Le mot sauvage est issu du latin salvaticus, altération de silvaticus, « qui sert pour le bois ; qui pousse ou vit dans les forêts ; sauvage » ; ce dernier est tiré de silva, « forêt, bois », aussi écrit sylva, et d’où est dérivé sylvestris, un adjectif aux sens semblables à ceux de salvaticus. Ainsi, tauri silvestres et arbor silvestris signifient « taureaux sauvages » et « arbre sauvage ». Mais les formes françaises issues de ces deux adjectifs ont des sens différents : sauvage signifie « qui n’est pas cultivé, qui n’est pas domestiqué » (c’est ce sens qu’il a dans deux titres de films célèbres, Les Fraises sauvages et l’Enfant sauvage), puis « qui n’est pas civilisé, qui est méchant, voire inhumain », alors que sylvestre, qui appartient à une langue plus technique, ce qui est souvent le cas des termes empruntés, signifie « de la forêt ; qui croît ou vit en forêt », comme dans coucou sylvestre ou pin sylvestre.
Le mot sauvage s’est chargé des valeurs négatives que l’on prête à qui vit en forêt. Au Moyen Âge, si on s’éloignait progressivement des bourgs et des villes, perçus comme les lieux de civilisation, on croisait les vilains de la campagne puis les sauvages de la forêt. Ce système de cercles concentriques s’applique aussi aux peuples. César en fait état dans ses Commentaires de la Guerre des Gaules quand il évoque les différentes tribus gauloises : « Horum omnium fortissimi sunt Belgae, propterea quod a cultu atque humanitate provinciae longissime absunt… » (« Les Belges sont les plus braves de tous ces peuples, parce qu’ils se tiennent tout à fait éloignés de la politesse et de la civilisation de la province romaine… »). Dans ce cas le sauvage se trouve alors être, au mieux une personne qui fuit le contact des autres, un ours dit la langue familière, et au pis une personne dont la cruauté ou la méchanceté n’est plus freinée par rien.
De sauvage a été tiré le verbe ensauvager. Une citation de Pierre Daunou (qui en 1793 vota contre la mort de Louis XVI et qui fut par la suite Secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions et belles-lettres) rend bien compte de son sens : « Que l’enthousiasme soit quelquefois accusateur, du moins ne faut-il jamais qu’il soit juge, et il est affreux qu’il prononce des arrêts de mort. […] Parmi les grands intérêts […], il en est un qui méritera l’attention des législateurs, c’est qu’il ne faut pas […] ensauvager les mœurs d’un peuple qui a été jusqu’ici doux, juste, humain, sensible. » Daunou définit par la négative ce qu’est le sauvage : il est féroce, injuste, inhumain et insensible. Ce verbe s’est d’abord rencontré sous la forme ensauvagir, plus logique, dans la mesure où la terminaison en -ir des verbes du deuxième groupe indique une transformation, un changement d’état, comme dans pâlir ou grandir.
Dans Germinal, Zola emploie ensauvager aux formes active et pronominale quand il brosse le portrait de l’agitateur révolutionnaire Souvarine : « Ses dents blanches et pointues, sa bouche et son nez minces, le rose de son teint, lui donnaient un air de fille, un air de douceur entêtée que le reflet gris de ses yeux ensauvageait par éclairs. » Et, plus loin : « Cette face blonde, dont les yeux rêveurs s’ensauvageaient parfois d’une clarté rouge, l’inquiétait. »
Quant à ensauvagement, il s’agit d’un nom polysémique ; on le trouve dans des textes anthropologiques, qui, traitant du chamanisme, décrivent la transformation, à l’aide de rites particuliers, du chaman en animal. Il désigne aussi le fait, pour un individu ou pour une société, de tendre à se dépouiller de ce qui constitue son humanité, en particulier des qualités de bonté et d’empathie, et de tout ce qui peut freiner sa violence.