DISCOURS
PRONONCÉ PAR
M. Maurice DRUON
Secrétaire perpétuel de l’Académie française
à l’occasion de l’Assemblée générale
de
l’Association des Universités
partiellement ou entièrement
de Langue française
(AUPELF)
Palais de l’Institut, le 4 décembre 1990
La plus ancienne des institutions francophones a les formules protocolaires les plus brèves. Toutes nos harangues, toutes nos adresses commencent invariablement par le mot « Messieurs ». Et bien que des dames soient désormais admises à entrer dans notre Compagnie, nous avons décidé récemment, avec la pleine approbation de notre confrère Mme de Romilly, éminent universitaire, que nous nous en tiendrions à ce terme générique.
Donc vous m’autoriserez à vous dire simplement :
Messieurs,
L’Académie française éprouve honneur et satisfaction à ce que l’Association des Universités partiellement ou entièrement de langue française ait souhaité tenir l’une des séances de sa dixième conférence triennale sous les auspices et dans les murs de ce que l’on peut considérer selon les uns comme la maison mère, et selon d’autres comme la magistrature morale de la langue que nous avons en partage et qui est notre lien intellectuel, affectif et désormais politique.
Nous sommes deux à vous recevoir pour vous souhaiter bienvenue et fructueux travaux, puisque le ministre français de la Francophonie, mon ami Alain Decaux, qui se voue à sa mission avec tant d’ardeur, d’efficacité, et dirais-je de bonheur, est membre très aimé et très influent de la Compagnie.
Dixième triennale : cela signifie que l’AUPELF fut pionnière dans la Francophonie. C’est par la tête, répète-t-on toujours, que le poisson pourrit. Mais il serait encore plus juste de dire que c’est par la tête que l’arbre fleurit.
Il est d’une extrême importance, et cela marquera tout le destin de la Francophonie dans son espace et dans ses structures, que sa première manifestation organique ait été le fait de ceux qui ont à communiquer le savoir et à faire progresser la recherche. Et là je ne saurais manquer de souligner tout ce que l’AUPELF doit à la conviction, à la ténacité et, oserais-je avancer, à l’ubiquité du professeur Michel Guillou.
La culture, au sens le plus large et le plus juste, c’est-à-dire l’effort personnel vers le savoir et pour sa transmission, la culture fut au premier relais.
L’Agence de coopération, qui vient de célébrer, elle, à Niamey son vingtième anniversaire, fut dénommée culturelle en même temps que technique. Cette grande organisation a connu, comme toutes entreprises humaines, ses hauts et ses bas. Nous devons nous féliciter que, devenue premier opérateur des décisions de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement, son nouveau secrétaire général, notre ami canadien Jean-Louis Roy, par une volonté de rigueur, un clair discernement des priorités, et un objectif non d’accroissement bureaucratique mais de présence sur le terrain, s’efforce de lui redonner essor.
Vint l’ère des « sommets » francophones, où l’Académie française est toujours invitée et présente. La plus grande partie des sujets débattus et des solutions prises n’ont-ils pas trait à la culture, à l’enseignement, à la formation, à la communication, sous toutes ses formes écrites, parlées et visuelles ? N’oublions pas qu’entre les sommets, il y a le « suivi », et son Comité, qui est le véritable organe exécutif de la Conférence. On n’insistera jamais assez sur ce que l’avenir de notre communauté devra au président de ce comité, depuis Dakar, le député Christian Valantin, auquel l’Académie a tenu à décerner, comme elle l’avait fait pour l’ambassadeur Leprette, la grande médaille de la Francophonie.
L’Académie, Messieurs, se réjouit fort de ce que l’AUPELF réponde sans cesse davantage à la mission que son président, le recteur Bakary Tio Touré, hier, définissait et résumait dans cette magnifique formule, d’ailleurs soulignée aussitôt par le président du Sénégal et de la Conférence, M. Abdou Diouf : « Délivrer en français le message du progrès. » C’est plus qu’une formule, c’est une devise. Inscrivez-la sur une médaille, si vous en faites frapper. Et que le nom de Bakary Tio Touré vous soit toujours cher.
