Discours de réception de Louis de Broglie

Le 31 mai 1945

Louis de BROGLIE

Réception de M. Louis de Broglie

 

M. Louis de Broglie ayant été élu par l’Académie française à la place vacante par la mort de M. Émile PICARD, y est venu prendre séance, le 31 mai 1945 et a prononcé le discours suivant :

 

Messieurs,

L’honneur d’être appelé à siéger parmi vous a toujours été considéré, à juste titre, comme l’un des plus grands qu’un Français puisse recevoir, et les hommes de pensée ou d’action sur qui se porte votre choix peuvent y voir le couronnement de leur carrière et la consécration suprême de leurs efforts. Dans vos rangs sont représentées, d’une façon permanente, toutes les formes élevées des activités et des valeurs humaines. Vous n’êtes pas seulement l’Académie des Lettres, vous êtes l’Académie de la Pensée française.

Aussi n’est-il pas surprenant que vous ayez toujours réservé, parmi vous, quelques places aux représentants de la pensée scientifique, et l’on voit figurer sur la liste glorieuse de vos prédécesseurs plusieurs des plus grands savants qui ont honoré notre pays par l’éclat de leurs travaux et de leurs découvertes. Vous comprendrez donc aisément avec quels sentiments de gratitude où quelque confusion se mêle à la reconnaissance, je vous ai vus récemment ajouter mon nom à tant de noms illustres. Comment ne ressentirais-je pas dans toute son étendue l’honneur que vous m’avez fait ? En venant m’asseoir à vos côtés près de mon frère, je puis me dire qu’après d’Alembert, Laplace, Claude Bernard, Berthelot, Pasteur, Henri Poincaré, Émile Picard et d’autres encore, je deviens auprès de vous l’un des ambassadeurs de la science française. C’est là, certes, une mission dont on sent à la fois la grandeur et le poids, et il est naturel de se demander dans quelle mesure on en est digne. Quelque chose, néanmoins, me rassure et me fait espérer de n’être point trop inférieur à la tâche que vous m’assignez ; c’est la sympathie et l’estime que m’a toujours témoignées une autre illustre Compagnie, sœur de la vôtre, qui m’a confié naguère de délicates fonctions dans des temps difficiles. Soutenu par le sentiment de votre confiance, je m’efforcerai donc de me montrer digne de votre choix en cherchant par mes travaux et ceux de mes élèves à contribuer, dans toute la mesure de mes forces, au rayonnement de la pensée française. Le relèvement de la France qui, nous le voulons tous, suivra sa libération, doit s’accompagner d’une grande renaissance de toutes les activités françaises, notamment dans le domaine de l’esprit. Notre pays, patrie de tant de grands penseurs, berceau de tant de grandes découvertes, a toujours joué dans le monde un rôle du premier rang dans le progrès des sciences. Il en fut ainsi hier ; il importe essentiellement que demain il en soit encore de même. Tel est, je pense, le sens profond, dépassant de beaucoup ma modeste personne, qu’il faut donner au choix que vous avez fait en m’appelant à siéger parmi vous.

Savant moi-même, succédant ici à un autre savant, il est naturel que je me demande quelle place exacte tient la recherche scientifique parmi l’ensemble des activités spirituelles, diverses qui sont représentées au sein de votre Compagnie. Bien des gens se figurent les Sciences sous l’aspect de disciplines austères qui ne font aucune part à l’imagination, ni à la spontanéité individuelle, et ils les opposent ainsi de la manière la plus complète aux Lettres et aux Arts. Les mathématiques allant de conclusion en conclusion par de rigoureux syllogismes, tenues en lisière par l’implacable exactitude de la langue algébrique, ne dévident-elles pas inexorablement un écheveau dont la texture est entièrement donnée à l’avance ? Les sciences de la nature ne sont-elles pas entièrement enchaînées par la nécessité de rendre compte des faits observables, par l’obligation d’énoncer, sans y pouvoir rien modifier, des lois naturelles dont elles ne peuvent que constater l’inflexible nécessité ? Quelle place, peut-il y avoir dans de pareilles études pour les élans de l’imagination, pour les grâces de l’esprit, pour les nobles inspirations du sentiment esthétique ?

