Réponse au discours de réception d’Alexandre Ribot

Le 20 décembre 1906

Paul DESCHANEL

RÉPONSE

DE

M. PAUL DESCHANEL
Directeur de l’Académie française

AU DISCOURS

DE

M. ALEXANDRE RIBOT

Prononcé dans la séance du 20 décembre 1906

 

 

Monsieur,

Un philosophe sceptique, parlant des hommes d’État et des orateurs à l’Académie, disait : « Il est bon qu’il y ait quelque part un lieu tranquille, où les hommes qui se sont distingués sous des couleurs diverses au service du pays puissent venir oublier dans la communion de l’étude leurs fatigues et leurs luttes. » Et il aimait à se représenter ces orateurs apaisés, ces diplomates revenus de leurs voyages, ces politiques dépris de leurs illusions, échangeant, sans rancune et sans regret, des propos désintéressés, comme les Ombres qui, dans les dialogues de Fénelon, conversent doucement sur les pelouses de l’Élysée.

 

Je ne sais, Monsieur, si cette peinture, tout aimable qu’elle paraisse, serait pour vous retenir longtemps parmi nous. Heureusement, quelques-unes de ces Ombres ont fait encore assez belle figure dans le monde des vivants, elles l’ont même fortement remué. Et il n’est pas besoin de sentir la puissance de vos coups, il suffit de vous entendre, pour voir que vous êtes bien en vie.

 

Vous venez de retracer, dans le langage auquel vous nous aviez accoutumés ailleurs et qui vous destinait à notre Compagnie, un des grands drames de l’histoire : la France vaincue, se relevant sous le pied même de l’ennemi ; le vainqueur, presque aussitôt, étonné, inquiet ; une grande Assemblée, où se heurtent la guerre et la paix, la monarchie et la république, la légitimité et la Révolution, la foi traditionnelle et le libre examen ; de toutes parts, une explosion de talents longtemps refoulés, de caractères énergiques, de généreux esprits, enflammés d’une même passion : refaire la France, son armée, son trésor, son âme ; et, parmi tant de fiers orateurs, celui que vous venez de ressusciter devant nous, vif, naturel, brûlant.

 

Il va droit aux causes de nos revers, pour en empêcher le retour. Il traîne à la barre de la nation les fournisseurs concussionnaires, les administrations incapables ou corrompues, les auteurs de la défaite, et il les marque. Son discours sur les marchés de la guerre fait penser aux Verrines, au procès de Hastings, mais autrement terrible, puisqu’il s’agit, non d’une province mise au pillage, non d’une colonie opprimée, mais de la patrie même, qui a failli périr. L’indignation lui arrache ce cri vengeur qui l’égale aux plus grands et qui lui vaudra l’immortalité. Ah ! il peut reposer en paix, il a rempli son destin, celui qui, en cette heure de misère, fut la conscience d’un grand peuple !

 

Mais ce n’est pas assez de s’attaquer au mal ; il faut panser les plaies, refaire un sang neuf, et d’abord cette force militaire, sans laquelle nous n’étions sûrs de rien, sans laquelle nous ne pouvions plus parler. Avec les soldats de métier et les chefs de la résistance, il entreprend le rude labeur d’où sortent, au feu de sa parole, les œuvres de salut : le service obligatoire, la subordination de l’administration au commandement, l’institution d’un contrôle supérieur. Ainsi commence la grande tâche que poursuivront plus tard vos deux parrains d’aujourd’hui, l’un comme ministre de la Guerre, l’autre, pendant dix-sept ans, comme président de la Commission de l’armée.

 

Monarchiste loyal, M. le duc d’Audiffret-Pasquier remplit envers la branche aînée tout son devoir. Mais ce clair esprit se fit-il de longues illusions sur les chances de la royauté légitime, depuis cette séance de l’été de 1871, où, après l’échec de la fusion, M. Thiers fit voter la République par les monarchistes, jusqu’à ces jours d’automne de 1873, où M. le comte de Chambord, espérant encore quand tout est perdu, vient en secret à Versailles et se heurte à l’honneur de M. le maréchal de Mac-Mahon ? Heures poignantes, où le fils de la plus illustre maison royale qui ait brillé sous le ciel attend, en prières, les décisions des élus du peuple, et où meurt, sous le toit obscur, l’histoire de l’ancienne France, tandis que, dans le palais des rois, naît la France nouvelle !

 

En cette longue et incertaine période, M. le duc d’Audiffret-Pasquier pensait d’abord aux princes qu’il aimait et qu’il devait défendre plus tard avec la fidélité vaillante de son cœur toujours jeune, à M. le duc d’Aumale surtout. Il s’en fallut de bien peu que, par ses soins et par ceux de M. le duc Decazes, M. le duc d’Aumale ne succédât à M. Thiers. Il y a tant de hasard en ces choses, que le trop de précision qu’on veut y porter risque d’égarer l’esprit ; pourtant, n’est-il pas loisible d’essayer de se figurer ce qu’eussent été, sous la présidence de l’historien des Condé, les commencements du gouvernement parlementaire avec la nouvelle Constitution républicaine ?

