Fragments d’un poëme intitulé : Fénelon et le duc de Bourgogne

Le 24 avril 1823

François-Juste-Marie RAYNOUARD

FRAGMENTS D’UN POËME INTITULÉ :

FÉNELON ET LE DUC DE BOURGOGNE.

PAR M. RAYNOUARD.

LUS DANS LA SÉANCE PUBLIQUE DU 24 AVRIL 1823.

 

Louis régnait. Les arts, les talents, la victoire,
Rehaussant de nos lis l’antique et juste gloire,
Couronnaient de splendeur le monarque français,
Ce roi, grand par lui seul si grand par ses sujets.

 

Un noble orgueil l’anime. et pourtant loin qu’il craigne
Que les règnes futurs ne surpassent son règne,
Possesseur de la gloire, et l’aimant dans autrui,
II désire des fils non moins héros que lui,
Et veut qu’admis un jour à ses titres suprêmes,
Honorés de son sceptre, ils l’honorent eux-mêmes.

 

Sublime Bossuet! vertueux Montausier !
Il a de vos leçons doté son héritier ;
Et lorsqu’il a fallu du bonheur de la France
Sur le fils de son fils reporter l’espérance,
Pour le former, l’instruire à ses devoirs sacrés,
Quels Français généreux ont été préférés ?
Bauvilliers, Fénelon. Ah! sous de pareils maîtres
L’enfant sera bientôt digne de ses ancêtres.
Deux hommes de talent, de probité, d’honneur,
Mûrissent pour la France un règne de bonheur;
Veillent sur le succès, y consacrent leur vie,
Et dans le fils des rois contemplent la patrie.

 

Par quel prestige heureux, ô Fénelon, sais-tu
Attirer, conquérir les cœurs à la vertu?
Tu la rends plus aimable, et doubles son empire ;
Un orateur la prêche et Fénelon l’inspire.

 

Livre donc à la France, à la postérité,
Cet écrit que le goût, le génie ont dicté;
Cet ouvrage où du cœur la touchante éloquence
Montre aux rois la sagesse, aux peuples l’espérance;
Ton divin Télémaque. Oui, cède; en vain tu crois
Que ton succès s’arrête au jeune fils des rois.
Du talent créateur influence féconde!
La leçon d’un enfant devient celle du monde.
Que pour son merveilleux Homère soit vanté:
Tu charmes encor plus, et par la vérité.
Mentor, parle; c’est toi que j’adore et que j’aime;
Oui, la Sagesse, offrant, sous un heureux emblème,
Du bonheur des mortels la sublime leçon,
Pour les Grecs, c’est Minerve, et pour nous, Fénelon
Cest ainsi qu’à la cour le talent du vrai sage
Tempère des vertus le dur apprentissage.
Pour servir leur pays, les sages quelquefois
S’exilent sans regret dans le palais des rois ;
Mais, préparés toujours à le quitter sur l’heure,
Pour eux c’est un passage et non une demeure ;
Ils habitent la cour sans être courtisans,
Consolent les bons rois et jugent les tyrans.
Lorsqu’au bonheur public il dévouait sa vie,
Fénelon pressentait les piéges de l’envie:
En vain toute la cour et même ses rivaux
S’empressaient d’applaudir à ses heureux travaux ;
En vain de grands bienfaits consacraient leur salaire
Il prévoyait le jour qu’il cesserait de plaire.
Tel quand l’azur des cieux et le calme des flots
Séduit l’art et l’espoir des simples matelots,
Prudemment inquiet, le nocher plus habile,
Déjà discerne au loin, sous l’horizon tranquille,
Un réseau de vapeurs qui, d’instant en instant,
Plus nébuleux, noircit, monte, s’enfle, s’étend,
Et bientôt amassé, suspendu sur sa tête,
Vomira les éclairs, la foudre et la tempête.

 

Du sage Fénelon la noble fermeté
Aux périls de la cour a longtemps résisté ;
Avec plus de succès l’envie enfin l’attaque :
On condamne Mentor à quitter Télémaque.
O Louis! ô grand roi ! comment méconnais-tu
Le cœur de Fénelon, sa pieuse vertu ?
Crains qu’on ne te reproche une erreur si funeste;
Mais tu l’avais choisi, cette gloire te reste.

