Réception de Bertrand Poirot-Delpech
M. Bertrand POIROT-DELPECH, ayant été élu à l’Académie française à la place laissée vacante par la mort de M. Jacques de LACRETELLE, y est venu prendre séance le jeudi 29 janvier 1987 et a prononcé le discours suivant :
Messieurs,
La recherche des honneurs m’a toujours paru un signe de « modestie incompréhensible » ! Ce n’est pas moi qui le dis ; c’est Flaubert, qui n’a pas refusé la Légion d’honneur, et qui songea sérieusement à rejoindre ici même Victor Hugo, mais qui devait être, le jour de ce bon mot, dans l’humeur altière que nous avons tous connue, où l’on ne souffre d’autres juges que la multitude, la postérité, ou soi-même.
Mieux vaut tenir que courir ! En acompte sur une immortalité hasardeuse et que nous ne serons plus là pour savourer, je n’ai pas dédaigné celle que confèrent, de notre vivant, quelques contemporains choisis. Je vous remercie d’avoir bien voulu récompenser une humilité qui fut naguère la vôtre et qui, sous un apparat trompeur, s’attache à votre Compagnie.
Je ne plaisante pas. Bien que le général de Gaulle ait pu dire du journal Le Monde, parlant à son fondateur : « je vous lis tous les jours... et ça me fait rire ! », on ne m’a pas formé, comme journaliste, à la galéjade ; et la circonstance n’y porte guère. Si je parle de modestie à votre propos, c’est que vous vous sentez moins en charge de vos renommées personnelles, je l’ai découvert, que de la langue française, cet héritage indivis de savoirs et de chimères dont je ne vois rien de plus glorieux, ni de plus exaltant, pour un homme de plume, que d’assurer la garde. Comme c’est aimable à vous, Messieurs, de m’y convier !
On dirait que la mort se venge des institutions vouées à la vaincre en y égrenant les deuils, en les peuplant d’ombres et de voix éteintes. À cet instant où les parents de sang font tant défaut, accordez-moi de me tourner en pensée vers le père et le frère de remplacement que j’ai comptés parmi vous.
François Mauriac a veillé sur mes débuts de grand dadais, comme Barrès l’avait lui-même soutenu. Il m’a donné des leçons d’ironie, quitte à m’inciter ensuite à plus de sérieux, et je l’entends encore, passant sous vos fenêtres, me prédire tendrement, de sa voix de confessionnal : « Vous en serez ! »
Le frère, c’était Jean-Jacques Gautier, voisin de théâtre pendant douze années de générales, ami lumineux, et qui m’a prodigué, au seuil de cette maison, les ultimes preuves d’une pudeur, d’un courage, d’une droiture qui faisaient, je le sais, votre admiration.
Je n’ai rencontré Jacques de Lacretelle qu’une fois, dans les années cinquante. Il donnait un bal pour sa fille Anne, en son gracieux hôtel du Trocadéro. Ma timidité m’a retenu de lui dire le choc que m’avait causé la lecture de Silbermann. Les jeunes gens devraient savoir qu’un compliment, même nigaud, fait toujours plaisir, au lieu de s’abstenir, par crainte de mal s’y prendre.
Au vrai, je peux l’avouer après trente ans, j’étais introduit à ce bal par un ami, sans y être invité, et je tremblais qu’on ne s’en aperçût. Je me contentai, donc de contempler à distance la silhouette immense du maître de maison. Je reverrai toujours son élégance de gentilhomme respirant ses roses à la fraîche, son flegme de parieur au pesage, la chevelure d’argent tirée au cordeau, le visage posé, presque nonchalant, et soudain capable de causticité, d’impatience.
Quelle allure ! « Le plus bel homme de la terre ! », avait confié Marcel Proust à Paul Morand, après avoir reçu le jeune Lacretelle boulevard Haussmann. Il était doté de ces grâces qui vous tiennent fidèle, toute la vie, à l’adolescence où elles sont écloses, et prolongent ses troubles. On reconnaît les grands écrivains à ce qu’ils ne quittent jamais tout à fait la patrie de l’enfance, faite d’intraitable retrait.
En appelant un benjamin à évoquer celui qui fut longtemps votre doyen, après avoir été lui-même le cadet de votre compagnie, en faisant se succéder des écrivains apparentés à deux grands journaux, vous avez pu penser que le hasard de vos urnes, si hasard il y a, avait bien fait les choses. Il les a mieux faites que vous ne l’imaginez !
Enfances confinées, répugnance à se livrer, fierté de penser tout seul et parfois contre soi, souci d’une prose sans désordres inutiles : vous ne pouvez savoir comme, depuis six mois que je vis au cœur de ses œuvres, je me sens en pays de connaissance, que dis-je ?, en familiarité, avec Jacques de Lacretelle ! De cette découverte par-delà l’espace et le temps, soyez également remerciés !
