INSTITUT ROYAL DE FRANCE.
ACADÉMIE FRANÇAISE.
FUNÉRAILLES
DE M. LE COMTE DE SÈZE.
DISCOURS DE M. AUGER,
SECRÉTAIRE-PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE,
PRONONCÉ AUX FUNÉRAILLES
DE M. LE COMTE DE SÈZE.
LE 5 MAI 1828.
Messieurs,
DANS cette enceinte, où la Mort ne se lasse point de nous convoquer, nous venons, le plus souvent, saluer du dernier adieu l’écrivain qui a consacré modestement sa vie à l’instruction ou à l’amusement de ses concitoyens. Le cercle étroit, qui, alors, nous environne, se compose d’un petit nombre de parents et d’amis, qui confondent leurs douleurs, ignorées du reste des hommes : alors, nous laissons parler nos regrets personnels, sans pompe, sans effort ; et nous sommes toujours assez éloquents, si nous sommes suffisamment émus.
Combien aujourd’hui la scène est différente ! Le confrère, l’académicien dont le cercueil nous rassemble, n’était pas seulement célèbre par les arts, les travaux et les triomphes de l’esprit. Sa carrière fut marquée par un de ces événements mémorables, terribles, où le devoir est de l’héroïsme, où le talent s’élève jusqu’au rang de la plus haute vertu, où l’exercice de la parole se transforme en une action sublime, et où le simple citoyen devient l’homme même de la patrie. Membre du premier des corps de l’État, chef du tribunal suprême, il fut décoré de toutes les dignités qui pouvaient payer la dette du prince et du pays. Enfin, il vient de mourir honoré des regrets de la France entière et des pleurs de son Roi. Faut-il s’étonner si la pairie, le clergé, l’administration, la magistrature, tous les ordres du royaume, tous les fidèles serviteurs du Monarque, se pressent en foule autour de cette tombe ; Pourquoi faut-il qu’un usage pieux m’oblige, en une telle circonstance et au milieu d’un tel concours, à élever une voix si faible et si peu connue ? Où trouverai-je des paroles dignes de ceux qui m’écoutent, dignes surtout de celui qui ne nous entend plus, qui ne peut plus nous entendre ?
Mais qui voudrait me reprocher mon insuffisance, et qu’ai-je besoin de m’en inquiéter ? Que pourrait ajouter le langage le plus éloquent, à la gloire du personnage illustre, lui, si j’ose redire ici mes propres paroles, « a conquis l’estime de tous les siècles, en défendant la vertu tombée du trône dans les fers, et en la disputant â l’échafaud, sans pâlir du danger d’y monter avec elle ? » N’oublions pas, d’ailleurs, qu’à l’idée de cette grande gloire, s’attache inséparablement l’idée d’un grand crime ; et, dans ce champ de la mort, où doivent s’apaiser les plus justes haines, craignons de trop insister sur des souvenirs cruels, et de réveiller dans les ames de trop pénibles ressentiments. Souvenons-nous que le Roi martyr a pardonné…
Ah ! dirigeons nos esprits vers des pensées plus douces, plus consolantes, telles que ce lieu même les inspire. Voyons M. De Sèze, plein de jours et de bonnes actions, mourir en paix, entouré d’une famille en larmes dont il était l’orgueil et l’amour, lui proposant sa noble vie pour exemple, obtenant d’un prélat vénéré qu’il fasse descendre sur elle les bénédictions célestes, et lui laissant la plus belle des illustrations, celle du courage, du talent et de la vertu. Tandis qu’ici-bas nous gémissons en présence de ces restes qu’un peu de terre va faire disparaître à nos yeux, l’immortel défenseur de Louis XVI a déja vu, n’en doutons pas, s’ouvrir devant lui les Cieux, où l’attendait son auguste client, prêt à devenir lui-même son avocat auprès de l’Éternel, si les mérites d’une vie toute vertueuse, couronnée par une mort toute chrétienne, n’avaient, d’avance, gagné sa cause au tribunal de la justice divine.