Discours de réception de François Tristan l'Hermitte

Le 1 janvier 1648

François TRISTAN L’HERMITTE

DISCOURS prononcé par Mr. TRISTAN lorſqu’il fut reçû en 1648, à la place de Mr. de Colombi.

 

 

MESSIEURS,

L’HONNEUR que vous me faites de me recevoir en vôtre illuſtre Compagnie, eſt une grace toute pure que je reçois, & je m’en trouve ſi peu digne que je ne ſçaurois aſſez me louer de vôtre bonté. On diroit qu’en cette occaſion vous n’avez pas voulu vous ſervir de toute cette lumiere, qui vous eſt ſi naturelle, & par laquelle vous ſçavez ſi exactement diſcerner le prix & le rang de toutes les choies. Il ſemble que vous ayez voulu prendre en ma faveur le zele pour la capacité, & la ſimple inclination qui porte à faire eſtime des beaux eſprits pour l’excellence même de l’eſprit. Il eſt vray que l’agrément, dont il a plu à Monſeigneur le Chancelier de m’honorer, a pû donner le mouvement à vos ſuffrages, ainſi que le premier mobile donne le branle à tous les cieux : mais ce grand homme a voulu faire paroître en ce lieu que cette Juſtice éternelle, dont il eſt l’image vivante, n’eſt pas ſevere au dernier & que comme elle ordonne toujours punitions qui ſont au deſſous des crimes, elle decerne bien ſouvent des recompenſes qui ſont au deſſus des merites. Quoyqu’il en ſoit, MESSIEURS, je reçois la place que vous me donnez avec tres-grande reconnoiſſance & tres-grande ſatisfaction. Je me tiens même plus honoré par cet avantage, que n’étoient ceux que l’on nommoit pour le Conſulat en la ville de Rome. Ceux-là ne prenoient ſéance qu’entre les vainqueurs des Peuples barbares, & je prens place entre les vainqueurs de l’ignorance, & de la barbarie de ce ſiecle ; je fus mis au rang de ces grands Genies, qui s’étudient heureuſement à la recherche de la ſouveraine raiſon, & qui la font paroître au jour avec tous les ornemens qui luy ſont propres ; qui nous repreſentent la Theologie en ſa majeſtueuſe pureté, l’Hiſtoire en ſa curioſité grave & fidéle, & tout ce qu’on appelle les belles Lettres, avec un art pompeux & fleuri, & des graces toutes nouvelles.

Je vous remercie donc tres-humblement, MESSIEURS, d’une faveur qui pourroit pleinement contenter une ambition plus grande que la mienne, & vous proteſte que je me trouve aujourd’huy vengé par les propres mains de la vertu, de tous les mauvais traitemens que j’ay reçus de la fortune.