Et pourtant, tous ceux qui ont eux-mêmes consacré leur vie à quelque branche de la Science et se sont efforcés de contribuer à ses progrès savent bien qu’il n’en est point ainsi. Sans doute, le savant est-il moins libre dans ses conceptions et ses créations que ne le sont le poète, le romancier et l’artiste. Les règles de la logique, les lois de la nature sont là pour endiguer et canaliser les fantaisies de son imagination. Mais il s’en faut que ces barrières lui enlèvent toute possibilité d’initiative et l’obligent à suivre une voie tracée d’avance. À l’intérieur du domaine limité par les règles de la logique, en présence de l’immense complexité des phénomènes observables, le mathématicien, le physicien ou le naturaliste aura à tracer les voies qui lui permettront de relier les faits, d’en faire la synthèse et d’édifier ces vastes et souvent admirables constructions de l’esprit qu’on nomme des théories. C’est alors qu’interviendront la finesse de jugement et les dons d’intuition du savant ; c’est alors qu’il doit se laisser guider par le sentiment de la grandeur du but à atteindre et de l’élégance des moyens à employer pour y parvenir. C’est dans l’accomplissement de cette tâche délicate qu’il lui sera utile et souvent nécessaire de posséder une sensibilité affinée, une imagination vive et cette force de l’esprit que seule peut donner une vaste culture.

Pour pouvoir soulever un coin du voile des apparences sous lequel se cachent les insondables mystères du réel, il faut être guidé par des intuitions profondes et par un sentiment puissant de l’harmonie et de la beauté du monde. Comme si elle n’était qu’une vaste œuvre d’art, la Nature ne livre ses intimes secrets qu’à ceux qui savent en comprendre la beauté. Ainsi la Science, dans ce qu’elle a d’élevé, n’est pas une sèche nomenclature de théorèmes ou de résultats expérimentaux ; elle est le tableau de la réalité éclairé par la lumière de la pensée humaine. On a dit de l’Art qu’il était l’homme ajouté à la nature ; tout aussi bien, peut-on en dire autant de la Science.

Quand on a bien compris à quel point les qualités de l’esprit et de l’imagination sont nécessaires pour l’accomplissement de toute œuvre scientifique importante, on ne s’étonne plus de constater presque toujours chez les grands pionniers de la Science une sensibilité vive quoique parfois contenue, un esprit élevé, une culture raffinée. Beaucoup d’entre eux ont été les représentants d’une sorte d’humanisme scientifique un peu différent sans doute de l’humanisme des lettrés, mais qui lui aussi possède une haute valeur intellectuelle et un incontestable charme. Dans l’œuvre de ces savants la précision de la pensée et l’élégance de la forme contribuent à adoucir ce qu’ont parfois d’un peu austère les sujets traités, et les rendent ainsi plus accessibles à un cercle étendu de lecteurs cultivés.

 Qu’une telle tradition se maintienne parmi les savants, c’est une chose plus souhaitable à notre époque qu’à toute autre. Le grand danger que présente, en effet, l’admirable foisonnement des découvertes dans toutes les branches de la connaissance scientifique pour la période contemporaine, c’est l’éparpillement des efforts, la spécialisation trop grande des chercheurs, le risque de perdre de vue les idées générales et les lignes directrices au milieu de l’abondance et de la complexité des faits particuliers. Contre ces dangers qui s’accroissent chaque jour, un seul remède peut être efficace : l’effort de synthèse d’esprits vigoureux, munis de vastes connaissances et capables de dominer les questions en les contemplant de haut. Encore faut-il que ces savants soient eux-mêmes, dans la branche du savoir humain qu’ils cultivent, des maîtres et des créateurs ; cela seul peut leur donner l’autorité nécessaire pour servir de guides et d’interprètes à la pensée scientifique de leur temps, et pour parler en son nom ; cela seul peut leur permettre d’éviter le péril des jugements superficiels ou des vulgarisations douteuses. La France a toujours eu le précieux privilège de posséder un bon nombre de ces hommes de science à la fois auteurs de grandes découvertes et esprits philosophiques d’une large envergure. Que notre pays n’ait point perdu, dans les temps contemporains, l’aptitude à produire de tels hommes, c’est ce qu’à lui seul suffirait à démontrer l’illustre exemple de celui que j’ai le périlleux honneur de remplacer parmi vous. ­