Miracle de la lecture ! Le tête-à-tête avec quarante ouvrages en apprend plus, sur un homme, que toutes les conversations, notamment sur ce qui ne s’avoue qu’à la longue, qu’à la dérobée.
Le notable dont vous regrettez la finesse affable était pétri de contradictions, dont est né son art. Châtelain, mais qui change de château; enraciné, mais avec une âme d’errant, à l’écart de tous les troupeaux; héritier, mais attiré par le risque des courses et des jeux; ami de Morand, en sympathie avec La Rocque, mais admirateur de Léon Blum, selon un éclectisme où il voit — comme on l’en approuve ! — la royauté de l’esprit.
Sous les airs placides couve une violence dont témoigne toute l’œuvre, pleine d’affrontements tenaces, de morts brutales, de suicides accablés. Le romancier n’a d’yeux que pour la face d’ombre de personnages meurtris, doubles désastreux de sa propre réussite.
« Je ne crois qu’à la logique, observe le jeune héros de Le Pour et le Contre, et c’est au hasard que je dois tout ! » Au hasard, vraiment ? Plutôt à ces « rendez-vous immanquables », comme les appelle Lacretelle, ces coups de pouce dont certains d’entre nous sont gratifiés par le sort, jusqu’à l’injustice criante, et qui feraient croire, pour un peu, à un dieu romancier...
Premier rendez-vous, dès la naissance, en 1888 : une mère protestante des Cévennes, très gidienne dans sa façon chagrine d’inculquer le péché en oubliant l’amour. C’est à elle, le père mourant tôt, que le lycéen devra de maudire la nature et ses fêtes, mais aussi de se reconnaître dans les réprouvés. Sans elle, se serait-il dressé au côté de Silbermann ? Croyez-en un ancien enfant de chœur : l’éducation protestante a, sur la catholique, l’avantage d’apprendre à désobéir !
Deuxième rendez-vous : une parente éloignée, Mme Menard-Dorian, qui a bien connu Victor Hugo et qui tient, près du bois de Boulogne, un des salons de la Belle Époque, républicain — ce qui est rare — et dreyfusard — ce qui l’est plus encore. Proust, familier des lieux, avec Blum et Reynaldo Hahn, s’en inspirera pour son clan Verdurin. Cette seconde mère, plus ouverte que la première aux scandales et aux ivresses du monde, a aussi permis Silbermann, et formé l’artiste.
« J’aime, affirmait Vigny, qu’un homme ait à la fois un caractère républicain, et le langage, les manières polies, de l’homme de cour. » Cet idéal, Lacretelle l’incarnait à ravir. Rappelez-vous comment, au mépris de menaces et d’incidents sans équivalent dans cette enceinte, il a tenu, recevant le duc de Lévis-Mirepoix au fauteuil de Charles Maurras, à dénoncer certaines bévues du « nationalisme intégral ».
Trouvant des mérites à Mussolini, il revient de Rome, en 1934, confirmé dans sa conviction d’homme grand que les dictateurs se recrutent chez les petits, et rendu méfiant par l’entourage fanatisé du Duce. « Je suis de ceux, écrit-il au retour, que les prêtres feront toujours douter du dieu !... »
Le lettré, en lui, conforte le républicain. Lorsque, avant la guerre, les ligues veulent abattre la gueuse par dégoût des mœurs parlementaires et des scandales, le lecteur de Saint-Simon observe, dans Le Pour et le Contre, que « le favoritisme et la prévarication allaient encore meilleur train sous Louis XIV que sous Albert Lebrun » !
J’oubliais un troisième rendez-vous du destin, celui-là bien romanesque : le mariage avec Yolande de Naurois, rencontrée de la façon dont rêve tout écrivain — dans un train... lisant un de ses livres ! La suite appartient aux secrets dont Jacques de Lacretelle était jaloux. Mais comment ne pas saluer en face de vous, entourée de leur belle descendance, celle qui a veillé, plus de cinquante ans, sur son bonheur et son labeur, partageant avec lui l’amour des vieilles pierres, et s’y dévouant après lui avec un entrain de jeune fille !
La vie d’un écrivain, c’est d’abord son œuvre. Ce n’est même qu’elle, s’agissant d’un homme aussi peu enclin à la confidence. C’est à peine si Jacques de Lacretelle livre la clef de sa vocation ! Fils de diplomate, il a songé aux Ambassades, tel le héros de Le Pour et le Contre, qui rôde sous les baies illuminées du Quai d’Orsay. Mais la solitude de son enfance le destinait à la vie différente et différée des livres. Il l’a beaucoup dit : « Je dois tout à la lecture, aux curiosités et aux enthousiasmes qu’elle éveille, puis au repliement sur soi et à l’ordre qui se fait en nous, à l’insu de notre entourage. »
Quelles lectures ? Celles qui suggèrent en disant peu : Flaubert, Stendhal, et Benjamin Constant — à qui on le comparera souvent. Dès avant d’écrire, il approche Anatole France, Gide, Proust, Mauriac, Maurois, dont il laissera des portraits aigus, nourris de leurs œuvres et non, comme on fait maintenant, de ragots !
