Discours sur les prix de vertu 1848

Le 17 août 1848

Marc GIRARDIN, dit SAINT-MARC GIRARDIN

Discours de M. Saint-Marc-Girardin
Directeur de l’Académie française

Sur les prix de vertu

Lu en séance le 17 août 1848

 

 

MESSIEURS,

L’Académie m’a chargé de rendre compte des actions de courage et de charité qui ont mérité cette année les prix fondés par M. de Montyon. L’Académie a décerné deux prix : le premier de 5,000 fr., le second de 3,000 fr. ; trois médailles de première classe, douze médailles de seconde classe.

Mais elle doit surtout faire connaître les actes de dévouement qu’elle a cru devoir récompenser, non pour ajouter le bruit de la louange au mérite de la vertu, mais afin que le récit du bien vienne à propos consoler et encourager la conscience publique.

Joseph-Désiré Looten, simple éclusier à Dunkerque, est le premier de ces consolateurs publics. Son père, comme lui éclusier, a sauvé quarante-cinq personnes. Le fils n’a pas encore quarante ans, et il en a sauvé cinquante-deux. Il est vrai qu’il a commencé de bonne heure, à quatorze ans.

Dans le nombre de ceux qu’il a sauvés, il en est dont il a oublié le nom : ç’a été parfois la faute de ceux mêmes qu’il arrachait à la mort, et qui, dans le trouble de la délivrance, oubliaient de dire leurs noms à leur libérateur. Il aurait mieux aimé le savoir ; car c’est, après tout, la seule récompense qu’il veuille recevoir. M. Looten est pauvre ; mais il aime surtout à enrichir d’un nom nouveau les archives de sauvetage qu’il tient de son père. Il a plus besoin de contentement que d’aisance. Une seule fois, en 1829, l’administration lui fit délivrer un mandat de 50 francs, qu’il accepta pour en faire aussitôt don à un pauvre ouvrier de Dunkerque, nommé David, alors malade à Paris.

Avec ces 50 fr., David revint à Dunkerque retrouver sa femme et ses enfants.

À Dunkerque, M. Looten est une sorte de providence populaire. Quelqu’un tombe-t-il à l’eau, tout le monde aussitôt appelle Looten ; c’est le nom qui est dans toutes les bouches au moment du péril. Non-seulement on le sait intrépide, mais de plus on le croit heureux : il a si souvent réussi ! il fait cela depuis si longtemps ! et son père le faisait avant lui. Touchant effet du dévouement qui, n’hésitant jamais et ne perdant jamais un moment, passe pour heureux aux yeux de la foule, qui ne comprend pas que M. Looten n’a la main si bonne que parce qu’il a le cœur toujours prompt.

Ce que nous admirons le plus dans M. Looten, c’est sa persévérance héréditaire dans le dévouement. Si un acte de générosité a droit à nos hommages, même quand il est isolé, qu’est-ce quand la générosité et la bonté se tournent en habitude ? Les bonnes qualités de l’âme humaine ne méritent le nom de vertus que lorsqu’elles s’éprouvent par la durée.

C’est aussi un dévouement assidu, quoique plus obscur, que l’Académie récompense dans mademoiselle Adeline Castanet. Mademoiselle Castanet est une simple ouvrière, malade et souffrante depuis longtemps. Mais sa pauvreté et sa faiblesse ne l’ont pas empêchée de se charger de deux orphelins. Elle avait soigné leur mère, ouvrière comme elle ; elle l’avait vue mourir, et elle a pris avec elle les deux enfants restés sans secours.

Cette charité patiente n’a point l’éclat du dévouement de l’intrépide éclusier de Dunkerque ; mais c’est la condition des meilleures vertus de la femme, d’être renfermées dans l’enceinte de la maison plutôt que d’éclater au dehors. L’homme donne hardiment sa vie pour l’honneur, pour les lois, pour l’humanité le camp, la ville, l’église, ne le savent que trop de nos jours. La femme ne donne pas sa vie ; mais elle conserve, par ses soins, celle du vieillard, du blessé, de l’enfant ; quand elle remplit cet office maternel, rien ne la lasse, rien ne la décourage. Cette constance dans la charité est, chez la femme, le signe caractéristique de la vertu. Toutes les femmes sont capables de se dévouer beaucoup ; mais les meilleures entre les bonnes sont celles qui sont capables de se dévouer longtemps.