 

Président de l’Assemblée nationale, puis du Sénat, M. le duc Pasquier n’eut pas, j’imagine, à s’efforcer longtemps pour se dompter : cette haute magistrature change tout l’homme. Et, comme le fauteuil est la seule place de l’assemblée, d’où on la puisse voir tout entière, il est aussi la seule d’où l’on puisse bien juger les partis et s’élever, pour chacun d’eux, à la pleine équité. Son âme était digne d’affronter la difficulté la plus redoutable et parfois la plus douloureuse de cette charge, je veux dire ces cas de conscience imprévus qui surgissent tout à coup devant un devoir complexe, et qu’il faut résoudre à l’instant, tout en tenant tête aux passions.

 

L’Académie française ne pouvait rendre un plus juste hommage à la mémoire de notre illustre et très regretté confrère, qu’en vous appelant, Monsieur, à lui succéder. Comme lui, vous estimez que tout pouvoir sans contrôle porte en soi une force de dépravation latente qui doit le perdre ; comme lui, vous étiez fait pour la vie des assemblées et les combats de la tribune ; comme lui, vous avez le sens vif de la solidarité qui unit entre elles les générations parlementaires successives, et dont cette séance même est comme un symbole ; comme lui, enfin, vous êtes une vivante preuve de cette vérité, moins méconnue à l’étranger qu’en France, à savoir que nos assemblées actuelles ne le cèdent en rien, ni pour les caractères ni pour les talents, à celles du passé.

 

Oui, j’en atteste, en même temps que votre glorieuse carrière, ceux qui furent vos adversaires ou vos émules, ceux avec lesquels ou contre lesquels vous avez combattu : l’un, d’abord, l’organisateur de la défense nationale, tumultueux, enthousiaste, électrisant les assemblées et les foules, et répandant jusqu’à la mort son grand cœur, où saignait la blessure de la France ; cet autre, qui siégea parmi nous, venu à la politique par la philosophie, virtuose consommé, qui commençait d’une voix mourante, puis, peu à peu, par une savante gradation, s’animait, approchait l’adversaire avec une grâce féline, l’enlaçait, l’étouffait ou l’abattait d’un coup de griffe ; un autre, philosophe, lui aussi, mais philosophe pessimiste, âpre, véhément, hautain, qui passa de la tribune à la présidence du Sénat ; celui-ci, que nous avons le bonheur de posséder encore et qui siège près de vous, Monsieur, en cette journée, comme il était près de vous en d’autres jours mémorables et plus difficiles, dont la parole semble une eau limpide, reflète les rives, désagrège l’obstacle et le fait fondre ; celui-là, un des nôtres aussi, orateur soldat, dont les fiers accents montent comme des actes de foi et dont les harangues sont de magnifiques chevauchées pour la religion et pour la patrie ; à l’autre pôle, ce verbe nerveux, mordant, coupant comme l’acier, qui n’a pas toujours épargné aux meilleurs de cruelles blessures : enfin, l’abondance méridionale avec la subtilité métaphysique, les sons, les images, la poésie, chanson nouvelle berçant et irritant à la fois la plainte des patients et des misérables ; et après ceux-là, de continuelles recrues, qui sans cesse viennent jeter sur notre tribune les lueurs les plus éclatantes et les plus variées.

 

Vous, Monsieur, vous ne ressemblez à aucun de ceux-là. Qu’êtes-vous donc ? Pour le dire, il faut regarder votre vie.

 

Vous êtes le fils d’une race sérieuse et sensée ; vous êtes né à cette limite des Flandres où la liberté a poussé d’elle-même, dans une de ces villes jalouses de leurs franchises, dont l’histoire est celle des institutions communales. Votre père était venu de Calais, avec, dit-on, quelques gouttes de sang espagnol dans les veines.

 

Vous parliez naguère en termes exquis de votre pays du Nord, « avec sa lumière un peu pâle, mais si douce à voir, les jours d’automne, à travers la brume », pays de poètes et d’artistes, et aussi de vigoureux négociants et industriels. Un jour qu’à la Chambre un député du Midi avait osé vous traiter de barbares : « Où seriez-vous, si cette barbarie n’avait pas envahi la France ? Nous sommes le nerf, nous sommes la force. Oh ! je ne veux pas dire du mal de nos compatriotes du Midi. Je les aime, ce sont de gais compagnons. Peut-être ont-ils le tort de vouloir plus qu’ils ne sont nombreux. Le Midi, qui est éloquent, qui sait improviser, qui a une littérature et une éloquence si séduisantes, tient à avoir plus de députés que la simple justice le comporterait. Il y a là quelque chose dont nous pouvons nous plaindre ; mais nous savons nous défendre ! »

 

Vous commencez vos études au collège de Saint-Omer ; vous les achevez à Paris, au lycée Bonaparte. Vous montrez du goût pour les mathématiques ; vos camarades vous entraînent vers le droit.