La discrétion dont l’écrivain Lacretelle entoure sa vie privée, il l’étend à ses actes de citoyen. On saura à peine que Jacques de Lacretelle s’est engagé en 1914, que, chargé du discours de votre Académie sur les prix de Vertus, en 1942, il invita ici même les Français à cultiver l’espérance et à précipiter la fin de l’oppression. Il ira plaider la cause de son ami Paul Morand auprès du général de Gaulle, qui s’opposait à la venue parmi vous de l’ancien ambassadeur de Vichy, mais, contrairement à tant de mémorialistes à sensation, il ne révélera rien du dialogue entre ces deux géants de 1,93 mètre ; en bon romancier, il nous laisse l’imaginer, et c’est mieux ainsi.
On a compris que les livres, ceux qu’il vénère et ceux qu’il brûle d’écrire, se situent dans l’intime, et le bémol. Au diable les « ronflements de violoncelle et les aigrettes de feu » dont se gardait Flaubert ! Cette intériorité de nature et de culture, une surdité précoce l’y enfoncera davantage. Beethoven était si sourd, a-t-on plaisanté, qu’il croyait peindre; Jacques de Lacretelle aurait pu le croire aussi, tant il s’était fermé à nos vains fracas !
Lorsque le grand âge a affaibli sa vue, il prétendait entendre mieux. Improbable, m’ont affirmé vos confrères férus de neurologie. Mais comment savoir ? C’est le privilège des poètes d’apporter des retouches aux lois de la nature, et le talent de votre Compagnie de mêler aux serviteurs de l’exact les rêveurs de l’à-peu-près...
Avant d’évoquer la musique de Lacretelle, reprise de livre en livre, permettez-moi d’exprimer un regret qui a assombri mes lectures. À part Silbermann et La Bonifas, qui survivent grâce à des collections de poche — et à la télévision ! —, tous les titres de Jacques de Lacretelle sont introuvables. Nous qui croyions les livres éternels, toujours prêts à être redécouverts, nous savons aujourd’hui qu’ils sont aussi mortels que les civilisations — ceci expliquant peut-être cela — et aussi périssables que les plus piètres denrées.
Ce n’est pas la mode, je sais, de critiquer les lois du profit, mais avouez que, appliquées à la culture, elles ne sont pas sans périls. Les chefs-d’œuvre n’ont jamais été de bonnes affaires, à l’origine. On peut détester les oukases totalitaires et s’inquiéter de la censure qu’exerce en douceur — j’allais dire : en douce — la sacro-sainte rentabilité !
Jacques de Lacretelle a passé trente ans quand parait, en 1920, La Vie inquiète de Jean Hermelin, mais on y sent les tremblements des premiers écrits. Tout en évitant le haïssable je, l’auteur cherche le secret de sa propre mise en quarantaine. Interdit de plaisirs, hors celui de la lecture, Hermelin éprouve l’exaltation morose de qui a rencontré les mots avant les choses.
Une première femme s’offre à le dégourdir : une certaine Lucienne. (Prénom prédestiné ! Chez Marcel Aymé, Sartre et d’autres, j’ai noté que Lucienne désigne souvent le même type de femme dévoreuse, à terrifier un débutant. Le sujet mériterait, par les temps qui courent, une thèse en Sorbonne !) Donc, Hermelin fait défaut, non sans fureur contre lui-même. Partir pour la guerre lui semble un moindre mal...
En garnison, une épouse de combattant qui a le diable au corps, Adrienne (serait-ce la finale en « ienne» qui rime avec chienne ?), Adrienne l’attire dans son lit, avec trois ans d’avance, cela vaut d’être noté, sur la Marthe de Raymond Radiguet. Mais Hermelin prend peur et préfère se porter volontaire pour le front — d’où il ne reviendra pas. La mort, plutôt que les salissures vulgaires de la vie !
Peu d’éducations sentimentales peignent aussi délicatement ce que Proust, qui eut le temps de lire Hermelin et qui s’y connaissait en solitude, appela joliment « l’effroyable effort pour rejoindre les autres », cette rançon des naissances trop dorées...
C’est aussi un drame de l’intégration impossible que raconte Silbermann, en 1922 ; mais les raisons de se sentir exclu, pour un petit juif du début du siècle, sont atrocement plus objectives que celles de Jean Hermelin.
Nous sommes dans les beaux quartiers, au lendemain de l’affaire Dreyfus. La plupart des élèves de Janson-de-Sailly font écho à l’antisémitisme de papa, sans que le lycée trouve à y redire. Silbermann s’étonne que le narrateur, devançant un slogan d’aujourd’hui, intime l’ordre à la classe de ne pas « toucher à son ami ».
