Remise des Grands prix des fondations de l’Institut de France
Allocution de M. Gabriel de Broglie,
de l’Académie française,
Chancelier de l’Institut
Distribution des prix et symboles
Mercredi 8 juin 2016
Existe-t-il un endroit plus beau et mieux choisi que cette magnifique coupole pour remettre les Grands Prix des Fondations de l’Institut de France ? Il faut rappeler sa tradition et son expertise dans ce domaine. La remise de prix est une mission qui incombe aux Académies depuis leur création, en contrepartie de leurs privilèges, et cette expérience permet aujourd’hui à l’Institut de faire partie des grands acteurs de la philanthropie.
La distribution de prix ne se résume donc pas au versement d’une somme d’argent : elle a une forte portée symbolique.
Ce qui nous réunit aujourd’hui à chaque distribution de prix, des plus anciens, comme le Prix Montyon créé en 1782, aux plus récents, est un jalon supplémentaire qui nous permet d’avoir une démarche pérenne et solide.
Les usages et les codes hérités de son histoire confèrent à l’Institut de France une légitimité dans sa manière particulière de remettre des prix. La remise n’est-elle pas elle-même que l’aboutissement d’un processus d’attribution, depuis l’établissement du règlement jusqu’aux délibérations du jury, en passant par l’appel à candidature ? Le règlement d’un prix, parce qu’il fixe un cadre stable et valable pour tous, parce qu’il est indiscutable, parce qu’il est aussi garant d’un choix juste, est un préalable nécessaire pour que le prix transcende sa seule dotation ; ce dépassement, on en trouve l’expression la plus évidente dans le cérémonial de la remise, qui fut inventé dans nos murs et toujours reproduit par nous depuis lors. Aussi le rituel mis en place avec le temps n’est-il pas un simple ornement. Loin d’être un apparat, la représentation appuie et renforce la valeur du prix, et par extension l’action philanthropique.
Nous pouvons certes être impressionnés par un décor solennel, mais la Coupole, les habits des académiciens, les roulements du tambour de la Garde républicaine, les honneurs de la République, le respect du protocole sont une manière d’exprimer l’hommage que nous rendons à ceux qui nous ont précédés dans ces murs depuis plus de deux siècles et d’honorer en même temps les lauréats et les fondateurs d’aujourd’hui, dont l’engagement toujours plus grand s’apparente à un concours de générosité.
Rappelons-nous les cérémonies de distribution de prix dans les écoles et les lycées, rassemblant les élèves, les professeurs et des représentants des autorités civiles et militaires. Rappelons-nous le protocole qui régissait ces cérémonies : à l’appel de son nom, le lauréat, s’il ne s’était pas déjà assoupi, avançait dignement et en silence pour recevoir sa récompense, souvent un ouvrage classique censé accroître sa culture générale. Rappelons enfin le Concours général, créé en 1747, qui voit ses lauréats félicités par le ministre de l’Éducation nationale en personne dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, en présence de nombreuses personnalités.
Certes nos lauréats ne sont ni écoliers ni lycéens, mais on devine aisément la proximité de ces cérémonies avec celle qui nous rassemble cet après-midi. On devine aussi que ces différents rendez-vous, généralement annuels, renvoient à des images et des souvenirs semblables.
Exprimant une idée abstraite, ces prix ouvrent sur d’autres horizons. Parce qu’ils apportent une lumière sur des travaux, contribuent à les faire avancer et encouragent les lauréats, ils possèdent une signification bien supérieure au montant de leur dotation. Au-delà de la récompense, c’est d’une reconnaissance qu’il s’agit.
Considérer les prix à travers le spectre du symbole, c’est marquer ce qui en fait la spécificité par rapport à une subvention. Au-delà de sa dotation, un prix est en effet un label qui fait entrer son récipiendaire dans le cénacle de ses prédécesseurs et lui offre une reconnaissance et une crédibilité supplémentaires - même s’il arrive que le lauréat surpasse l’autorité qui le récompense -, se voyant parfois ouvrir les portes vers d’autres distinctions.
Sous la Grèce antique, le « sumbolon » était un tesson de poterie cassé en deux parties et partagé entre deux ambassadeurs de cités alliées. En ce sens, il était ce qui rassemblait, ce qui réunissait, ce qui permettait à deux étrangers de se reconnaître comme alliés.
De la même manière, en réunissant un mécène et un lauréat, qui parfois ne se connaissent pas, les prix philanthropiques jouent pleinement le rôle de symboles. Ils sont une sorte de contrat entre deux autorités, se reconnaissant mutuellement, fût-ce entre pairs. Lorsqu’une médaille ou un diplôme est remis, ce n’est certes pas d’un tesson qu’il s’agit, mais les deux parties se valorisent par un symbole à double sens : reconnaissance pour le récipiendaire et prestige du palmarès pour l’institution qui remet, de la même façon qu’une école peut se féliciter du nombre de lauréats du Concours général qu’elle compte dans ses rangs.
Ainsi, grâce à la force du geste, la distance évidente entre celui qui distribue le prix et celui qui le reçoit est abolie. Les deux parties en présence sont symboliquement réunies. C’est proprement ce que nous nous apprêtons à vivre au cours de cette cérémonie.
Sur un autre registre, l’Institut de France, après avoir traversé tous les régimes, est devenu lui-même un symbole : pont entre les différents âges de notre pays, faisceau réunissant les différentes disciplines, il rassemble en son sein et autour de lui des personnes aux idées parfois opposées, des experts et des lauréats de tous horizons, que rien ne prédisposait à travailler ensemble ou à être distingués par une même institution. Cette capacité à rassembler, c’est Chateaubriand qui en parle le mieux, au lendemain de la Restauration. À ce moment-là, l’Institut de France, qui avait été créé sous la Convention pour remplacer les Académies royales supprimées deux ans plus tôt, voyait son existence menacée par le rétablissement des Académies de l’Ancien Régime. Ainsi, l’auteur des Mémoires d’Outre-Tombe, qui s’est maintes fois assis à l’ombre de cette Coupole, écrivait dans sa « Lettre sur l’Institut » publiée le 10 mars 1816 : « Ce seroit une grande faute de renoncer à ce que la Révolution peut avoir produit d’heureux au milieu de tant de malheurs […] c’est notre héritage : nous devons le réclamer […] comme nous nous approprions les actions généreuses qui dans ces temps déplorables ont sauvé l’honneur de notre pays. Conservons donc je le répète ce nom d’Institut : tout mot que la gloire a adopté, est françois. »
Et Chateaubriand de conclure : « En réunissant les académies sous un nom commun, elles se prêtent un appui mutuel. »
Nous retrouvons ici les rapports entre le lauréat d’un prix et l’autorité remettante et les mécènes évoqués tout à l’heure.
Comme s’il fallait boucler la boucle, l’identité de l’Institut et son prolongement dans la distribution des prix semblent eux aussi se prêter appui mutuellement ; il y a comme une continuité entre la mission académique et son exercice de la philanthropie à travers les prix que l’Institut remet. C’est la singularité de notre institution que je me réjouis de voir se perpétuer au cours de cette cérémonie.
Soyez assurés, Mesdames et Messieurs, que l’Institut éprouve une grande fierté, et infiniment de gratitude, pour l’élévation mutuelle à laquelle la remise des prix va nous permettre, grâce à vous tous, de procéder maintenant.