Rapport sur les concours de l'année 1939

Le 14 décembre 1939

André BELLESSORT

ACADÉMIE FRANÇAISE

SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE

du jeudi 14 décembre 1939

RAPPORT SUR LES CONCOURS LITTÉRAIRES

DE

M. ANDRÉ BELLESSORT
DÉLÉGUÉ DE LACADÉMIE FRANÇAISE

 

 

Messieurs,

Je ne fais ici que remplacer, l’espace d’une heure, le Secrétaire Perpétuel. C’est de M. Georges Goyau que nous espérions entendre ce rapport sur les Prix Littéraires. Il avait présidé nos commissions avec la conscience délicate qu’il apportait à l’accomplissement de tous ses devoirs. Je ne sais où il avait pris le temps de lire les livres qui nous étaient présentés, mais beaucoup lui semblaient déjà familiers, et aucun de ceux qui touchaient à la Révolution et à l’histoire religieuse ne lui avait échappé. Il nous donnait son opinion toujours franche et nette ; et il n’hésitait jamais à reconnaître le mérite littéraire d’un ouvrage dont il était loin de partager les idées. Sa bonté, qui était aussi grande que son intelligence, entrait dans sa critique non pour l’affaiblir, mais pour la rendre plus compréhensive et plus soucieuse d’équité ; et la fermeté de ses croyances, dont il n’avait à convaincre personne, lui assurait une pleine liberté d’esprit. Son rapport de l’an dernier nous le montrait aussi renseigné sur notre littérature contemporaine que sur les travaux d’exégèse et sur tout ce qui intéresse la vie religieuse. Pouvait-on écrire l’histoire d’un seul missionnaire qu’il n’eût pas déjà accompagné dans son apostolat, assisté dans son martyre ? Mais il connaissait aussi bien que vous les romans à succès et vous citait quelques beaux vers du dernier recueil paru. Nous avons perdu en lui un grand esprit plein de charme.

Son rapport de 1939 auquel il avait certainement pensé, mais dont la maladie ne lui a pas permis de jeter même une première ébauche, eut été plus d’une fois marqué de cette chaleur d’âme qui donnait de l’imagination à son style, car il y eut rencontré de belles figures et de grands livres. Il me paraît en effet que, cette année, les livres couronnés par l’Académie forment un ensemble qui n’a rien à envier aux années précédentes. Je voudrais d’abord nommer les écrivains dont nos grands prix ne récompensent pas un ouvrage mais consacrent toute une œuvre.

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Nous avons décerné le Grand Prix de Littérature à M. Jacques Boulenger, un des esprits les plus curieux et les plus solides de nos Lettres contemporaines. Il est entré allègrement dans la vie littéraire, avec foi et avec bonne foi. En 1914, il avait commencé par un très joli livre sur Gérard de Nerval ; et, après la guerre, alors que chaque quartier de Paris avait sa maison de danses, il nous donna De la Valse au Tango, de la danse mondaine du Premier Empire à nos jours. Gai prélude à de plus graves ouvrages comme La Vie de saint Louis ou Le Grand Siècle. Mais il a toujours gardé le goût de l’humour et sa pointe de curiosité des cas étranges. Plus tard, quand il aborda le roman, il rajeunit, sans trop d’invraisemblance, l’antique légende qui voulait que Tirésias eût été femme, puis homme ; et son récit s’intitula Adam ou Ève ? Auparavant il avait travaillé sur Rabelais. Nostradamus l’avait sollicité, et Marceline Desbordes-Valmore, à peine moins mystérieuse. Il réussit ce tour de force de nous intéresser, après Jules Lemaître, après Lucien Descaves, pour n’en pas citer d’autres, à l’énigme qu’elle nous propose. A qui revient l’heureuse responsabilité de ses vers d’amour ? Comment se nommait celui « dont elle ne s’est jamais réveillée », celui dont elle respirait encore en elle-même l’enivrant souvenir, à soixante-et-onze ans ? M. Boulenger donna à ce propos un bel exemple. De nouveaux documents ayant été produits, il recommença son livre. Son siège à lui n’est jamais fait. En même temps, la verve, la pénétration d’esprit, l’aimable érudition et la sincérité de ses campagnes littéraires étaient très remarquées ; il avait l’usage des meilleures méthodes et les appliquait avec art ; il animait les discussions et déployait au besoin, dans ses analyses, l’habileté d’un romancier. J’aime le titre sous lequel il a réuni ses articles : ...Mais l’art est difficile. C’est ce que le critique ne doit jamais oublier : il se tiendra aussi éloigné d’une sévérité irritante (le silence vaudrait bien mieux) que d’une prodigalité d’éloges qui abaisse l’art et le discréditerait.

Il se pourrait que jusqu’ici le meilleur de son œuvre fut son adaptation des Romans de la Table Ronde, en quatre volumes. Ce n’était pas la faute des Du Bellay et des Ronsard qui les aimaient, s’ils étaient ensevelis, au moins pour les lettrés, dans un sommeil tricentenaire. On n’en conservait la mémoire que chez le petit peuple qui en recueillait les échos à l’éventaire des colporteurs. Vers la fin du XVIIIe siècle, le comte de Tressan, vers 1868, Paulin Pâris, avaient tenté de les réveiller. Mais Tressan les avait si mal nourris, Pâris si bien sermonnés qu’ils s’étaient rendormis, pendant qu’en Angleterre la traduction d’un bon écrivain, Thomas Malory, continuellement réimprimée, inspirait l’art d’un Burne-Jones, la poésie de Tennyson, de Mattew Arnold, de Swinburne. M. Jacques Boulenger eut à cœur de remettre dans le courant de nos lectures le vaste roman des Enfances de Lancelot, de ses amours, de ses aventures, du Graal, du roi Arthur, toute cette source de courtoisie de respect des femmes, de pur amour, de mysticisme, qui s’épanche comme un fleuve à travers notre littérature et n’a jamais été plus brillante qu’en baignant la tragédie de Racine. M. Boulenger était mieux armé que ses prédécesseurs. Il disposait de l’édition du Lancelot publiée à Washington, en sept in-40, de 1909 à 1913, et des plus riches commentaires, et du Joseph d’Arimathie de Robert de Baron et des poèmes de Chrétien de Troyes. Joseph Bédier, l’incomparable auteur du Roman de Tristan et d’Iseut, applaudit à cette œuvre qu’il avait attendue, qu’il jugeait nécessaire, et il la présenta lui-même au public dans des pages exquises. Il y définissait le travail qu’exigeait l’adaptation de ces anciens romans, et sa définition nous livrait son secret et celui de son jeune confrère. Que faire ? « Observer patiemment la manière des vieux maîtres ; s’imprégner de leurs couleurs, de leur esprit, puis, à leur exemple, modeler à nouveau la matière épique ou romanesque, élaguer, transposer, combiner, développer ou réduire et parfois renouveler. » Et il ajoutait : « C’est créer. » Depuis cette création et ces autres ouvrages qui suffiraient à toute une vie, M. Jacques Boulenger a voyagé en compagnie d’anciens explorateurs dont il a édité les mémoires ; et il a voyagé aussi pour son compte. Nous l’avons vu partir pour l’Orient, l’imagination encore pleine d’Arthur et du Graal, comme nos Croisés. La Grèce et ses îles l’ont conquis ; il nous en rapporta des Contes et un livre délicieux : Corfou, Vile de Nausicaa. Et toujours cette belle humeur critique et bienveillante, prête à faire accueil aux nouveautés, mais ennemie de la convention et du snobisme.