Cette hardiesse, car il en faut, le protestataire la tient de son fond huguenot, de son tempérament proche de toute victime, et de son estime pour la culture, la maturité, l’ambition, de Silbermann. Ce fils d’antiquaire polonais établi en France depuis trente ans désire s’approprier et enrichir le patrimoine français pour le plus grand bonheur de l’humanité, rien de moins ! Mais un complot ourdi sur le modèle de l’affaire Dreyfus fait accuser son père de recel. Au lycée, les brimades redoublent. Renvoyé comme cause de désordre, Silbermann ira rejoindre un oncle d’Amérique, laissant son ami parisien au confort amer de l’ordre retrouvé.
La compassion ne préserve pas des préjugés ; il arrive même qu’elle dispose aux maladresses. Les lecteurs avisés relèveront que Jacques de Lacretelle parle, à propos de Silbermann, d’un « profil un peu animal », de « nez fort », d’« attitude insinuante », de « verbe haut et assuré » — autant dire : dominateur et sûr de lui... Mais un cri est lancé. Il a fallu du courage à l’auteur, comme au narrateur, pour jeter l’alarme, en pleine insouciance des années vingt. Cela demandait mieux : une manière d’instinct. Sous le Lacretelle grand bourgeois veille un frère des irréguliers ; derrière le parieur, une âme de paria !
Silbermann n’est pas seulement un petit chef-d’œuvre venu à son heure, couronné par le jury Femina en 1922, toujours très lu, et où se reconnaît la jeunesse d’aujourd’hui que l’indulgence, pourtant, n’étouffe pas. Il est la preuve, propre à réjouir les romanciers, que certaines tares d’une époque, voyez Kafka, ne peuvent être pressenties, et montrées à temps, que par la voie romanesque !
Et puisqu’une œuvre n’existe que dans sa rencontre avec un lecteur, à un moment donné, je dois à l’auteur, je me dois à moi-même de raconter ma lecture du livre. Je le dois surtout à un camarade de lycée qui fut pour moi, en 1943, l’équivalent de Silbermann, et dont je m’étais juré, dès la minute où vous m’avez élu, de faire sonner le nom sous cette voûte : Riskine !
Juif d’Odessa, Riskine éblouissait notre classe de seconde à Louis-le-Grand par ses dons de pianiste, de poète, de clown, d’ami. Il n’y avait plus de petits crétins pour l’humilier, comme à Janson du temps de Silbermann; ce n’était plus la peine : un certain IIIe Reich s’y employait.
Un matin de 1944, l’élève Riskine, quatorze ans, a été arrêté avec sa mère : direction Auschwitz ! Nous ne soupçonnions pas la suite ? Allons donc ! Le détail de l’horreur, comment l’imaginer ? Mais l’issue finale annoncée par Hitler, qui en doutait ? Chercher à savoir devient un devoir, quand les petits Silbermann commencent à manquer la classe !
Le professeur de latin, à qui nous signalions que l’angine de Riskine menaçait de durer, a baissé les yeux vers son Lucrèce : « Pas de politique au lycée, a-t-il marmonné. Reprenons, je vous prie, suave mari magno... » Vous savez : « Qu’il est doux quand les flots se déchaînent... ».
Mon effarement d’alors demeure intact, après quarante-cinq ans. Si notre douce culture peut ignorer les massacres d’innocents, à quoi sert-elle, je vous le demande ? À l’enchantement des bourreaux après le travail ? L’Art a plus souvent masqué la barbarie qu’il ne l’a désignée et combattue !
Tant d’hommes de talent ont refusé de voir Silbermann et Riskine aller au sacrifice ! Quand ils ne hurlaient pas avec les loups !
Jacques de Lacretelle, Messieurs, est de ceux qui ont sauvé l’honneur !
Troisième roman, La Bonifas nous ramène, en 1925, à des malaises moins révoltants, mais sans plus de remèdes. Le personnage qui donne son titre au livre inaugure une série de femmes fortes, et comme prisonnières de leur vaillance.
On comprend que Jacques de Lacretelle se méfie de la psychanalyse : il demande au roman d’en tenir lieu, en fouillant les causes lointaines de ces cas pathologiques. Si la Bonifas devient virile, protectrice, héroïque, c’est qu’elle a dû prendre la place d’un père veuf et veule. Moralité, empruntée à Mallarmé et à Gide : le temps ne fait que nous changer tels qu’en nous-mêmes, et rien n’est navrant comme de brider sa nature par respect des convenances.
Le recueil de nouvelles qui va suivre, en 1928, s’intitule de façon très « lacretellienne » : L’Âme cachée. Qu’il s’agisse d’un jeune homme amoureux de sa belle-mère, ou d’un petit protestant qui se pend, désespéré que son ascèse fasse de lui un être anormal, c’est toujours avec des enfances contraintes et contrites que Lacretelle nourrit ses inventions.
Un des récits domine les autres : Le Cachemire écarlate. On y voit une épouse possessive couvrir des prestiges indiscutables de l’amour fou ce qui n’est, chez elle, qu’un besoin de régner, jusqu’à l’étouffement.
