FUNÉRAILLES DE M. LE BARON DE VIEL-CASTEL
MEMBRE DE L’ACADÉMIE
Le samedi 8 octobre 1887.
DISCOURS
DE
M. DE MAZADE
CHANCELIER.
MESSIEURS,
Il y a trois mois à peine, l’Académie française était cruellement frappée, elle perdait un de ses membres les plus aimés. Elle a aujourd’hui la tristesse d’un nouveau deuil ; elle vient, — au seuil de cette église, à cette frontière insaisissable entre le monde terrestre et le monde invisible, — elle vient, dis-je, porter l’hommage de ses souvenirs et d’un suprême adieu à un confrère qui était un homme rare par l’esprit, par le caractère, par la dignité de la vie.
Celui que nous venons de perdre, que nous regrettons. M. le baron Louis de Viel-Castel, était pour nous plus qu’un confrère, si je puis ainsi dire ; il était par son âge notre doyen respecté. Il datait de la première année du siècle — 1800, — de cette aurore qui a été suivie de tant de crises, de révolutions et de deuils. Il a vécu assez pour voir se succéder les générations, les règnes et les régimes les plus divers. Il a passé à travers tout, sans faiblir, sans dévier, en homme éclairé, bienveillant et ferme, en bon serviteur de la France. Cette France, qu’il aimait, il l’a servie et honorée, en effet, de toute façon, et par ses talents dans les affaires d’État, et par ses écrits. Il était le doyen des diplomates français comme il était le doyen de notre Académie.
Entré il y a bien longtemps déjà, avant 1820, dans la diplomatie. M. de Viel-Castel a parcouru la carrière, tantôt comme secrétaire d’ambassade, à Madrid et à Vienne, tantôt comme sous-directeur, puis enfin comme directeur politique au ministère des affaires étrangères. Il a vécu trente ans de cette vie des affaires, sérieux et appliqué au travail, alliant à la correction et à la discrétion de son état l’aménité et les goûts de l’homme bien né fait pour les sociétés d’élite. Il était, dans ses fonctions, de cette race des d’Hauterive, des Desages, modestes et précieux serviteurs d’autrefois, qui n’avaient d’autre ambition que d’être les gardiens vigilants des traditions de la diplomatie française sous des ministres quelquefois brillants, trop souvent éphémères. Étranger aux passions des partis qui obscurcissent et dénaturent les intérêts permanents du pays, M. de Viel-Castel ne laissait point sans doute d’avoir ses convictions intimes comme il savait rester fidèle à ses amitiés. Le jour où il se sentait froissé par un acte comme le 2 décembre 1851 dans les plus délicates sensibilités de sa conscience, il n’hésitait pas à quitter une position supérieure ; il se retirait sans ostentation pour se réfugier désormais dans les lettres, qui sont encore un beau dédommagement.
M. de Viel-Castel n’avait point attendu sa retraite, il est vrai, pour donner des marques de ses goûts littéraires et de son talent. Il avait déjà écrit, et sur le théâtre espagnol qu’il avait étudié pendant son séjour à Madrid, et sur l’ère des deux Pitt en Angleterre ; mais son œuvre sérieuse et durable est la grande Histoire de la Restauration qui a occupé la seconde partie de sa vie et à laquelle son nom reste attaché. C’est tout simple. M. de Viel-Castel était de cette époque et il l’avait aimée. Il avait été initié aux plus secrètes affaires du temps. Il avait connu les hommes ; il avait suivi jour par jour, heure par heure, les péripéties de ces quinze années qui représentent une période de réparation et d’honneur pour la France et qui devaient finir par une catastrophe. Il parlait de ce qu’il savait, de ce qu’il avait vu. Il a mis sa conscience d’historien à être vrai, même à l’égard de ceux qu’il aimait. Il a fait une œuvre abondante, substantielle, impartiale et exacte, où iront toujours puiser ceux qui voudront connaître cette époque. L’écrivain, on le sent, ne s’intéresse qu’à demi aux luttes intérieures ; il est supérieur dans l’exposé des négociations de la diplomatie, et si d’habitude il est calme, même un peu froid dans ses récits, il s’anime dès qu’il voit les affaires de la France livrées aux mobilités des partis ou à des mains téméraires qui peuvent les compromettre. M. de Viel-Castel a passé vingt ans de sa vie à composer, à coordonner ce vaste travail, il a écrit vingt volumes. On sent qu’il s’y complaît ! C’est l’œuvre de probité et de talent qui avait surtout désigné l’auteur aux suffrages de l’Académie.
Depuis quelque temps déjà, M. de Viel-Castel ne venait plus aux séances de notre Compagnie, sa santé le lui défendait ; mais nous gardions, nous ne cesserons de garder le souvenir d’un éminent confrère qui, à tous ses mérites, ajoutait une si parfaite urbanité, la bonne grâce d’un galant homme et d’un homme de bien.