 

Un autre grand prix, le Prix Broquette Gonin, va cette année à notre confrère des Beaux-Arts, M. Adolphe Boschot. L’Académie française a des droits sur lui. Il a débuté dans les lettres par un petit livre, La Crise Poétique, où il annonçait la mort du Parnasse, l’avortement de la réaction vers-libriste et qu’il dédiait u au poète qui viendra ». Il avertissait ce messie que le vers libre ne convenait qu’aux chansons populaires ; il lui donnait des conseils prosodiques qui révélaient chez lui un vif sentiment du rythme et de la sonorité des mots ; et il y adjoignait des conseils de vie qui se résumaient dans cette formule : un poète, c’est la plus haute façon d’être un homme. Nous étions loin de penser, lui et moi, quand je signalais son essai dans un de mes premiers Au jour le jour des Débats, que, quarante ans plus tard, j’aurais l’occasion et le plaisir de le lui rappeler ici, à lui Secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts. Cet essai avait retenu l’attention de Sully Prudhomme que les questions de prosodie tourmentaient presque autant que les questions morales et religieuses. Le poète lui écrivit une lettre ouverte dans la Revue de Paris et lui demanda d’y répondre publiquement. Il inséra même cette réponse dans son Testament Poétique. Mais la poésie avait conduit M. Boschot à la musique. Il fut un des rares critiques musicaux qui font autorité et dont les musiciens eux-mêmes, m’a-t-on dit, acceptaient les jugements. Il n’en demeurait pas moins fidèle à ses amitiés littéraires. Son admiration pour Mozart ne gênait pas son admiration pour « l’exact, précis et strict » Théophile Gautier. Il leur consacra à chacun d’eux un livre plein d’esprit et de tendresse ; mais il a mis plus de dix ans de sa vie à composer un Hector Berlioz ; et son nom restera uni à celui de notre grand musicien. Il avait d’abord écrit le long roman de son existence en trois volumes : La jeunesse d’un Romantique — Un Romantique sous Louis Philippe — Le Crépuscule d’un Romantique. Quels documents n’avait-il pas rassemblés ! La famille de Berlioz, des collectionneurs, des archivistes, des amateurs d’art, lui avaient versé des panerées de lettres manuscrites ; il avait fouillé les archives de Grenoble ; il avait compulsé à Rome les papiers de la Villa Médicis ; il avait dépouillé des collections de journaux de 1820 à 1870 ; il avait enfin pu réunir, pour les quarante années productives de Berlioz, plus d’un document par jour. Y a-t-il des vivants que M. Boschot ait mieux connus que ce mort ? Un de ses lecteurs lui écrivit que, si on additionnait le nombre des pages du récit dans ses trois volumes, en négligeant les pages de tables et d’annexes, on arrivait au chiffre fatidique de 1830. Son ouvrage avait fondé sa réputation. Mais M. Boschot comprit que l’importance matérielle en gênerait la diffusion. Il le réduisit à un volume in-12 de quatre cents pages : Une Vie romantique : Hector Berlioz. Il eut le courage de faire ce à quoi tant d’auteurs de lourdes thèses, d’ailleurs intéressantes, devraient consentir, et même, le plus souvent, avant d’avoir noirci dix-huit cents pages. Ou l’on écrit pour être lu et pour instruire ses contemporains, ou l’on écrit seulement pour se plaire, pour prouver qu’on était capable de remplir des in-4° et, par surcroît, pour renseigner quelques amateurs, quelques érudits isolés ; et, en ce cas, il faut avouer qu’on se propose là un bien médiocre but. D’autre part, la vie est devenue telle que nous ne saurions lire des centaines et des centaines de pages sur un homme qui n’a pas au moins bouleversé le monde. Berlioz pourtant serait un de ceux dont on excuserait presque le biographe d’allonger son livre.

Berlioz n’est pas seulement un musicien génial ; il est aussi un des plus beaux représentants de la génération de 1830. Il dépasse, de beaucoup, un Dumas qui garde un fond solide de bon sens gaulois ; un Musset qui est encore trop XVIIIe°siècle pour s’abandonner entièrement aux folies romantiques. L’auteur effréné de La Damnation de Faust vit sur la place publique. Ses espérances, ses rêves, ses déceptions, ses peines d’amour perdues, ses emportements, ses souffrances de jeunesse, les tristesses de sa maturité, les révoltes de son âme moribonde, tout le monde en reçoit le cri ou la confession. Il a eu des bonheurs indicibles sans connaître jamais la parfaite sérénité. Il a serré dans ses bras une Ophélie de Shakespeare qui est devenue à la longue une dame obèse, acariâtre et violente. Il a eu une seconde femme qui n’avait pas de voix et qui voulait chanter, ce qui doit être la pire infortune pour un musicien. Ses éruptions amoureuses épouvantaient ses amis. Un des mots qui revenait le plus souvent sous sa plume ou dans sa conversation était le mot foudre. Il rugissait mieux qu’Antony. « Mort et damnation. » s’écriait Antony. « Feux et tonnerres ! » s’écriait Berlioz. Mais damnation lui servait aussi : « Damnation ! clamait-il. Je broierais un fer rouge entre mes dents ! » Ses désespoirs étaient volcaniques. L’amour et la musique ont rempli sa vie de ravissements et des plus âcres désenchantements et l’ont fait déborder tour à tour d’enthousiasme et d’amertume. Il ne doutait point de son génie, et, à plus de soixante ans, il rencontrait encore des gens qui le « découvraient ». La mort boiteuse le prit alors qu’il continuait d’implorer de la vie, comme s’il l’eut mendiée, une rumeur d’applaudissement. M. Boschot a écrit un modèle de biographie dramatique, non romancée ; et son livre nous prouve que les dramaturges et les romanciers romantiques ont mis sur la scène et dans leurs récits, non des héros empruntés aux Byron et aux Schiller, mais les hommes tels qu’ils les voyaient autour d’eux et que les avaient faits la fin du XVIIIe siècle, la Révolution et l’Empire. Ainsi Corneille avait peint les Frondeurs et Racine les amoureux et les amoureuses du temps de Louis XIV.

