CENTENAIRE DE LA NAISSANCE
DE GABRIELE D’ANNUNZIO
célébré à Pescara, le 2 octobre 1963
La France et l’Italie doivent s’unir dans la même admiration pour celui qui se disait autant de France que d’Italie, pour celui dont toute la vie fut un chant d’amour passionné s’élevant vers la Beauté.
L’Académie française est heureuse de s’associer aux cérémonies destinées à commémorer la naissance d’un des plus grands poètes de la latinité.
C’est ici, il y a cent ans, que naissait Gabriele d’Annunzio, homme exceptionnel qui sut réaliser « l’intime Union de l’Art et de la Vie ».
Son ardeur passionnée, ses efforts constants pour se surpasser soi-même, son exaltation devant toutes les manifestations de la beauté, son amour de l’amour, son verbe qui magnifiait, en les transposant sur un mode lyrique, personnages et événements, faisaient de lui un des hommes les plus passionnants du monde latin.
Créer dans la joie, tendre sans cesse son énergie comme on bande un arc pour atteindre le but désiré, voilà ce que proposait aux jeunes, dans un style exaltant, celui que ses fidèles appelaient « l’Animateur ».
Il avait la conviction qu’à notre époque, aussi bien que dans le passé, « tout homme intelligent a le pouvoir de se créer dans la vie sa belle fable ». On y parvient, disait-il, en contemplant le monde avec des yeux neufs, en rêvant et en pensant avec une âme neuve. Ces mots, dans Le Feu, à propos de la Duse, sont significatifs : « Stelio paraissait enivré d’elle, du soleil, de l’herbe, du ciel divin, comme de choses jamais vues, jamais possédées. »
Il ne cessait d’affirmer que l’homme doit exhausser son âme au-dessus du niveau commun. En chacun de nous, disait-il, doit demeurer l’aspiration à « dépasser l’étroitesse de l’existence commune pour vivre une vie plus ardente ».
Si, pendant un quart de siècle, d’Annunzio fut quelque peu oublié, c’est que les hommes, lassés d’espoirs trop souvent déçus, n’eurent plus qu’une conception sans idéal de la condition humaine. Mais voici que le génie de d’Annunzio réapparaît dans toute la gloire qu’il avait rêvée quand il voulait être appelé le « Maître du Feu. »
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Que de souvenirs me reviennent en foule de l’époque où je l’approchais avec ferveur !
Je revois d’Annunzio rue Geoffroy-l’Asnier où il habitait pendant son séjour à Paris. C’était en 1911.
Dans un petit hôtel particulier du Marais, animé du charme d’une époque disparue, il recevait en des soirées fastueuses presque tout ce que Paris possédait d’Artistes connus, d’Hommes de Lettres renommés, de Femmes séduisantes.
Quel raffinement dans cette atmosphère très suave où les yeux se reposaient, à travers une lumière tamisée, sur des robes somptueuses, des soieries de Venise, des verres de Murano, des fleurs partout répandues : il y avait ici des lys sauvages, tels qu’il les avait décrits dans Le Triomphe de la Mort, « d’un parfum si aigu que l’on trouvait souvent au fond du calice un insecte pâmé d’ivresse »; là des roses dont certaines étaient telles qu’il les avait évoquées dans Le Feu, « voluptueuses comme les plus voluptueux contours du corps féminin ».
On entendait en sourdine une des musiques que d’Annunzio aimait, du Scarlatti ou du Rameau ou du Bach. Je me souvenais de ce qu’il avait dit de la musique du XVIIIe siècle, cette musique « si mélancolique dans les airs de danse, ces airs qui semblent faits pour être dansés en une languissante après-midi de l’été de la Saint-Martin, laps un parc abandonné, au milieu de fontaines devenues muettes et le piédestaux sans statues, sur un tapis de roses mortes, par des couples d’amants tout près de ne s’aimer plus ».
La musique était partout présente dans son œuvre. Il l’entendait sans cesse chanter en lui. Le lyrisme en littérature peut-il d’ailleurs se concevoir sans évocation musicale ?
Chez d’Annunzio, les rythmes de la pensée et de la phrase évoluent selon un mode musical, les émotions artistiques ou sensuelles sont du même ordre. Et sans cesse il a des réminiscences de partitions. Autour de lui il entend des sons qui le bercent : cloches, bourdonnements d’insectes, chants d’oiseaux, chansons lointaines... Il est autant musicien qu’écrivain, ou plutôt musique et poésie s’associent en lui d’une façon harmonieuse.
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Mon souvenir le plus présent est celui de la collaboration de d’Annunzio avec Claude Debussy pour Le Martyre de Saint-Sébastien, ce drame où il avait voulu associer la trinité dionysiaque : la poésie, la musique et la danse. Ayant retrouvé les rythmes des mystères français du Moyen Age, il espérait ainsi, disait-il, « mériter le droit de haute cité dans la douce France des poètes ». Lui et Debussy avaient réalisé ce tour de force d’allier le lyrisme le plus débordant au classicisme le plus sobre. Ainsi une œuvre était née parmi les plus belles de la littérature et de l’art français.
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Certes, bien des pages de d’Annunzio, qui ont trop de clinquant, entreront dans l’oubli, car elles choquent la sensibilité d’aujourd’hui qui se veut hélas ! systématiquement aride et dépouillée. Mais que d’autres, parfaites, émouvantes ou éblouissantes, demeureront à jamais !