 

Vous rappelez-vous, Monsieur, la vieille salle basse de la bibliothèque du Palais, où, au milieu des livres, s’assemblait chaque semaine la conférence des stagiaires ? La jeunesse frondeuse qui se pressait dans les salles d’audience trop étroites pour entendre Berryer ou Dufaure, ou qui bravait toute une nuit d’hiver pour assister, dans la tribune publique du Corps législatif, à une séance où devaient parler Thiers, Jules Favre, Émile Ollivier, était accourue ce jour-là dans la vieille salle basse, pour écouter un des siens, premier secrétaire de la conférence.

 

On vit se lever un grand jeune homme blond, fort ému du son de sa voix dans le silence, un peu embarrassé, semblait-il, de ses longs bras, la tête penchée, comme si le plafond gênait sa haute taille. Mais bientôt l’auditoire était pris.

 

Vous aviez choisi pour sujet la vie et l’œuvre de lord Erskine. Vous étiez allé d’emblée à l’Angleterre et, en Angleterre, à l’âge héroïque de l’éloquence, tel qu’aucun peuple n’en avait connu depuis Athènes, dans le temps que la guerre d’Amérique et la Révolution française allumaient les âmes et que la grandeur britannique appelait à la barre de Westminster les affaires du monde entier. Parlant de l’éloquence judiciaire, alliez-vous peindre un de ces procès dramatiques de la Chambre des lords, où, comme dans les républiques anciennes, les haines de parti avivaient l’éloquence, mais empoisonnaient la justice ? Non : ce qui vous attire, ce qui vous retient, c’est le droit parlant à la conscience du jury et protégeant les libertés nationales contre les entraînements populaires.

 

Vous êtes là, déjà, presque tout entier ; d’avance, vous tracez votre idéal : « Si je pouvais, disiez-vous, me résoudre à séparer l’homme de l’orateur, et si je ne pensais que cet amour de la liberté est une partie de son talent... »

 

Et encore : « Erskine eut le mérite singulier d’avoir toujours su écarter de son discours ce qui n’aurait servi qu’à faire briller son talent, et de s’être souvenu que, pour commander aux esprits, l’orateur doit résister à son propre génie. »

 

Oui, vous voilà bien en vos traits essentiels : gravité précoce, distinction sans recherche, intelligence juridique, noble ambition de conduire les hommes par la raison. Ce que vous prenez pour modèle, c’est une parole qui se soucie des choses, non des mots, qui écarte tout ce qui vise au relief, à la couleur, à l’effet littéraire ou pittoresque. Tel apparaissez-vous dès lors en votre maturité première, en votre fleur d’austérité.

 

À vingt-huit ans, le ministère Émile Ollivier vous nomme substitut à la Seine.

 

En 1875, M. Dufaure, dont la rudesse voilait tant de cœur et dont la bonté couvait les jeunes promesses de gloire et aimait à s’oublier en elles, le vieux garde des Sceaux vous fait secrétaire général au ministère de la Justice. Vous poursuivez avec lui un louable dessein : affranchir la magistrature du joug de la politique. Réforme difficile : nous l’attendons encore !

 

En 1878, Calais vous nomme député ; vous entrez à la Chambre à trente-six ans.

 

Vous y parlez d’abord contre l’amnistie ; puis, contre l’article 7, et là, vous vous heurtez à la résistance vosgienne de Jules Ferry ; puis, contre la suppression de l’inamovibilité judiciaire, et là, vous vous trouvez en face d’un jeune Breton, qui fait, lui aussi, ses premières armes et qui, comme vous, débute en maître, M. Waldeck-Rousseau.

 

Mais, bientôt, vous vous attaquez au monstre lui-même, à Gambetta, et c’est là que vous remportez votre premier grand succès, celui qui assoit votre réputation.

 

Gambetta, premier ministre, avait créé par décret deux ministères nouveaux. Vous critiquiez cette procédure. La Chambre, dont vous souteniez les prétentions, était avec vous. Gambetta vous répond, loue la finesse et la force de votre dialectique. Vous répliquez ; la réplique est la pierre de touche des orateurs parlementaires. Triomphe.

 

Oserai-je dire toute ma pensée ? Je ne serais pas surpris si, à vingt-cinq ans de distance, cette victoire ne vous apparaissait comme un peu mêlée, et si, parmi tant de succès, vous n’en préfériez d’autres.