 

Le Prix Louis Barthou, « destiné â un écrivain français dont l’œuvre et la vie auront servi la gloire, le renom, les intérêts de la France », a été décerné à M. Jacques Chevalier, qui est connu, aimé, admiré au delà de nos frontières. M. Chevalier, doyen de la Faculté des Lettres de Grenoble, est certainement un des Universitaires qui ont fait le plus de bien dans son pays et au dehors. Son dernier volume, récemment paru, s’intitule Cadences, par analogie avec les pauses du musicien qui s’arrête, médite, écoute la voix du silence, puis repart après avoir fait résonner une ou deux notes fondamentales. Vous y trouverez les principales questions qui l’ont hanté dans ses livres précédents, par exemple La Vie morale et l’Au-delà, et dans ses ouvrages si personnels sur Pascal et sur Descartes, « ces deux grands représentants de deux formes ou méthodes de pensée entre lesquelles se partage l’esprit moderne : philosophies de la raison pure, et philosophies de l’intuition et du cœur. » Je vous y recommande une des plus belles phrases qu’on ait écrite sur Descartes. Elle me rappelle la fameuse période où Bossuet développe la vie voyageuse et créatrice de saint Paul, car elle fait passer sous nos yeux toutes les images du philosophe bien plus sensible qu’on ne le croit, plus timide aussi, « qui revêtit, comme les comédiens sur la scène, le masque destiné à recouvrir la rougeur de leur front », mais qui n’éprouva jamais de crainte dans sa recherche de la vérité ; il savait « allier la générosité qui porte à entreprendre de grandes choses avec l’humilité vertueuse qui ne traite jamais de l’infini que pour se soumettre à lui. » Je note aussi dans cette partie de son livre, Chocs d’idées, des études très prenantes sur Ampère et l’esprit d’oraison, sur les sources de la morale et Bergson. Effrayé des incohérences où se débat le monde moderne, M. Chevalier en accuse l’absence de morale. Nous sommes-nous assez plu à assimiler les hommes aux bêtes ! Nous avons oublié que « l’équilibre humain ne se réalise qu’en hauteur... » et que « l’homme n’est véritablement ce qu’il est que lorsqu’il est ce qu’il doit être ». Chaque fois qu’on parle d’une ruse, d’une rapacité, d’une ingratitude, d’une traîtrise, il se trouve toujours quelqu’un pour dire : « Ah, c’est bien humain ! » On devrait dire au contraire : « C’est bien animal ! C’est comme dans la nature, comme dans la jungle ! » Plus on est homme plus on s’éloigne de l’animalité, plus on a des sentiments que les bêtes n’ont pas, une imagination qui leur fait défaut, la conscience du bien et du mal, la peur de la mort. Pourquoi écouter la nature ? Elle ne nous enseigne jamais nos devoirs. Mais il faudrait que nous prissions le temps de méditer. L’agitation de notre vie nous en empêche. Et ce qui manque le plus aux hommes, c’est le caractère, l’indépendance, le courage d’être soi. Rarement un esprit ose être ce qu’il est, disait Boileau dans un vers qu’Alphonse Daudet admirait. Apprenons donc ou réapprenons à méditer. M. Chevalier a un très beau chapitre sur les Chartreux auxquels il doit une des plus fortes impressions de sa jeunesse et qu’il a revus vingt ans plus tard. Il confronte leur servitude volontairement acceptée et l’impatience de tous les jougs qui caractérise notre âge et qui lui fait considérer comme la plus inutile des folies la vie de silence et de recueillement. Nous ne savons plus que « l’action n’a de valeur et d’efficacité que si elle se retrempe et s’alimente sans cesse dans la contemplation. » Et voyez : cet Ordre n’avait d’autre but que de glorifier Dieu par sa prière et son labeur, et une découverte scientifique considérable l’attendait sur sa route qui semblait hors du monde : les Chartreux ont été les inventeurs de la métallurgie moderne. C’est une histoire que M. Chevalier nous raconte avec autant de plaisir qu’il a eu à la lire, comme plus loin il nous entretient de Bayard en homme qui sort de la lecture du Loyal Serviteur. Peu de moralistes ont une façon aussi amicale de s’adresser à nous. On sent en lui un grand désir de nous être utile, et on ne se lasse point de goûter cet agrément d’honnête homme qui émane de ses plus graves pensées.

 

Mme Saint-René Taillandier reçoit le Prix Alice-Louis­Barthou « destiné à une femme de lettres française soit pour une œuvre, soit pour l’ensemble de ses œuvres ». L’Académie ne pouvait arrêter son choix sur une femme de lettres entourée d’une plus affectueuse considération ni plus intimement française. Le talent dans sa famille est obligatoire. Elle a satisfait de très bon cœur à cette obligation. Elle est de la lignée des grandes dames et des grandes bourgeoises qui, du XVIIe siècle (pour ne pas remonter plus haut) jusqu’à nos jours, ont été un des honneurs et une des joies les plus vives de nos Lettres. La dernière en date, avant Mme Saint-René Taillandier, fut Mme Arvède Barine dont les portraits d’âmes et les essais sur des œuvres étrangères n’ont pas vieilli. Si Mme de Sévigné avait fait de l’histoire, elle en eut fait comme l’auteur de La Princesse des Ursins ou de Henri IV avant la messe ; et la conversation de Mme Saint-René Taillandier nous permet de croire que ses lettres ajouteraient à notre trésor épistolaire. Ses livres conduits d’une allure rapide, qui soulève parfois le léger voile de son ironie, sont pleins de verve et de fines observations sur la vie. Elle ne se laisse pas mener par son sujet ; elle le domine toujours et d’un peu haut, ce qui est une façon de le traiter supérieurement. « On n’écrit point ici l’histoire, dit-elle dans un de ses livres, mais seulement l’histoire des sentiments. » On lui saura gré de n’avoir jamais sacrifié l’étude des âmes au pittoresque. Dieu sait pourtant si le pittoresque pouvait la tenter dans la vie de la Princesse des Ursins, en pleine Espagne du XVIIe siècle. Elle avait sous la main un ouvrage extrêmement curieux, qui a donné à Taine la matière d’un de ses plus brillants articles, Les Lettres de la Comtesse d’Aulnoy sur la Cour et la ville de Madrid. Il n’y a pas de voyage en Chine, en Tartarie, en Perse, auThibet ou dans le vieux Japon qui nous étonne plus que cette relation d’un séjour en Espagne à la fin du grand siècle. MSaint-René Taillandier n’en a retenu que quelques détails qui, d’ailleurs, suffisent à nous suggérer l’étrangeté du milieu. Toute son attention est absorbée par le jeu des esprits, le mouvement des âmes et sa sympathie pour l’admirable femme qui travailla si âprement à l’affermissement de la dynastie française au delà des Pyrénées et que Malborough appelait avec rage « l’âme damnée de la France ». Ses modèles, Mme de Maintenon, la Princesse des Ursins, Henri IV, Mme de Sévigné et même Mme de Grignan qui s’est fait aimer d’elle, sont marqués d’un trait commun, le bon sens, la raison clairvoyante. S’ils rencontraient dans la vie Mme Jourdain, ils auraient tous du goût pour elle. Du reste, la Princesse des Ursins, consultée par Louis XIV sur le choix d’un ambassadeur, fit nommer un bourgeois, Amelot. Que de bonnes soirées Mme Saint-René Taillandier a passées dans sa société et dans celle de Henri IV ! Quelles comédies le Béarnais lui offrit qui n’étaient que les mises en œuvre d’une habileté riche d’expérience et si humaine ! Elle n’aime pas Catherine de Médicis. Balzac et M. Romier la chicaneraient peut-être. Quant à l’opinion du roi Henri sur la Florentine, qui s’était plus d’une fois laissé prendre à ses attentions courtoises, il l’exprima, « à sa manière laconique », le jour où, visitant à Saint-Denis le somptueux tombeau de Catherine, il se tourna vers ses familiers et dit en souriant : « Ah ! qu’elle est bien là ! » Les livres de Mme Saint-René Taillandier sont une des lectures les plus savoureuses et les plus variées ; ou y passe de la comédie au drame ; et parfois une page s’en détache, foute gonflée de l’amour du pays,

