Discours prononcé à l’occasion du 15e anniversaire du Conseil de la Communauté française de Belgique, Bruxelles

Le 26 septembre 1987

Maurice DRUON

M. le Premier ministre,

MM. les Présidents des Assemblées parlementaires,

MM. les Présidents des Exécutifs communautaires,

MM. les Ministres,

M. le Nonce apostolique et MM. les Ambassadeurs,

MM. les Secrétaires perpétuels des Académies royales,

Mesdames et Messieurs,

 

En ce jour de célébration anniversaire, j’emprunterai mon exorde à un texte vieux de deux cent six ans, et que voici :

« La langue française est devenue une partie essentielle de l’éducation dans la République (...). Tous les citoyens peuvent être appelés aux charges publiques ; et rien n’est plus ordinaire que les occasions où la langue française leur est absolument nécessaire. Qui ne sait que dans le commerce, qui est le soutien fondamental et politique de notre pays, la connaissance de cette langue universelle est presque de nécessité ? Notre langue tudesque est trop peu étendue et trop peu connue pour qu’elle puisse nous suffire dans les relations étroites et fréquentes que nous avons avec les autres peuples. La langue française étant regardée comme le canal par lequel toutes les nations de l’Europe peuvent se communiquer, on ne saurait donc trop recommander l’étude de cette langue. Dès les temps les plus anciens, les savants nés dans nos provinces se sont fait gloire de l’étudier avec soin, de l’écrire avec pureté, et même quelques-uns n’en ont pas employé d’autre dans leurs écrits publics. »

Sans qu’il soit besoin de préciser de quelle République il s’agissait là, ni de quelles provinces, vous aurez sûrement tous reconnu la Préface de la sixième édition, parue en 1781, du Grand Dictionnaire Français et Flamand de Halma. Moins érudit que vous, je vous confesse que j’ignorais ce texte jusqu’à ce qu’il me parvînt, tout récemment... du Japon, où mon confrère le Professeur Jean Bernard l’a trouvé reproduit dans le bulletin de l’Université de Fukui.

Ainsi, vous le voyez, on s’intéresse à vous, à nous, et à notre histoire linguistique, à l’autre bout de la terre.

Nil nove sub sole, fût-il le soleil levant ; les préoccupations, et vraisemblablement les controverses, dont le préfacier d’il y a deux siècles se faisait l’écho, ne me paraissent pas bien différentes de celles qui sont les vôtres. Les langues, parce qu’elles sont vivantes, connaissent des fortunes diverses, dues généralement à la circonstance politique.

Loin de moi l’idée de dénier à la langue flamande ses vertus propres, ou de sous-estimer les œuvres qu’elle a produites et qui comptent au patrimoine de la Belgique. Mais enfin, quand un pays de double ou triple culture a l’avantage, parmi ses langues, d’en compter une qui est universelle, c’est une chance qu’il ne doit pas perdre.

En créant, voici quinze ans, son Conseil, avec les organes législatifs, exécutifs et administratifs qui lui appartiennent, et qui sont notamment habilités à régler par décrets la coopération culturelle internationale, la Communauté française de Belgique a, d’une certaine manière, devancé le temps, et s’est mise en situation de jouer pleinement le rôle qui lui revient et qu’elle doit tenir dans le grand ensemble francophone qui se constitue.

Je n’ai pas compétence pour traiter de vos problèmes internes, et n’aurai ni la présomption ni l’impudence de le faire. D’autant plus que le débat sur les langues, ici comme souvent ailleurs, paraît bien recouvrir des buissons d’épines qui sont d’un autre jardin.

Pour répondre à l’honneur que vous m’avez fait de me convier à cette célébration, c’est de la position internationale de la langue française, précisément, que je voudrais vous entretenir quelques moments.

Pendant un bon tiers de siècle, de la fin des années quarante au milieu des années quatre-vingt, on a pu croire notre langue partout en recul dans le monde, et dans tous les domaines. C’était là le produit de divers facteurs stratégiques, politiques et économiques : affaiblissement désolant causé à nos nations par le second conflit planétaire, effritement de nos empires coloniaux, surgissement des États-Unis comme première puissance économique et technologique, surgissement d’autres colosses affirmant une manière de prépondérance idéologique.

Alors le français, naguère langue diplomatique incontestée, commença de battre en retraite dans les assemblées et conseils internationaux.

