornue, indéfendable, et dont le tracé aberrant engendrera une suite ininterrompue d’effets malheureux jusque dans notre siècle. La Providence nous aurait épargné bien des affrontements et bien des souffrances si elle avait voulu qu’il n’y eût que deux frères.
En vérité, l’émergence, très fragile encore, et géographiquement limitée, d’une idée nationale, ou plutôt d’un sentiment national, s’accomplit grâce à une deuxième résistance : la résistance aux Normands.
Les populations de Rouen et du cours de la Seine, de Nantes et des bords de la Loire, jusqu’à Tours, de Bordeaux et de la Garonne, jusqu’à Toulouse, tremblent devant ces formidables pillards arrivant à force rames sur leurs bateaux à tête de dragons. Tremblent, et puis se redressent, tremblent, et puis cessent de subir.
La résistance s’organise autour de Robert le Fort, comte de Tours, missus d’Anjou et du Maine, qui a reçu le commandement de tout un duché qui va d’Auxerre à l’Océan. Il est tué en combat sur la Loire. On ne voit pas non plus, en quelque ville au bord de ce fleuve, se dresser sa statue.
Paris est ravagé par trois fois, et les Normands vont jusqu’à emporter les tuiles de bronze qui coiffaient l’église de Saint-Germain-des-Prés.
À la quatrième fois, la résistance parisienne s’est organisée autour du fils de Robert, Eudes, comte de Paris, et de l’évêque Gozlin.
Et quand Siegfried, avec ses sept cents voiles, arrive devant Paris et demande qu’on lui livre passage, on lui répond : non. Le siège durera dix mois.
Le Carolingien régnant, Charles le Gros, invite, de loin, les Parisiens à la collaboration. « Détruisez vos ponts ; laissez-les passer. Si vous résistez vous allez vous attirer des représailles. »
Le comte de Paris, se faisant clandestin, s’échappe de la ville et va tancer le gros empereur roi, refusant tous les marchés que ce dernier lui proposera.
Finalement, les Normands tirent leurs barques au sec et, seule escadre qui cingla jamais à travers le Champ-de-Mars et la plaine de Grenelle, les remettent à l’eau plus loin, avant d’aller ravager la malheureuse Bourgogne.
Paris avait été sauvé. Oublieuse ville ! Pas de statue pour Gozlin sur le petit ou le grand Pont. Pas de statue pour Eudes. Mais pour ce dernier, une couronne.
Car trois ans après, lorsque Charles le Gros, déposé par sa diète — pardonnez-moi ce jeu de mots de l’Histoire ; je n’y peux rien — mourut, l’assemblée des « hauts hommes » remit le sceptre à Eudes. Légitimité dynastique du Carolingien contre légitimité historique du libérateur ; ce fut celle-ci qui l’emporta. Eudes est le premier roi qu’on peut vraiment appeler « de France ». Cela se passait en l’an 888.
C’est au siècle dernier, en 1888, qu’on eût dû célébrer le millénaire de la maison robertienne, eudienne, puis capétienne. Mais il y a cent ans, nous n’étions guère prêts à ces célébrations. Nous sortions des affligeantes discordes entre « légitimistes » et « orléanistes », trop tardivement résolues, et des malencontreuses obstinations du comte de Chambord, qui fournit à notre histoire l’exemple de l’anti-héros, du grand homme qui manque quand il en faudrait un. Celui-là priva la France de ce qu’elle attendait : une bonne monarchie constitutionnelle, système qui présente le double avantage d’avoir, d’abord, pour représenter le pays, des gens éduqués à cette fin dès l’âge le plus tendre et, d’autre part, de n’ouvrir la compétition politique que pour la seconde place, la première étant prise.
Après le roi Eudes, la couronne repasse à un Carolingien, puis revient à un duc de France, puis à un Raoul, bourguignon, et beau-frère de Hugues le Grand, fils de Robert — passe latérale, dirait-on au rugby —, puis de nouveau à la descendance carolingienne, jusqu’à l’élection enfin d’Hugues Capet, à Senlis, le ler juin 987, après quoi elle ne quittera plus la maison robertienne.
Le discours d’Adalbéron, archevêque de Reims et grand électeur de Capet, devant l’assemblée de Senlis est un discours « national ». Il y traite le prétendant carolingien de « prince qui n’a pas honte de servir un roi étranger », alors que Hugues Capet est « celui que l’honneur recommande ».
Mots significatifs, idées essentielles. Ce sont celles-ci et ceux-là que nous nous sommes fait devoir de célébrer aujourd’hui ; car c’est avec cette élection que sont fondés les principes qui feront de la France la plus ancienne et l’exemple des nations.
À chaque peuple, chaque pays, chaque communauté son système propre d’indispensable continuité dans l’exercice suprême du pouvoir.
La France doit à Hugues Capet, roi que tout laisse supposer prudent, avisé, habile, mais installé sur un trône fragile, l’idée d’avoir associé au trône son fils aîné, et de le faire élire de son vivant, posant ainsi le principe de primogéniture comme règle de continuité.