M. Émile Picard était un grand virtuose des plus hautes spéculations abstraites. Il était essentiellement ce que le langage technique des mathématiciens appelle un analyste. Sans doute, il apporta bien souvent à d’autres branches des mathématiques et de leurs applications, à l’arithmétique, à la géométrie, à la mécanique, à l’astronomie et à la physique mathématique des contributions d’une grande valeur, mais c’est surtout l’analyse, c’est-à-dire l’étude générale des fonctions et du calcul différentiel et intégral dans ses formes les plus élevées, qu’il a fait bénéficier des découvertes de son génie créateur ; dans ce domaine, son œuvre fut immense par l’étendue comme par la profondeur, et la trace en restera ineffaçable dans les siècles à venir. Mais si, du point de vue proprement scientifique, il fut un savant assez spécialisé, l’extraordinaire ampleur de ses connaissances en toutes matières, l’étendue de sa culture, l’élévation de sa pensée lui ont permis de jouer dans la science française moderne ce rôle de guide et d’interprète dont je parlais tout à l’heure. Quand on embrasse d’un seul coup d’œil l’ensemble de son œuvre de savant, de professeur, d’académicien, de secrétaire perpétuel, quand on évoque le souvenir de ses brillantes interventions dans les assemblées dont il faisait partie et de ses étincelantes conversations, on reste confondu par l’universalité des connaissances qu’il a possédées ; il se tenait au courant de tous les progrès dans toutes les branches de la science, même dans celles qui s’éloignaient le plus de ses propres préoccupations : son érudition sur ce qui touche à l’histoire des sciences et de la pensée humaine était immense ; les littératures anciennes et modernes lui étaient familières ; les études historiques n’avaient pas cessé de retenir son attention. Aussi ce savant, dont l’œuvre géniale était assez étroitement localisée dans le domaine particulier de l’analyse mathématique, a-t-il été au plus haut degré le représentant de cette sorte d’humanisme scientifique que je définissais tout à l’heure, attitude de l’esprit où à une connaissance approfondie des conquêtes anciennes ou récentes de la science s’unit une vaste culture générale, une aptitude particulière à dégager les aspects philosophiques des problèmes ainsi que le culte de toutes les valeurs morales et spirituelles qui font la grandeur de l’homme.

M. Charles-Émile Picard était né à Paris le 24 juillet 1856. Sa famille était d’origine bourguignonne. Son père dirigeait une fabrique de soieries près de Soissons, fabrique dont les produits étaient vendus à Paris dans un magasin situé rue du Faubourg-Saint-Denis ; c’est dans ce quartier commerçant de la capitale que fut élevé votre futur confrère.

M. Picard fit ses études entre 1864 et 1874 d’abord au lycée de Vanves, puis au lycée Henri-IV. Il y eut des maîtres éminents dont plusieurs devaient plus tard parvenir à la célébrité et même siéger parmi vous, comme ce fut le cas de M. Ernest Lavisse. L’adolescent fut d’abord attiré surtout par les études littéraires ; les grandes œuvres des écrivains de l’Antiquité avaient pour lui beaucoup d’attraits, et il conserva toujours pour elles et pour la culture classique une vive prédilection. Les études mathématiques ne le séduisirent qu’assez tard : ce fut d’abord l’algèbre qui le passionna, l’algèbre qui est, en quelque sorte, le préambule et le premier chapitre de cette analyse mathématique à laquelle il allait consacrer sa vie.

À ce goût juvénile de M. Picard pour l’algèbre se rattache une anecdote que tous ses biographes se sont plus à répéter. Pendant le siège de Paris durant l’hiver de 1870, M. Picard était dans sa quinzième année. La circulation à l’intérieur de Paris était alors périlleuse en raison des bombardements auxquels certains quartiers de la ville étaient soumis par l’artillerie ennemie. Le quartier latin était l’une de ces zones dangereuses, et les parents de M. Picard lui avaient bien recommandé de ne point s’y rendre. Mais le jeune homme était si passionné pour l’algèbre dont il venait de découvrir les beautés que, désobéissant à ses parents, il alla un jour rue Soufflot, chez un libraire, pour y acheter un livre consacré à sa science préférée. Ses parents en furent très inquiets et auraient peut-être, à son retour, vertement tancé le jeune et imprudent algébriste si le soulagement qu’ils éprouvèrent en le voyant revenir sain et sauf ne les avaient disposés à l’indulgence.

Les souffrances morales et les privations matérielles qui accompagnent, nous ne le savons que trop, la défaite et l’invasion eurent de graves répercussions sur la santé du père de M. Picard qui mourut en février 1872. Sa veuve fit courageusement face à une situation matérielle difficile pour permettre à ses deux fils d’achever leurs études. M. Émile Picard, s’orientant définitivement vers les études scientifiques, prépara et passa brillamment les concours d’entrée de 1’École normale et de l’École polytechnique. Il eut alors à faire un choix difficile entre ces deux illustres maisons dont l’une est consacrée à la science pure, tandis que l’autre fait une plus large place aux questions d’application, mais qui toutes deux ont puissamment contribué au progrès des sciences en France, et avaient déjà derrière elles un long et glorieux passé. M. Picard opta finalement pour l’École normale : il prit, dit-on, cette décision à la suite d’un entretien avec Pasteur, alors directeur adjoint de l’établissement de la rue d’Ulm. Pasteur jouissait d’une grande célébrité : la noblesse de son caractère, l’enthousiasme avec lequel il consacrait ses forces à la recherche comme à un véritable apostolat lui donnaient une grande influence sur la jeunesse. Il adjura M. Picard de s’engager dans la voie de la science pure en optant pour l’École normale, et son puissant ascendant entraîna la décision du jeune homme.

Devenu normalien, M. Picard se révéla tout de suite comme un mathématicien doué de la plus forte originalité de pensée. Il n’était pas encore sorti de l’École que déjà il présentait à l’Académie des Sciences des notes qui attiraient l’attention de tous les géomètres, et peu après, il obtenait simultanément le doctorat et l’agrégation.