Alors le négoce, l’aviation, les professions du voyage, les milieux industriels et financiers adoptèrent un peu partout l’anglais, parce que c’était la langue, en vérité très infléchie, du géant américain.

Alors la science se mit à parler anglais, ou plutôt un anglo-sabir, parce que l’argent affluait dans les laboratoires américains et que les prix Nobel ou autres grandes distinctions étaient attribués d’après le nombre de citations dans les revues scientifiques américaines.

Nos diplomates, nos experts, nos hommes d’affaires, par courtoisie chez certains, snobisme chez d’autres, et chez tous mauvaise appréciation de l’efficacité, prirent trop le pli de conduire leurs négociations dans un anglais qu’ils maîtrisaient parfois moins bien qu’ils ne le croyaient.

Nos médecins, physiciens, biologistes s’estimèrent dans la nécessité, lors des congrès internationaux, de prononcer leurs communications en anglais, non sans raison d’ailleurs, car ils voyaient les salles se vider lorsqu’ils usaient de leur langue maternelle ; mais ils poussèrent les choses un peu loin lorsqu’ils se mirent à ne publier qu’en anglais, ou bien, en France même, à tenir des congrès où seule la langue anglaise était employée, et cela au scandale souvent de leurs collègues des pays francophones, plus fiers de notre langage que nous ne l’étions nous-mêmes, ou ne disposant que de lui pour s’exprimer.

Du coup, l’apprentissage du français baissa un peu partout, en Europe et dans le monde, en nombre et en niveau. Dans de nombreux pays où, jusqu’à la guerre, il avait rang de première langue étrangère, il passa au second. Et en Angleterre même, où naguère il faisait partie du bagage de tout homme cultivé, les étudiants s’en désaffectionnèrent.

Si bien qu’on put craindre un moment qu’il n’apparût plus que comme une langue de culture, mais non d’usage général, et qu’il se dirigeât, après le latin, vers le splendide champ de ruines des langues mortes.

Eh bien, ce ne sera pas pour demain.

Je puis, Mesdames et Messieurs, vous déclarer avec certitude que ce désastreux mouvement est enrayé ; je puis même vous affirmer que la tendance s’inverse.

En voulez-vous quelques signes probants ?

Le Canada où, Québec mis à part, la proportion des populations francophones oscille selon les régions, qui sont immenses, entre six et un et demi pour cent, le Canada s’est engagé dans une politique résolument bilinguiste. Le gouvernement fédéral a disposé que, dans toutes les administrations ou organismes publics relevant de lui, les services et informations devaient être donnés en français comme en anglais. Et ce n’est pas sans une surprise heureuse et amusée que j’ai appris, me trouvant là-bas au début de ce mois, que soixante-dix-huit députés anglophones à la Chambre des Communes d’Ottawa suivaient des cours accélérés de français.

Les gouvernements provinciaux commencent à s’aligner sur le fédéral. Après le Nouveau-Brunswick qui, voici quelques années déjà, s’est déclaré bilingue, l’Ontario, qui est le centre de la puissance économique, a pris une loi prescrivant la connaissance et l’emploi du français à l’ensemble de ses services. Et l’une des grandes universités de Toronto, l’Université York, devient cette année une université bilingue.

Partout, des classes dites « d’immersion » permettent aux enfants de familles anglophones d’étudier en français une partie des matières de leur programme scolaire ; il s’est même formé une association, dont les adhérents se comptent aujourd’hui par centaines de milliers, qui s’appelle « Canadian parents for French ».

Les Canadiens sont de plus en plus nombreux à avoir compris que le français était une des composantes de leur identité nationale, le bilinguisme, la condition de leur unité, et que c’était par là qu’ils pourraient résister à l’attraction de leur géant voisin du sud.

Passons, sur le continent américain, dans l’autre hémisphère. Le Brésil fut de toujours un pays pétri de culture française, et où les élites intellectuelles avaient les yeux tournés vers Paris. Mais dans la période récente, les statistiques de la scolarité faisaient apparaître un tragique déclin du français. Or, en l’espace de deux ans, le nombre des élèves inscrits aux cours de l’Alliance française a pratiquement doublé, et le problème, dans les écoles publiques, comme j’ai pu le constater ce printemps, n’est pas celui des enfants qui désirent apprendre le français, mais celui d’une suffisance de maîtres pour l’enseigner.

