Album Louis-Ferdinand Céline
de Frédéric Vitoux
à paraître le 11 mai aux éditions Gallimard
Les images retracent la vie de Céline ; elles ne l’expliquent pas. Le jeune homme élégant, un peu faraud, photographié à la veille de son départ pour l’Afrique deviendra un vieillard aux lainages douteux dans le jardin de sa maison de Meudon. Cela, en somme, c’est l’histoire de toute vie. Mais comment passe-t-on de la rampe du Pont de Courbevoie à ce triste pastiche de château féodal, Sigmaringen ? Pourquoi un enfant souriant et bien peigné devient-il cet homme si attentif à la conférence donnée, un jour de mai 1941, à l’Institut d’étude des questions juives ? D’où vient que le même nom d’auteur figure sur la sobre couverture de Voyage au bout de la nuit et sur celle, plus sobre encore, de Bagatelles pour un massacre, où s’abîment en 1937 toute l’humanité, toute la compassion qu’on avait cru déceler dans le roman de 1932 ?
Ce que retracent ces images, avec la vie de Céline, c’est la folie d’un monde travaillant à sa propre destruction. Le maréchal des logis sous son casque à cimier, le blessé arborant sa médaille militaire dans les jardins du Val-de-Grâce, le fuyard de 1944 à la fausse carte d’identité (« Deletang, Louis François »), le promeneur de Copenhague encore alerte à la veille de son arrestation, l’exilé de Klarskovgaard au visage émacié et l’amnistié endimanché retour d’exil entrent en scène tour à tour et racontent l’histoire du demi-siècle. La somme de ces figures en dessine une autre, celle de l’auteur d’une des œuvres romanesques les plus puissantes du XXe siècle, tout entière marquée par les guerres mondiales et constamment soutenue par l’invention, approfondie livre après livre, d’une nouvelle manière d’écrire le français.
Sur les chemins escarpés d’une telle existence, c’est Frédéric Vitoux qui accompagne le lecteur, et il le fait d’une manière extraordinairement vivante. Il clarifie ce qui demande à l’être, ne simplifie pas ce qui ne doit pas l’être, n’escamote pas les obscurités et n’oublie jamais « ce qui nous importe le plus et qui se raconte le moins », la littérature.