Comme il m’est arrivé de l’exprimer déjà en quelques circonstances, la France à l’origine fut un désir de vivre. Elle fut une idée, une idée volontaire qui allait se transmettre, opiniâtrement, à travers une famille et devenir, petit à petit, la vocation majoritaire des populations rassemblées.
Encore fallut-il que la Providence s’en mêlât pour garder cette France naissante de toutes les maladies et accidents divers qui eussent pu la faire disparaître. La France, à son éveil, bénéficia de plusieurs chances irremplaçables.
D’abord, une extraordinaire chance successorale. Pendant trois siècles et quart, de l’élection d’Hugues Capet à la mort de Philippe le Bel, onze rois seulement se succédèrent au trône qui, tous, laissèrent au moins un fils pour leur succéder.
Cette régularité de succession fera qu’au bout de deux siècles il ne sera plus nécessaire d’observer la formalité de l’élection. La naissance sera considérée comme légitimité suffisante, une légitimité en quelque sorte posée par Dieu sur cette famille.
Autre chance de la France : dans cette dynastie, les médiocres ne sont pas trop fréquents. Certes, tous les rois de ce lignage ne sont pas des aigles, mais à un insuffisant, un incapable ou un infortuné, aussitôt succède un bon roi, un prince efficace, un grand monarque qui reprend à son compte, et pour l’affirmer, pour la rendre plus existante, l’idée de la France. Ou bien encore, un souverain médiocre est suppléé par un grand ministre. Un abbé Suger, par exemple.
La troisième chance de la France, c’est d’avoir eu, entre la fin du XIIe et le début du XIVe siècle, trois souverains de génie ou d’exception, chacun servi par un assez long règne — quarante-trois ans, quarante et un ans, trente ans — pour que son dessein principal devienne irréversible. Trois hommes de nature bien différente, mais tous trois très au-dessus du commun des rois : Philippe Auguste, Saint Louis, Philippe le Bel.
De chacun de ces hommes, la mémoire populaire garde une image légendaire qui, bien que très simplifiée, n’est pas fausse. L’image de Philippe Auguste, c’est celle du vainqueur de Bouvines. L’image de Saint Louis, c’est celle du souverain rendant la justice sous un chêne. L’image de Philippe le Bel, c’est celle du monarque qui fait allumer le bûcher des Templiers.
Enfant prodige du pouvoir, puisque c’est à quatorze ans qu’il s’en saisit, et à seize qu’il tient conférence avec Henri Plantagenêt, le second mari de sa mère, pour le tourner autour de son doigt, Philippe Auguste n’a mené tous ses combats, du Nord au Sud, en Flandres, Bretagne, Touraine, Anjou, et même en dehors du royaume, et même pendant une croisade dont il n’avait pas le goût, qu’avec une seule idée en tête, l’indépendance : indépendance du territoire, indépendance du pouvoir, contre l’Anglais, contre l’Empire, contre le Saint-Siège, contre toutes les coalitions.
La volonté de la patrie animait cet homme plus fortement qu’aucun autre ; l’unité du royaume était son dessein absolu ; et Bouvines, ce Valmy du Moyen Âge, est non seulement la victoire du roi et de ses chevaliers, mais aussi la victoire du roi et de son peuple, la première bataille vraiment nationale.
Saint Louis, petit-fils de ce géant, est un personnage de tout autre caractère. Orphelin de père très tôt, sa nature le prédisposait à une vocation religieuse ; l’éducation maternelle l’y enfonça. Il voulait en tout ressembler au Christ. Or le pouvoir n’est pas la voie la plus recommandable à qui veut faire son salut. Mais il en avait la charge sur les épaules.
Une idée domine son gouvernement : la fonction royale est un sacerdoce, « Tu es sacerdos in aeternam ». Si jamais souverain fut habité du sens du sacré, ce fut bien celui-là. Il avait l’austérité un peu pesante. Il ne tutoyait personne et c’est lui qui répandit en France l’habitude du vouvoiement. Son mysticisme lui inspira des comportements parfois déroutants et le conduisit à des entreprises plus que risquées.
Mais comme il voulait que le royaume de France fût une projection sur la terre du royaume des cieux, du royaume des justes, l’idée de justice fut l’idée directrice de son très long règne. Une loi écrite, comme la loi divine, et la même pour tous, grands et petits, seigneurs et manants.
Son œuvre juridique est gigantesque ; elle s’étendait à tous les domaines d’activité, à tous les rapports sociaux. Il abolit le duel judiciaire, ordonna l’instruction des procès par preuves et témoins, institua une législation du travail et du commerce, et imagina même une sorte de droit international.
Cela ne lui fut possible que parce qu’il avait reçu de son grand-père un royaume fort et indépendant. L’unité du droit se surimposait à l’unité du sol.
Il est beau d’avoir une unité territoriale et juridique. Encore faut-il que l’une et l’autre soient manifestées et maintenues par des services publics.
