Comment se fait-il que l’italien, langue d’un pays bien plus inféodé, politiquement, aux États-Unis que la France, résiste mieux aux anglicismes que le français ? Tout le monde connaît le calcio (de calcio, « coup de pied »), pour « football », sport national et aussitôt nationalisé. Le plus souvent l’italien suffixe à l’italienne : campeggio au lieu de « camping », parcheggio au lieu de « parking ». D’autres fois la fantaisie italienne pourvoit au redressement lexical : « looping » ? Mais c’est un giro di morte (« tour mortel »), à faire vraiment peur. « Sandwich » ? Mais c’est un pane imbottito, c’est-à-dire un « pain fourré, farci, bien rempli », et, aussitôt, vous avez l’eau à la bouche, à flairer la saveur du jambon de Parme, de la tomate et du basilic. L’invention plus récente et charmante concerne l’affreuse « arobase ». Ce signe typographique n’a-t-il pas la forme d’un escargot lové dans sa coquille en spirale ? Eh bien, appelons-le chiocciola, « colimaçon ».
Pourquoi l’italien résiste-t-il si bien ? Peut-être parce que les Italiens connaissent et parlent l’anglais bien mieux que les Français. Ils n’ont donc pas ce complexe d’infériorité qui pousse les Français à compenser leur incompétence linguistique par une vassalité langagière. L’anglais, les Italiens le laissent là où il faut qu’il soit : dans la langue anglaise, et non dans des anglicismes, subterfuge bâtard propre à des ignorants.
Dominique Fernandez
de l’Académie française