 

Le Prix Alfred Née, qui récompense une œuvre originale comme forme et comme pensée, a été attribué à M. Daniel Rops. L’entrée dans les lettres de ce jeune professeur d’histoire, qui aurait aussi bien pu l’être de rhétorique ou de philosophie, fit concevoir des espérances qu’il est en train de réaliser. Écrivain très pur, dépourvu de toute affectation, d’autant plus épris de la modernité que la rapidité des transformations en double l’attrait, M. Rops s’est appliqué à saisir les nouveaux aspects de la vie morale au lendemain de 1918. Le trait qui l’a le plus frappé chez les générations nouvelles, surtout chez celles qui avaient fait la guerre a été l’inquiétude, — une inquiétude qui ne ressemblait point au mal romantique. En 1815, la jeunesse souffrait de son élan brisé et des humiliations où avait abouti l’Epopée. En 1919 le poids de la victoire si chèrement achetée et la réadaptation à l’existence normale la laissaient hésitante devant la croisée des chemins. Les âmes longtemps bouleversées ne retrouvaient pas leur équilibre ; et, d’autre part, leur curiosité intellectuelle qui, par une suite naturelle aux grandes mêlées d’hommes, s’était étendue, multipliait leurs sujets de réflexion et de doute. De là ses premiers ouvrages Notre inquiétude et Carte d’Europe où chaque pays était représenté dans la personne et l’œuvre d’un de ses grands écrivains qui avait connu et décrit la langueur nostalgique ou l’anxiété. Il comprit bientôt que, lorsqu’on vise au grand public, le meilleur truchement des idées morales et philosophiques, c’est encore le roman. Il écrivit L’Âme obscure. Son héros fuit la certitude comme un triste oiseau de nuit la lumière. Le jour où l’amour pourrait le sauver, il est incapable de renoncer à une vie anxieuse dont les alternatives lui composent un drame passionnant. Mais son humeur sombre s’explique par la révélation d’un crime que son père a commis ; et ce n’est plus notre inquiétude. Voulez-vous nous peindre un vrai pessimiste ? Commencez par l’accabler des faveurs de la vie. Un véritable inquiet ? Refusez-lui tout souci, toute raison de s’inquiéter. Un livre de nouvelles, pour la plupart symboliques, suivit ce premier roman ; il empruntait son titre à un cantique de Racine qui l’avait emprunté à saint Paul : Deux hommes en moi. Elles tendent à nous prouver que notre main peut devenir meurtrière avant que notre conscience le lui ait ordonné, — que nous mourons inconnus aux autres comme à nous, — et que nous portons au fond de nous-mêmes, comme un oiseau sauvage endormi, un merveilleux désir d’évasion et d’aventure. Puis ce furent des livres de psychologie et de morale sociale : La misère et nous ; La Maladie des Sentiments ; Le Tournant de la France. Puis deux romans à cinq ans de distance, car, si M. Daniel Rops produit beaucoup, il travaille pourtant avec une lenteur scrupuleuse : O mort, où est ta victoire ? et L’Épée de feu. Ces romans nous tiraient des incertitudes que le précédent avait épaissies. Dans l’un, le coup de foudre de la Grâce faisait sortir l’âme des marécages du péché. L’autre semblait signifier la faillite du socialisme bourgeois, l’horreur du communisme policier, et surtout l’impossibilité pour une famille de se maintenir sans le lien religieux. Que M. Rops ait tout disposé autour de ses personnages et en eux pour nous convaincre de leurs erreurs, c’est la raison que j’ai de me défier des romans et des pièces à thèse. La vie est moins claire, moins didactique. Mais pourquoi lui reprocherions-nous ses constructions intellectuelles et ce qui nous paraît être des invraisemblances ? Elles n’infirment pas l’intérêt de son récit qui nous saisit et s’installe à demeure dans notre mémoire. Et savez-vous pourquoi ? Parce qu’il n’a pas suivi l’exemple des nombreux romanciers qui, dans ces vingt dernières années, ont éprouvé une étrange prédilection pour les âmes médiocres, les esprits vulgaires, les personnages sans énergie, sans volonté, les malades. M. Daniel Rops s’oriente presque toujours du côté de la grandeur. Son héroïne de « Mort, où est ta victoire ? lorsque l’amour s’est éteint en elle, livre sa nuit intérieure au sabbat des sens. Mais, sous l’orgueil et la sensualité qui l’ont perdue, elle respire le désespoir des grandes âmes. Il y a toujours de la noblesse dans les romans de M. Daniel Rops.

 

Enfin, il me plaît d’avoir à nommer ici MM. Marius et Ary Leblond à qui l’Académie attribue le grand Prix Jean Reynaud. L’œuvre de ces bons et aimables écrivains est abondante et diverse. Ils ont fait des romans, l’Amour sur la montagne, et un livre sur le Roman colonial qui s’est développé depuis vingt ans. Ils nous ont raconté de curieuses Histoires d’Afrique ; ils ont écrit Les Belles et Fières Antilles ; ils ont recueilli les paroles de Galliéni et traité des Arts indigènes à Madagascar. Nous aimons à prononcer le nom d’un de leurs meilleurs ouvrages : La Pologne vivante. Ils composaient hier, en collaboration avec Mme Jean-Brunhes-Delamarre un livre pour les adolescents, que nous avons couronné : La France dans le monde ; et ils n’ont pas eu peur d’écrire, après Jullian, un Vercingétorix qui s’introduira où l’autre ne va pas. On les rencontre sur tous les chemins qui mènent à une gloire de la France, à une de ses œuvres, à une de ses amitiés. L’Académie est heureuse de marquer sa sympathie à une aussi honorable carrière d’hommes de lettres.