Ce sera l’œuvre de Philippe le Bel. Le petit-fils de Saint Louis est un homme étrange et secret. Une apparence magnifique, un regard glacé, une parole rare, une inflexibilité permanente. Il sait s’entourer de conseillers rigoureux, de grands légistes qui ont comme lui la passion du bien public.
Courageux en bataille, il affronte aussi bien l’impopularité, l’émeute même que soulèvent ses mesures financières et fiscales. Comme il tord un fer à cheval entre ses doigts, il tord aussi toute opposition à son autorité.
Plutôt avare dans son ordinaire, mais déclarant que rien n’était trop cher pour la majesté du royaume, le Roi de Fer, qui comptait six rois parmi ses vassaux et dont les alliances s’étendaient jusqu’à la Russie, construit des forteresses, équipe l’armée, assure la sécurité des routes et la liberté du commerce.
Il était conduit par une seule volonté : l’unité de l’État. Et c’est pourquoi le bûcher des Templiers illumina la Seine, à la pointe de File de la Cité que nous voyons de nos fenêtres.
Un territoire, une justice, un État. La France désormais était une réalité, non pas « incontournable » comme on dit aujourd’hui par un tic pervers ; elle était irréversible. Elle serait en mesure de surmonter toutes les infortunes, de survivre à toutes les épreuves que l’avenir lui réserverait. Elle pourrait supporter la série des rois Valois qui, tous, Charles V mis à part, eurent peu ou prou du vent dans la tête. Elle pourrait subir les tragédies de la guerre de Cent Ans et des guerres de Religion. Elle pourrait résister à toutes les tentatives politiques et militaires menées par l’étranger pour la réduire ou la dépecer. Elle pourrait résister aux pires dangers, ceux provoqués par ses dispositions gauloises à la division interne.
Chaque fois que la règle d’or des trois unités de la nation : sol, loi, État, fut méconnue, la France plongea, et parfois presque jusqu’aux abîmes. Chaque fois qu’elle fut conduite par des hommes qu’inspirait la règle d’or : Richelieu, Mazarin, Louis XIV, Lazare Carnot — seul personnage estimable de la Convention —, elle connut gloire, puissance et succès.
Si mon Académie mettait encore des sujets au concours, je verrais bien qu’on proposât celui-ci : « Du caractère des rois et des premiers ministres dans les temps de grandeur de la France. »
On s’apprête à célébrer dans deux ans le bicentenaire de la Révolution française avec beaucoup plus de moyens et de clameur qu’on en aura mis à célébrer le millénaire de la volonté française.
La Révolution fut le produit du siècle le plus irréligieux, donc le plus léger et le plus présomptueux de notre histoire.
Elle a détruit le sens du sacré dans l’exercice du pouvoir en tranchant, par un vote funeste, le principe de continuité.
Elle a introduit l’idéologie dans la vie publique, avec ses longues séquelles d’irréalisme, d’intransigeance et de cruauté.
Elle a donné naissance aux armées de conscription, donc aux guerres inexpiables.
Elle a, en supprimant toutes les anciennes organisations professionnelles et leurs traditions, livré la classe ouvrière à l’arbitraire de la classe possédante, et cela dans les débuts de l’ère industrielle, provoquant par réaction la constitution des syndicats qui sont devenus, avec le temps, les féodalités d’aujourd’hui.
Son plus grand acquis est constitué par les Droits de l’Homme, auxquels tout le monde se raccroche pour pouvoir justifier qu’on l’exalte. Or les principes de la Déclaration, si l’on y regarde d’un peu près, sont ceux que posent généralement toutes les religions. Seulement voilà : le XVIIIe siècle était parfaitement irréligieux et nous en revenons au point de départ. Il fallait bien combler un vide.
Cela dit, si la France, d’avoir passé sa fièvre révolutionnaire à l’Europe entière, en a recueilli une indéniable gloire, réjouissons-nous. Cela prouve l’importance qu’elle avait et qu’elle conserve, l’influence dont elle jouissait et dont elle dispose toujours.
En Histoire, il faut assumer tout l’héritage, ce qui n’interdit pas, comme dans les meubles de famille, de faire un peu le tri, et n’oblige pas à s’extasier uniformément.
Le général de Gaulle qui, plus qu’aucun homme de France en notre temps, était né pour « assumer » et qui, plus qu’aucun homme d’État, incarna la volonté des trois unités, le général de Gaulle avait parfois, quand on lui signalait quelque fait d’importance et qu’on lui disait : « Mon Général, si vous pouviez y penser... », une surprenante formule. « Y penser ? répondait-il. Mais j’y pense, Monsieur, depuis mille ans ! » Cela allait bien au-delà d’une boutade.
À chaque peuple il revient d’être bien pénétré des valeurs et des vertus qui lui ont permis d’être lui-même. Le plus grand service qu’il puisse rendre aux autres peuples est de leur faire apparaître ce par quoi il est irremplaçable. La volonté d’être une nation, si généralement répandue aujourd’hui dans le monde, est un des traits irremplaçables de la France.
Pensons-y, s’il se peut, pour mille ans.