C’est à trois femmes qui se sont dévouées longtemps que l’Académie a décerné les trois médailles de première classe.

L’une, Marie Lubet, à Hagetmau, dans les Landes, est une pauvre domestique qui depuis 1825 soigne et nourrit ses maîtres, devenus pauvres et infirmes. Sa maîtresse est folle ; son maître impotent et presque idiot ; le fils des deux pauvres malades est lui-même épileptique et toute cette douloureuse maison n’a pour la surveiller, la soulager, la nourrir et l’entretenir, que la charité de Marie Lubet, charité aussi ingénieuse qu’elle est infatigable. Lorsque toutes ses ressources étaient épuisées, Marie Lubet a eu recours à la charité publique ; mais elle s’est adressée aux anciens amis et anciens clients de son maître, qui était officier de santé, afin que les secours qu’elle obtenait pussent avoir l’air du prix de quelques vieux services.

L’autre, Marie Huchet, s’est faite depuis plus de quinze ans la sœur hospitalière du village de Vieillevigne dans la Loire-Inférieure. Elle a commencé l’apprentissage de ses bonnes œuvres par soigner sa mère infirme, et par nourrir, dans les années de disette, les quatre enfants d’un de ses frères qui était tombé dans l’indigence. Mais, comme si la charité qu’elle exerçait envers les siens ne lui suffisait pas, elle s’est mise à soigner les malades du village, sans se laisser rebuter ni par le dégoût des plaies, ni par l’ingratitude ou l’impatience des malades. Quiconque souffre à Vieillevigne a droit aux soins de la sœur hospitalière. Elle est faible, elle est pauvre, elle a besoin de travailler pour vivre ; mais quand il s’agit d’assister les malades et les infirmes, elle trouve tout ce qu’elle n’a pas, de la force et de la santé, du temps, des médicaments, du linge, des vivres. Un médecin de l’endroit, qui la connaît presque depuis son enfance, disait : « Elle se trouve partout ; je ne puis faire un pas la nuit chez les pauvres sans la trouver près de leur lit. »

Mariette a la vraie charité, celle qui oublie volontiers le mal pour ne faire attention qu’au malheur. Parmi les malades que soigne Mariette, il est parfois des femmes qui ne semblent que punies quand elles sont malheureuses. Mariette, qui a toujours été honnête, se sert du respect qu’elle inspire pour être compatissante à son aise ; elle va voir les pauvres délaissées et fait une layette pour les enfants. Bienfaisante pour les vivants, elle est charitable aussi pour les morts. Elle n’abandonne pas les corps des pauvres malades qu’elle a soignés ; elle les ensevelit et leur fait rendre les derniers devoirs. Ce dernier trait achève d’en faire une sainte aux yeux des bonnes gens de Vieillevigne, qui croient que la vraie humanité est celle qui honore l’homme au delà du tombeau, celle à qui la mémoire des morts ne devient pas trop vite étrangère.

La troisième médaille de première classe est affectée par l’Académie à Jeanne Darthenay, du village d’Agneaux, dans la Manche. Le père et la mère de Jeanne Darthenay avaient eu dix-sept enfants. Quand le père mourut en 1801, il en restait encore neuf à la pauvre veuve. Jeanne alors avait dix ans, mais déjà elle était forte et courageuse. Dès douze ans, elle gagnait de bonnes journées, qu’elle rapportait à la maison. Comme sa mère était malade et infirme, c’est elle qui devint la mère de famille. Elle éleva ses frères et sœurs, elle les plaça en apprentissage mais bientôt les charges de la pauvre Jeanne augmentèrent. Une de ses sœurs meurt dans la plus profonde misère, abandonnée par son mari, et laissant six enfants. Jeanne a promis à sa sœur mourante de ne pas abandonner les six pauvres petits, dont l’aîné a neuf ans. Elle les emmène à la maison. Pendant longtemps rien n’a manqué à la pauvre mère infirme et aux six orphelins, parce que la santé n’a point manqué à Jeanne. Aujourd’hui, les six orphelins sont placés ; mais il est venu deux autres neveux et une nièce, car Jeanne est le refuge de la famille. Jeanne aujourd’hui a cinquante-sept ans, et elle est menacée de devenir aveugle. Elle s’afflige, mais elle ne se décourage pas. « Pourvu que je puisse toujours marcher et soutenir ma mère, je prendrai mon parti d’être aveugle. » La résignation et la charité, l’une qui consent à ses propres souffrances, l’autre qui soulage les souffrances d’autrui, toutes deux qui déposent l’égoïsme, soit aux pieds de Dieu, soit aux pieds du prochain, voilà le touchant exemple que donne Jeanne Darthenay, et qu’honore l’Académie.

