Dire, ne pas dire

Bannissement, exil, expatriation, déportation, proscription, relégation

Le 7 novembre 2024

Nuancier des mots

Il est arrivé souvent que les personnes à la tête d’un État décident d’éloigner des opposants ou des individus qui leur déplaisent du territoire sur lequel ils exercent leur pouvoir. Il est arrivé aussi qu’un organe administratif décide de chasser, temporairement ou définitivement, des individus qui troublaient gravement l’ordre public. Ces mesures différaient par le caractère plus ou moins arbitraire qui s’attachait à elles et par leur sévérité. Au nombre de celles-ci on trouve le bannissement, une peine criminelle, ordinairement temporaire, entraînant l’expulsion du condamné hors de son pays et qui entache son honorabilité. Bannissement a pour synonyme le nom ban, qui désigne la même condamnation et qui entre dans la locution rupture de ban, c’est-à-dire le non-respect d’une interdiction de séjour.

Bannissement, le terme légal, est souvent remplacé par exil, qui désigne la situation d’une personne condamnée à vivre hors de sa patrie. Il y a ordinairement dans la condamnation à l’exil une part d’arbitraire qui n’est pas dans le bannissement. Féraud en rendit compte dans son Dictionnaire critique de la langue française : « Bannir et bannissement, se disent des condamnations faites en Justice, et d’après les formalités légales ; exiler et exil, d’un éloignement de quelque lieu ordoné (sic) par le Gouvernement. » Expatriation est un synonyme de ces termes, mais s’il peut, comme eux, désigner le fait de chasser quelqu’un de sa patrie, il peut aussi désigner la situation d’une personne qui, en dehors de toute sanction et avec son accord, est envoyée à l’étranger, par une entreprise ou un État, pour y exercer une activité durable, et c’est ce sens qui est le plus en usage aujourd’hui. Quant au verbe dont il est tiré, expatrier, il a, comme exiler, et contrairement à bannir, la particularité de pouvoir s’employer à la forme pronominale quand il se rapporte à une personne qui décide, de son libre choix ou par nécessité, de quitter son pays.

Si ces mesures pouvaient être temporaires, il n’en allait pas de même avec la déportation, une peine perpétuelle, afflictive et infamante, qui consistait, en France, à envoyer le condamné dans une résidence forcée, en dehors du territoire continental, le plus souvent en Guyane. Il y avait dans la déportation, qui entraînait la mort civile du condamné, deux niveaux de sévérité. Dans le cas le moins rude, le condamné était libre de ses mouvements dans les limites du territoire où on l’avait déporté ; dans les cas les plus graves, il restait prisonnier dans une forteresse. Cette peine a été remplacée en 1960 par la détention criminelle. Aujourd’hui ce nom désigne essentiellement le transfert et internement dans un camp de concentration ou d’extermination. En droit ancien, la déportation était proche de la transportation, c’est-à-dire le transfert outre-mer de détenus (essentiellement en Guyane) en exécution de certaines peines de privation de liberté de longue durée. La transportation concernait essentiellement les condamnés aux travaux forcés.

Le nom proscription désignait jadis une mesure coercitive prise contre certaines personnes en période de troubles civils graves et, en particulier, désignait le bannissement pour menace à la sûreté de l’État, qui interdisait au proscrit l’accès du territoire français. Mais ce nom doit pour l’essentiel sa triste renommée au sens qu’il avait dans l’Antiquité romaine, quand il désignait la condamnation à mort de citoyens par le pouvoir, et ce, sans décision de justice, pour la simple raison qu’ils déplaisaient aux hommes alors à la tête de l’État. Cette condamnation était rendue publique et exécutoire par le simple affichage du nom des proscrits dans le Forum. Les plus célèbres et les plus tragiques de ces proscriptions sont celles qui furent commandées par Marius et Sylla. Aujourd’hui le mot proscrit désigne plus ordinairement une personne qui se voit refuser l’entrée d’un cercle, d’un salon etc.

La relégation était en France une peine supplémentaire appliquée à certains récidivistes après l’accomplissement de leur peine principale, qui leur imposait de résider définitivement sous l’autorité de l’administration pénitentiaire dans une colonie puis, à partir de 1939, dans un département de la métropole. Dans l’Antiquité, c’était une forme d’exil durant lequel le condamné était assigné à résidence sans perdre ses droits politiques et civils. Un des relégués les plus célèbres de l’Antiquité, Ovide, en rend compte dans les Tristes (II, 8), quand il écrit à Auguste : « Tu n’as pas confisqué mon patrimoine ; […] tu n’as pas fait décréter ma condamnation par un sénatus-consulte ; un tribunal spécial n’a pas prononcé mon exil, l’arrêt […] est sorti de ta bouche […]. En outre, l’édit, tout terrible et tout menaçant qu’il fût, est énoncé dans des termes pleins de douceur. Il ne dit pas que je suis exilé, mais relégué (Quippe relegatus, non exsul dicor in illo). »

La relégation, liée à une décision de justice en France, dépendait dans l’Antiquité, on l’a vu, du pouvoir discrétionnaire du prince, mais elle conservait encore quelque apparence de légalité. Elle fut particulièrement utilisée dans l’Italie fasciste ; ainsi Carlo Levi fut relégué dans la région de Mezzogiorno, expérience dont il tira le sujet de son roman le Christ s’est arrêté à Eboli.