Funérailles de M. Andrieux

Le 12 mai 1833

Ustazade SILVESTRE de SACY

DISCOURS

M. LE BARON SILVESTRE DE SACY,

PRONONCÉ AUX FUNÉRAILLES

DE M. ANDRIEUX,

AU NOM DE MM. LES PROFESSEURS DU COLLEGE ROYAL LE FRANCE.

Le 12 mai 1833

 

MESSIEURS,

La crainte d’affaiblir les éloges et le juste sentiment de regret si bien et si éloquemment exprimés au nom de l’Académie française, qui perd en la personne de M. Andrieux, celui que ses suffrages avaient appelé à être son interprète et l’organe de ses jugements dans les circonstances solennelles, devrait peut-être m’engager à garder le silence, si je n’avais à faire entendre ici que le langage de mes impressions personnelles. Mais je croirais, Messieurs, manquer à ce que je vous dois, si je n’essayais du moins de déposer sur cette tombe un faible témoignage de la profonde douleur que vous inspire une perte qui en rappelle tant d’autres, et qui d’ailleurs suffirait elle seule pour porter dans vos cœurs ce sentiment de tristesse que réveillent dans les âmes supérieures, non le sort commun et nécessaire de l’humanité, mais les liens les plus doux rompus avec violence, mais les affections les plus justes, privées sans retour de celui qui en était l’objet pour nous tous, et qui savait si bien les inspirer et y répondre. Sans doute, Messieurs, vous déplorez le vide que va laisser dans la carrière de notre littérature l’homme qui, formé sur les vrais modèles du goût, ne se bornait pas à apprécier et à imiter les immortels ouvrages que les âges anciens ont légués aux siècles modernes, mais encore était habile à dérober aux maîtres de l’art le secret de leur talent, et à mettre à nu les imperceptibles ressorts par lesquels l’orateur et le poète, dignes de ces noms, agitent, calment, remuent et entraînent à leur suite les esprits et les cœurs ; l’homme chez qui se trouvaient unies à un haut degré, la finesse des aperçus, la pureté et l’élégance du langage, la justesse des pensées, la tournure piquante et quelquefois épigrammatique de l’expression ; l’homme qui, fidèle aux drapeaux sous lesquels il combattit toujours, ne cherchait point dans de téméraires innovations, dans de périlleuses hardiesses, des succès qu’il ne voulait devoir qu’à des efforts moins aventureux, mais mille fois plus difficiles ; l’homme enfin pour qui rien n’était beau s’il n’était vrai, s’il n’était avant tout conforme à la nature, mais à la nature parée de ses simples attraits, embellie encore par la civilisation, et non à une nature dégradée et déshéritée des charmes dont l’a dotée son auteur. Mais ce que vous regrettez surtout, Messieurs, si j’en juge par ce que j’éprouve moi-même, au moment où il me semble que je converse encore pour la dernière fois avec celui dont nous allons nous séparer pour toujours, c’est cette aménité de caractère que vous n’avez jamais vue s’altérer ; cette bonté d’âme qui faisait jouir ceux qui l’approchaient du calme dont il jouissait lui-même ; ce sont toutes ces vertus douces et paisibles, qui ne sont pas toujours les compagnes des talents les moins contestés, mais desquelles le talent reçoit un nouveau lustre. Cette union si rare et si précieuse des qualités de l’esprit et du cœur, qui concentre sur un même objet l’estime et l’amitié, c’est elle que vous trouviez dans le confrère que nous pleurons, c’est elle dont le souvenir, profondément gravé dans vos cœurs, y conservera sa mémoire, comme les fruits de son talent préserveront son nom de l’oubli des âges futurs.