Jacques de Lacretelle a-t-il des griefs contre le mariage ? Amour nuptial, qui parait en 1929, pourrait le laisser croire. Un écrivain s’y persuade, jusqu’à la preuve tardive du contraire, que la conjugalité compromet et le plaisir et la création, en y mêlant la morale, en bornant la curiosité.
Mais ce serait attribuer au romancier — comme on le fait, hélas, trop souvent — ce qui revient au personnage. L’auteur ne se mariera lui-même que trois ans plus tard, et il prouvera son attachement à la famille. En réalité, Amour nuptial décrit, non sans sourire, la propension des créateurs à se servir de leur entourage, à embrouiller les sources, à tyranniser au nom de leur œuvre et à faire rejaillir sur les proches leurs échecs ou leurs pannes.
Si cela ne vous rappelle rien, Messieurs, demandez donc aux épouses qui vous font face, fières, cet après-midi, de vous considérer dans votre gloire tranquille, mais qui savent, elles, le prix de nos tête-à-tête avec la page blanche : nuits de même couleur, matinées pâteuses, bougonnements contre les critiques, notes prises, au beau milieu de la conversation ou du sommeil, en vue du livre en chantier, ahurissement chronique de qui descend, chaque jour, au fond de soi, comme à la mine...
Allons, Messieurs : vos compagnes ont bien mérité de la littérature !
Jacques de Lacretelle sa passionne pour la face cachée des êtres, mais il n’entend pas y risquer la lumière de l’esprit.
C’est dans Amour nuptial qu’il se définit avec humour comme « incapable de s’exprimer sans ordre ni clarté ». Cet idéal de poésie sous contrôle de la logique, et pure des convulsions prônées par ses contemporains surréalistes, il en a trouvé le modèle dans la Grèce antique, sa seconde patrie après l’enfance. Le Voyage en Grèce, qui paraît en 1930, rayonne de ces adhésions esthétiques intenses, où l’effusion naît d’un ébranlement des idées.
Lacretelle n’est pas de ces excursionnistes qui prennent la pose ou des distances devant les ruines, comme Lamartine regrettant Rome sur l’Acropole, ou Barrès cherchant la Moselle dans le Péloponnèse et exaltant Sparte, cette garnison, pour se démarquer de Renan. Retrouvant les trois fonctions chères au regretté Dumézil, notre chauvin de l’intelligible donnerait toute la vigueur corporelle célébrée à Olympie et les oracles fumeux de Delphes, pour le cerveau du Parthénon, où la beauté, couleur de miel, a des élancements d’idée juste !
Après la clarté grecque, retour aux ombres du cœur. Les quatre volumes des Hauts-Ponts, parus entre 1932 et 1935, mettent en saga l’obsession d’une fille de petite noblesse de Saintonge : récupérer son château de famille, dont l’ont chassée de mauvais placements.
Vous ne comptez pas sur moi, j’imagine, pour voir dans la vente d’un beau domaine le comble de la misère humaine, et dans son rachat le salut de l’humanisme occidental. C’est de symboles, bien entendu, qu’il s’agit.
Si les Français adorent les châteaux, si, quand ils n’y mettent pas le feu — car cela leur arrive tout de même, un siècle ou l’autre —, ils collent le nez aux carreaux, s’ils préfèrent, en feuilletons, les fiançailles d’héritières sur des perrons fleuris à des grèves dures, c’est que le château, comme le palais racinien ou la datcha tchékhovienne, repose du vil quotidien, c’est qu’il grossit à la loupe certains sentiments indépendants des comptes en banque, comme la blessure d’avoir à quitter une maison d’enfance, si modeste soit-elle, témoin du temps béni où le temps n’existait pas encore, immobile comme un vol de moucherons dans le soleil d’une chambre d’été...
Jacques de Lacretelle parle d’expérience. Il avait huit ans quand ses parents ont dû vendre le château bourguignon de Cormatin, où fréquentait Lamartine. Mais il a su se consoler et défier la durée avec d’autres pierres, celles de Brécy et d’O, par exemple, dont son épouse a fait des joyaux de la forêt normande.
L’héroïne des Hauts-Ponts n’a pas cette sagesse. C’est au château de sa jeunesse qu’elle veut revenir par tous les moyens : adultère, mariage d’argent, intrigues et humiliations diverses, avec la bénédiction du curé, selon qui Dieu verrait d’un mauvais œil... les changements de propriétaires. La malheureuse finit par racheter les murs, mais en revendant, comme souvent, les prés alentour, et, ruinée, elle sera chassée une deuxième fois, faute d’avoir su enchaîner à sa hantise son fils naturel, tour à tour flambeur à Monte-Carlo et séminariste halluciné.
Devenue lingère chez les nouveaux châtelains, la pauvre rôde autour des grilles interdites, et elle s’y empale, apaisée de mourir avec, dans la bouche, de la terre qui fut à elle !