Les douze médailles de seconde classe sont toutes accordées à des dévouements persévérants. Tantôt ce sont de pauvres domestiques, nourrissant leurs maîtres, devenus plus pauvres qu’eux, et ne croyait pas que le malheur doive rompre cette association qui dans nos anciennes mœurs était une sorte de parenté, et qui n’est plus qu’un louage passager[1] ; tantôt ce sont des filles dévouées à la vieillesse infirme de leurs père et mère[2], ou des sœurs qui deviennent les soutiens de leurs frères et sœurs. L’une, mademoiselle Lequitte, ouvrière tapissière à Nantes, travaillait avec zèle, voulant disait-elle, se faire une petite fortune pour ses vieux jours, lorsque sa sœur aînée, mère d’une nombreuse famille (elle avait eu treize enfants et s’était chargée d’un neveu orphelin), accablée de pertes inattendues, vint trouver Augustine Lequitte à Nantes, lui déclarant qu’elle était obligée de renoncer au petit commerce qu’elle faisait, sans savoir ce qu’allaient devenir ses enfants. « Vends ce que tu peux avoir, paye tes dettes, lui dit Augustine, et viens demeurer avec moi ; nous travaillerons ensemble, nous élèverons tes enfants, et j’ai la confiance que Dieu ne nous abandonnera pas. » La proposition fut acceptée, et bientôt la pauvre mère arriva chez Augustine avec six enfants et soixante francs, seul reste de sa fortune ; mais elle avait payé ses dettes, et pour ressource et pour providence elle avait sa sœur. La mère et les six enfants trouvèrent place autour de la table de la bonne ouvrière jusqu’au jour où il fallut se serrer un peu pour y laisser asseoir une autre sœur avec un enfant. Celle-là aussi était malheureuse, et Augustine l’accueillit et la nourrit. Cette bonne action, avec l’aide de Dieu, dure depuis quinze ans.

Jenny Migot, à Ussel (Corrèze), sert aussi de mère à ses cinq frères et sœurs ; elle soutient aussi son père, qui n’est ni laborieux, ni sobre. Un jour, ce père quitta sa famille et alla chercher fortune ou aventure à Lyon il n’y trouva que la maladie ; à peine Jenny l’eut-elle appris, qu’elle envoya à son père tout ce qu’elle avait d’argent. Il fallut un peu jeûner à la maison, et les enfants se plaignaient : « Il faut d’abord que le père soit servi, » disait Jenny. Le père ! voilà le mot qui sert de règle à Jenny ; elle a raison si nous n’étions bienfaisants qu’envers ceux qui sont parfaits, nous ferions le bien trop rarement.

À Rouves, dans la Meurthe, Élisabeth George s’est faite aussi la mère de famille de ses frères et sœurs, de sa mère elle-même et de son père, et cela depuis treize ans. Le père, longtemps malade, est mort en 1841 ; la mère survit, mais elle ne peut quitter son lit de douleur ; et enfin le frère et la sœur d’Élisabeth sont paralytiques tous les deux depuis l’âge de trois ans. Voilà la maison. Eh bien, cette maison de souffrances physiques a eu ses joies, grâce à Élisabeth. Le père est mort en bénissant sa fille, qui devait soutenir la famille ; la mère, sur son lit de misère, prie pour sa bonne gardienne, et les deux paralytiques, non-seulement nourris et soignés par leur sœur, mais instruits peu à peu par elle, ont pu faire leur première communion. Il a fallu bien de la patience et de la douceur pour instruire les deux pauvres paralytiques ; Élisabeth y a réussi, croyant que, puisqu’elle ne pouvait pas leur donner la santé, il fallait au moins leur donner la résignation qui s’en passe. Elle les a faits chrétiens pour les faire moins malheureux.

Les âmes compatissantes et généreuses semblent maîtresses du corps qu’elles aiment ; voyez Hélène Pichon, elle est sourde et muette depuis sa naissance : elle s’est consacrée à soigner un pauvre idiot, fils de sa sœur, grand enfant qui a aujourd’hui trente-six ans, et qu’il faut soigner comme un enfant au maillot. Rien ne la rebute, rien ne la fatigue oserai-je même dire que ces âmes d’élite sont comme attirées vers les plus souffrants, et qu’il y a une espèce de miraculeuse harmonie entre la charité et le malheur ? Ceux qui ont le plus à donner se rapprochent de ceux, qui ont le plus à recevoir[3].