Que ce soit au cours de mes déplacements ou par les informations qui parviennent à l’Académie française, je recueille ainsi maints témoignages d’une reprise, tantôt modeste et tantôt affirmée, que ce soit au Portugal ou au Japon, en Yougoslavie ou bien en Chine. Mais ce qui m’apparaît le plus frappant et le plus décisif, c’est qu’il y ait des marques déjà de cette reprise dans les pays anglo-saxons. En Floride, le nombre des élèves apprenant le français s’accroît de dix pour cent par an.

Quelle est la raison de ce redressement ? Il faut la voir dans le fait que la famille francophone s’est réunie et qu’elle constitue un vaste marché, à la fois culturel et économique, que nul désormais ne peut méconnaître.

Notre temps, qui est celui de la communication, commande la constitution de grands ensembles de peuples. Et la Francophonie vient de surgir comme l’un de ces ensembles.

Oh ! ce n’est pas affaire de génération spontanée, mais plutôt de patiente, d’opiniâtre volonté politique chez quelques-uns, qui ont reconnu et devancé une nécessité de l’Histoire.

Il y a vingt-cinq ans que Léopold Senghor, ancien ministre français et chef du jeune État du Sénégal, secondé par le président Bourguiba et Hamani Diori, a conçu le projet d’une communauté organique, d’un Commonwealth à la française. Il y a vingt-cinq ans que se sont créées de telles associations que celle des Universités partiellement ou entièrement francophones, ou celle encore des Parlementaires des pays de langue française.

Il y a treize ans que le président Pompidou réunit, dans un dîner dont je me souviens très précisément, quelques semaines avant sa mort, les chefs d’État de l’Afrique francophone.

Le temps a fait son œuvre, les idées leur chemin. La grande machine des Nations unies, dans laquelle on avait mis tant d’espoirs, a montré ses limites d’efficacité. On y parle la langue de Babel, où le mot paix a vraiment trop peu de sens dans trop de traductions.

Les rhumatismes d’anciens colonisés et d’anciens colonisateurs se sont atténués ou même ont disparu tout à fait, allant jusqu’à faire place, parfois, à quelques nostalgies.

Se plaignant de l’impérialisme économique que les grandes places boursières anglo-saxonnes font peser sur le cours des matières premières, le président Houphouët-Boigny a pu dire que son pays souffrait d’un néocolonialisme financier, bien pire que l’ancien colonialisme.

D’autre part, maints pays du tiers monde ont vite compris quel genre d’aide leur proposait l’Union soviétique, et ses « conseillers » militaires, politiques ou policiers n’ont pas été, partout ni longtemps, trop appréciés.

Le français est apparu alors à beaucoup comme la langue des non-alignés, la langue de l’indépendance véritable. La parole de Senghor : « Dans les ruines du régime colonial nous avons trouvé un merveilleux outil de civilisation : la langue française », cette parole est devenue d’évidente actualité lorsqu’il relança, fin des années soixante-dix, début des années quatre-vingt, son projet de communauté francophone.

On pouvait déjà méditer de tels exemples que celui donné par le Maroc, nation profondément fidèle à sa religion, à ses traditions, à sa culture arabe, mais où la médecine est enseignée en français, où les communications dans l’armée se font en français, où la scolarité s’accomplit, d’un bout à l’autre, dans les deux langues, arabe et française, et dont le souverain, le roi Hassan II, lui-même expression achevée d’une double culture, n’a pas hésité à dire dans un discours adressé à son peuple : « L’homme qui aujourd’hui ne connaît qu’une seule langue est comme analphabète. »

Ainsi sommes-nous arrivés au mois de février de l’an dernier, où s’est réunie à Versailles la première « conférence dés chefs d’État et de gouvernement ayant en commun l’usage du français », suivie cette année, à dix-huit mois de distance, d’une seconde conférence, à Québec, laquelle a décidé qu’on se retrouverait, et pas plus tard que dans dix-huit mois, à Dakar. Ce qui prouve assez que la famille francophone existe réellement, qu’elle a de la satisfaction à se retrouver, que les projets choisis et déjà mis en route — agence d’images, télévision francophone, publications à petit prix et grande diffusion d’anthologies indispensables — et toutes autres actions de solidarité en maints domaines, y compris les réductions de dettes des États les plus pauvres, sont bien reçues et qu’on en attend les meilleurs prolongements.