Par ce drame de l’impossible restauration, Jacques de Lacretelle illustre une fois encore son déchirement intime entre le bonheur d’hériter, de posséder, de régner selon la loi des puissants, et le tourment devant les frustrations et perversions qu’entraîne ce bonheur. Derrière ses narrations apparemment détachées, il se tient du côté des vaincus, avec une acuité proche de celle de Mauriac et- une pitié digne des grands Russes.
Sa double fascination pour ce qui est raisonnable et ce qui ne l’est pas, Lacretelle s’en expliquera en 1936 en succédant à Henri de Régnier sous cette coupole, où il était très fier de compter deux ancêtres directs. Il complétera par divers essais et souvenirs littéraires ce qui constitue son art poétique.
Assurément, son instinct et son éducation l’inclinent vers les auteurs bien de chez nous, vers une prose de coteaux modérés, très bords de Loire, et lui rendent suspects les écrivains des cimes ou des gouffres, Goethe ou Shakespeare. Il se fait fort de trouver aux pulsions les plus folles des causes raisonnables, fût-ce la notion de fatalité, qui élève l’homme, selon lui, au-dessus du pitre. À son chevet, trônent les grands moralistes corsetés à la française : La Rochefoucauld, Mérimée, Chamfort, Constant. Chez les aînés immédiats, il place en tête son maître André Gide, premier lecteur de Silbermann, dont il retient ce conseil : « Écris, si tu veux, dans l’ivresse, mais quand tu te relis, sois à jeun ! » ; l’ami Proust, enfin, qui, dans son labyrinthe de souvenirs, tient bon le fil de l’intelligible.
Et pourtant, lors de leur dernière rencontre, rue Hamelin, l’auteur de À la recherche du temps perdu, mourant, se demande devant son jeune visiteur s’il n’a pas manqué l’essentiel. Il récite soudain Les Chimères, de Nerval.
« Crains, dans le mur aveugle, Un regard qui t’épie ! »
L’envie de surprendre le mystère des autres, et la peur d’être surpris, les rapprochent.
Le Lacretelle de la maîtrise policée reste attentif, éperdument, à son contraire. Chez Chamfort, il apprécie l’enfant naturel, le rebelle. Cosmopolite, il traduit des romans anglo-saxons. Français : oui, jusqu’au bout des ongles et des virgules, mais pas au point de pardonner à Voltaire sa condamnation simpliste de Shakespeare, ni d’écarter l’irrationnel Edgar Poe et les Russes, Dostoïevski, Tolstoï, Tourgueniev, à qui il sait gré de brasser le Bien et le Mal, trop séparés par nos moralistes.
Le style de Jacques de Lacretelle se ressent de ce partage de tout son être entre ce que la raison gouverne et ce qui la submerge. Au détour d’une prose tenue surgissent, souvent en fin de chapitre, des notations et des images saisissantes de réalisme sensuel, comme des coups de cymbales couvrant des traits de flûte.
Un exemple, pris parmi des centaines, dans Le Pour et le Contre : assistant à l’accouchement de sa femme, le héros aperçoit tout à coup, sur fond de muqueuses sanglantes, le cordon ombilical de l’enfant, d’un blanc nacré, et il y voit, je cite (comme on dit maintenant) « un lien couleur de lune ». L’allitération des trois « 1 » — lien, couleur, lune — contribue à suggérer, sans verser, comme chez d’autres, dans le sophistiqué, et cela grâce à la pureté de l’émotion initiale. Sincérité et artifice longuement mûri se conjuguent sans cesse, au cours de l’œuvre, et de mieux en mieux.
La littérature a ce privilège que, face aux urgences de l’âge, les thèmes et la phrase — voyez La Vie de Rancé, le Thésée de Gide — tendent vers le dépouillement du paraphe. Dans la dernière période, Jacques de Lacretelle change en comble de l’art son vertige devant les êtres de défi ou de malchance qu’il aurait pu devenir, et qu’il chérit entre tous.
Témoin le dernier titre paru, en 1981, Quand le destin nous mène, où une jeune fille fantasque meurt d’avoir flirté avec le néant, pour étonner un hâbleur de palace. Témoin Les Vivants et leur ombre — toujours l’ombre —, où Lacretelle réunit en 1977, comme on convoque à son lit de mort des enfants hier cachés, quelques marginaux selon son cœur.
Outre un hommage à la tante Menard-Dorian, remerciée une dernière fois d’avoir pensé contre son milieu, voici le portrait, rapide comme du Paul Morand, d’une héritière de banquiers célèbres, Léone, qui aime successivement un comédien volage, un journaliste intrigant, un fils d’armateur grec, et qui mourra, éleveuse de chèvres, en écoutant, la nuit, les radios du monde entier, une bouteille à la main.
