Compliment fait à Mr. de Harlay de Chanvalon, sur son installation en l'Archevêché de Paris

Le 22 mars 1671

François TALLEMANT l’Aîné

COMPLIMENT fait le 22 Mars 1671 par Mr. l’Abbé TALLEMANT à Mr de Harlay de Chanvalon, sur son installation, en l’Archevêché de Paris.

 

MONSEIGNEUR,

VOICI le comble de notre joie. Tous les Académiciens, jusques aux moindres ont triomphé de se voir en quelque sorte égaler à vous par cette qualité. Tous, jusqu’aux plus grands, triomphent encore de vous voir au-dessus d’eux par celle de leur Pasteur et de leur Archevêque.

Présidez heureusement, MONSEIGNEUR, à un Peuple, dont les Princes sont une partie. Ce Roi lui-même, dont les louanges sont les vôtres, et sur lequel on ne se peut épuiser, tous les jours plus grand, encore qu’il semble ne le pouvoir devenir davantage ; ce Roi, maintenant l’amour des Étrangers, comme celui de ses Peuples, l’admiration des Nations les plus reculées, aussi bien que de ses propres Conseils, qui pourrait les soumettre toutes ensemble, à qui toutes voudraient être soumises, n’aura point à l’avenir de plus grande gloire que celle de vous être soumis ; et sa piété, l’ouvrage du Ciel, dont vous n’avez point jeté les fondements, mais où vous allez avec S. Paul[1], bâtir en grand Architecte, d’or et de pierreries, sera devant le Ciel même, pour parler encore comme cet Apôtre, votre espérance, votre joie, et votre couronne.

Mais quel sentiment intéressé s’oppose à des pensées si agréables ? Quels mouvements, ou de douleur, ou de crainte, les viennent troubler ? L’Église vous a prêté à l’Académie ; il faut, MONSEIGNEUR, que l’Académie vous rende à l’Église, qui va désormais vous occuper tout entier ; et si votre repos nous est cher, comment pouvons-nous en conserver seulement, ou le souhait, ou l’espérance ?

Quelles veilles pourront suffire à tous ceux pour qui vous avez à veiller ? Quel patrimoine, ou public, ou particulier, à cette foule d’infortunés, qui n’en ont point d’autre que le vôtre ? Qui sera faible et infirme parmi nous, que vous ne le soyez avec lui ? A quoi vous servent vos propres lumières et votre propre pureté, s’il faut que vous répondiez de nos erreurs et de nos fautes ? Qu’importe que vous ayez tant contribué à pacifier l’Église ? Le plus difficile vous reste à faire, si l’aigreur et la division bannies des Assemblées, ne haussant plus la voix dans les chaires, n’éclatant plus dans les livres, se cachent encore dans les cœurs et dans les esprits.

Comment accorderez-vous deux choses nécessaires qu’incompatibles ; la retraite, et la visite ; la prière et l’action ; le commerce des Anges, et celui des hommes ? Pour peu que vous soyez trop longtemps sur la Montagne avec Dieu même, ce peuple se sera d’autres Dieux. Pour peu que vos mains s’appesantissent, et cessent d’être élevées au Ciel nous succomberons dans la bataille ; un autre Amalec plus cruel et plus redoutable, sera le vainqueur.

Toutes ces brebis vous suivent, et connaissent votre voix : mais chacune en particulier ; par les soins dont elle vous accable, veut que vous donniez jusqu’à votre vie pour elle. Celles-ci vont périr si vous ne leur distinguez à toute heure l’herbe nourrissante d’avec le poison : Ces autres blessées et languissantes n’attendent pas seulement de votre main un appareil à leurs blessures ; mais même que vous les emporterez entre vos bras. Courez cependant après celles qui sont tout-à-fait perdues : ce n’est pas la centième partie de votre troupeau ; mais elles vous doivent faire quitter tour le reste. De celles-là même que le loup emporte si nous en croyons un grand Pape de l’Antiquité il faut encore lui en disputer la toison ; il faut lui en arracher la dépouille toute déchirée et toute sanglante.

Et qui pourra fournir à tant de divers emplois, dont le nombre dont l’importance dont la nécessité, nous font trembler ? Vous, MONSEIGNEUR. Nous ne tremblons plus, car le passé nous en répond et nous en assure. Ce seraient des difficultés ; ce seraient des avis pour un autre ; ce sont des éloges pour vous. Ne reconnaissez-vous point vous-même sans que je vous le dise, dans la fidèle peinture de ce que vous allez faire, tout ce que vous avez déjà fait ? Les actions sont les mêmes, le théâtre seulement en sera plus élevé, et la gloire plus éclatante.

Quelle félicité est la vôtre, d’avoir à employer d’aussi grands talents au plus grand usage qu’on en pouvait faire, pendant que tant d’autres (et Dieu veuille que nous ne soyons pas du nombre) cultiveront incessamment leur esprit, sans en rendre jamais, non pas la dîme, non pas la dîme de la dîme, à celui qui le leur a donné.

Mais si ce reproche tombe sur quelque particulier, et sans doute sur celui qui vous parle, un Corps, qui a l’honneur de vous compter entre ses membres, ne le saurait plus appréhender. Par vous, MONSEIGNEUR, et par quelques autres illustres sujets, nous combattons pour la foi, nous rallumons la piété éteinte, nous réparons les ruines de l’Église, nous nous dévouons à Dieu, nous approchons de ses Autels, nous touchons à ces redoutables mystères où les Anges n’osent regarder, nous nous offrons éternellement nous-mêmes en sacrifice.

Si ce Corps a des parties et moins nobles et moins utiles, encore serviront-elles à relever le mérite des autres ; encore pourront-elles le faire éclater par le discours.

C’est, MONSEIGNEUR, ce que vous devez attendre du moins de notre équité et de notre reconnaissance. Ou nous ignorons l’art de rendre un témoignage fidèle à la vertu, et le commerce des siècles passez ne nous peut rien promettre de ceux qui sont à venir ; ou l’on saura quelque jour, et même après nous, ce que nous venons vous protester aujourd’hui ; Qu’estimé, chéri révéré de tout le monde, vous n’avez point trouvé ailleurs plus d’admiration, plus de respect, plus de soumission que dans l’Académie Française.

 

[1] Ut sapiens Architectus fundamentum posui, etc. Si quis autem ſuperaedificat super fundamentum hoc, aurum, argentum, lapides pretiofos, etc. I Cor. 3. 10. Quae est enim nostra spes aut gaudium aut corona gloriae ? Nonne vos ante Dominum nostrum Jesum Christum estis in adventa eus ? Theft.