L’humide étincelle dont parle Verlaine dans Après trois ans (« Ayant poussé la porte étroite qui chancelle, / Je me suis promené dans le petit jardin / Qu’éclairait doucement le soleil du matin, / Pailletant chaque fleur d’une humide étincelle ») est, avec l’obscure clarté du Cid, de Corneille, un des plus célèbres oxymores de la langue française. Cette étincelle a cependant d’autres titres à faire valoir pour que nous nous intéressions à elle. Elle est apparue en français au xie siècle sous la forme estencele, puis estincele un siècle plus tard, et elle est issue du latin populaire *stincilla, altération produite par métathèse de la forme classique scintilla, « étincelle, point brillant ».
Ce doublement des formes a été une source de richesse puisque de l’étymon latin ont été tirés deux verbes français. Scintiller, « briller d’un éclat caractérisé par le phénomène de la scintillation », plus savant, est apparu au xive siècle et est emprunté du latin scintillare, « avoir une lueur scintillante ; étinceler, briller ». Estenceler, plus populaire, qui deviendra étinceler, date du xiie siècle et est dérivé d’étincelle. C’est à ce verbe estenceler que nous devons, indirectement, le nom stencil, qui désigne un papier paraffiné et perméable à l’encre qui servait de support aux textes, aux dessins que l’on souhaitait reproduire par le biais d’une ronéo. Nous l’avons emprunté, au tout début du xxe siècle, à l’anglais stencil, qui signifie proprement « pochoir », et qui est dérivé de to stencil, « orner de couleurs vives ou de métaux précieux ». Or, to stencil est emprunté de ce verbe estenceler, qui existait aussi sous une dizaine d’autres formes et avait, entre autres sens, ceux de « parer de couleurs brillantes » et de « parsemer ». On lit ainsi dans Li Hystoire de Julius Cesar, de Jean de Tuim : « Un siege d’yvoire, ki tous estoit estinceles d’argent ».
Concluons en signalant que, si stencil est apparu en français quelques décennies après la mort de Victor Hugo, celui-ci, sans employer ce nom ou les verbes scintiller et étinceler, a donné dans les derniers vers de son poème intitulé Le Mendiant une merveilleuse illustration par l’exemple du sens de ces mots :
« Son manteau, tout mangé des vers, et jadis bleu,
Étalé largement sur la chaude fournaise,
Piqué de mille trous par la lueur de braise,
Couvrait l’âtre, et semblait un ciel noir étoilé.
Et, pendant qu’il séchait ce haillon désolé
D’où ruisselaient la pluie et l’eau des fondrières,
Je songeais que cet homme était plein de prières,
Et je regardais, sourd à ce que nous disions,
Sa bure où je voyais des constellations. »