Tant il est vrai que l’on se comprend mieux si l’on n’a pas besoin d’interprètes !

Curieux rassemblement que cette Francophonie où l’Égypte s’est inscrite, où le Viêt-Nam et Madagascar s’assoient auprès de nations qui sont tout le contraire de marxistes, et dont plusieurs membres, tels l’immense Canada et la minuscule Dominique, font partie également du Commonwealth.

L’ensemble, si l’on se penche sur un atlas, est impressionnant. Mesurez la surface qu’occupent tous ces États répartis sur les cinq continents ; additionnez la longueur de leurs rivages que baignent quatre océans ; totalisez leurs fleuves ; évaluez leurs ressources naturelles et leur potentiel humain. Et considérez que, démographie et scolarité croissant de pair dans les pays du tiers monde, nous pourrons nous compter, sauf catastrophe planétaire, un demi-milliard de francophones avant la fin du premier tiers du prochain siècle.

Ce qui permettait au maréchal Mobutu de nous dire à Québec, non sans humour, que si le Congo avait été colonisé en- flamand et non en français, il n’aurait pas l’avantage de se trouver à la tête du deuxième pays francophone en nombre de population, ce dont il ne cache pas sa fierté.

Vous voyez donc, Mesdames et Messieurs, que j’ai quelques raisons d’affirmer que la langue française, loin d’être en déclin, a repris une marche ascendante.

Oh ! tout n’est pas gagné, loin de là, et nous ne sommes pas au bout de nos efforts. La remontée ne fait que s’amorcer, et d’ailleurs quelle remontée, jamais, fut irréversible ?

Nous sommes toujours en difficulté dans les domaines scientifiques. Si nous voulons que le français y reprenne sa place, il nous faut mettre en œuvre non seulement de la détermination personnelle, chez nos savants, mais aussi une volonté politique très claire pour que nos revues scientifiques soient éditées en français mais avec traduction en anglais — et en bon anglais — juxtaposée, pour que nos congrès, dans nos pays, se tiennent avec des traductions simultanées excellentes dans les deux langues, pour que les échanges non seulement d’étudiants mais de professeurs et de chercheurs soient plus nombreux et que nous offrions à des savants d’outre-Atlantique de venir travailler en ambiance francophone, pour qu’enfin de suffisants crédits soient affectés à la recherche en soi, afin que les travaux et découvertes des francophones s’imposent davantage à l’attention du monde scientifique universel.

Et tout n’est pas gagné, loin de là, dans les organisations internationales pour que le français y retrouve sa place, qui devrait être la première, car elle est par excellence, en raison de sa précision, la langue des traités, du droit et des conventions. Là aussi, c’est affaire d’attitude personnelle de la part de nos représentants et négociateurs ; mais c’est aussi affaire de volonté politique de la part des gouvernements, et notamment en ce qui regarde les institutions européennes.

Dussé-je faire scandale chez moi, je souscrirais volontiers à l’installation du Parlement européen à Bruxelles en échange d’une décision qui ferait du français la langue de la Communauté, sa première langue en tout cas, la rédaction française étant pour tous les actes, résolutions et accords, le texte de référence.

Ce qui aurait pour premier avantage d’en finir avec les soixante-douze opérations de traduction, sinon plus, qu’il faut effectuer pour la moindre prise de parole en cette assemblée, et l’entassement des moindres documents en dix versions différentes.

L’unité de l’Europe peut se faire aussi par le langage, et j’en appelle là au témoignage de l’archiduc Otto de Habsbourg, président de l’Union paneuropéenne, et qui, lors de sa campagne de député européen, en Bavière, préconisa le français comme langue de l’Europe.

La Francophonie, et là-dessus je voudrais être bien clair, n’est pas affaire de chauvinisme linguistique. C’est une affaire, je le répète, de civilisation, de solidarité de civilisation, et donc un facteur, s’il se peut, des équilibres pacifiques du monde. La langue française n’a pas fini de rendre des services à l’humanité.

Dès lors que la Francophonie s’affirme, et là aussi je voudrais être bien entendu, nous n’avons pas à nous tenir en position d’hostilité vis-à-vis de la langue anglaise. L’antagonisme anglais-français est dépassé dans le domaine linguistique comme il l’est dans le domaine politique, et stratégique. Nos langues sont des langues alliées parce qu’étant les deux langues universelles intrinsèquement porteuses des valeurs de la liberté.

