INAUGURATION DU MONUMENT ÉLEVÉ
À LA MÉMOIRE DE FRANÇOIS COPPÉE
A PARIS
Le Dimanche 5 juin 1910.
DISCOURS
DE
M. JEAN RICHEPIN
DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE
PRÉSIDENT DU COMITÉ DE SOUSCRIPTION
MONSIEUR LE PRÉSIDENT,
MONSIEUR LE CONSEILLER REPRÉSENTANT LE CONSEIL MUNICIPAL,
MESDAMES, MESSIEURS,
Au nom des admirateurs et amis du poète, j’ai l’honneur de vous présenter, en en faisant remise à la ville de Paris, le monument élevé à la mémoire et à la glorification de François Coppée.
Ce monument, dont l’ordonnance est due à l’architecte Henri Guillaume, et dont la statue si vivante a pour auteur le sculpteur André de Chastenet, nous a paru digne de la grande cité dont Coppée fut l’enfant, et digne de notre cher disparu, qui en eût aimé certainement la simplicité familière.
C’est l’effigie, sans ostentation, sans déclamation, du Coppée intime resté le plus doux à nos souvenirs, du Coppée causeur et souriant, la cigarette aux doigts, le regard vif, gamin et caressant, et, sur les lèvres, l’image lyrique, l’anecdote amusante, le mot spirituel. C’est son geste accoutumé, sa main en avant, cordiale, prête à l’étreinte affectueuse, prête aussi à la charité rapide, discrète, décisive et tendre.
Mais je n’ai pas le droit de m’attarder à ces souvenirs, moi pour qui sa tendresse alla un jour jusqu’à l’héroïsme ; car le témoignage de ma gratitude m’entraînerait vite à une émotion dont il faut me défendre pour pouvoir rendre à sa mémoire un hommage sans trouble.
Même dans cet hommage, au surplus, je dois me borner. D’autres admirateurs et amis de Coppée nous ont fait la grâce de venir exprimer devant ce monument toutes les raisons qu’a eues l’admiration publique pour l’élever. Ils vont donner en détail les louanges qu’elle mérite à l’œuvre abondante, variée, exquise, souvent parfaite, toujours originale, du maître parnassien, dont les vers sont reconnaissables entre tous ceux de son temps, au théâtre romantique du bon dramaturge, à la prose savoureuse du romancier, du conteur, du journaliste. Et enfin la grande voix autorisée de Déroulède ne manquera pas de faire vibrer tous les cœurs en évoquant la noble et ardente figure du Coppée mêlé aux luttes civiques, du poète devenu un orateur passionné, un citoyen, un soldat, un enthousiaste et irréductible patriote.
Mon hommage à Coppée sera plus modeste. Ce que je veux surtout saluer en lui, c’est le poète des petites gens, de ceux qu’il a si gentiment appelés les Humbles. Il les aimait, étant né dans une de leurs familles. Il avait vécu de leur vie. Il en savait les misères, mais aussi les douceurs, les vaillances, les vertus. Il en a, mieux que personne, goûté la poésie, et l’a rendue sensible aux autres. Il a ramassé tous les rais de soleil qui luisent dans les flaques de leurs ruisseaux, et il en a composé des bijoux précieux, comme des reliquaires où il a incrusté, en guise de diamants, leurs larmes et les siennes.
Aussi, reste-t-il à jamais le traducteur de leur âme. Aussi lui ont-ils fait les belles, les magnifiques, les inoubliables funérailles populaires qui nous ont tous émus, et dont les remerciera toujours son doux sourire, quand ils viendront s’asseoir sur ce banc, les Humbles, consolés et poétisés par le regard de leur ami.
Et ce que je veux enfin saluer en François Coppée, ce qui lui assure une place à part dans notre histoire littéraire, c’est sa qualité de poète purement parisien.
Il est bon qu’un poète soit de son pays, jalousement, de son petit pays, de son village, de son coin. Ainsi François Coppée est de Paris, comme en fut François Villon. Il a eu le même esprit gouailleur, et sentimental. Il a eu la foi de celui qui a écrit pour sa mère la belle ballade à la Vierge. Il a eu cet amour de la grande patrie, grâce auquel l’escholier mauvais garçon a pleuré en parlant de Jehanne la bonne Lorraine.
Et c’est pourquoi je salue particulièrement ici le poète local, régional, le poète de clocher, en qui s’incarne et chante son pays, son coin, son village, étant bien entendu que ce village s’appelle Paris, qu’il a pour clocher les tours de Notre-Dame, pour mail les Champs-Elysées avec l’Arc de Triomphe au bout, et pour patronne la bergère Sainte Geneviève, par qui notre Paris fut (cette fois-là) sauvé des Barbares.