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Nous arrivons maintenant aux prix qui ne sont décernés qu’à un seul ouvrage. Le grand Prix Gobert, « fondé pour le morceau le plus éloquent d’histoire de France », — nous dirions aujourd’hui pour le livre le plus solide et d’une tenue littéraire irréprochable, — a été attribué à un ouvrage excellent, d’un intérêt très vif et qui contredit l’idée que la vie d’un personnage qu’ils ne connaissent pas ne saurait attacher les lecteurs. Etienne-Alexandre Bernier, évêque d’Orléans (1762-1806), de M. Jean Leflon, ne semble pas comporter une étude en deux volumes. Et pourtant nul ne se plaindra qu’elle soit trop longue, car Bernier, curé de Saint-Laud, a joué dans l’insurrection vendéenne et dans l’établissement du Concordat un rôle dont son ambition aurait pu être satisfaite si, chaque fois qu’il tendait la main pour saisir sa récompense et l’objet de sa convoitise, une maladresse, une défaillance de sa dignité, je ne sais quoi d’obscur ou de douteux ne l’avait tiré en arrière. L’insurrection vendéenne devait le servir ; elle se tourna contre lui. Il a le bonheur de conclure le Concordat ; il n’obtient dans un évêché de province qu’une place de second rang. Il contribue à décider le voyage du pape ; c’est lui qui règle l’ordonnance liturgique du Sacre : Napoléon ne le regarde plus. Il commence par séduire ; puis il inquiète ; il finit par éloigner. Son esprit est clair ; ses desseins ne le sont pas. M. Jean Leflon a fait revivre cet homme complexe et même énigmatique à travers les mille événements d’une des périodes les plus compliquées et les plus dramatiques de notre histoire. Un prêtre seul pouvait réunir une aussi minutieuse documentation sur la renaissance des évêchés au moment du Concordat, en particulier de l’évêché d’Orléans ; et M. Leflon est curé de Saint-Nicaise à Reims ; mais il fallait un historien qui fût un bon écrivain pour distribuer et ordonner cette masse de fiches et pour y éclairer les intrigues jusque dans leurs fils les plus ténus. Le fondateur du Prix, le baron Gobert, parlait d’éloquence. Le Bernier de M. Leflon répond à ce vœu dans ce sens qu’il en ressort une leçon éloquente : il ne suffit pas d’avoir été mêlé aux affaires les plus considérables pour être célèbre, ni même d’y avoir exercé une importante action : si vous n’avez pas eu autant de dignité que d’ambition, si vous vous êtes commis dans de louches intrigues, si vous vous êtes abaissé à de basses flatteries, en un mot si vous avez manqué de caractère, les grands services que vous aurez rendus ne vous imposeront pas à l’histoire ; elle fera comme avec Bernier ont fait Napoléon, Mme de La Rochejacquelin et tant d’autres, elle vous méprisera et vous oubliera jusqu’au jour où un érudit doublé d’un historien vous relèvera de la fosse anonyme et, après vous avoir rendu pleinement justice, terminera son livre en accordant « le bénéfice de sa compassion raisonnée » au « malheureux » que vous êtes.

L’histoire, de la Révolution et de l’Empire est toujours représentée dans les livres qu’on nous envoie par des ouvrages d’érudits de province, bons lettrés, qui ont patiemment éclairci un point de l’histoire locale et qui sont une des forces de l’érudition française. Cette année, l’Académie a donné le second Prix Gobert à M. Georges Sangnier pour La Terreur dans le district de Saint-Pol et le Prix Marcelin Guérin à M. l’abbé Tavernier pour Le Diocèse du Puy sous la Révolution. D’ailleurs notre époque est avant tout une époque d’historiens. Toutes les formes de l’histoire, la grande histoire, la petite qui est quelquefois aussi grande, la biographie, les mémoires, plaisent également à un public qui ne cesse d’augmenter. On se demande si l’histoire romancée, sur laquelle on peut faire tant de réserves, n’a pas amené beaucoup de ses lecteurs, comme du reste quelques-uns de ses auteurs, à la véritable histoire, si elle ne leur en a pas communiqué le besoin, en même temps que les historiens, sans romancer leurs sujets, essayaient de mettre dans leurs récits plus de vie et un peu de l’habileté des romanciers. Toujours est-il que l’histoire de nos rois, de nos grands hommes, de nos périodes les plus dramatiques, a été reprise et refaite. L’Académie a réservé une part un peu plus importante du Prix Thérouanne au livre où le Conservateur des Archives et. du Musée de Saint-Denis, M. R. Barroux, raconte le règne de Dagobert, roi des Francs. Il nous fait le tableau de la société mérovingienne, de ses villes, dont le siège est si long que souvent l’assiégeant se décourage, de sa barbarie que l’Église s’emploie à corriger. Pendant les seize années que dura ce règne, le royaume fut en paix. La sécurité faisait oublier à ses sujets les éternelles menaces d’assaut, de pillage, d’incendie, de captivité. Son historien remarque avec mélancolie que, roi cruel et batailleur, on eut conservé sa mémoire. Mais il était pacifique, un des premiers fondateurs de l’unité française, entouré de conseillers, abbés ou évêques que l’Église canonisa. Son siècle, pauvre en art, ne disposait ni de poètes ni d’artistes pour chanter, peindre ou sculpter sa gloire. L’orfèvrerie de saint Éloi en était la seule richesse artistique. Le souvenir de sa justice et de sa charité s’évanouit. Il avait enrichi Saint-Denis ; les moines reconnaissants firent de lui le héros d’une hagiographie puérile qui se substituait à l’histoire. Cependant, dit M. Barroux qui s’en étonne, « il jette dans ces siècles tragiques comme une note de gaieté ». Cela vient sans doute de ce qu’il eut nombre d’aventures féminines, au grand ennui du bon saint Éloi.

S’il m’est impossible de vous énumérer tous les travaux historiques que l’Académie a distingués, je vous en signalerai pourtant quelques-uns, non qu’ils nous paraissent d’une qualité supérieure à celle des autres, mais en raison de la difficulté qu’ils présentaient aux auteurs ou des circonstances où ils se sont produits. Un grand Prix Muteau est accordé à l’Histoire de l’Armée allemande de M. Benoist­Méchin. Cette histoire, — un de ceux qui en ont rendu compte, M. Varillon, l’a fort bien dit, — est l’histoire de l’Allemagne depuis vingt ans. Elle commence à la séance où cinquante généraux allemands imposèrent l’abdication à Guillaume II. L’Allemagne a été vaincue militairement ; on le sait en Amérique, en Angleterre, en France, en Belgique ; on le sait partout, sauf en Allemagne où officiers et soldats rentrent dans leurs villes couronnés de chêne. L’État-Major est resté le maître. Ce livre d’une « énorme documentation » est dur à lire, tant il dévoile chez nous d’ignorance, d’insouciance et d’erreurs. Je n’en pense pas moins, comme le critique que je citais, qu’on voudrait le voir dans toutes les bibliothèques et sur toutes les tables de France.

Puis voici deux livres dont l’impartialité est très remarquable. M. Chassagne, qui avait déjà fait ses preuves dans les histoires de l’Affaire Calas et de l’Affaire du chevalier La Barre, s’attaque cette fois à Lally-Tollendal dont il révise le procès et nous prouve contre Voltaire que les juges avaient raison. M. Dansette, qui poursuit son histoire de la Troisième République, publie Le Boulangisme. C’est ce qu’on a fait, à notre connaissance, de plus complet, en somme de plus juste sur cette époque tumultueuse. M. Dansette l’a évoquée à peu près telle que notre jeunesse l’a vécue, avec un tranquille détachement que nous aurions appelé de l’impassibilité ou de l’indifférence. Mais je crois que l’idéal serait que l’historien nous parlât des Pharaons comme s’ils vivaient encore et du général Boulanger comme s’il était mort sous les Pharaons.