 

Pour moi, je l’avoue, j’ai éprouvé qu’on regrette souvent plus les coups qu’on a donnés que ceux qu’on a reçus, d’abord parce que l’adversaire de la veille peut devenir l’allié du lendemain, mais surtout parce que l’éloignement mène à plus d’équité. Au fond, l’affaire des portefeuilles n’était qu’un prétexte. Il s’agissait, non pour vous sans doute, mais pour la plupart de ceux qui vous applaudissaient, de porter le premier coup à l’homme qu’on accusait de méditer une aventure. L’aventure, c’était l’Égypte. On attaquait Gambetta pour l’Égypte, comme on avait attaqué Jules Ferry pour Tunis. Vous fûtes porté, ce jour-là, par des passions qui n’étaient point les vôtres.

 

À la hauteur où vous êtes, la louange banale serait aussi malséante que l’épigramme. Vos discours sont de l’histoire. La parole serait le plus vain des jeux, si elle ne se confondait avec l’acte ; les mots n’ont de prix que par la cause qu’ils servent.

 

L’année suivante, vous êtes élu rapporteur général du budget. Vous dévorez ces âpres matières, et bientôt vos exposés financiers rappellent, par la précision et la clarté, ceux des plus grands orateurs d’affaires, Thiers et Gladstone. Ainsi, le financier vient compléter le juriste.

 

Dès lors, chaque débat vous apporte de nouvelles forces. Droit de réunion, presse, syndicats professionnels, affaires militaires, question des sucres, questions constitutionnelles et électorales, vous abordez tout avec une autorité croissante, qui ne doit rien à la faveur des partis.

 

Mais, en ces premiers temps de votre vie parlementaire, tandis que vous grandissiez à la Chambre, votre groupe diminuait dans le pays. Vous cheminiez à travers le déclin d’un parti qui avait eu ses jours de gloire et qui avait gouverné la France avant votre avènement. Vous montiez toujours, mais sur une base de plus en plus étroite. Vous étiez une armée à vous seul, entre la Droite, dont vous ne partagiez pas les espérances, et la Gauche, dont vous n’approuviez pas les actes : rôle original, digne de tenter une âme fière, mais difficile, puisque votre talent, si solide qu’il fût, ne trouvait de point d’appui qu’en soi-même.

 

Vos adversaires vous reconnaissaient du courage, mais vous accusaient d’indécision ; ils vous reprochaient de ne pas conclure. On disait de vous : « Il sera ce qu’il voudra. » Et l’on ajoutait, pour se consoler : « S’il eût été Henri IV, il eût manqué la messe. » À quoi vous pouviez répondre que, si votre blâme n’allait pas jusqu’au bout, c’est que la chute d’un gouvernement eût été disproportionnée avec vos critiques.

 

La nuance n’est point le fait du suffrage universel : aux élections générales de 1885, vous échouez dans le Pas-de-Calais avec toute la liste républicaine, et vous êtes éloigné de la Chambre pendant quinze mois. Vous y rentrez en 1887 ; et alors commence une phase toute différente de votre vie.

 

Ces principes que vous avez défendus avec tant de rigueur, allez-vous y demeurer enfermé toujours, sans vous prêter aux faits, sans vérifier votre force, sans vous mêler jamais aux grandes réalités de l’histoire ?

 

Une pensée individuelle ne suffit pas à conduire un peuple : en politique, une idée n’a de valeur que si elle a été éprouvée et fondue avec beaucoup d’autres, On ne gouverne pas avec un groupe, on gouverne avec un parti. Or, un parti se compose d’éléments très divers, qui ne peuvent vivre ensemble que par des concessions mutuelles. Il faut donc concilier les intérêts opposés et, en s’élevant au-dessus, trouver le nœud par où on les peut réunir. La transaction est le fond même de la vie parlementaire. C’était une série d’accommodements qui, dans l’Assemblée nationale, avait fait peu à peu la Constitution : d’autres accommodements, dans les Chambres qui en étaient issues, pouvaient seuls la faire vivre.

 

Mais, dans ces compromis, les principes s’altèrent. L’idée, pour réussir, a besoin de faire des sacrifices. L’idéal, dès qu’il se réalise, se dissipe.

 

Ce conflit intime des devoirs, quel homme mêlé à la vie de l’action n’en a souffert ? Résistez-vous, demeurez-vous ferme sur vos maximes ? Vous êtes un isolé, sans influence ; un talent honorable, mais stérile. Essayez-vous d’étendre votre rayon, de vous prêter aux autres pour agir sur eux, et, sachant bien que vous ne pourrez pas réaliser tout votre idéal, sacrifiez-vous l’accessoire à l’essentiel ? Vous êtes un ambitieux sans scrupules.