C’était le temps — est-il révolu ? — où les femmes d’exception n’avaient le choix qu’entre devenir muses ou nurses — souvent les deux ! —, ou s’autodétruire avec panache. Autant d’aubaines pour leurs amis romanciers, prompts à profiter de cette vieille et injuste évidence qu’une vie bien remplie vous a moins d’allure qu’un beau gâchis !
Un autre personnage des Vivants et leur ombre, Haghers, incarne la part maudite et irréalisée de l’auteur. Après plusieurs amours saccagées, et quelques livres indignes du génie qu’il escomptait, cet ambitieux déçu par lui-même joue perdant, sur un coup de tête, un coup de dés. Il se retire à Macao, convaincu que la race blanche est condamnée par la loi du nombre, et que notre morale nous interdira de nous défendre. Il s’offre le spectacle du hasard et du vice à-tout-va, avec la jouissance et l’ironie souveraines que donnent les grands refus.
Il mourra sur un banc — ou sur un banco, on ne sait —, au-delà de tout désespoir, saint à sa manière, causeur mirobolant, en tout cas. Et ses cendres danseront au-dessus de Taïpa, file proche de Hong-kong où se fabriquent, dit-on, les plus somptueux feux d’artifice du monde...
Nous voilà loin des lambris des Champs-Élysées où, dans le même temps, Jacques de Lacretelle écrit ses chroniques bien tempérées du Figaro. L’imagination des romanciers permet ce genre d’ubiquité, de grand écart, et les livres n’en souffrent pas outre mesure, à condition que le publiciste ne prenne pas trop tôt le pas sur l’écrivain.
De nos jours, la grande presse offre des tribunes aux auteurs dès leur premier roman. L’éclat des journaux y gagne, mais le cadeau est empoisonné — je sais de quoi je parle. L’œuvre personnelle, qui exige silence et retirement, est sacrifiée à l’œuvre des autres, aux joutes critiques, aux fins de mois.
Sollicité dès La Vie inquiète de Jean Hermelin, vers la trentaine, Jacques de Lacretelle a su repousser ce qui lui semblait, à juste titre, l’« engrenage dangereux » du journalisme. Il ne commence à collaborer au Figaro que vers la cinquantaine. Et il a la prudence de cantonner ses chroniques littéraires à des auteurs disparus.
Ainsi évite-t-il le soupçon de complaisance. Soupçon désobligeant pour tout le monde, et candide. En traitant des vivants, le critique fait surtout des mécontents; tous ceux dont il n’a pas parlé, et l’intéressé lui-même, qui ne trouve jamais nos compliments assez sentis. Je me souviens d’un lendemain de générale où le comédien Pierre Brasseur, dont je croyais avoir dit du bien la veille, me battit froid, puis revint sur ses pas : « N’ayez crainte, me rassura-t-il, à moins qu’on me traite de génie, je me vexe; et encore, il faut voir comment c’est dit !... » Ainsi sont les artistes, et la mégalomanie : leur silicose !
Jacques de Lacretelle échappait élégamment à cette maladie professionnelle. Après un article nuancé de votre serviteur sur son dernier livre, il m’a écrit une lettre pour préciser ses intentions. Nous nous doutions tous deux que, le jour où nos journaux respectifs sembleraient chercher votre arbitrage, je ne serais pas son candidat ; eh bien ! cela n’a pas empêché un échange fructueux entre passionnés du travail romanesque. Je ne suis pas près de renoncer à cette liberté de louer qui je veux, n’en déplaise aux maniaques des explications par le bas...
Rassembler par le haut : telle pourrait être la devise de Jacques de Lacretelle lorsqu’en 1949, après avoir — autre sagesse — écarté toute fonction hiérarchique jusqu’à soixante ans, il entre au conseil de la Société Fermière, comme membre de l’équipe Pierre Brisson au nom de laquelle le quotidien a été autorisé à reparaître à la Libération.
Il préside cette société de 1965 à 1969, après la mort de son cher ami Brisson, et il demeurera au conseil de surveillance après 1976. Sa copie d’écrivain est alors rendue. Il ne compte pas les moments qu’il perd avec le journalisme. Il les goûte, au contraire.
Tous les témoins me l’ont dit : Jacques de Lacretelle est ravi de ce tardif travail d’équipe, sur lequel il s’informe, sans peser. Il laisse libre cours à son humour, comme jamais. On raconte — ce n’est qu’une anecdote de salle de rédaction, mais elle lui ressemble — que, rencontrant au Rond-Point un des propriétaires du Figaro, appareillé comme lui contre la surdité, il aurait claironné : « Mais mon cher, nous sommes faits pour nous entendre ! »
Tout en assignant à la littérature une fonction d’enchantement, distincte de l’action, Jacques de Lacretelle pouvait appliquer sans peine à la presse son credo d’artiste, d’après lequel la bonne foi doit tenir lieu de foi. C’était un temps où, les enjeux électoraux étant moins serrés qu’aujourd’hui, les journaux se tenaient au-dessus des pugilats politiciens, et s’imposaient plus de rigueur. On pouvait causer !
