FUNÉRAILLES DE M. ANCELOT
DISCOURS DE M. PATIN,
MEMBRE DE L’ACADÉMIE,
PRONONCÉ AUX FUNÉRAILLES
DE M. ANGELOT,
Le samedi 9 septembre 1854.
MESSIEURS,
Le poète dont l’Académie se sépare aujourd’hui si prématurément la représentait, il n’y a pas bien longtemps, avec un grand éclat poétique, dans une noble solennité. Ses confrères l’avaient choisi pour aller animer de ses vers la fête où sa ville natale, le Havre, consacrant une autre gloire domestique, devait ériger une statue à Casimir Delavigne. Lorsque M. Ancelot, dans toute la force de l’âge, toute la verve du talent, célébrait avec un enthousiasme qui l’honorait lui-même ce compatriote illustre dont il avait été, sur les mêmes scènes, par des mérites de même nature, l’heureux émule, qui eût pensé qu’il devait bientôt offrir avec lui, par le rapide déclin de ses forces, par l’époque hâtive de sa mort, une dernière conformité ?
Ils avaient paru ensemble au moment où s’interrompait l’empire, où recommençait l’antique royauté, à la veille d’une de ces rénovations littéraires qui suivent les révolutions politiques, quand notre poésie se reposait encore avec sécurité dans des formes consacrées par la tradition de deux grands siècles. Ces formes, qu’un long usage avait glorieusement vieillies, l’auteur des Vêpres siciliennes, et tout aussitôt l’auteur de Louis IX, leur rendirent, par une rivalité, féconde en œuvres brillantes et applaudies, par des succès répétés qui semblaient s’appeler et se répondre, une jeunesse nouvelle. Dans ce travail commun de deux poètes, dont chacun était revendiqué avec orgueil par un des partis qui divisaient l’État, tandis qu’ils se rencontraient pacifiquement au sein de la même école littéraire, la part de M. Ancelot fut assurément considérable. En dix années, de 1819 à 1829, que de productions d’élite, Louis IX, le Maire du palais, Fiesque, Olga, Élisabeth d’Angleterre, et, comptant avec les tragédies, le poëme de Marie de Brabant, mêlé de récit et de drame ! Bornons-nous à ces simples titres, restés d’ailleurs célèbres. Au lieu où nous sommes, parmi les regrets douloureux qui nous y ont suivis, les pensées austères auxquelles il nous rappelle, par quel effort pourrions-nous revenir sur ces compositions diverses pour leur distribuer la louange ? C’est à d’autres, dans une disposition d’esprit plus propice pour les appréciations de la critique, qu’il appartiendra d’y relever la nouveauté ou l’ingénieux renouvellement du sujet, les savantes combinaisons du plan, l’habile conduite des scènes, l’élégance continue du style, la souplesse et l’harmonie de la versification ; rares mérites qu’on doit croire indépendants des variations du goût, des inconstances de la mode, et auxquels il serait fâcheux que les transformations de l’art, corme les plus heureuses, fissent perdre de leur prix.
Les événements de 1830, dont un contre-coup imprévu atteignit l’humble fortune du poète, ouvrirent une carrière nouvelle à son talent dramatique, forcé d’abandonner les honneurs improductifs de la tragédie, de la haute comédie, et d’aller demander des ressources plus sûres à des genres secondaires. Il y étonna tout d’abord les plus expérimentés, les plus habiles ; luttant avec eux de fécondité, de verve et d’esprit dans des pièces sans nombre, de toutes formes et de tous sujets, légères esquisses de mœurs où il faisait quelquefois familièrement, modestement, de la comédie, et qu’il ne signait le plus souvent que de son excellent style. Une autre signature y manquait encore. La collaboration d’usage en ce genre décrits s’était étendue hors du cercle de ses spirituels amis jusqu’à un talent né plus près de lui, qui, s’enhardissant depuis à des œuvres personnelles, à la publicité du succès, doubla l’honneur de son nom.
Cependant M. Ancelot regrettait son exil volontaire loin des hautes régions de l’art, et plus d’une fois ce sentiment le ramena, heureux du retour et toujours bien accueilli, dans l’ancienne patrie de sa muse, la tragédie, la haute comédie. Souvent aussi sa facilité merveilleuse à enfermer dans des vers d’un tour libre et vif, improvisés en causant avec ses amis, une saillie caustique, s’épancha dans des épîtres qui, sous ce titre inoffensif, sont pour la plupart de très-piquantes satires. Enfin la mission qui lui fut donnée dans ces dernières années d’aller chez quelques nations voisines préparer la solution prochaine d’une question qui intéressait, avec le commerce de la librairie française, notre littérature elle-même, lui fit retrouver dans quelques lieux célèbres de ces inspirations lyriques qu’il avait autrefois rencontrées sur le champ de bataille de Lutzen et sur la colline de Moscou. Il ne put voir impunément Rome et Venise : il les chanta en vers pleins d’émotion et d’éloquence. Ce sont les derniers qu’il ait fait entendre dans les séances publiques de l’Institut, avec ce débit sonore et animé qu’il y prêtait d’ailleurs libéralement à d’autres compositions que les siennes, et qui, pour les lauréats des concours académiques, dont il complétait la victoire, était comme une part de la récompense.
Cette vie si remplie vient de se terminer avant le temps, lentement minée par un mal cruel, contre lequel n’ont rien pu les secours de l’art, la sollicitude et les soins d’une femme, d’une fille, les alarmes toujours croissantes d’amis dévoués. Combien va leur manquer à tous, ce qui leur faisait aimer celui dont ils admiraient le talent, cette droiture de cœur, cette franchise d’esprit, cette vivacité de souvenirs, d’impressions, de parole, cette gaieté pétillante et communicative, charme de son commerce : Quel vide il laissera dans l’Académie, où ses connaissances littéraires, la rectitude, de son jugement, la sûreté de son goût, lui donnaient une juste autorité ; où sa présence était si assidue, qu’une fois, retenu loin de ses confrères par l’excès de ses souffrances, il s’empressa de s’en excuser dans des vers pleins d’un agrément mélancolique dont le souvenir nous sera désormais bien amer. Ces vers, qui étaient un adieu, j’ai eu le devoir de les lire à l’Académie, et c’est encore moi à qui un devoir nouveau impose le soin d’y répondre par cet autre adieu, que je voudrais plus digne du littérateur éminent, de l’homme honorable, du confrère aimé auquel il s’adresse.