 

Métier charmant, que le nôtre, Monsieur ! Nous y tenons pourtant ; nous y tenons à cause de ces difficultés mêmes ; nous y tenons plus peut-être par les souffrances que par les joies qu’il donne, et parce qu’il nous semble, — est-ce une illusion ? — que la moindre réforme utile, une négociation bien conduite, une parole juste, une campagne généreuse, rien de tout cela n’est perdu ; que nos efforts, si bornés qu’ils soient, ajoutent à la force d’une adorable patrie, et qu’ainsi nous concourons infimes artisans de l’ordre universel, au lent travail de perfection qui s’accomplit dans le monde.

 

Certes, vous aviez peu de goût pour ces politiques qui s’inspirent uniquement de la circonstance et qui s’en tiennent aux expédients ; mais vous saviez vos ressources, vous aviez l’ambition légitime de les mettre au service, non de quelques Français, mais de la France. Si la politique abstraite pose les principes, la politique concrète doit les adapter aux faits. Et puis enfin, le suffrage universel ne changeait-il pas à vue d’œil ? Ces masses profondes, de plus en plus conscientes de leurs intérêts et de leur force, ne voulaient-elles pas une politique plus cordiale, plus humaine, à la fois plus large et plus réaliste ?

 

Vous prenez votre parti : sans abdiquer le passé, vous changez d’allures et vous étendez votre champ.

 

Votre intervention contre le boulangisme, votre harangue de Saint-Omer après les élections de 1889, votre réponse à Mgr Freppel, évêque d’Angers, sur l’action politique du clergé dans les élections, ne sont plus applaudies seulement par le Centre, elles unissent sous votre parole tous les républicains. Vous inclinez votre voile aux souffles propices, et lorsqu’en 1890, M. de Freycinet est chargé par le Président Carnot de constituer un Cabinet, il vous confie le portefeuille des Affaires étrangères.

 

Plus encore que le défaut de préparation militaire, le manque d’alliances avait été cause de nos défaites. C’était la neutralité de l’Angleterre et la connivence de la Russie qui avaient permis à la Prusse de vaincre. M. de Bismarck, redoutant que les États qui avaient laissé écraser la France ne lui tendissent un jour la main, eut jusqu’à la fin un double objectif : empêcher tout rapprochement entre la France et la Russie, empêcher tout rapprochement entre la France et l’Angleterre. Au moment même où vous preniez le pouvoir, il le quittait.

 

Depuis 1870, en vingt ans, dix-sept ministres des Affaires étrangères s’étaient succédé au quai d’Orsay. Quoi qu’en ait dit alors votre courtoise et habile modestie, on ne pouvait sérieusement prétendre que notre politique extérieure eût brillé par ce que Richelieu appelait « l’unité d’un même esprit et la suite des mêmes desseins et moyens » : chacun de vos prédécesseurs, ou peu s’en faut, avait suivi une ligne différente.

 

La Triple alliance pesait encore de tout son poids sur l’Europe. Les souvenirs de l’affaire Hartmann gênaient nos relations avec Saint-Pétersbourg, et la question d’Égypte nos rapports avec Londres. Après le voyage de l’impératrice Frédéric à Paris, la Triple alliance fut renouvelée précipitamment. Alors fut résolue la visite de l’escadre française à Cronstadt ; puis commencèrent vos négociations avec la Russie.

 

Vous n’avez jamais fait beaucoup de bruit de ces événements dont vous fûtes l’âme et qui seront votre honneur devant l’histoire. La grande politique, même dans les gouvernements représentatifs, est souvent ce qu’on ne dit pas, et l’histoire d’hier est celle qu’on sait le moins. Mais l’avenir fera voir les obstacles que votre prudence et votre fermeté surent vaincre, et ce tact qui mit en confiance la loyauté d’Alexandre III.

 

La Russie, à cette époque, avait en vue l’Angleterre autant que l’Allemagne et l’Autriche. La France, elle, ne regardait, au point de vue défensif, que l’Allemagne. La différence des intérêts montre assez la difficulté de votre tâche. Déposer dans l’alliance nouvelle un germe de mésintelligence avec Londres, c’eût été l’éloigner de Paris, vers Berlin.

 

Comme tous les esprits clairvoyants, de l’un et de l’autre côté de la Manche, vous pensiez une politique d’hostilité entre la France et l’Angleterre était un anachronisme funeste, analogue à celui qui, sous le second Empire, avait jeté la France contre l’Autriche.

 

Après Cronstadt, notre escadre, invitée par la reine Victoria, parut dans les eaux de Portsmouth. Et lorsque, aux manœuvres de l’Est, à Vandeuvre, M. de Freycinet parlait de « situation nouvelle », lorsque, à Bapaume, inaugurant la statue de Faidherbe, vous en définissiez, avec une force émouvante et simple, le caractère et la portée, la France toucha un des plus hauts sommets qu’elle ait atteints depuis trente-cinq ans.

