Remuer, lever et tourner, ces verbes, ou d’autres qui leur sont synonymes, sont à la base des noms désignant des changements politiques qui ne se produisent pas de façon institutionnelle, mais à la suite de bouleversements parfois violents. Ainsi le nom émeute, apparu au xiie siècle, est un dérivé d’esmeu, ancienne forme du participe passé d’émouvoir. Il désigne une explosion de violence, une agitation populaire, le plus souvent spontanée. Dans ce cas, il n’est pas très loin du sens classique d’émotion, au sujet duquel on lisait dans la sixième édition de notre Dictionnaire : « Il se dit quelquefois Des mouvements populaires qui annoncent une disposition au soulèvement, à la révolte. » Littré définit ainsi l’émeute : « Trouble qui se forme dans la rue, commence par un rassemblement, et n’a d’abord ni chef, ni dessein concerté. » L’émeute n’a pas bonne presse, on le voit, sans doute parce qu’on ne prête guère d’idéaux aux émeutiers, nom également connoté péjorativement, et parce que l’on voit plus dans cette dernière les troubles et les pillages qui l’accompagnent que le désir de fonder une société plus juste. On pourrait dire, en songeant à Hugo, que l’émeute, c’est la foule et que l’insurrection et le soulèvement, c’est le peuple. Le soulèvement est un mouvement de révolte d’une population, d’un groupe contre un oppresseur. Le nom semble contenir en lui sa légitimation puisqu’il suppose que cette population, ce groupe sont tenus dans un état de sujétion qui les empêche, au sens propre, de se tenir droit. Cette volonté de ne plus subir l’oppression est plus fortement inscrite dans le nom insurrection, un parent de résurrection, qui traduit le désir farouche des insurgés de se redresser, de vivre debout.
L’insurrection désigne un mouvement populaire tendant à renverser, par l’emploi de la violence, le pouvoir établi. La justification de cette révolte par un désir d’émancipation était nettement inscrite dans les éditions anciennes de notre Dictionnaire. Dans la cinquième, parue en 1798, en période révolutionnaire, on lit : « Soulèvement contre le Gouvernement. Ceux qui emploient cette expression, y attachent une idée de droit et de justice. L’insurrection des Américains. » Dans la sixième, cette « idée de droit et de justice » est toujours présente, mais l’insurrection « des Américains » est remplacée par celle « des Grecs ». Rappelons que l’Académie comptait alors de nombreux philhellènes, dont Lamartine et Chateaubriand. Dans la huitième édition, « le Gouvernement » est remplacé par « un pouvoir établi ou une autorité arbitraire ». Il y a donc, dans les anciennes éditions du Dictionnaire, une forme de légitimation de l’insurrection qui disparaît de la neuvième édition, sans doute parce que le terme insurrection est aujourd’hui senti comme un synonyme d’émeute.
À l’instar d’insurrection, le nom révolte désigne une action collective et souvent violente que mène, contre une autorité établie, un groupe qui refuse le système politique ou social en place, des lois, des décisions jugées insupportables ou iniques. Littré établit de l’une à l’autre cette différence en faisant de la révolte un préalable à l’insurrection : « L’insurrection est un soulèvement plus ou moins général contre l’autorité qui gouverne. La révolte est une résistance aux ordres de l’autorité. La révolte ne passe pas nécessairement à l’insurrection. »
Tiré, comme révolte, du latin volvere, « tourner », le nom révolution désigne une forme de révolte menée à son terme. C’est en effet le renversement d’un régime, d’un gouvernement au nom d’idéaux philosophiques ou politiques, visant à la rupture avec l’ordre existant et à l’instauration d’un nouvel ordre social. Ce nom est apparu au XIIIe siècle en français dans la langue de l’astronomie et au XVIIe siècle dans le vocabulaire politique.
Un des plus illustres académiciens, Victor Hugo, que nous avons déjà évoqué, s’est intéressé à ces divers mouvements politiques et les a mis en scène dans Les Misérables. La lecture de son roman nous aide à affiner les nuances entre tous ces termes et, particulièrement, entre émeute et insurrection, deux notions sur lesquelles il revient souvent. Il ne le fait pas en lexicographe, mais la fulgurance de son talent aide plus que n’importe quelle définition à situer les uns par rapport aux autres ces différents termes. On lit en effet dans cet ouvrage : « Il y a l’émeute et il y a l’insurrection ; ce sont deux colères ; l’une a tort, l’autre a droit. Dans les états démocratiques, les seuls fondés en justice, il arrive quelquefois que la fraction usurpe ; alors le tout se lève, et la nécessaire revendication de son droit peut aller jusqu’à la prise d’armes. […] Il n’y a d’insurrection qu’en avant. Toute autre levée est mauvaise ; tout pas violent en arrière est émeute ; reculer est une voie de fait contre le genre humain. L’insurrection est l’accès de fureur de la vérité ; les pavés que l’insurrection remue jettent l’étincelle du droit. Ces pavés ne laissent à l’émeute que leur boue. Danton contre Louis XVI, c’est l’insurrection ; Hébert contre Danton, c’est l’émeute. […] Dans les cas les plus généraux, l’émeute sort d’un fait matériel ; l’insurrection est toujours un phénomène moral. L’émeute, c’est Masaniello ; l’insurrection, c’est Spartacus. L’insurrection confine à l’esprit, l’émeute à l’estomac. »