J’ai quelque plaisir, je l’avoue, à raconter ces vertus de la famille. Quand le paradoxe cherche à ébranler jusqu’à l’autel des dieux domestiques, il est bon de voir quelles sont les opérations de ces dieux outragés, et comme ils se vengent de l’insulte par le bienfait. Non, la famille n’est pas une convention arbitraire que les lois ont faite et que les lois peuvent défaire. Non, pour en revendiquer les droits imprescriptibles, je n’ai pas besoin du secours des philosophes ou des législateurs ; je n’ai besoin que du témoignage de ces filles et de ces sœurs empressées autour du lit de leurs parents paralytiques ou du berceau de leurs frères orphelins. À quoi donc sacrifient-elles sans hésiter leur santé, leur temps, leur travail ? À une convention ? Singulière convention entre le fort et le faible, où c’est le fort qui donne et le faible qui reçoit. À ce signe seul je reconnais que ce n’est pas là une convention qui soit de la main des hommes.

Les bons sentiments s’exercent et se développent dans la famille ; mais ils ne s’y renferment pas ; aussi les médailles que décerne l’Académie ne sont pas seulement réservées aux devoirs qui, à force de persévérance, deviennent des dévouements la charité qui recueille les orphelins[4], la bonté courageuse qui soigne les malades, l’intrépidité qui risque sa vie pour sauver celle du prochain, ont droit aussi aux hommages que nous décernons.

Je ne puis pas, à ce sujet, résister au plaisir de dire un mot de M. Colliot, ancien soldat, aujourd’hui ouvrier bonnetier à la Fère en Tardenois, et de M. Laroche, marinier à Melun. M. Colliot a quitté le service en 1814, après avoir été décoré sur le champ de bataille ; retiré à la Fère, il s’est fait le garde-malade des pauvres. Le jour il travaille, la nuit il va veiller auprès de ceux qui souffrent. Pendant le choléra, en 1832, il a, par son courage, raffermi les esprits ébranlés ; et voyant qu’on avait peur surtout d’ensevelir les morts, il se dévoua à ce pieux office. À la Fère, il est aimé et vénéré de tout le monde ; mais il ne se doute pas de sa vertu, et recevra la médaille que nous lui offrons comme il a reçu la croix d’honneur sur le champ de bataille, sans s’y attendre, et la méritant d’autant mieux qu’il y pensait moins.

M. Laroche, le marinier de Melun, a reçu, en 1844, sans y prétendre non plus et sans s’y attendre, la médaille que le gouvernement décerne à ceux qui, par des actes de courage et de dévouement, ont sauvé la vie de leurs semblables. L’hommage que l’Académie lui offre en ce moment s’ajoute à cette récompense pour la confirmer et pour témoigner que depuis 1844 M. Laroche a continué son œuvre généreuse. C’est ainsi qu’en 1846 il sauvait un enfant de six ans que le courant entraînait et qui allait périr. Au moment où l’enfant tombait dans l’eau, Laroche, avec plusieurs mariniers, portait au cimetière le corps d’un de ses camarades ; tout à coup on crie : Au secours ! un enfant se noie ! Laroche alors, déposant un instant la bière : Veuillez m’attendre, M. le curé dit-il au prêtre qui accompagnait le corps, j’ai là de l’ouvrage : ce sera l’affaire d’un moment. — Et ce fut l’affaire d’un moment. L’enfant sauvé, Laroche revint porter le corps jusqu’au cimetière, ne se croyant pas dispensé même d’un petit devoir par un grand dévouement, ou plutôt croyant qu’en sauvant cet enfant, il n’avait fait aussi que remplir un devoir.

L’Académie vient de recommander dix-sept noms à la reconnaissance publique. Il en est trois encore qu’elle m’a chargé de citer, quoiqu’elle n’ait pas cru devoir joindre une médaille à l’hommage qu’elle leur rend : ce sont trois sœurs appartenant à des congrégations religieuses : la sœur Hubert, qui, à Dieppe a établi un dispensaire pour les enfants atteints de la teigne, et qui, depuis 1842, sur deux cent huit enfants reçus au dispensaire, en a guéri deux cent cinq ; la sœur Reine, qui, à Saint-Étienne, a fondé une maison dite de la Providence, pour recueillir les jeunes filles pauvres : cette maison dure depuis trente-cinq ans ; la sœur Saint-Jean enfin, institutrice à Pierrefiche, dans la Lozère, qui, depuis quarante ans, donne, le jour, l’instruction aux enfants, et la nuit, va soigner les malades dans leurs chaumières.