Je range parmi les livres d’histoire les quatre volumes du docteur Paul Voivenel : Avec la 67e Division de réserve. Ces volumes constituent le journal d’un médecin de réserve de 1914 à 1918. Nous possédons très peu de documents comparables sur la vie des tranchées et sur la guerre. « J’ai regardé, dit-il, j’ai noté, j’ai eu peur, très peur, surtout aux moments qui me valurent mes citations et le ruban rouge ; j’avais très peur, mais ça ne se voyait pas. » Lorsqu’il ouvre et parcourt des livres sur la guerre, il se demande si vraiment il l’a faite. L’atmosphère en est effroyable. Les chapitres forcenés le font rougir d’avoir joué au bouchon avec les agents de liaison, d’avoir préparé une Revue dans les tranchées, enfin de n’avoir jamais tant lu ni avec autant de profit. Ce n’est pas à dire que les atrocités n’ont pas existé. Ah ! mon Dieu ! Mais il n’a pas été trop étonné quand les journaux lui ont appris que Remarque, l’auteur allemand de A l’ouest rien de nouveau, s’était embusqué dans un hôpital. « On ne peut pas savoir quelle fut exactement la durée d’expérience de la tranchée chez Henri Barbusse, si vite évacué pour dysenterie, affecté ensuite au 30e territorial en garnison à Paris, puis renvoyé au front comme secrétaire d’état-major au 21e corps. » Vous avez là le tour, l’accent, l’esprit narquois et l’humour de cet ouvrage qui n’a aucune prétention, pas plus littéraire que philosophique, mais qui vous tient bien et qu’on lira longtemps.

 

De l’histoire proprement dite et de ce qui la concerne, passons à l’histoire des idées et des lettres. L’Académie attribue une part du Prix de la plus Grande France, qu’elle prend sur ses fonds, à M. Paul Bourdarie, secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences Coloniales ; l’autre part à Mgr Calvet pour sa Littérature religieuse de François de Sales à Fénelon. Ce gros livre fait partie d’une Histoire de la Littérature française publiée sous sa direction. Assurément, l’œuvre décousue de l’abbé Brémond, un peu haletante, mais d’une vie si intense et quelquefois même pathétique, cette œuvre qui est une enquête personnelle sur le mysticisme bien plus qu’une étude désintéressée sur le sentiment religieux, a facilité la tâche de son successeur, et M. Calvet en illustre à sa manière l’idée dominante : le XVIIe siècle n’a pas été seulement un grand siècle littéraire, philosophique, même scientifique ; du point de vue religieux aucun ne le dépasse. Mais l’abbé Brémond allait surtout chercher dans des livres oubliés des mots, des phrases, des pages, des inspirations lyriques qu’il ramenait à la lumière pour l’admiration ou l’édification de ses lecteurs. M. Calvet, lui, écrit une histoire de la littérature religieuse : il ne s’occupera donc que des œuvres d’art et des grands écrivains, François de Sales, Pascal, Bossuet, Fénelon. Il ne néglige pas leur entourage, mais il ne s’y perd pas ; il n’y fait pas plus de trouvailles, que dans la genèse des polémiques où ils furent entraînés. Ses analyses morales vont très foin ; on ne nous a pas tracé un portrait plus vivant de ce Bossuet, à qui « il ne manque que le je ne sais quoi d’inachevé, d’inattendu, de superflu, de mystérieux que l’on rencontre dans les au-delà de la raison et qui nous attache chez un Pascal ou un Fénelon. » Et nous n’avons pas d’exposé plus clair de la Querelle du Quiétisme. Mgr Calvet s’est appuyé sur de remarquables collaborateurs qui traitent de la philosophie religieuse, des écrivains de Port-Royal, de la langue française ; et son volume, qui se termine par un chapitre de M. Langevin sur l’Art religieux et les maîtres de la spiritualité au XVIIe siècle, est, un des premiers qui mette en évidence la communauté de conception et d’inspiration entre les lettres et les arts et la puissante harmonie qui s’en dégage.

Que la critique a de variété ! Une des plus heureuses contributions à la connaissance de Balzac et de son œuvre est un fort volume auquel nous avons accordé un prix Montyon : Les Comptes dramatiques de Balzac (lisez Comptes comme dans le fameux pamphlet du second Empire : Les Comptes fantastiques de Haussmann). Les auteurs, MM. René Bouvier et Édouard Maynial, ayant bien vu que l’argent tenait une plus grande place dans la correspondance de Balzac que ses livres et ses amours, ont dépouillé tout ce que les Archives de Chantilly contenaient de factures, de billets à ordre, de protêts, de commandements d’huissier, d’assignations, de traites passées avec les éditeurs ; et de tous ces « :comptes » de Balzac sort le roman de sa vie. « Deux hommes sont en moi », disaient saint Paul, Racine et M. Daniel Rops : il y en a une demi-douzaine en Balzac qui se ressemblent tous par le souci de l’argent et dont il s’évertue à établir le budget avec des gasconnades, des menteries, des mirages et une mathématique extravagante. Mais la réalité pitoyable que fut sa vie d’expédients et de dissipation, comme elle s’est transformée dans son œuvre en créations vigoureuses et en poésie !

L’Académie a également couronné le livre de M. Jacques Arnavon sur Le Malade imaginaire de Molière, qui continue son interprétation de la comédie classique, aussi suggestif que les précédents, Le Misanthrope, L’École des Femmes, Le Tartufe. M. Arnavon raconte l’histoire de la pièce ; il nous dit comment on la jouait et en quoi les traditions que se transmettent les acteurs peuvent la déformer et trahir les intentions du poète ; il étudie le texte, le décor, le jeu des comédiens, les schémas de mises en scène. Je ne dirai pas qu’il lui rend une jeunesse qu’elle n’a jamais perdue ; mais il nous donne l’impression de son inépuisable nouveauté puisqu’elle est toujours susceptible de se prêter à une nouvelle interprétation.

Les auteurs étrangers n’ont pas été oubliés. M. Jean Wahl, sous le titre Études Kierkegaardiennes, a écrit sur un des penseurs les plus originaux et les plus surprenants des pays scandinaves, le danois Kierkegaard, un livre considérable qui lui a valu le suffrage de M. Bergson et qui lui vaudra la reconnaissance de tous ceux qu’intéressent les questions philosophiques et religieuses et qu’attire la douloureuse existence d’un homme grand tourmenteur de lui-même et grand comédien des comédies qu’il se joue, inextricable mélange d’apôtre, de poète et de pamphlétaire ironique, malheureux amant d’une religion qui le fait saigner comme sous un cilice et qu’il adore, et qui lui inspire tour à tour des effusions nostalgiques et des cris désespérés.

L’Académie a récompensé M. Alfred Colling pour son essai, court et substantiel, sur le romancier anglais de la fatalité, Thomas Hardy ; M. Raymond Las Vergnas, pour son livre sur Joseph Conrad dont il a essayé de démêler les influences qui se le sont partagé, disputé, et qui répondaient à la complexité de sa nature, admirable dans sa peinture des passions asiatiques et de la dégradation des européens isolés sous les splendeurs du Pacifique ou des Iles de la Sonde, moins captivant, selon nous, lorsque le symbolisme et la philosophie l’emportent sur sa vision du monde ; enfin M. Marcel Clavel, dont La jeunesse de Fenimore Cooper est une thèse (on s’en aperçoit à ses dimensions), mais, si volumineuse qu’elle soit, la plus aimable des thèses, car elle nous reporte aux romans dont notre adolescence fut émerveillée : L’Espion, Les Pionniers, Le Dernier des Mohicans, La Prairie. Balzac les mettait très haut, sur le même rang que le Walter Scott. Aujourd’hui les jeunes Américains, du moins ceux que j’ai rencontrés, ne les lisent plus. Le livre de M. Clavel venge Cooper de cet oubli. Et il nous décrit aussi sa vie, l’enfance d’un fils de pionnier et son éducation, dans des pages d’une fraîcheur salubre.

