Discours prononcé à l’occasion de la remise des Prix de l’Académie des sports, Institut de France

Le 19 mars 1996

Maurice DRUON

REMISE DES PRIX

à

L’ACADÉMIE DES SPORTS

DISCOURS

DE

M. MAURICE DRUON
Secrétaire perpétuel

Institut de France

le 19 mars 1996

 

 

 

Rarement le vieil adage latin, si souvent cité, répété, rabâché même, mais qui fait partie des sentences inusables : « Mens sana in corpore sano », aura reçu une pareille et symbolique illustration.

Car la santé de l’esprit suppose une suffisante maîtrise du langage, afin de pouvoir définir et exprimer ce que nous ressentons, ce que nous pensons, ce à quoi nous aspirons. Le langage est la condition première de tout apprentissage, le préalable à toute action réfléchie, l’assise de toute morale individuelle et de toute norme collective.

Or, le rôle et la fonction de l’Académie française sont de veiller sur le langage de France, d’en maintenir ou d’en parfaire les qualités de clarté, de précision, de subtilité, de justesse qui en ont fait un moyen universel de communication et d’échange. J’entends encore le pape Paul VI dire : « Le français permet la magistrature de l’essentiel ! »

Quant à la santé du corps, elle repose sur la maîtrise de notre personne physique, sur le développement contrôlé de ses aptitudes et de sa force, sur l’entraînement à l’effort, sur la résistance à la fatigue et à la mollesse, sur la domination des craintes et appréhensions, toutes dispositions qui s’obtiennent et se cultivent par la pratique des sports.

Le rôle de votre Académie, qui fête, je crois bien, ses quatre-vingt-dix ans d’existence, n’est-il pas de mettre ces vérités en évidence et d’en favoriser la diffusion ?

L’Académie française, qui s’honore de rassembler des hommes qui ont servi exemplairement la langue française, se réjouit d’accueillir, dans ce palais de l’Institut de France, la Compagnie qui rassemble et honore les hommes dont les exploits ou le dévouement ont servi, de manière exemplaire, la cause des sports.

Aussi bien pourrions-nous mettre cette cérémonie sous la double invocation de Jean Giraudoux qui a su formuler l’essence de nos vocations :

« La France, a-t-il dit, a une civilisation qui n’est pas sa propriété été particulière. Elle en a la responsabilité vis-à-vis de l’univers. »

Et, d’autre part : « Le sport consiste à déléguer au corps quelques-unes des vertus les plus fortes de l’âme : l’énergie, l’audace, la patience. C’est le contraire de la maladie. »

À quoi nous pouvons ajouter : c’est le contraire des maladies sociales.

Alors que l’on n’ose plus, dans l’enseignement, avancer les termes de classement, ou de sélection, ce sont toujours de maîtres mots dans le sport, où s’établissent de loyales hiérarchies.

La violence ? Le sport la canalise dans des affrontements pacifiques, soumis à des règles que chacun se doit d’observer. Le sport, parce qu’il apprend à respecter l’autre, est une forme de civilisation. Les casseurs ne se recrutent pas parmi les sportifs.

Ce ne sont pas des sportifs non plus, les jeunes gens que l’on voit, incapables de supporter la station debout, essuyer les trottoirs de leurs « jeans » crasseux.

Le sport est une école de dignité ; la compétition, pour la seule gloire d’exceller, est une école d’honneur.

Il n’est jusqu’au patriotisme qui ne se soit réfugié dans le sport. Qui donc n’a été ému en voyant des larmes de joie vernir l’œil des athlètes lorsque, montant sur un podium, ils entendent retentir leur hymne national ? Et ils deviennent du même coup, pour leur pays, des héros.

Ces sentiments, très profondément inscrits en nous, nous viennent des âges les plus nobles de l’humanité.

Et puisque j’ai commencé mon adresse par une phrase latine, vous accepterez bien que je fasse, avant de la terminer, référence à la Grèce. Le « mens sana in corpore sano » répond au concept du « kaloskagathos » qui inspira voici vingt-sept siècles la création des Jeux olympiques.

C’est pourquoi je me suis fort affligé naguère de ce que le centenaire des Jeux olympiques modernes n’ait pu se dérouler en Grèce, et près d’Olympie même, ainsi que le Conseil de l’Europe, à mon initiative, l’avait préconisé.

Au moins je demande que l’emploi du français, qui est la langue de résurrection des Jeux olympiques, y soit scrupuleusement maintenu.

Je sais le poids des impératifs économiques, et les exigences des bailleurs de fonds. Mais je sais aussi que l’homme, s’il ne vit pas seulement de pain, ne vit pas non plus seulement de dollars.

Et je rappellerai, du point de vue économique même, et notamment du point de vue télévisuel qui a si grande importance, que la Francophonie rassemble près de cinquante nations qui totalisent, répartis sur toute la planète, un demi-milliard d’habitants. Ces pays ont droit à entendre annoncer les exploits de leurs athlètes dans la langue, toujours universelle, qu’ils parlent ou qu’ils comprennent.

C’est aussi la signification de cette réunion où une certaine élite dans l’art de pensée se plaît à recevoir l’élite du sport.