 

Les personnes qui s’étonneraient de m’entendre louer ici vos actes comme ministre des Affaires étrangères connaîtraient bien peu l’esprit de notre Compagnie. L’action est le premier des arts. Les grands capitaines qui en firent partie avaient moins de titres littéraires que vous. Ils avaient remporté des victoires. Villars en fut pour Denain. C’est aussi une victoire, qu’une négociation heureuse. C’est mieux qu’une victoire, si elle écarte la guerre.

 

Mais, dans ce moment même que la France respire et que vous êtes au milieu de la faveur publique et de l’applaudissement, tout à coup, au loin, un orage se lève. Un homme, qui avait pris à l’Orient le goût des grandes aventures, un hardi séducteur de foules, qui avait renouvelé les miracles des jours antiques et changé la figure de la terre, après avoir réalisé le rêve de Rhamsès et de Bonaparte, essayait de réaliser celui de Leibniz et de Goethe ; mais, maintenant, l’ingrate nature lui résistait ; son génie s’usait en impuissants efforts ; le prodige africain se dissipait aux rivages rebelles d’Amérique.

 

Alors, l’ouragan s’abat sur nous ; les ruines s’amoncellent ; les victimes crient vengeance. Soif de justice ou goût du scandale, honorable souci des mœurs publiques ou hypocrisie de vertu, haine de l’improbité ou du mérite, le soupçon est partout ; la calomnie souffle en tempête ; on voit monter à la surface la vase qui dormait au fond des cœurs vils.

 

Le Parlement est désemparé, le peuple ému, le Président découvert. Le mal est profond, car on ne trouve plus de ministres.

 

Dans un si grand désordre, vous êtes plein de la seule pensée qui devrait animer tous les cœurs : point n’est besoin de votre charge, le patriotisme suffit, pour sentir tout ce que la France peut perdre en de tels déchirements.

 

L’homme qui va s dévouer se perdra peut-être. Qu’importe ? Sans mettre un moment en balance votre intérêt avec celui du pays, vous vous jetez à la barre. Oui, nous eûmes alors ce spectacle extraordinaire : un homme politique s’oublier lui-même, et, pour parler avec Bossuet, « sans s’étonner ni des vagues, ni des orages, ni de son propre péril, aller droit à la conservation du corps de l’État. »

 

Vous sortez de l’épreuve meurtri, mais non diminué ; car, moins de deux ans après, le nouveau Président, M. Félix Faure, vous appelle de nouveau.

 

Cette fois encore, votre intérêt, — je veux dire l’intérêt de vos idées, — eût été d’attendre. Les circonstances n’étaient guère pour vous. Deux budgets à voter en un an, des grèves incessantes, une majorité désunie ; comment aborder alors le seul rôle digne de vos talents et de votre nom : dresser devant le pays le plan d’une France nouvelle ; abattre les parties caduques du vieil édifice ; faire de la République, au point de vue du suffrage, de l’administration et de la justice, une réalité ; opposer au collectivisme naissant une doctrine sociale et une politique novatrice ? Vous méritiez de gouverner avec un programme et de tomber sur une idée. À peine eûtes-vous le temps de jeter, à travers une grève, un mot sur les rapports du capital et du travail. C’est, je crois bien, — chose curieuse ! — dans toute votre carrière, à peu près le seul discours sur ce sujet. Les gauches l’acclamèrent, les socialistes eux-mêmes en votèrent l’affichage. Et quelle était donc cette doctrine si hardie ?

 

« Nous ne pouvons pas, disiez-vous, trancher les questions de salaires par voie d’autorité... Nous devons substituer à l’idée d’autorité, qui a pu suffire autrefois, l’idée du contrat, avec la liberté et le respect réciproque de la parole donnée... L’ouvrier est l’égal de celui qui l’emploie quand il s’agit de discuter les conditions et le taux de son salaire et d’appliquer les clauses des conventions qui ont été librement débattues. »

 

Douze mois n’étaient pas écoulés, que vous quittiez le pouvoir, pour reprendre le rôle qui, décidément, était votre destinée : l’opposition.

 

Vos campagnes de ces dernières années sont dans toutes les mémoires.

 

D’abord, l’enquête sur l’enseignement secondaire. Avec quelle hauteur de vues elle fut conduite, ceux de nos illustres confrères qui ont été appelés à y déposer en témoigneraient mieux que moi. Toutes les élites furent entendues, toutes les opinions purent se faire jour. Votre beau rapport, conclusion de l’enquête, condamne la centralisation excessive et la manie d’uniformité qui stérilisent tant de germes. Les idées entrent par mille chemins et sous mille formes : il faudrait autant d’enseignements que d’intelligences, tout au moins des types d’instruction assez variés pour tirer de chacune tout ce qu’elle peut donner. L’enfant ne peut tout apprendre, il faut choisir. Au lieu de l’enfermer en des cadres rigides, laissons-le passer d’une matière à une autre, suivant le temps dont il dispose, suivant ses aptitudes et ses goûts ; plions nos programmes et nos méthodes à la diversité des vocations et des mœurs, aux conditions changeantes de la vie moderne. Un lycée, un collège ne doit plus être un froid établissement administratif taillé sur un modèle uniforme, il doit être un organisme vivant, qui tient au terroir et qui en conserve la chaleur et le parfum. Cette enquête, une des plus attachantes de notre histoire parlementaire, serait un titre décisif au choix de l’Académie, si vous n’en aviez déjà tant d’autres.