L’Académie honore profondément les vertus qu’inspire la vie religieuse. Mais ces vertus mêmes qui se séparent du monde par le goût de la perfection et qui ne s’en rapprochent que par le penchant de la charité, ont des récompenses supérieures au monde, et en les laissant dans la sphère qui leur appartient, l’Académie croit leur rendre l’hommage qu’elles aiment le mieux.

J’ai raconté les belles et nobles actions que l’Académie aime à honorer d’un remercîment public. Ce récit est toujours bon à faire ; il l’est surtout cette année, où nous avons besoin de l’exemple des bons sentiments pour nous consoler du spectacle des mauvais. Profondément convaincus que la société ne peut durer, si elle n’a pas, selon la parole sainte, les dix justes au moins qui sont nécessaires au salut des cités, nous attachons nos regards avec émotion sur ces âmes généreuses qui croient ne faire le bien qu’autour d’elles et qui en font à la société tout entière. L’utilité de la vertu ici-bas a été souvent contestée et souvent raillée ; et cependant, si nous comprenons bien l’ordre caché des sociétés humaines, c’est l’obscure vertu des bons qui apporte au monde la dose de bien qui est nécessaire à sa conservation c’est à l’aide de ces bonnes actions cachées, de ces conduites généreuses et modestes que l’ordre moral s’entretient et se conserve. Ces cœurs dévoués et affectueux qui soignent un malade, qui recueillent un orphelin, qui assistent un père ou une mère paralytique, qui sauvent le prochain de la mort, qui font prévaloir le dévouement sur l’égoïsme, la compassion et l’assistance sur l’indifférence et sur l’isolement ; ces bons cœurs accomplissent sans le savoir, le salut de la société qui les ignore ou les dédaigne, et de même que les savants nous disent qu’il y a dans la nature des forces inappréciables, tant elles sont petites et cachées, qui, durant et travaillant toujours, entretiennent l’ordre merveilleux de la création matérielle de même au sein des sociétés, ce sont les vertus petites et cachées qui, persévérant en silence, ne cherchant jamais ni le bruit ni la gloire, entretiennent le monde, et veillent, pour ainsi dire, au maintien de la création morale, sous la garde de Dieu.

Quand la société rend hommage à la vertu, elle semble souvent croire qu’elle fait à la morale une politesse de bon goût : elle ne sait pas qu’elle rend hommage à ses sauveurs, et qu’en se montrant respectueuse elle n’est que reconnaissante.

 

 

[1] Mademoiselle Cervain, Amélie-Clotilde, à Paris, rue Guy-la-Brosse, n° 12, entretient et soigne sa maîtresse pauvre et malade ; depuis dix-huit ans mademoiselle Boulée, Antoinette, à Beaune, Côte-d’Or, consacre ses économies et ses soins à ses maîtres indigents et infirmes.

[2] Mademoiselle Claudine Dondon, à Crux-la-Ville, Nièvre, soigne depuis six ans son vieux père et un neveu, enfant qu’elle a pris au berceau.

[3] Mademoiselle Marguerite Pottier, rue Beautreillis, n° 15, nourrit et soigne une famille, celle de son beau-frère, composée de six personnes deux femmes, l’une âgée de quatre-vingt et un ans, et l’autre de quatre-vingt-sept ans ; les deux filles de cette dernière, l’une non mariée, ayant cinquante et un an, l’autre, veuve d’un ancien comptable, âgée de cinquante-quatre ans, presque aveugle ; enfin les deux filles de celle-ci, dont une est atteinte d’aliénation mentale. Elle a la neuvième médaille de la troisième classe.

[4] Mademoiselle Prin, Madeleine-Ambroise, rue Bourg-l’Abbé, n° 12 (médaille de 500 fr.), a soigné et élevé une jeune fille qui était la fille adoptive de sa sœur. — Mademoiselle Clémentine Beaugeois, à Warloy-Baillon, Somme (médaille de 500 fr.), a recueilli, soigné et mis en apprentissage un orphelin qui errait de village en village.