Dans ce redressement général de la langue française, votre Communauté, représentante la plus autorisée jusqu’ici assemblée, a une part singulière et éminente. Votre opiniâtreté à défendre les droits linguistiques des Wallons, des Bruxellois et de tous vos concitoyens qui sont de parler français, assure à la Belgique la place que son histoire, ses auteurs, sa culture lui désignent naturellement dans la Francophonie, mais que sans vous, sans la volonté, sans l’âme que vous y avez mises, ne lui aurait pas été forcément reconnue. Du coup, ce n’est pas seulement la Belgique francophone, mais la Belgique entière qui va en être bénéficiaire, dès cette génération, et plus encore pour les générations suivantes. J’ajouterai que le fait d’appartenir à deux grands ensembles, deux grands clubs internationaux, l’un continental, l’autre intercontinental, la Communauté européenne et la Communauté francophone, devrait conduire à une certaine transcendance de vos problèmes belgo-belges. C’est en tout cas l’un de mes souhaits les plus ardents.

L’Académie française, gardienne depuis plus de trois cent cinquante ans de la langue de France, et qui s’est, vaille que vaille, assez bien acquittée de la tâche que lui avait assignée Richelieu, puisqu’elle est toujours debout, à travers vents et marées de l’Histoire, et qu’elle continue de jouir d’une autorité morale, un peu mystérieuse peut-être, mais que nul ne lui dispute, l’Académie française donc a jugé de son devoir d’épouser le temps et de s’engager résolument dans la Francophonie.

Elle a tout d’abord décidé de hâter la neuvième édition de son Dictionnaire, qui n’était pas sans poser de grandes difficultés, car il lui faut y accueillir plus de dix mille mots nouveaux, accepter un nombre égal d’extensions de sens de mots anciens, et réviser quasiment la moitié des définitions pour les rendre conformes à l’état présent des connaissances.

Le Dictionnaire paraîtra par fascicules annuels pendant douze ans —le second est sorti des presses avant-hier —, et les systèmes de photocomposition et de mémoire magnétique qui ont été adoptés permettront désormais des révisions ou mises à jour beaucoup plus rapides que par le passé.

La Francophonie se trouvera donc dotée d’un ouvrage de référence, un ouvrage normatif, qui ne prétend ni à l’exhaustivité ni à l’encyclopédisme, mais seulement dira le bien et le mal en matière de langage français.

D’autre part, à côté de sa vénérable commission du Dictionnaire, elle a créé une deuxième commission permanente, celle de la Francophonie, apte à se saisir ou être saisie de toutes questions qui en relèvent.

Elle va décerner pour la seconde fois le Grand Prix de la Francophonie, que le gouvernement canadien, dans un geste exemplaire de générosité internationale, lui a remis de décerner, en même temps qu’il fournissait les fonds premiers d’une dotation à laquelle le gouvernement français a joint son apport et que d’autres donateurs, États, mécénat privé, sont venus ou viendront grossir. La désignation l’an dernier du premier lauréat, le poète et dramaturge libanais Georges Schéhadé, a connu un retentissement qui dépasse ce qu’il est habituel d’attendre de la première attribution d’une distinction.

L’Académie était présente au premier « sommet » francophone de Versailles ; elle l’était, comme je vous l’ai dit, au second, à Québec, où elle a eu plaisir à constater l’importance de la participation belge, confirmée par la présence de votre Premier ministre ; elle le sera à celui de Dakar, et nous avons même, Léopold Senghor et moi-même, avancé officieusement une proposition pour l’institutionnalisation de la conférence, selon un schéma minimal et progressif.

Ma Compagnie, première institution démocratique établie par la Monarchie, dernière institution royale existant sous la République, est présente autant qu’elle le peut, et au nom du passé comme au nom de l’avenir, partout où se décide, se joue ou se confirme le destin de la langue française.

Elle est donc infiniment sensible à l’invitation que vous lui avez, à travers moi, adressée, et, avec la joie de pouvoir saluer en leur noble palais les Académies de Belgique, elle a considéré non seulement comme un devoir et non seulement comme un honneur, mais comme un témoignage de profonde fraternité de s’associer le plus chaleureusement du monde à cette célébration qui, autant que des efforts accomplis et des succès acquis, est la célébration de l’espoir et de la volonté.