Son génie mathématique naissant s’imposait tellement à l’estime de ses maîtres qu’il était, dès sa sortie de l’École normale, chargé de conférences à la Sorbonne. On le voit alors multiplier ses travaux et manifester dans les branches les plus hautes et les plus difficiles de l’analyse mathématique les découvertes les plus remarquables. C’est dès 1879, à l’âge de vingt-trois ans, qu’il énonce les deux célèbres théorèmes étroitement apparentés, qu’on nomme les théorèmes de Picard, et qui sont restés parmi ses plus beaux titres de gloire. Dans cette période de prestigieux débuts, il fut encouragé et guidé dans ses travaux par un maître illustre, grand et profond analyste, dont la noble et austère figure domine l’histoire des mathématiques françaises dans la seconde moitié du XIXe siècle, M. Charles Hermite. Entre Hermite et Picard s’établit peu à peu, malgré la différence des âges, une sympathie qui se transforma en amitié, et ces liens d’amitié devinrent des liens de famille le jour où M. Picard épousa la fille d’Hermite.

À cette époque, la carrière de M. Picard devient de plus en plus brillante. En quelques années, il accumule les découvertes les plus remarquables. Tous les maîtres de la mathématique rendent hommage à son précoce et vigoureux génie, et après un court séjour dans une faculté de province, il revient à Paris en 1881, âgé seulement de vingt-cinq ans, pour assurer une suppléance en Sorbonne. Il était encore si jeune que, quelques années plus tard, au moment où devint vacante la chaire de Calcul différentiel et intégral, on ne put la lui attribuer tout de suite parce qu’il n’avait pas encore atteint l’âge légal de trente ans. Dès qu’il l’eût atteint, cette chaire lui fut officiellement confiée, et alors commença pour lui sa longue carrière de professeur à la Faculté des Sciences de Paris qui devait se prolonger jusqu’à sa mise à la retraite à soixante-quinze ans, en 1931. Cette carrière universitaire ne fut marquée que par un seul changement : en 1897, à la retraite de son beau-père M. Hermite, il lui succéda dans la chaire d’Analyse supérieure, chaire qui, en Sorbonne, correspond à un enseignement plus élevé que celle de Calcul différentiel et intégral. M. Émile Picard était le grand maître de l’Analyse supérieure en France : il l’enseigna avec la plus grande autorité pendant près de trente-cinq ans, et l’influence du professeur fut à la hauteur de la gloire du savant.

Ainsi parvenu rapidement au sommet des honneurs universitaires, M. Picard, auréolé par l’éclat de ses travaux et par les récompenses qu’ils lui avaient values, put, pendant de longues années, tout en poursuivant ses recherches personnelles, faire profiter de son lumineux enseignement la jeunesse studieuse qui s’empressait autour de lui. Resté en activité durant plus de cinquante ans, il eut le temps de former de nombreux élèves : tous les mathématiciens des générations suivantes ont subi plus ou moins l’influence de sa pensée, et lui doivent une partie importante de leur formation. L’élégance et la rigueur de ses démonstrations, le bel enchaînement de ses raisonnements servirent à beaucoup de modèles et de guidés.

M. Émile Picard n’eut pas non plus à attendre longtemps les distinctions académiques : Dès l’âge de vingt-cinq ans, il figurait sur la liste de présentation à la section de Géométrie, à l’Académie des Sciences. En 1888, la savante Compagnie lui décernait le grand prix des sciences mathématiques, et le 11 novembre 1889, elle l’appelait à siéger  dans la section de Géométrie. M. Picard n’avait alors que trente-trois-ans, et déjà à cette époque les portes des Académies ne s’ouvraient plus que bien rarement devant des hommes aussi jeunes. Cette consécration précoce mais méritée de son œuvre mathématique permit à M. Émile Picard de siéger pendant plus d’un demi-siècle à l’Institut de France et de devenir, à la fin de sa vie, le doyen d’élection des cinq Académies.

J’arrive ici, messieurs, à la partie la plus difficile de ma tâche, car je devrais maintenant vous donner un résumé des travaux mathématiques de M. Émile Picard. Mais ces travaux, dont l’étendue est immense, portent sur des sujets si difficiles, sur des problèmes si ardus des hautes mathématiques, que seuls les spécialistes de l’Analyse peuvent en apprécier la valeur et en mesurer la portée. Je ne chercherai donc point à faire ici un tableau complet de l’œuvre scientifique de M. Picard, mais je m’efforcerai de vous en donner quelques brefs aperçus.

