Discours de réception de M. de Moncrif

Le 29 décembre 1733

François-Augustin PARADIS de MONCRIF

M. de MONCRIF ayant été élu par Messieurs de l’Académie Françoise a la place de feu M. L’EVESQUE DE BLOIS, y prit séance le mardy 29. Décembre 1733. & prononça le Discours qui Suit.

 

Messieurs,

Je ne puis mieux employer le moment où je jouis, pour la première fois, de l’honneur de vous être associé, qu’à vous exposer l’idée que j’ai conçue des travaux qui vous rassemblent.

Se représenter l’Académie Françoise occupée uniquement à cultiver notre Langue, c’est lui donner un éloge, dont on ne sent pas toujours toute l’etenduë. Le progrès de la Langue n’entraîne-t’il pas nécessairement le progrès de l’esprit ?

Lorsque par le concours de vos lumières, vous fixez le sens véritable de chaque mot ; que vous démêlez les nuances (si j’ose m’exprimer ainsi) de ces expressions qui semblent appartenir à une même idée, & qui placées comme elles doivent l’être, diffèrent si sensiblement entr’elles ; quand vous faites connoître en quoi consistent ces tours heureux, d’où naissent & la force & l’agrément du Langage, n’est-ce pas guider l’esprit dans la marche qu’il doit garder (quelque carrière qu’il se propose de remplir) pour être ou simple, ou profond, ou délicat, ou sublime ? N’est-ce pas enfin lui donner lieu de s’étendre, de se perfectionner ? Et que doit-on penser de ceux qu’une si noble fonction occupe ! On ne prête des secours à l’esprit, qu’en les empruntant de lui-même.

Il vous est aisé, MESSIEURS, de contribuer à ces deux progrès qui naissent réciproquement l’un de l’autre. Les autorités qui justifient vos décisions ne vous sont presque jamais étrangères : Vous n’avez, pour instruire, qu’à étaler vos propres richesses. Donnez-vous des préceptes ? Vos Ouvrages en sont en même-tems les exemples.

Disons encore avec cette confiance qu’inspire une vérité reconnue, les Ecrits les plus excellents en tout genre sont formés dans votre sein, ou ne tiennent leur principal mérite, que de ce qu’ils semblent vous appartenir.

Reconnoître l’utilité de cette Académie, & l’éclat qu’elle a répandu sur la Nation, c’est nommer votre Fondateur. Ce Cardinal, dont le génie également vaste & sublime, fit sentir à l’Europe que pour porter la France au plus haut degré de splendeur, il ne falloit que lui apprendre à se connoître : ARMAND, dis-je, après avoir étendu les limites, & multiplié les avantages intérieurs de l’Etat, s’empressa d’y ajouter ce Monument qui devoit en accroître la gloire. Qu’il ait pensé que c’étoit élever en même tems un trophée à la sienne, ce motif a toujours excité les grands Hommes. La vertu qui les anime, n’exclut pas le désir d’attirer la louange. Quiconque a sçû mériter un si noble tribut, n’a-t’il pas droit de chercher à en jouir ?

Un Ministre, occupé des vûës dignes de ses lumières supérieures, ne se rend pas toujours la Renommée également favorable : quand il auroit le succès le plus heureux dans les événemens, combien pendant les intervalles éprouve-t’il de jugemens injustes ? Tandis qu’il employe tout l’art de la plus sage politique, le profond mystère dans lequel il l’ensevelit, & qui en est lui-même le ressort le plus difficile à être assujetti, & peut-être le plus important, lui dérobe souvent la plus juste partie de la gloire qu’il devroit en recueillir.

RICHELIEU voulut former un établissement qui dès sa naissance présentât toute son utilité : Il sonda l’Académie Françoise.

L’effet répondit à son attente, l’ouvrage parut, il étoit perfectionné, & vous n’eûtes à pleurer à la mort de votre Fondateur, qu’une perte commune à toute la France. Vous aviez rassemblé trop de grands Hommes pour lui chercher un Successeur hors de vous. SEGUIER mérita d’être choisi ; il vous donna un asyle, & animé d’un zéle, qui ne pouvoit naître que dans l’ame d’un vrai Citoyen, il soutint un Etablissement dont un autre emportoit tout l’honneur.

Cétoit le Siécle des prodiges, LOUIS XIV regnoit. Les Nations les plus jalouses de sa puissance, ambitieuses de lui ressembler, imitèrent sa magnificence, adoptèrent ses maximes ; &: préférèrent à leur Langue naturelle, la Langue Françoise que vous aviez rendue si célèbre par les louanges de leur Vainqueur. Quel aveu plus éclatant de la supériorité de ce Monarque ! Ses ennemis les plus implacables ne purent s’empêcher de le prendre pour modèle.

Tout devoit marquer l’ascendant de LOUIS LE GRAND. Devenu votre Protecteur, il sembla qu’il avoit applani les routes pénibles, que les talens & la science avoient été forcés de suivre jusqu’alors. Vous vîtes bientôt avec étonnement les fruits précieux qu’un travail long & assidu ne produit encore que rarement, devenir un ornement nouveau de la jeunesse. M. l’Abbé de CAUMARTIN, lorsqu’il fut honoré de vos suffrages, étoit à peine à la fin de son cinquième lustre.

