Discours prononcé le 15. Juin 1693. par Mr. l’Abbé BIGNON lorſqu’il fut reçû à la place de Mr. le Comte de Buſſi.
MESSIEURS,
La premiere grace qu’il vous a plû de me faire vous engage aujourd’huy à m’en accorder une nouvelle. Je ſçay que pour me donner la place où je me voy, vous n’avez pas attendu ces longues, ces eſclatantes preuves qui ſollicitent d’ordinaire vos ſuffrages, & je me perſuade auſſi que vous n’attendez pas de moy un de ces Diſcours, dont l’éloquente reconnoiſſance doit faire eſclater la juſtice de voſtre choix. Comment apporterois-je icy des talens que je viens y chercher ? Je ne ſçais encore que les admirer, & je ne veux me parer que de cette admiration vive & ſincere qui m’a tenu lieu de merite auprès de vous. Me trompay-je, MESSIEURS ? N’eſt-ce pas à l’amour qui m’eſt naturel pour les Lettres que je dois l’honneur où vous m’appellez ? Vous avez ſans doute voulu me recompenſer de ce titre hereditaire, vous avez fait grace à la perſonne en faveur du nom. Peut-eſtre avez-vous apperceu que desja la juſte ambition de ne pas degenerer m’engageoit en quelque commerce avec les ſciences, & vous voulez bien ne me pas laiſſer ignorer plus long-temps celle qui donne la vie & la parole à toutes les autres.
Souffrez donc que je conçoive de douces eſperances, que je m’occupe d’agreables idées. C’eſt en ces lieux où je me vois admis que ſe puiſe, pour la perfection des beaux Arts, l’eſprit qui les anime, les treſors qui les enrichiſſent, des lumieres fécondes, des recherches polies, un ſçavoir utile. Déſormais je me verrai aſſis au milieu de cette élite de Sçavans, nouveaux Héros de l’Empire des Lettres, qui font revivre en nos jours ce qu’Athénes & Rome ont eu de plus merveilleux ; & qui par l’heureux aſſemblage de tant de génies differemment inſpirez, preſentent à la fois tout ce que nous pourrions envier à d’autres climats, à d’autres ſiecles. Icy ſe forme ce beau concert de Muſes, ſerieuſes, enjouées ; ſeveres, badines ; ſçavantes, agreables, où tous les caracteres doivent entrer, où toutes les voix peuvent ſe faire entendre.
Vous le ſçaviez, MESSIEURS, lorſque ſans craindre l’ancienne antipathie des Lettres avec les Armes, avec la Cour, vous allaſtes y choiſir l’illuſtre Académicien à qui j’ay l’honneur de ſucceder. Jamais Sçavant nourri dans le doux repos du Parnaſſe, eut-il plus de gouſt & plus d’érudition ? On a mille fois entendu vanter à la Renommée la politeſſe de ſon eſprit, la delicateſſe de ſes penſées, un noble enjoüement, une naïveté fine, un tour tousjours naturel & tousjours nouveau, une certaine Langue qui fait paroiſtre toute autre langue barbare. Pour achever ſon éloge, dois-je adjouſter qu’il a gémi de la gloire qu’il s’eſtoit acquiſe ? Et les louanges que d’autres donneroient à ſes Ouvrages, dois-je les donner à l’Heroïque repentir qu’il en a marqué ? ou pluſtoſt ne puis-je pas eſperer qu’un jour nous admirerons ces travaux qu’un âge plus meur luy conſeilla ; & que cette Hiſtoire, digne, s’il ſe peut, de l’auguſte ſujet à qui il conſacroit ſes veilles, luy conſervera dans les ſiecles à venir une reputation auſſi pure, que ſes talens eſtoient ſinguliers ?
C’eſt parmi vous, MESSIEURS, qu’il découvrit ces routes qui menent à la ſolide gloire. Et qui peut mieux en inſtruire ? La monſtrer aux hommes, l’aſſeurer aux Heros, voilà voſtre partage & le noble employ que vous a deſtiné celuy, qui le premier forma cette celebre Compagnie. Comme il connoiſſoit le prix de l’Immortalité, il en voulut eſtablir de fidelles depoſitaires. Qu’il jouïſſe à jamais de la part qu’il s’eſt ſi legitimement acquiſe dans les honneurs qu’il vous a chargez de rendre à la vertu. De ces meſmes mains dont il jettoit les fondemens de la grandeur de l’Eſtat, il éleva ceux de l’Académie. Depuis ces temps, nous avons veu leurs deſtinées marcher, ſi j’oſe le dire, d’un pas égal, & les beautez de la Langue reſpondre aux proſperitez de la Nation.
Aujourd’nuy, MESSIEURS, quel dépoſt vous eſt confié ! Que Louis multiplie ſes exploits, qu’il étende ſes conqueſtes, c’eſt de vous que la Poſterité exigera le ſincere recit qui luy en eſt deu. Combien de Victoires ſignalées, combien de Paix plus glorieuſes encore que les Victoires ! combien d’entrepriſes reſervées à ſa Sageſſe ! combien de ſuccez aſſeurez par ſes vertus ! Combien de grandeur ! combien de bonté ! Vous devez, MESSIEURS, raconter toutes ces merveilles. Pour moy, qu’il me ſoit permis de m’arreſter à celle qui me touche de plus prés, à ces graces tousjours ſouſtenuës par de nouvelles graces qu’il prodigue aux Muſes ; à cette tranquillité ineſperée qu’il leur donne. Quand elles ſe verroient negligées aujourd’huy, ſeroient-elles en droit de le plaindre ? Tant d’Ennemis, tant de Triomphes, juſtifieroient aſſez Louis envers elles. Mais quoy ? Les titres pompeux de CONQUERANT luy ſeroient-ils oublier celuy de noſtre PROTECTEUR ? (car je me haſte de partager avec vous un tel honneur.) Pourroit-il oublier un nom qu’il ne dédaigna pas d’heriter d’un de ſes Sujets ? Sujet veritablement illuſtre, mais qui tiroit ſon plus grand eſclat de ſa fidelle obeïſſance aux Loix de ſon maiſtre. Non, MESSIEURS, l’Europe entiere liguée contre Louis ne peut l’occuper tour entier. Il a des ſoins encore à donner à la protection des Lettres, & le ſeul trouble que leur puiſſe cauſer la guerre allumée de toutes parts, le ſeul qu’il ne leur peut épargner, c’eſt l’embarras de répondre à ſes bienfaits.
Mais où me ſuis-je laiſſé emporter ? Charmé de voſtre bonheur, éblouï de voſtre gloire ; peut-eſtre trop ſenſible au plaiſir nouveau de me trouver aſſocié à l’un & à l’autre, j’ay preſqu’oublié ma foibleſſe, & tenté des ſujets dignes de toute voſtre eloquence. Pardonnez, IMESSIEURS, ces premiers transports. Le deſordre où me jette l’honneur que vous m’avez fait, eſt le plus fidelle interprete des ſentimens que vos bontez m’inſpirent.