C’était ce que nous faisions délicieusement, chaque soir de générale, avec Jean-Jacques Gautier, sans être d’accord sur tout. Les différences entre nos deux maisons, issues du même fond bourgeois et spiritualiste, nous nous amusions à les résumer ainsi : Le Monde, c’était la messe du soir en blouson, enfin : en blouson de bonne coupe; et Le Figaro, c’était la messe du matin, en manteau de loden !
Le Rond-Point aura merveilleusement délassé Jacques de Lacretelle de la solitude où enferme l’écriture. À l’Académie aussi, vous le savez mieux que moi, il s’est distrait de ce doux esclavage avec une joie visible, célébrant en votre nom Lamartine, Proust, René Clair, et sa chère Antiquité grecque : cela, durant un demi-siècle, à quelques mois près !
Quelle existence de rêve ! Et comment ne pas y aspirer !
Toute la semaine, lire ou écrire des livres, vivre immergé dans les mots, et le jeudi, naguère congé des écoliers, retrouver l’aristocratie de la connaissance et de l’imagination pour veiller sur notre instrument de travail ! Non pas régenter la langue, dont c’est l’essence et la chance de narguer règlements et définitions, mais la soigner telle une roseraie, empêcher que, comme en finance, la mauvaise monnaie ne chasse la bonne !
C’est, hélas ! ce qui se produit à vive allure, pourquoi se le cacher ? Le progrès a supprimé les lettres d’amour, ne serait-ce qu’elles, ces surcroîts de plaisir dont Lacretelle a publié après guerre, avec Galerie des amants et L’Amour sur la place, de subtiles anthologies, et qu’ont remplacés nos répondeurs, ponctués de tops sonores et de lugubres Salut, on s’rappelle ! Nos esprits sont engourdis par la langue de bois des politiques et les calembours de la presse ou de la publicité, au point que nous perdons foi, de façon indolore, dans la finesse incomparable du Verbe...
« Encore des mots ! », ironisait il y a quelques jours devant moi, à propos de nos discours d’aujourd’hui, un jeune homme féru d’ordinateurs, et se croyant moderne, je suppose.
Mais bien sûr, « encore des mots » ! Toujours plus de mots ! Toujours plus ajustés et flamboyants ! Là est l’avenir ! Les combinaisons possibles des mots et leurs ressources en sens dépassent de loin celles des images et des sons, tant à la mode. Dans un instant, vous entendrez un conteur dont la séduction montre assez qu’à l’écran, comme ils disent, le mot peut rester roi. Quand auront sévi et sombré toutes les techniques imaginables de communication, vous verrez que livres et journaux resteront le recours suprême contre la violence, l’ignorance, l’oubli, la bêtise et la laideur. L’écrit ne sera jamais égalé pour comprendre, douter, sentir, pour mener librement sa pensée et sa vie...
Sur ce thème, je perds mon calme. Il me vient des envies d’hymne cocardier, d’élégie ! Je place parmi les causes les plus hautes la gloire et la survie de cette langue, génialement faite pour connaître et aimer, pour ouvrir à l’éloquence tous les savoirs et tous les délires, pour leur ménager un forum universel... Imaginer que la langue française perde son âme et son sang, là, comme un accidenté sous sa bâche, qu’elle devienne langue morte, que nos enfants en soient exilés... Non, Messieurs, dites-moi que cela ne se peut pas !
J’ai comparé l’Académie à une roseraie, en mémoire de Jacques de Lacretelle, qui aimait ces endroits où l’homme, tel l’écrivain taillant ses phrases, accouche la nature de ce qui ressemble, à force de splendeur, à de la pensée...
C’est à un sanctuaire, plutôt, que l’on songe. Voilà plus de cinquante ans qu’en passant sur ce quai attendrissant d’harmonie, devant ce dôme de Saint-Pierre miniature, je me dis : « Tiens, c’est là que des gens d’esprit continuent, depuis Richelieu, à croire en l’esprit », et je presse le pas, plus léger, comme après avoir aperçu quelque couvent au flanc d’une montagne, ou entendu la cloche qui appelle aux prières de l’aube...
Et voici que vous accueillez un novice de plus, avec voix au chapitre. Comme vous me comblez, Messieurs ! Ma gratitude n’a d’égale que ma hâte de servir à vos côtés.
Au moment de franchir le seuil imposant, j’emporte en viatique deux réflexions de Jacques de Lacretelle.
« Style châtié ne veut pas dire style châtré ! », disait-il volontiers, prêchant d’exemple.
Et le soir où il découvrit le théâtre grec d’Épidaure, cherchant à quoi mesurer son extase devant la corolle de marbre pâle et tiède, offerte comme un livre ouvert, il eut ce cri d’espoir dans l’éternité des mots :
« C’est beau, dit-il, ...comme une phrase, une de ces phrases qui ruisselleront de beauté aussi longtemps qu’il y aura des hommes, sur terre, pour les comprendre ! »