 

Un peu plus tard, dans le débat sur les associations, vous vous retrouvez, fidèle aux convictions de votre jeunesse, en présence du ferme contradicteur que vous aviez rencontré jadis. Nous vîmes alors ces deux grands orateurs opposés front à front : lui, avec son regard en apparence indifférent, sa parole concentrée, la précision rigoureuse de ses déductions logiques et ses empreintes de justesse, gravant d’un mot une situation ou lançant un de ces traits qui restent, comme des fragments de javelot, dans la mémoire ; vous, fort de l’unité de votre vie, plus flexible encore et plus détendu depuis l’exercice du pouvoir ; tantôt une ironie hautaine qui enfonce dans les chairs et tantôt un jeu discret, une manière de tout dire sans appuyer, un ton aisé qui touche à la grâce, ou une gravité émue qui s’élève à la grandeur ; tous deux, sans rhétorique et sans emphase, également prompts à prévenir l’adversaire, pour ne pas lui laisser le temps de nouer et de serrer.

 

Jamais peut-être on ne vit mieux que dans vos répliques soudaines et dans vos corps à corps, quand vous étiez jeté brusquement à la tribune, toute la différence entre les orateurs français d’autrefois et ceux d’à présent. Les orateurs de la Révolution disparurent trop jeunes, ceux de la Restauration arrivèrent trop tard dans les Chambres, pour apprendre à parler d’abondance ; car l’improvisation ne s’improvise pas. Mirabeau disait : « Il faut de plus longues préparations et des méditations plus approfondies pour parler d’abondance, que pour écrire à loisir. » Et c’est une remarque assez juste, que l’improvisation, comme l’équitation, la natation ou la musique, ne s’apprend guère passé quarante ans. Aujourd’hui l’orateur doit toujours être en état de faire face à tout ; la parole, incessamment produite par l’idée présente, par l’incident immédiat, s’anime, s’aide des mouvements de l’assemblée des interruptions, des cris, des applaudissements se crée à tout instant sa forme propre et vive. Jadis les orateurs se contredisaient plutôt qu’ils ne se répondaient ; une thèse succédait à une autre thèse : aujourd’hui les idées se heurtent et les hommes s’empoignent.

 

Et aussi jamais on ne vit mieux la distance entre nos orateurs de la fin du XVIIIe siècle ou de la première moitié du XIXe dont l’éloquence née d’un développement philosophique de la littérature. vivait surtout de principes généraux et abstraits, et nos orateurs contemporains, dont la parole plus pratique et plus juridique, appliquée à des objets à la fois plus précis et plus complexes, vit moins de théories que de faits.

 

Enfin, les débats sur la séparation des Églises et de l’État achevèrent de montrer ce que peut une parole constamment maîtresse d’elle-même et des autres. Lorsqu’un adversaire essayait de se dérober, vous le pressiez si fort, qu’on entendait craquer les os. Une Chambre hostile, qui se cabrait sous vos coups, était parfois retournée, ravie, vaine de ce grand talent, sans cesse en éveil et en armes.

 

La séparation vous était toujours apparue comme le régime de l’avenir ; mais vous trouviez l’affaire mal engagée. Cependant vous n’avez pas cru que le devoir fût de pousser au pire. Il faut comparer le projet et la loi, pour mesurer la portée de vos interventions et l’étendue de vos conquêtes.

 

En cette période où vous avez touché avec tant de courage au fond même des âmes, des milliers d’êtres ont eu en vous leur conscience. Lorsqu’un orateur de votre taille, au point de l’existence où vous êtes parvenu, monte à la tribune, il n’y paraît plus seul. Sa vie tout entière marche devant lui. Honneur public et privé, respect de la pensée d’autrui, nobles fatigues, triomphes, revers, blessures, douleurs, quarante ans de labeur au service du pays, c’est tout cela ensemble qu’il jette dans la mêlée, et l’on acclame, non seulement ce qu’il dit, mais ce qu’il est.