A mesure que j’avance je me produis l’effet de passer devant une bibliothèque sans pouvoir m’arrêter aux livres dont les titres nous font signe, soit qu’ils évoquent le souvenir d’une âme parfaitement belle et bonne, comme Mme Gabrielle Delzant, dont Mme Savigny-Vesco nous a si délicatement écrit la vie ; soit qu’ils consacrent la gloire d’une grande artiste, Mme Julia Bartet, toujours vivante parmi nous. M. Albert Dubeux a fait un beau livre sur cette merveilleuse fille de la poésie racinienne, la divine, disait-on, comme, de son vivant, on appelait l’auteur du Cid le Grand Corneille. L’Académie a été heureuse de s’associer à ce touchant hommage en accordant un prix à l’auteur.

Je voudrais remercier Mme André Beaunier d’avoir mené à bonne fin l’édition des Carnets de Joubert, d’un Joubert que son mari se promettait de nous révéler. J’aimerais à feuilleter avec vous les belles éditions que MM. Gustave Cohen et Jacques Pannier ont données des œuvres de Ronsard et des œuvres de Calvin, et, parmi les éditions illustrées que signale le Prix Catenacci, celle des Heroïdes d’Ovide (traduction de M. Marcel Prévost) due au Cent et Une, et l’étonnant volume de M. Paul Vignon sur Le Saint Suaire de Turin. Plus loin, il me plairait de parcourir les explorations souterraines de M. Glory : Au pays du grand silence noir, que le célèbre explorateur de Dix ans sous terre, M. Norbert Casteret, est le premier à vous recommander, ou de me pencher sur le petit monde remuant et prodigieux aux mœurs duquel M. Léon Binet nous initie dans son livre Au Bord de l’Étang. Mais je n’ai encore parlé ni des romans, ni du théâtre, ni des vers.

 

Nous avons couronné un assez grand nombre de volumes de poésies ; les prix accordés aux poètes se sont multipliés ; et certes ces volumes contiennent de beaux vers et même de bons poèmes (je songe à ceux de M. Hagel). Mais nous y avons vainement cherché le frisson nouveau. On me dira qu’il est très rare. Oui, d’un Baudelaire. Mais les Parnassiens ont eu le leur et les premiers Symbolistes aussi. Ce n’est pas l’instrument qui manque à nos poètes ; c’est le message. L’Académie a décerné son Prix Verlaine, un prix triennal, à M. Frédéric Plessis pour son œuvre de poète. Il y a plus de quarante ans que son premier recueil a paru, La Lampe d’argile. Elle continue d’éclairer son studieux et fin visage. A son apparition elle lui valut un article dans Le Temps où Anatole France promettait à tous ceux qui aiment les vers, qui les aiment bien, un plaisir digne d’eux, s’ils la lisaient. « Et j’entends, disait-il, par aimer bien les vers, en aimer peu, n’en aimer que d’exquis et sentir ce qu’ils contiennent d’âme et de destinée... » L’éloge est toujours vrai, et il est également mérité par les vers qui ont suivi La Lampe d’argile, par La Couronne de lierre, que ce poète érudit tressait de loin en loin entre deux éditions de poètes latins.

Le Prix Brieux, un des plus importants, a été attribué à M. Bruyez pour sa pièce Jeanne et la vie des autres (il s’agit de Jeanne d’Arc). On lui a été reconnaissant d’avoir cherché à renouveler le sujet par la collaboration involontaire et providentielle que l’envoyée de Dieu trouve autour d’elle dans les choses et dans les êtres. Tout est miracle sous ses pas sans qu’elle en ait encore conscience. Elle est divinement inspirée, et M. René Bruyez a imaginé quelques scènes qui ont une réelle grandeur. Il nous a épargné le tribunal et la conduite au bûcher. La mort de Jeanne ne nous est apprise que par son ancien promis. Mais déjà les aventurières, les fausses Jeanne d’Arc, se sont levées et mises en campagne. La légende s’élabore. Le dernier tableau représente l’église de Domrémy. Une très vieille femme sous un voile noir prie : c’est Isabelle Romée, la mère de Jeanne. M. Bruyez n’en est pas à son coup d’essai. Il n’y a pas une pièce de lui qui ne nous donne l’idée de la force dramatique. Elle éclate dans sa Jeanne et la vie des autres.

Le Prix Toirac est destiné à l’auteur de la meilleure comédie en vers ou en prose qui aura été jouée au Théâtre Français. Ce prix est annuel. Il ne pouvait y avoir la moindre hésitation. Le Cantique des Cantiques de M. Giraudoux était tout désigné.

Une pièce de M. Maurice Lemoine, Le Mal qui est en nous, à tendances sociales et moralisatrices, selon le vœu de Brieux, s’est vu attribuer un prix de Jouy non seulement pour ses intentions, mais pour sa vigueur et son habileté dramatique.

Il me semble que cette année les romans ont été en moins grand nombre. Le grand prix du roman est allé à La Terre des hommes de M. Antoine de Saint-Exupery qui n’en est pas un. Si vous voulez pourtant, ce sera l’union de l’aviateur et de la solitude du désert. Tout le livre est soulevé et comme emporté par une allégresse nuptiale qui parfois s’égare dans un lyrisme philosophique et s’y perd. Ce n’est pas là où nous l’aimons le plus. Nous admirons surtout sa mâle tendresse pour ses compagnons, sa générosité, son merveilleux récit du martyre de Guillaumet qui, après avoir erré des jours et des nuits, parmi les rocs, au flanc des précipices, sans vivres, dans l’hiver et la neige, menacé par un sommeil dont il ne se fut jamais réveillé, lui dit ce mot magnifique : « Ce que j’ai fait, je te le jure, jamais aucune bête ne l’aurait fait ! » Les visions grandes, terribles, étincelantes qu’il nous laisse le disputent dans notre mémoire à ses plus humbles souvenirs, à celui de son premier grand vol, lorsque, pour la première fois, il allait être responsable d’une charge de passagers et qu’à trois heures du matin, assis sur sa valise, il attendait à Toulouse, dans la nuit pluvieuse, l’omnibus qui devait le prendre. L’Académie ne pouvait mieux choisir que ce livre, une année où nos aviateurs seraient mis à une dure épreuve.

Un autre grand prix a été décerné à un vrai roman, le prix Max Barthou, « destiné à un écrivain français qui n’aura pas dépassé l’âge de trente ans et dont le talent... aura donné de sérieuses espérances ». Mme Marie-Anne Desmarest l’a reçu pour son roman Torrents. Il a des maladresses et des longueurs ; les personnages, principalement le héros et l’héroïne, agissent en dépit du bon sens ; mais on ne fausse pas compagnie à l’auteur. Elle sait vous retenir ; elle sait vous faire peur ; elle crée des situations tragiques ; nous protestons pendant qu’elle nous y traîne ; et, quand nous y sommes, nous n’avons plus aucune envie de nous en aller. Le drame se passe surtout au Transvaal ; et les paysages, en général très sobres, donnent aux sentiments et aux passions des personnages une atmosphère de sauvagerie. Nous serions très étonnés si Mme Marie-Anne Desmarest ne justifiait pas la confiance que Torrents a fait naître.

