Les usages que nous allons voir maintenant appartiennent à l’ancienne langue du droit. Ils désignaient l’autorisation accordée aux habitants d’une commune de faire usage des bois, des marais et des prés communaux. À l’époque féodale, ces droits n’étaient accordés qu’en échange d’une redevance due au seigneur. Ces usages étaient strictement codifiés ; ils le furent par des édits seigneuriaux, des chartes communales, puis par le Code forestier. Ils donnèrent souvent lieu à des querelles d’interprétation et à des chicanes et firent, au xixe siècle particulièrement, les délices de la Cour de cassation. Ils furent aussi, en partie, le sujet des Paysans, de Balzac. Le droit ancien distinguait les petits usages des grands usages. Les premiers autorisaient le ramassage des branches sèches, du bois mort et du mort-bois. Ce dernier désignait des arbrisseaux sans valeur, ne portant pas de bons fruits et dont le bois, impossible à travailler, n’était bon qu’à être brûlé : houx, marsault, épines et genêts, auquel on ajoutait souvent ce que l’on appelait le bois blanc : saule, peuplier et aulne. Les grands usages comprenaient l’affouage, le maronage, le pâturage (ou pacage) et la glandée (ou paisson).
Le droit d’affouage, le droit de ramasser du bois mort dans les communaux pour se chauffer est sans doute le plus connu. Affouage vient de l’ancien français afouer, « allumer un feu » ; au Moyen Âge, il désignait aussi du bois de chauffage. On lit ainsi dans une ordonnance de la première moitié du xive siècle : « Donons l’usaige en nos boys de Voisins au chapelain … por son affouage. » Ce bois ne pouvait être cédé : « Ne sera permis auxdits usagers de vendre leurs-dits droits d’affouage à aucuns forains et estrangers », lit-on dans une autre ordonnance. Jacques-Joseph Baudrillart, le grand-père de l’académicien, rendait ainsi compte de cette interdiction dans son monumental Code forestier (1827) : « Des considérations sages et paternelles ont dû déterminer le législateur à empêcher que les habitants des communes affouagères ne vendent le bois qui leur est délivré, afin de les prémunir contre les atteintes du besoin. »
Mais, on l’a vu, avant l’essor des communes libres, ces droits étaient liés à une taxe. Il y eut donc un impôt appelé affouage, à acquitter en échange du droit du même nom. Mais affouage pouvait aussi désigner un autre impôt, plus souvent appelé fouage, que percevaient des officiers nommés fouageurs. Il s’agissait d’une imposition par feu, c’est-à-dire par maison, et qui serait l’ancêtre de notre foyer fiscal. Chateaubriand, dans ses Mémoires d’outre-tombe, montre combien cet impôt exaspéra le peuple : « On ne se doute guère de l’importance du fouage dans notre histoire ; cependant, il fut à la révolution de France ce que fut le timbre à la révolution des États-Unis. Le fouage (census pro singulis focis exactus) était un cens, ou une espèce de taille, exigé par chaque feu sur les biens roturiers. Avec le fouage graduellement augmenté, se payaient les dettes de la Province. » Voici une famille linguistique qui fut source de bien des conflits, puisque le fouage, responsable de la Révolution française avait un cousin étymologique, lié lui aussi au latin focus, la fouace, qui désigne un pain cuit sous la cendre et qui fut, nous dit Rabelais, à l’origine des guerres picrocholines.
Bois et forêts pouvaient aussi servir au maronage. Ce nom, aujourd’hui hors d’usage, et que l’on rattache à merrain, désignait l’autorisation donnée aux mêmes habitants d’aller dans ces mêmes communaux pour y prendre le bois nécessaire à la construction de bâtiments. On le trouve encore sous la plume d’Adolphe de Forcade Laroquette, qui fut plusieurs fois ministre sous le Second Empire. Dans un Rapport au ministre des Finances, du 12 février 1860, il écrit : « Les droits [d’usage] qui se rencontrent le plus communément sont ceux de l’affouage et de maronage. »
Á côté de ces usages, liés aux bois et forêts, on trouvait le pacage, aussi appelé pâturage, c’est-à-dire le droit de faire paître les troupeaux sur les communaux, particulièrement dans des terrains en friche, en jachère ou boisés. Le pacage concernait les vaches, les moutons et les chèvres. Les porcs semblent avoir eu dès les temps anciens un traitement à part ; sans doute parce que ces animaux étaient plus communs, même chez les plus pauvres. Le droit, l’usage, qui les concernait était parfois appelé panage ou paisson. C’était une servitude forestière qui permettait aux éleveurs de porcs de faire pâturer leurs animaux dans les forêts et les bois communaux, mais aussi, là encore, un droit que l’on paya d’abord au seigneur et ensuite au propriétaire d’une forêt. Comme c’était essentiellement des glands que mangeaient ces porcs, ce droit fut généralement appelé la glandée. Il s’agissait d’un fait essentiel dans la vie paysanne médiévale et c’est d’ailleurs une scène de glandée qui illustre le mois de novembre dans Les Très Riches heures du duc de Berry. Chateaubriand en parle aussi dans ses Mémoires d’outre-tombe : « J’entendais le son de la trompe du porcher gardant ses truies et leurs petits à la glandée. »
Pour conclure, rappelons que, même si le sens des mots évolue parfois, le droit de glandée (encore appelé droit de glandage) ne désigne que le droit de ramasser les glands ou de conduire ses porcs dans une forêt pour qu’ils s’en nourrissent, et n’est donc en aucun cas un ancêtre du Droit à la paresse de Paul Lafargue.