 

Tout à l’heure, vous sembliez exprimer le regret de manquer de titres littéraires. Ah ! vous avez la première des qualités littéraires, la plus rare, le naturel. Vous ignorez ces vaines curiosités de la forme, que ne connaît pas une conviction pressée d’agir. L’éloquence politique est peut-être, de tous les genres, celui qui veut le plus de sincérité. À la tribune, il faut être soi-même ; si l’on imite, on est perdu. L’arrangement des mots, loin de servir la pensée, la compromet. Un de nos grands confrères, qui se connaissait en ces sortes de choses, M. Renan, a dit : « Il n’y a pas d’art de parler, pas plus qu’il n’y a d’art d’écrire. Bien parler, c’est bien penser tout haut. »

 

On ne trouverait dans toute votre œuvre, ni un trait, ni un morceau ; il serait difficile d’en rien détacher pour le citer, car tout se tient et tout tient au sujet, fait corps avec le débat, avec l’assemblée, à telle heure, à telle minute ; c’est toujours et uniquement de l’action.

 

Je ne sais si vous avez commencé par écrire vos discours ; cela est probable. C’était le procédé des anciens et des hommes du XVIIe siècle. M. Thiers lui-même, dit-on, écrivait plusieurs fois ses grands discours avant de les prononcer. Mais, bientôt, la plume est trop lente, et, sur le fond longtemps mûri, la part de l’improvisation devient toujours plus large.

 

Aussi bien, la tribune est l’art des sacrifices nécessaires. M. Alexandre Dumas fils disait : « Le théâtre, c’est la coupure. » La tribune aussi est la coupure. Il faut avoir à sacrifier la matière de deux ou trois discours, pour en faire un bon. On ne peut tout dire : il s’agit d’aller en droiture au fait et au fond. Les grandes assemblées, surtout les assemblées françaises, sont impatientes, nerveuses : on doit concentrer la lumière sur deux ou trois points bien choisis. Là aussi, le style est surtout dans le mouvement.

 

Je pense, d’ailleurs, que vous n’avez plus à préparer longtemps ce que vous voulez dire : car vous possédez ce savoir presque universel que les anciens exigeaient de l’orateur, — et qu’était-ce que l’érudition politique des anciens auprès des intérêts de plus en plus étendus et compliqués des sociétés modernes ? — Jurisconsulte, financier, économiste, administrateur, diplomate, également versé dans les affaires militaires et dans les questions d’enseignement, vous êtes aujourd’hui l’orateur le plus encyclopédique et, de l’aveu de tous, le premier des parlementaires français.

 

Telle est votre vie. Si haute qu’ait été votre fortune, elle me paraît encore au-dessous de vos mérites. Il est peu d’hommes dont les circonstances aient plus traversé les principes.

 

La démocratie aime mieux l’égalité que la liberté. Chaque parti croit que la liberté règne, dès qu’il est le plus fort. L’intervention de l’État, la centralisation, la tutelle ne cessent de croître, non seulement en France, mais en Angleterre, aux États-Unis, partout. Les libéraux gênent la démocratie. Elle devrait cependant leur savoir gré de leurs efforts, d’abord parce qu’ils sont désintéressés, et puis, parce qu’ils tendent à diminuer les maux dont elle souffre : la bureaucratie, l’abus de la fiscalité, l’accroissement des impôts. Les libéraux sont des freins. L’écueil, c’est d’apparaître uniquement comme une force de résistance et, par là, de laisser à l’esprit d’aventure de terribles avantages. Dans la lutte éternelle entre l’esprit de défense et l’esprit d’entreprise, entre les choses qui ont été et les choses qui seront, les circonstances ont voulu que vous fussiez plus souvent du côté de la défense. Les novateurs, ceux qui font lever devant eux les idées, et les questions, ne fondent pas sur vous beaucoup d’espoir : ah ! si vous pouviez les détromper un jour ! Et puis, le propre des oppositions est d’être pessimiste ; or, les peuples, pour subsister, ont besoin d’optimisme. Qui sait ? peut-être avez-vous été trop sage ? Peut-être faut-il à la France un grain de folie ? Il est vrai que ce grain de folie lui a fait faire de bien grandes choses ! Elle a le tempérament conservateur et l’imagination révolutionnaire : aussi a-t-elle toujours eu un faible pour les révolutionnaires repentis.

 

Je ne sais ce que l’avenir vous réserve encore. Mais, dans les événements qui se préparent en Europe, s’il est donné à notre génération d’échapper aux mécomptes d’une politique faible, diffuse et changeante, c’est qu’elle aura puisé dans votre vie de salutaires leçons. En tous cas, elle devra se tourner avec gratitude vers l’heure sereine où, non loin des lieux où vous êtes né, près du soldat modeste qui sut ramener un instant la victoire sous nos drapeaux, au lendemain de Cronstadt et de Portsmouth, vous proclamiez, dans la manière sobre des vrais maîtres de la politique française, les maximes hors desquelles nous ne saurions trouver que déceptions et ruine : le maintien de cet équilibre, qui n’est pas moins indispensable à notre existence qu’à la liberté de l’Europe ; et, sous ce rayon de sagesse et d’espoir, elle saluera en vous un grand serviteur de la France.