Il ne me reste plus à parler que d’un prix, le plus gros de tous, le prix Antoine Girard, un prix de cent mille francs. Il doit être décerné tous les quatre ans à une personne de nationalité française, de préférence née de parents savoyards, et, ayant illustré la France par ses travaux scientifiques, littéraires ou artistiques. Et il devait être décerné pour la première fois en 1939. Il le fut unanimement à celui qui répondait le mieux aux conditions fixées par le donateur, à M. Henry Bordeaux. Notre confrère réfléchit à l’emploi le plus utile aux Lettres de la somme qui lui était ainsi attribuée. « La vie littéraire l’ayant favorisé », il demanda généreusement à l’Académie de vouloir bien répartir cette somme de cent mille francs en cinq prix de vingt mille. « I° Un prix d’histoire provinciale à l’Académie de Savoie. — 2° Un prix de langue française hors de France à l’École Normale de Québec au Canada. — 3° Un prix à l’auteur d’un grand livre d’Histoire, sans limitation de sujet (le prix Gobert étant uniquement réservé à l’Histoire de France). — 4° Un prix à un Essai de critique d’histoire ou de littérature. — 5° Un prix de secours en cas d’infortune littéraire et qui pourrait être décerné après décès aux parents dont les disparus auraient été les soutiens… »

Les troisième et quatrième prix étaient des prix plus particulièrement littéraires. L’Académie décerna le troisième à Mme Paule Henry-Bordeaux qui était en effet « l’auteur d’un grand livre d’Histoire », Marie Stuart. La fille de Marie de Lorraine et de Jacques Stuart, roi d’Écosse n’avait été reine de France que le temps de nous laisser un immortel souvenir de grâce et de beauté sous un voile de deuil. Tout le drame de sa vie se déroula sur une terre sauvage, disait Ronsard, battue par les flots. Mme Paule Henry-Bordeaux poursuivit, pendant des années, son enquête dans les livres, dans les archives, avec une patience égale à sa tendresse pour cette grande infortune. Marie commandait la pitié ; mais presque tous les historiens, — en France, Mignet, Auguste Filon, le plus récent M. Chauviré — justifiaient ses malheurs. On l’accusait d’avoir fait assassiner le jeune mari qu’elle avait imprudemment épousé et qui s’était rendu insupportable, ou, du moins, d’avoir fermé les yeux sur le complot qui s’était formé auprès d’elle ; et on s’indignait que, quelques semaines après le meurtre de celui qu’elle avait fait roi, elle eut épousé aux yeux de tous le meurtrier, son amant. Mme Paule Henry-Bordeaux était de plus en plus persuadée de son innocence. Marie Stuart avait été calomniée. La malheureuse n’avait pas mis le pied en Écosse qu’elle rassemblait déjà sur elle la haine de sa cousine Élisabeth, reine d’Angleterre et la défiance de la noblesse écossaise et du peuple écossais qui avaient rompu avec Rome. On déteste la catholique qui expiera son refus d’apostasier ; et elle sera mal défendue par les catholiques du dehors qui ne lui pardonnent pas sa modération. Elle est environnée de fanatisme, d’hypocrisie, de cupidité, de cruauté. Joignez-y l’effrayante jalousie que sa beauté excite au cœur des femmes et de la plus implacable des femmes, la reine Élisabeth. Il nous est difficile de concevoir une âme plus isolée, plus abandonnée. Mme Paule Henry-Bordeaux a été le meilleur des avocats. Ceux qu’elle n’a pas convaincus ne voudraient pas qu’elle n’eut point essayé de les convaincre, tant elle y a dépensé d’elle-même et tant ils reconnaissent sa belle probité dans l’exposé des faits et des arguments de la thèse opposée. Et quand Marie a quitté l’Écosse et que, par une défaillance de volonté et presque une démission d’intelligence, elle s’est livrée à sa plus perfide ennemie Élisabeth, Mme Paule Henry-Bordeaux la suivra pour ainsi dire jour après jour pendant ses dix-sept ans d’abominable captivité. Avec quelle adresse elle démêle les intrigues qui se nouent autour de la prisonnière, dont elle nous rend si sensible l’ascension par la souffrance et l’humiliation ! D’un bout à l’autre cette tragédie aux mille personnages se joue dans de sombres châteaux, devant des paysages d’aventures romanesques et de farouche mélancolie. Mme Paule Henry-Bordeaux a montré partout des qualités d’historien et d’artiste. Et sa grande habileté lui vient du cœur.

Quant au prix de critique historique, M. Bordeaux avait lui-même devancé le jugement de l’Académie en nommant notre confrère, M. Albert Rivaud, l’auteur du Relèvement de l’Allemagne. C’est un grand livre, écrit sans passion et d’autant plus éloquent. Tout y est magistral. Du premier coup l’auteur, qui est un professeur de la Sorbonne, s’est placé au rang des maîtres. C’est dans ses pages de psychologie historique que vous trouverez, je crois, le portrait moral, qui me semble le plus juste, de ce barbare halluciné, Hitler, enivré de ses prodigieux succès, menteur et sournois, profondément allemand. Vous y verrez comment, soldat navré par la défaite, humilié par le traité de Versailles, il avait achevé de se mûrir aux spectacles d’une république « fille de soldats mutinés et de quelques meneurs de syndicats », et comment sa haine croissait contre les révolutionnaires et les corrupteurs de son pays. Il prenait enfin la direction « de ce mouvement à la fois démagogique, national, sentimental, autoritaire et paternel ». Toutes ses idées, il les a mises dans Mon Combat, le plus grand succès de librairie du siècle. Heureusement pour lui, le talent littéraire n’est pas nécessaire aux grands pamphlets de propagande : c’est M. Rivaud qui le dit et il en donne aussitôt un autre exemple : « Un livre illisible, le Capital, de Karl Marx, a pu bouleverser le monde. » Il n’y a pas dans Mon Combat une seule idée originale. Ce qui en fait la puissance, c’est cette sincérité sentimentale qui faisait celle de J.-J. Rousseau. Hitler donne une expression aux colères, aux haines, aux joies, aux amours du peuple allemand ; et on aurait bien tort de l’en séparer. II est peuple ; et il est le peuple allemand personnifié. En même temps qu’il grandissait, l’Angleterre et la France perdaient le sens des réalités politiques. Nos abdications lui ont fait la partie belle. Son œuvre parait extraordinaire. M. Rivaud nous montre comment elle est née des plus anciennes et des plus profondes aspirations du germanisme. Les dernières pages de son livre étaient d’un prophète. Mais on ne le sait jamais avant que les événements se soient prononcés. Lorsqu’il parut, nous écrivions seulement qu’elles revêtaient une gravité qui nous serrait le cœur. C’est un honneur pour l’Académie d’avoir décerné un de ses plus grands prix à un ouvrage qui n’est pas seulement un de ces admirables Essais dont notre littérature semble avoir le privilège, mais qui est encore l’acte d’un bon serviteur de la patrie.