Les progrès, aussi grands que rapides, qui avoient déterminé votre choix, lui avoient peu couté : l’esprit en lui avoit fait la moitié de l’ouvrage.

Né avec cette pénétration vive qui saisit d’abord dans les choses ce qu’elles ont d’essentiel ; doué de cette imagination heureuse, qui sçait orner avec mesure ce qu’elle présente, comment M. l’Abbé de CAUMARTIN n’auroit-il pas réuni les connoissances étendues & la véritable éloquence ?

Vous sçavez combien sa conversation étoit solide en matière de science & de littérature ; mais vous avez sur-tout éprouvé ce charme qu’il sçavoit répandre sur les choses les plus dépourvues d’agrément par elles-mêmes ; cet art inexplicable qui ne s’acquiert que par l’habitude de vivre avec les personnes en qui il réside, & que ceux qui le possèdent le mieux ne peuvent eux-mêmes définir : espèce de magie, (si j’ose le dire) qui n’est point attachée à l’esprit supérieur, qui peut servir à l’embellir, & qui le plus souvent réussit encore mieux que lui.

Ce nétoit pas seulement ce qui rendoit le commerce de M. l’Abbé de CAUMARTIN si désirable ; ce grand nombre d’amis qu’il a conservés toute sa vie, & dont il avoit l’entiére confiance, en fait encore mieux l’éloge, & fixe la véritable idée de son caractère.

Quelque état qu’il eût embrassé, il étoit né pour en avoir les qualités les plus éminentes ; celles du Prélat avoient dès long-tems devancé sa nomination à l’Evêché de Vannes, d’où il a passé à celui de Blois. Je ne rappellerai point ici tout ce qui le rendoit recommandable : une autre Académie vous en a fait entendre un portrait historique, ou vous avez reconnu le langage de la vôtre .

Je devrois peut-être, MESSIEURS, ne vous parler que de vos regrets. Vous allez connoître qu’il peut m’être permis d’y mêler les miens.

Vous venez, en m’adoptant, de remplir une ambition que feu M. l’Evêque de Blois m’avoit inspirée ; il avoit depuis long-tems trouvé dans sa Famille des exemples de bonté & d’amitié pour moi, qu’il avoit daigné suivre, & dont les marques ne s’effaceront jamais de mon cœur. Combien de fois m’a-t’il témoigné le désir de m’accorder un jour son suffrage ? Le sort a voulu que ce fut M. l’Evêque de Blois lui-même, qui fit naître ce jour, où tant d’amertume a combattu ma joye : J’eusse été trop heureux si je n’avois eu que des grâces à lui rendre !

Vous êtes sensibles aux pertes que vous faites ; mais elles n’ont pu jamais vous allarmer sur la destinée de cette Académie : ses avantages deviennent plus assurés de jour en jour. Telle que dans sa première splendeur, Elle voit encore dans son propre sein, & l’appui, & le garant de sa gloire : Cet illustre Académicien si digne de l’etre par les grâces & l’élévation de son esprit, & dont vos Assemblées sont privées par ses grandes occupations ; ce Dépositaire modeste de l’autorité Royale, n’attire-t’il pas incessamment sur l’Académie les regards favorables du Monarque qui la protège, tandis que le Héros dont la France a si souvent couronné les Victoires, invite les Muses Françoises à de nouveaux chants de triomphe. Oui, MESSIEURS, croyons-en la voix de l’Europe entière, tout ce qui fait la véritable grandeur de cet Empire, ne peut que recevoir un nouveau lustre sous le Règne d’un Roi jeune, & l’amour de ses Sujets.

Je n’ai point encore laissé parler les sentimens dont m’a pénétré le choix que vous avez daigné faire de moi. Je n’avois point à craindre qu’ils vous parussent douteux : les grâces qui flattent l’amour propre de celui qui les reçoit inspirent bien sûrement la reconnoissance la plus sensible, & la mienne est fondée sur des motifs encore plus puissans. Assez heureux désormais pour partager vos occupations, quelque haute idée que je me sois faite de cette Académie ; je verrai sans doute la vérité passer encore mon attente. Je sçai qu’il est des objets de notre admiration, qui bien loin de perdre à être examinés de près, nous frappent au contraire plus vivement, & s’embellissent à mesure qu’on peut les distinguer, & les connoître davantage. Le Prince à qui j’ai l’honneur d’être attaché me le fait éprouver tous les jours : il semble par l’habitude de l’approcher (& il est bien rare que de l’habitude naissent des sujets d’éloge) il semble, dis-je, qu’en lui l’éclat du rang ne soit que la recompense des qualités personnelles. Si l’accueil dont il favorise manifestement le mérite Littéraire & les Arts ; si la protection dont il m’honore, ont contribué à m’élever à la place où je me vois ; quelle est ma joye de pouvoir me flater que mon assiduité à vos Assemblées, mon zéle à profiter de vos lumières, me donneront lieu de justifier ses bontés, vos suffrages, & l’honneur dont je vais jouir parmi vous.

L’éloge prononcé par M. de Boze à l’Académie des Belles Lettres.

S.E.M. le Cardinal de Fleuri.

M. Le Maréchal de Villars.

S. A. S. Monseigneur le Comte de Clermont.