L’Académie se réjouit de ce que l’AUPELF ait choisi d’appeler à sa prochaine présidence un universitaire issu des pays arabes. Ne méconnaissons pas que ces pays ne peuvent être dénommés francophones ; ils sont arabophones, et d’abord parce que la langue de leur religion dominante, et souvent religion d’État, est l’arabe. Ils sont francophones partiellement mais, surtout au Maghreb, nombreusement, et non pas seulement par un phénomène historique, mais bien pour certains par un choix, afin de recevoir aussi en français « les messages du progrès ».
La présence à votre tête d’un Arabe ou d’un Maghrébin ne peut avoir que d’heureuses conséquences sur la relation arabo-européenne comme sur la relation, si importante, arabo-africaine ; et je présente d’avance, à celui que vous élirez, mes félicitations assorties de l’expression de ma confiance et de mes vœux de succès.
L’Académie se réjouit aussi de ce que l’UREF, cette émanation de l’AUPELF et sa partenaire intégrée, joue un rôle de plus en plus actif et reconnu, de par, notamment, ses publications scientifiques dont on nous dit de tous côtés qu’elles sont d’une qualité remarquable. Vous savez que le maintien du français comme langue scientifique est un de nos grands soucis. L’UREF nous apporte un élément d’espérance.
L’Académie enfin se réjouit de ce que l’Université Senghor d’Alexandrie au service du développement africain, cet établissement atypique, auquel le Président Abdou Diouf faisait, hier également, référence élogieuse, soit désormais membre de l’AUPELF.
Née de la conjonction d’une initiative de l’Académie française, d’un vœu égyptien et d’une générosité italienne, officiellement créée par le protocole de Dakar, financée par plusieurs États, par de nombreux organismes publics et par maintes libéralités privées, soutenue par le ministre de la Francophonie et par l’ACCT, cette université, vraiment internationale par ses statuts juridiques, son corps d’enseignants, et par ses étudiants, commence de former des cadres supérieurs pour l’Afrique, des hommes et des femmes capables de devenir de grands gestionnaires de l’économie publique et privée, des auteurs de grands programmes, des directeurs de ministères, des diplomates de haut niveau, nantis non seulement de la maîtrise certaine d’une spécialité, mais aussi d’une culture générale, d’une ouverture de l’intelligence sur les grands problèmes du monde et de l’homme.
L’embryon du projet surgit au printemps de 1988. Lorsque, six mois plus tard, j’annonçai que l’université ouvrirait ses portes à l’automne de 1990, on me regarda avec quelque incrédulité, et même un peu d’inquiétude, comme si un doute pesait sur mes facultés d’appréciation des réalités. Mettre sur pied en deux ans et demi un institut d’enseignement supérieur ? Pour un peu on aurait dit que je parlais à travers mon bicorne.
Le 1er octobre 1990, la première promotion de quatre-vingt-dix auditeurs, tous boursiers, sélectionnés parmi plus de cinq cents candidats soumis à un concours très difficile, prenait ses premiers cours, et quatre chefs d’État, le 4 novembre, inauguraient officiellement et superbement l’Université Senghor, en présence du Président Senghor lui-même.
Aujourd’hui, on me demande la recette de cette rapidité. Elle est simple, et je vous la communique bien volontiers. Elle s’appelle l’amitié, la concentration, la mobilisation des amitiés. Et voilà tout. Beaucoup de ces amis sont ici, dans cette salle ; je vois leurs visages; je me rappelle leurs enthousiasmes, leurs voyages, leurs travaux. Je les remercie du témoignage qu’ils ont donné de la merveilleuse solidarité des peuples qui ont la langue française en partage.
Sur celle-ci, je voudrais rappeler, pour clore mon propos, ce mot du pape Paul VI, qui la choisissait souvent pour exprimer ses pensées les plus profondes : « Le français permet la magistrature de l’essentiel. »
Magistrature, magister, maître.
Messieurs les maîtres ès langue française, l’essentiel est entre vos mains.