L’une des plus brillantes découvertes de M. Émile Picard fut celle des deux théorèmes qui portent son nom, et dont je vous ai déjà parlé. Il les découvrit à vingt-trois ans, par un admirable effort d’intuition où l’on voit jouer dans toute sa force le rôle de l’imagination créatrice dans la découverte scientifique. D’Alembert avait démontré, au XVIIIe siècle, un théorème célèbre suivant lequel, pour une fonction algébrique, il existe toujours une valeur de la variable, réelle ou imaginaire, qui annule la fonction. Est-il possible de généraliser ce théorème en l’étendant à des fonctions moins particulières que les fonctions algébriques ? C’est ce que tous les analystes s’étaient demandé depuis plus d’un siècle. La réponse paraissait devoir être négative, parce qu’on pouvait donner des exemples de cas simples où la proposition dont on cherchait la démonstration était sûrement inexacte. Avec une admirable perspicacité, M. Picard s’aperçut que les exemples cités correspondaient à quelques cas exceptionnels mais que, mis à part, on pouvait énoncer et démontrer les théorèmes dont depuis longtemps on soupçonnait l’existence. C’est là un mémorable exemple de la façon dont un savant de génie peut écarter d’un seul coup, et comme du revers de la main, un obstacle qui a arrêté pendant de longues années des générations de savants moins habiles. La découverte de M. Picard a soulevé une grande et légitime admiration chez les mathématiciens, et leur a ouvert des horizons nouveaux. À l’un des jubilés de M. Émile Picard, son ancien élève, M. Paul Painlevé lui disait : « C’était le temps où vous-même, par un surprenant effort synthétique, vous veniez d’arracher à l’inconnu ces deux fameux théorèmes sur les fonctions analytiques auxquels votre nom restera à jamais attaché. — Théorèmes révélateurs ! Tels deux caps d’un continent inconnu, découverts par quelques hardis navigateurs, font pressentir un monde mystérieux, monde si vaste et si riche que cinquante années d’exploration n’en encore image pas encore épuisé les secrets. » La belle image évoquée par le grand géomètre que fût M. Paul Painlevé ne montre-t-elle pas, d’une manière frappante, à quel point l’imagination et la sensibilité esthétique sont les ressorts essentiels de l’activité créatrice du savant ; même dans les domaines les plus abstraits ?

Pour exposer, fût-ce, sommairement, les innombrables travaux d’analyse de M. Émile Picard, il me faudrait avoir recours aux termes techniques d’aspect un peu rébarbatif du langage des mathématiciens ; il me faudrait vous parler d’équations différentielles, d’équations intégrales, de groupes de transformation ou d’intégrales doubles dans le domaine complexe ; mais ce sont là des choses qui n’intéressent guère que les adeptes des hautes mathématiques, et je risquerais fort de lasser votre attention en m’y arrêtant trop longtemps. Qu’il me suffise donc de vous dire que pour tous les difficiles problèmes qu’il a abordés, M. Picard a toujours apporté des vues nouvelles et profondes et des solutions originales. Pendant longtemps encore, des générations de mathématiciens s’occuperont à récolter les fruits des plantes vivaces qu’il a semées dans les jardins d’accès difficile de la haute Analyse.

M. Picard a fait presque exclusivement (mais avec quelle maîtrise !) œuvre de pur mathématicien. Il lui est cependant arrivé de résoudre quelques-uns de ces problèmes plus concrets où les mathématiques servent à interpréter les phénomènes naturels. C’est ainsi qu’il a trouvé une méthode nouvelle pour étudier la propagation des courants électriques le long des câbles en résolvant l’équation qui est bien connue des théoriciens de la physique sous le nom pittoresque d’équation des télégraphistes. C’est ainsi également qu’il s’est un jour amusé à résoudre un curieux problème posé par les expériences du physiologiste Marey. Celui-ci, inventeur des premières méthodes cinématographiques, s’en était servi pour prouver que, si on lance un chat en l’air, il retombe toujours sur ses pattes. Pour opérer un tel rétablissement, le chat doit, pendant son voyage aérien, faire tourner l’ensemble de son corps autour de son centre de gravité. Mais un pareil mouvement est-il compatible avec les lois de la mécanique ? Certains auteurs avaient exprimé des doutes à cet égard. M. Picard a montré que ces doutes n’étaient point fondés, et que les lois de la mécanique n’interdisaient nullement à l’agile félin de retomber toujours sur ses pattes et de servir ainsi de modèle à ceux qui, en toutes circonstances, savent se tirer d’affaire.

