Hommage à M. André Frossard*
prononcé par M. Jean Dutourd
dans la séance du 2 février 1995
André Frossard va nous manquer cruellement. Nous espérions tous qu’il allait bientôt revenir parmi nous et ponctuer nos travaux de ces petites malices profondes dont il avait le secret. Depuis qu’il était malade, nous scrutions Le Figaro pour voir si ses billets allaient de nouveau en ensoleiller la première page.
Et voilà qu’ils avaient réapparu, que nous retrouvions le Cavalier seul, sa sagacité, son esprit caustique, sa manière de considérer les idées et les événements sous des angles inattendus, son art de montrer toujours le côté paradoxal de la vérité. Chaque jeudi nous pensions qu’il serait ici, à sa place, en face de notre bureau.
Frossard avait deux passions : Dieu et le général de Gaulle. Toute sa vie il a témoigné de sa foi religieuse et de sa foi politique. D’ailleurs je crois que chez lui, l’une n’allait pas sans l’autre, qu’elles étaient étroitement mêlées. C’est un peu le Général qu’il avait retrouvé dans la personne du pape Jean-Paul II. Je me rappelle un mot de lui bien révélateur.
Revenant de Rome où il avait suivi les péripéties du conclave à l’issue duquel le cardinal Wojtyla avait été élu, il jugeait que les prélats qui l’avaient choisi avaient eu vraiment la main forcée par le Saint-Esprit. « Ils voulaient la IVe République, me dit-il, et ils ont élu de Gaulle ! »
J’ai été l’ami de Frossard pendant plus de trente-cinq ans. C’est dire le chagrin et le vide que j’ai ressentis en apprenant sa mort tout à l’heure. Mais ce vide, cette tristesse, je suis sûr que ceux d’entre nous qui ne le connaissaient que depuis peu les ressentent aussi. Il était au plus haut point ce qu’on appelait jadis « un homme d’esprit ». C’est-à-dire un homme habité par l’esprit.
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* décédé le 2 février 1995.