Diſcours prononcé le 26. Juin 1662. par Mr. LE CLERC lorſqu’il fut reçu à la place de Mr. de Prieſac.
MESSIEURS,
L’AVANTAGE que je reçois aujourd’huy, & que j’avois toûjours conſideré comme le terme que ſe devoit propoſer un homme qui a quelque amour pour les belles Lettres, & pour les douceurs d’une illuſtre & d’une charmante Société, me remplit l’eſprit d’une ſatisfaction qu’il me ſeroit mal-aiſé de vous pouvoir exprimer. Mais, MESSIEURS, je me vois en même temps obligé de vous avouer qu’il s’y mêle une juſte crainte fondée ſur la connoiſſance que j’ay de moy-même, qui ne me permet pas d’en jouïr pleinement, & qui me fait un ſecret reproche d’avoir ſouhaité de remplir une place qui demande, & un genie plus heureux que le mien, & une experience plus conſommée.
Cet aveu qui part, non d’une fauſſe modeſtie, mais du veritable ſentiment de mon cœur, au lieu de me dégager de l’obligation que j’ay à vous rendre mes tres-humbles actions de graces pour une faveur, qui a paſſé mon merite & mon eſperance, m’impoſe ce devoir plus fortement qu’à tout autre. Mais, MESSIEURS, vouloir entreprendre d’y ſatisfaire, ce ſeroit diminuer le prix de cette même faveur, & j’aime bien mieux vous être éternellement redevable, que de travailler à m’acquiter envers vous avec ſi peu de ſuccés.
N’attendez donc point de moy de longs & d’inutiles remercîmens. Permettez-moy ſeulement de me preſenter à vous avec un cœur touché d’une parfaite reconnoiſſance, plein de reſpect pour cet illuſtre Corps, & de zele pour ſes intérêts, avec un eſprit docile, & tout diſpoſé à recevoir les impreſſions de ces grandes lumieres, qui rempliſſent d’admiration toute la France, & même toute l’Europe, & qui me laiſſent un deſir tres-ardent d’en pouvoir être éclairé.
Que ſi, MESSIEURS, vous m’avez fait la grace de me juger digne de cet honneur, pourquoy du moins n’eſpereray-je pas pouvoir le devenir quelque jour ? Pourquoy même appeleray-je de vôtre jugement, & pourquoy ne croiray-je pas en quelque façon le meriter ? Ouy, MESSIEURS, je vous l’avouë, je me trouve tout changé dans ce moment, & il me ſemble que c’eſt icy le véritable antre d’Apollon, où à peine l’on avoit mis le pied ſur le ſeuil, qu’on ſe ſentoit remplir du Dieu qui y preſidoit, & qu’on voyoit clair dans les choſes les plus obſcures, & les plus impenetrables. Pardonnez à cette ſaillie, peut-être un peu moins modeſte qu’elle ne devoit l’être, & laiſſez-luy trouver ſa juſtification, ſi-non en moy, du moins dans le ſujet qui la cauſe. Je ne ſortiray donc point, MESSIEURS, de cette confiance, qui m’éleve au deſſus de moy-même, & qui peut me porter à l’avenir à quelque choſe de plus conſiderable ; mais je le devray toûjours bien moins à mes propres efforts, qu’au bonheur d’approcher tant de grands hommes, dont cette illuſtre Compagnie eſt toute compoſée, & qui ſont les juſtes & les fidelles Arbitres de tout ce que la Science, l’Art, & la Politeſſe peuvent produire de délicat, de fort, & de magnifique.
C’eſt icy, MESSIEURS, que ſi je ſuivois mon inclination, & ſi je ne me déſiois de mes forces, je tâcherois d’en étaler tous les avantages. C’eſt icy que remontant à la ſource, je dirois que le grand Cardinal de Richelieu, par l’établiſſement qu’il en a fait, n’a pas moins travaillé pour la gloire de cet Empire, & pour la ſienne propre ; que par l’éclat de tant de belles actions, dont ſa vie eſt toute brillante. En un mot, je dirois que ce Génie extraordinaire qui ſera l’étonnement de tous les Siecles, a trouvé par-là l’unique & le vray ſecret d’y faire vivre ſon nom, & de s’ériger un monument plus durable que tous les ſuperbes Mauzolées de marbre & de bronze, que nous élevons en faveur de nos Héros. C’eſt icy que je devrois encore parler des grandes qualitez de celuy qui eſt maintenant le Chef, & le Protecteur de cet illuſtre Corps, auſſi bien que de la Juſtice qu’il a rappellée ſur la terre. Enfin, MESSIEURS, c’eſt icy que je trouverois en chacun de vous une ample & une heureuſe matrice à faire un Panégyrique, & que je pourrois faire voir, que ſi le Siecle de nôtre jeune & de nôtre invincible Louïs a produit d’auſſi grands Guerriers que celuy d’Auguſte, il n’a pas été moins fertile en beaux eſprits, & qu’il ne manque ni de Cicerons, ni de Virgiles ; mais pour venir à bout d’un ſi grand deſſein, il faudroit être ce que vous êtes. Ce ſera donc par mon ſilence mieux que par la foibleſſe de mon diſcours, que vous me permettrez de vous faire connoître la veneration que j’ay pour tout ce que je ne puis qu’admirer, & la gratitude que je conſerveray toute ma vie pour le bienfait que je reçois aujourd’huy, & que rien ne ſera jamais capable d’effacer de mon ſouvenir.
Apres que Monſieur LE CLERC eût achevé ſon Diſcours, il lut le Sonnet qui ſuit.
À L’ACADÉMIE FRANÇOISE.
SONNET.
DE l’aveugle Ignorance invincible ennemie,
Qui ſçais à la vertu donner ſon juſte prix,
Delicieux concert des plus nobles eſprits,
Honneur de nôtre Siecle, illuſtre ACADEMIE.
TU vois du Grand Louis la Puiſſance affermie,
Son bras eût tout dompté, s’il eût tout entrepris,
Et ſon cœur de la Gloire eſt tellement épris,
Qu’il ne ſent qu’à regret ſa Valeur endormie.
MAIS le temps flétriroit les ſuperbes Lauriers,
Que ſous ſes étendars ont cueilli nos Guerriers
Sans le ſecours des Vers ou celuy de l’Hiſtoire.
L’un & l’autre dépend de ta ſçavante main.
C’eſt moy qui tiens les clefs du Temple de Memoire
Et qui graves les noms ſur l’immortel airain.