Si je ne puis vous parler en détail de l’œuvre mathématique de l’éminent analyste auquel j’ai l’honneur de succéder ici, je dois du moins citer le plus important des ouvrages dans lesquels il a réuni ses découvertes et ses enseignements. Je veux parler de son grand traité d’Analyse. C’est un vaste ouvrage en trois gros volumes, dont je ne conseillerai certes pas la lecture à ceux qui ont quelque peine à suivre les raisonnements abstraits, mais c’est une de ces œuvres magnifiques qui font époque dans l’histoire de la science, véritable somme des connaissances humaines en matière d’analyse mathématique au début de notre siècle. M. Picard a complété son grand traité en publiant toute une série de fascicules dans la collection des Cahiers scientifiques. Certains de ces fascicules furent écrits alors qu’il était déjà presque octogénaire. Leur lecture montre à quel point il avait conservé, à un âge avancé, cette maîtrise et cette sûreté de jugement dont il avait fait preuve dès sa première jeunesse.

M. Picard était, je l’ai dit, un homme d’une riche et haute culture : presque toutes les branches de la connaissance lui étaient familières. Mais parmi elles la philosophie et l’histoire des sciences avaient, comme il était naturel, particulièrement retenu son attention. Un esprit critique très aiguisé servi par une vaste érudition lui permettait de juger à leur juste valeur toutes les tentatives réussies ou manquées, toutes les démarches souvent vaines ou incertaines, mais parfois couronnées d’un succès éclatant, qui, au cours des siècles, ont permis à la pensée humaine d’avancer peu à peu sur la route malaisée du progrès scientifique. Pour les sciences mathématiques et pour celles qui en sont voisines, il était bien évident que M. Picard, par la formation de son esprit et la vigueur de sa pensée abstraite, devait être singulièrement apte à en suivre les évolutions, et à en bien apprécier les différents aspects. En revanche, on était plus surpris de le voir montrer la même compétence pour juger le progrès des sciences les plus éloignées de sa propre spécialité. Il pouvait parler des sciences naturelles, biologiques, médicales avec autant de précision et de sûreté que s’il eût été naturaliste, biologiste ou médecin ; il le devait à l’extraordinaire souplesse de son esprit qu’appuyait l’exactitude d’une imperturbable mémoire. Ce fut, semble-t-il, en 1900, à l’occasion de l’Exposition universelle que, sortant pour la première fois du domaine des hautes mathématiques, il se mit à faire œuvre de philosophe. Il avait alors été chargé d’écrire un chapitre sur les sciences dans l’introduction générale aux rapports du jury international de l’exposition. Il y traça, sous une forme synthétique et avec une grande largeur de vues, un tableau général de l’état des sciences à cette aube du XXe siècle. Le sujet dut l’intéresser vivement, car il ne tarda pas à développer son exposé pour en faire la matière d’un livre publié en 1905 chez l’éditeur Flammarion dans la collection de philosophie scientifique du docteur Gustave Le Bon, sous le titre La science moderne et son état actuel.

C’est un très bel ouvrage, et bien que les sciences aient depuis lors beaucoup progressé, la lecture en reste captivante. Son avant-propos, intitulé De la Science, contient quelques-unes des plus belles pages que la philosophie scientifique française ait produites. Plus d’un jeune homme, sentant s’éveiller dans son cœur la passion de la recherche, lira avec enthousiasme la belle péroraison de cet avant-propos, péroraison où M. Picard, tout en conservant l’attitude mesurée et prudente qu’il à toujours adoptée en jugeant les progrès de la Science, laisse cependant échapper, dans de nobles paroles, l’expression de son idéalisme et de sa foi dans l’avenir. « Se rendre compte, dit-il, de la relativité de nos connaissances qui ne nous font connaître que des rapports, les générations de savants avancent au milieu de complexités croissantes dans leurs approximations successives ; ils ont confiance dans le postulat de leur convergence et espèrent trouver, au bout de ce labeur jamais terminé, une unité déjà rêvée par les sages d’Ionie, unité dont la découverte fera peut-être quelque jour l’honneur de l’esprit humain. »

Dans ses jugements sur les progrès des Sciences, M. Picard était toujours protégé contre toute exagération ou toute attitude trop rigide par un esprit critique très aiguisé, et par une grande largeur d’esprit. Il insistait avec raison sur le fait que la science résulte du travail de l’esprit sur les données de l’expérience et que sa valeur est, par suite, essentiellement humaine. Il désavouait ceux pour qui, disait-il, « la science n’est qu’un sujet de dissertation, et qui cherchent surtout à opposer une idole à d’autres idoles ». Il recommandait de montrer toujours la plus grande largeur d’idées dans l’appréciation des théories et des opinions, rappelant que l’esprit souffle où il veut, et que l’invraisemblable d’aujourd’hui peut devenir la vérité de demain. Il avait confiance dans le perpétuel renouveau de la pensée scientifique, et les étonnantes découvertes qui se sont succédé depuis un demi-siècle, notamment dans les théories de la Physique, ont bien montré depuis lors combien il avait raison.