 

Rejeté par le prince, un grand superbe et vil,
En sortant de la cour, ne trouve que l’exil.
Mais quitter des palais la pompe mensongère
Et porter le bonheur de chaumière en chaumière,
Conquérir des Français et l’estime et l’amour,
Du bruit de ses vertus importuner la cour.
Léguer de ses bienfaits l’exemple et la mémoire,
0  Quels honneurs de la cour égalent cette gloire ?

 

Cependant, Fénelon quitte-t-il sans regrets
Un poste qui l’attache au bonheur des Français ?
Même avant que l’envie annonce avec audace
Ce que les courtisans appelleront disgrâce,
Aux marches de l’autel répandant sa douleur,
Il prie; une voix sainte alors parle à son cœur :
« Fénelon ! obéis ; soumets-toi, Dieu l’ordonne.
Ta place est à l’autel et non auprès du trône ;
Aux leçons que ton cœur prodigue au fils des rois,
Le pauvre et l’orphelin avaient les premiers droits ;
Quitte l’enfant royal, mais songe à la patrie ;
Qu’il trouve en tes adieux la leçon de sa vie.
Captif de sa grandeur, ah! du moins pour un jour,
Qu’il franchisse avec toi la prison de la cour.
Montre-lui dans Paris ces monuments de gloire
Qui des Français fameux consacrent la mémoire ;
Nomme les citoyens et les grands et les rois
Qu’illustrèrent les arts, les combats ou les lois ;
Étale devant lui, dans leur splendeur immense,
Les vertus, les talents, la gloire de la France :
Les lui faire applaudir, c’est encore enseigner
Les mystères savants du grand art de régner. »

 

Fénelon se relève, armé de ce courage,
Fort de ce dévoûment qui soutient le vrai sage.
Alors que résigné, mais non pas abattu,
Il cède sans murmure aux lois de la vertu ;
En vain l’ordre des rois l’afflige ou le menace;
L’homme de bien jouit même de sa disgrâce.
Ferme dans son projet, Fénelon l’a soumis
Au plus cher, au plus cligne, au meilleur des amis:
Et Bauvilliers consent que l’aurore prochaine
Guide l’auguste élève aux rives de la Seine.
Séparés de la cour pour la première fois,
Eux seuls l’introduiront à la ville des rois :
Nul ordre, nul avis n’aura sur son passage
Du peuple ni des, grands fait arriver l’hommage;
Ce silence nouveau des voix et des regards
Sans doute l’instruira que les soins, les égards,
Prodigués par la cour à l’héritier du trône,
Ne s’adressent qu’au titre et non à la personne.
Le prince toutefois est loin d’imaginer
Quel utile plaisir ils veulent lui donner;
Aux ombres de la nuit a succédé l’aurore,
Et rien de leur dessein ne l’avertit encore.

 

De l’étude acquittant les tributs journaliers
Paisible, n’apprenait auprès de Bauvilliers
L’art de substituer, par un échange habile,
La langue de Racine à celle de Virgile;
Fénelon vient, s’explique, et le prince enchanté
Bientôt monte avec eux vers la noble cité.
Parvenus en ces lieux d’où l’œil déjà découvre
La Seine humiliant son onde au pied du Louvre
Quel monument fameux fixe leur premier choix ?
C’est ce palais rival du palais de nos rois,
Hospice des guerriers dont les travaux ou l’âge
Épuisèrent la force et non pas le courage.
Le repos de la gloire et le pain de l’honneur
Au reste de leurs jours assurent le bonheur.
Superbes de vieillesse, ornés de cicatrices,
Leur impuissance même atteste leurs services.
Le peuple avec respect écoutant ces soldats,
Vétérans des périls, reste des grands combats,
Tressaille tour à tour de joie ou d’épouvante;
Leurs récits prolongés sont l’histoire vivante.
Si de marques d’honneur, de signes révérés
Leurs modestes habits ne sont pas décorés,
Ils n’en ont pas besoin : leur vrai titre de gloire
Est de montrer un corps usé par la victoire.

 

Tel, quand le temps, ou l’homme, encor plus destructeur,
A d’un temple fameux renversé la hauteur,
Errant sur les débris, un sage les contemple ;
Dans la ruine sainte il respecte le temple,
Il reconnaît la place où Dieu fut adoré,
Et le temple détruit n’en est que plus sacré.