L’immense érudition de M. Émile Picard, la hauteur de ses vues sur les sciences et leur histoire, l’impression de force intellectuelle et de supériorité qui se dégageait de toute sa personne lui avaient conféré une grande autorité dans tout le monde savant, et sa renommée s’étendait bien au delà des limites ordinaires des cercles scientifiques. En 1917, l’Académie des Sciences l’élevait aux fonctions de secrétaire perpétuel, et en 1924, vous l’appeliez parmi vous. Il remplaçait dans vos rangs un homme qui, par sa formation, était également un homme de science et qui, lui aussi, avait écrit de belles pages sur la philosophie des sciences, mais qui devait cependant sa carrière d’homme d’État la plus grande partie de la célébrité : M. Charles de Freycinet. Votre choix, en se portant sur M. Émile Picard, couronnait ainsi l’œuvre philosophique d’un mathématicien de génie.

Depuis son entrée parmi vous, M. Émile Picard a publié, en les réunissant en plusieurs volumes, les belles notices biographiques que ses fonctions de secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences l’amenaient périodiquement, suivant un usage qui remonte à Fontenelle, à consacrer à la vie et à l’œuvre d’un membre défunt de la savante Compagnie. C’est un véritable plaisir pour l’esprit de parcourir cette magnifique galerie de portraits où se détachent les vivantes figures de nombreux savants de célébrités inégales sans doute, mais tous ennoblis par une longue vie de travail et par l’accomplissement de quelques belles œuvres. Votre confrère excellait dans ce genre de portraits, et dans chacun d’eux il savait mettre en relief ce qu’il y avait d’essentiel dans les résultats obtenus par le savant, tout en évoquant avec exactitude la figure et la carrière de l’homme. Son esprit fin et volontiers caustique se plaisait à soutenir par de piquantes anecdotes l’attention du lecteur que l’exposé parfois, un peu austère de difficiles travaux scientifiques aurait pu lasser à la longue. Ainsi s’affirmait la souplesse d’un talent d’ailleurs si ferme et si robuste.

L’admirable précision de sa mémoire lui fournissait sans cesse des citations appropriées qu’il plaçait avec à propos dans son discours, comme un jardinier expert sait agrémenter avec art un parterre des fleurs les plus gracieuses, en les plaçant aux bons endroits. Tantôt, évoquant une pensée profonde d’Henri Bergson, après nous avoir montré la puissance de l’humanité centuplée par les moyens nouveaux que la science met à sa disposition, il s’écriait avec le grand philosophe que « ce corps agrandi réclame un supplément d’âme ». Tantôt, analysant le côté philosophique de l’œuvre de l’original penseur que fut M. Joseph Boussinesq et opposant l’une à l’autre les doctrines antagonistes du déterminisme et de la finalité, il cherchait à montrer qu’elles n’étaient peut-être point aussi opposées que l’on pourrait le croire, et après avoir cité une phrase de Hegel : « L’effet est peut-être la cause de la cause », il la renforçait en évoquant la poétique image d’Émile Boutroux : « Si l’aurore précède le soleil, c’est qu’elle en émane ». Et ainsi, comme en se jouant, M. Picard montrait à tous la vaste étendue de sa prodigieuse culture.

De M. Picard, j’ai cherché jusqu’ici à évoquer devant vous l’œuvre immense et éclatante de mathématicien et de penseur. Mais je ne saurais me dispenser de faire revivre un instant à vos yeux la forte personnalité de l’homme.

Son caractère était ferme et droit. Il apportait dans ses décisions un esprit réaliste et une grande énergie, qualités qui ne sont pas toujours le fait des hommes consacrés à la pensée pure, et qui formaient un contraste singulier avec la nature très abstraite de ses travaux. Travailleur infatigable, il avait une aptitude particulière à saisir les questions dans toute leur ampleur, à les dominer dans toute leur étendue. Cette aptitude, qui se marquait dans tous ses écrits, donnait aussi beaucoup de valeur et de charme à ses entretiens. La faculté d’apprécier d’un seul coup d’œil les hommes et les choses, la verve avec laquelle il savait traduire ses jugements parfois sévères rendaient sa conversation vive et même étincelante. Ses interventions dans les assemblées dont il faisait partie étaient souvent piquantes à entendre, tant il savait envelopper dans des formes courtoises les allusions d’une malicieuse ironie.

Sa curiosité d’esprit était universelle. Au cours de sa longue existence, il avait fait des lectures si étendues, étudié des sujets si divers, il avait accumulé dans sa mémoire fidèle tant de connaissances variées, que ses interlocuteurs en étaient toujours surpris. Il lui arrivait fréquemment, au cours d’une conversation, de citer à l’impromptu quelque passage d’un auteur de l’antiquité ou de rappeler, avec une incroyable précision, tel petit fait peu connu de l’histoire, du haut Moyen-Âge. Voilà qui ne manquait pas d’étonner ceux qui ne voyaient en lui que l’un des plus grands maîtres des mathématiques françaises.

Dans sa jeunesse, M. Picard, toujours studieux et équilibré, avait partagé son temps entre de longues séances de travail et les obligations de sa vie familiale. Cependant, les exercices physiques ne lui déplaisaient pas : l’alpinisme, la gymnastique, les longues marches à travers la campagne lui servirent longtemps de passe-temps. Il aimait beaucoup les voyages, et en fit un grand nombre pendant sa vie. Il s’intéressait particulièrement aux pays qui, comme l’Égypte, la Grèce ou l’Italie, ont eu un glorieux passé, car sa vaste érudition lui permettait d’évoquer aisément les émouvants souvenirs des grandeurs d’autrefois.

M. Picard était animé d’un patriotisme ardent et profond, et pendant la guerre de 1914-1918, il se livra à une action de propagande pour stigmatiser la barbarie de nos ennemis, et railler finement les prétentions injustifiées de la culture germanique. Cette guerre fut d’ailleurs pour lui une dure épreuve. Son fils aîné, très bien doué, avait passé brillamment l’examen de l’Inspection des finances, et semblait destiné à un bel avenir. En 1914, à la mobilisation, il eût pu être affecté dans les services peu périlleux du Trésor aux armées, mais il préféra servir comme caporal dans une unité d’infanterie : il fut tué à Crouy, le 15 janvier 1915, et sa mort fut pour son père un deuil très cruel. D’autres épreuves l’attendaient : une de ses filles mourait en 1916 d’une maladie contractée au chevet des blessés dans un hôpital  militaire, puis son second fils, ancien élève de l’École des sciences politiques, mobilisé dans l’infanterie, sortait de la guerre profondément atteint dans sa santé, et mourait à son tour en 1924. Cette succession de deuils cruels, M. Picard les supporta avec une admirable force d’âme, mais sa vie en fut pour toujours assombrie.

Hélas ! il lui était encore réservé de voir une troisième fois les horreurs de la guerre apportées sur notre sol par nos voisins de l’Est, il lui était réservé d’assister à la défaite de la France, succombant dans un combat inégal et livrée à la brutale domination de l’ennemi. En 1939, M. Picard, âgé de quatre-vingt-trois ans, faisait encore l’étonnement de tous par la vigueur de sa verte vieillesse, car il avait conservé toute son activité physique et intellectuelle. Mais lorsqu’il revint de l’exode dans l’automne de 1940, il paraissait changé. Le spectacle des malheurs de notre pays l’accablait. Son intelligence restait lucide, mais sa santé commençait à chanceler et sa vue, menacée par la cataracte, s’affaiblissait.

Tandis qu’il penchait ainsi vers son déclin, une nouvelle souffrance morale lui fut infligée : son gendre, arrêté à l’instigation des occupants, dut subir une longue et pénible détention. Minées par tant de soucis, ses forces s’épuisaient, et le 11 décembre 1941, il s’éteignit dans l’appartement du Palais de l’Institut où il habitait depuis longtemps.

Ainsi M. Émile Picard n’a pas vu la libération de notre pays, il ne l’a pas vu, échappant à une lourde oppression, redevenir maître de ses destinées et renaître à l’espoir d’un avenir meilleur. Mais son âme de patriote l’avait toujours préservé de tout découragement, et il mourut sans avoir jamais désespéré des destins de sa patrie.

Triste période que celle qui vit le déclin et la mort de M. Picard ! La France gisait là, étendue comme dans un linceul : on aurait pu la croire morte si on ne l’avait sue immortelle. Mais sous la cendre froide, subsistait la braise ardente. Des hommes braves veillaient qui, par la vigueur de leur patriotisme et l’audace de leur action secrète, préparaient la libération prochaine. D’autres Français, moins héroïques sans doute mais non pas sans mérite, s’efforçaient de maintenir quelque vie spirituelle dans le grand corps inerte de la nation opprimée, et leur action aussi était bienfaisante.

Car ceux qui, restés en France, dans la lourde atmosphère de l’occupation, ont ainsi par leur travail, leur exemple ou leur enseignement contribué, dans cette triste période, à maintenir la continuité de la pensée française, ceux-là, qu’on ne l’oublie pas, ont eu l’immense mérite de préserver l’étincelle qui, demain, permettra l’embrasement du vaste foyer grâce auquel le génie de la France va de nouveau pouvoir rayonner sur le monde.

Couronnement de tant d’efforts patients ou héroïques, discrets ou éclatants, la grande heure de la rénovation a maintenant sonné. Derrière elle, la France va voir se lever, comme pour la soutenir et la réconforter, les nobles figures de tous ceux qui, comme M. Émile Picard, ont montré au- monde la force de son génie. Exaltée par de tels exemples, elle reprendra, elle va reprendre, la place que, dans le domaine de la pensée, elle a de tout temps occupée parmi les grandes nations du globe. Et cette place, messieurs, ce fut toujours, la première.