Fragments d’une épître sur la peine de mort

Le 25 octobre 1848

Jean-Baptiste SANSON de PONGERVILLE

FRAGMENTS D’UNE ÉPITRE SUR LA PEINE DE MORT,

LUS DANS LA SÉANCE PUBLIQUE DU 25 OCTOBRE 1848,

PAR M. DE PONGERVILLE.

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Deux siècles de grandeur, de talent, de savoir,
Sans limite ont de l’homme étendu le pouvoir.
Son génie a plané dans cet empire immense
Qui, sans borne partout, nulle part ne commence.
Il compte les soleils, suit leur brillant chemin,
Les mesure, les pèse en sa débile main ;
Digne des grands objets que son esprit contemple,
Son cœur de la vertu devient souvent le temple.
Mais quand de la raison tout respecte la voix,
L’antique cruauté reste empreinte en nos lois.
Les révolutions, dans leur lutte féconde,
En le rajeunissant bouleversent le monde ;
Lois, mœurs, trônes, autels, sous leur terrible assaut
Tout a péri ; debout est resté l’échafaud !
Sur un sol ébranlé par les feux qu’il recèle,
A demi foudroyé, tout à coup il chancèle ;
Tombera-t-il enfin ? Son aspect redouté
Ne préviendra-t-il plus le crime épouvanté ?...

 

A Dieu seul, nous dit-on, appartient notre vie,
Sa féconde parole au monde nous convie ;
Du flambeau qu’il allume éteindre la clarté,
C’est usurper ses droits. Comme la liberté,
La vie est de ce maître un don inviolable,
Et pour le racheter tout juge est insolvable.
Dans l’abîme d’erreur quel œil a pénétré ?
Calas fut criminel pour son juge égaré.
Sur les bords de la Somme, un tribunal barbare
A pu se croire intègre en déchirant la Barre.

 

Ailleurs un juste arrêt frappe l’infortuné,
Dans la peine et l’opprobre à vieillir destiné.
La science, les mœurs, et la loi qu’il transgresse,
N’ont jamais défriché sa native rudesse.
Mécontent de lui-même, environné d’heureux,
Il se croit du bonheur déshérité par eux.
Indigné de l’état où le hasard le range,
En jaloux insensé par le crime il se venge.
Loin que votre rigueur réprime son transport,
II s’encourage au meurtre en affrontant la mort.
Le péril rend pour lui la lutte légitime,
Sa vie est un enjeu dans les chances du crime.

 

Ah ! flétrissons le crime, et que sou vil auteur
Dans son calme effronté manque de spectateur.
Sous le poids de l’exil et dans la solitude,
Qu’il souffre du passé la déchirante étude,
Se traîne du labeur à l’amer repentir,
Succombe en pénitent et non pas en martyr.

 

La rigueur dans les lois ressemble à la vengeance ;
Oui… mais craignons aussi sa timide indulgence.
Ce doute enchaîne encor l’esprit embarrassé.
L’avenir choisira, le chemin est tracé.

 

Au spectacle sanglant trop longtemps résignée,
La France, tout à coup, se relève indignée.
Par le malheur instruite, au moins elle défend
L’homicide légal au parti triomphant.
Ils sont affreux ces jours où la foi politique
Embrase ses élus d’une ardeur frénétique,
Où tout parti s’acharne en son fougueux essor,
Se brise, et reparaît pour se briser encor.
De l’homicide loi chacun se fait un glaive,
Tout prétoire est un cirque où des combats sans trêve
Déchirent les vaincus. Le vulgaire indompté
Écrase avec bonheur ce qu’il a respecté.
Ivre de son erreur, dans le sang il se vautre
Dès que roule une tête, il en demande une autre.
L’ambitieux répond à cette horrible voix.
Sans frein, il s’abandonne à de hideux exploits.
Envieux en tout point des rivaux qu’il opprime,
Il veut, comme en pouvoir, les surpasser en crime
A la curée atroce il lui faut large part.
Il foule aux pieds l’honneur, et sur son étendard,
Que porte en mugissant le troupeau qui le flatte,
Le grand nom de Justice en lettres d’or éclate.

 

Mais le pouvoir qu’on souille est déjà terrassé,
Plus d’effroi, plus de bruit… le torrent a passé.
Hier encore à ses vœux tout devenait propice.
Sous son chemin de fleurs il sent un précipice ;
Pour raffermir ses pas son or est impuissant
Où le crime est empreint le sol reste glissant.
Le remords, qui l’étreint comme un étroit cilice,
Porte au fond de son cœur les affres du supplice.
En vain il marcherait d’honneurs environné,
Du bandeau souverain, de palmes couronné,
Contre la conscience il n’est pas de refuge.
Le plus fier des tyrans en soi retrouve un juge ;
Du crime rien n’absout, ni gloire, ni renom,
Sa tache s’agrandit en souillant un grand nom.

 

De ces temps déjà loin l’aspect hideux s’efface,
Un Dieu souvent du monde aime à changer la face ;
Mais l’arche, sur les flots, ne doit pas s’engloutir,
Et pour nous la colombe est tout près d’en sortir.

 

France, garde un bienfait recueilli dans l’orage,
Le sang humain versé pour l’homme est un outrage.
Par la raison publique aujourd’hui réprouvé,
Fais que sous nul aspect il ne soit relevé
L’échafaud politique ! A tout pouvoir suprême
L’interdire à jamais, c’est le sauver lui-même.
Arrache-le surtout à ce maître absolu,
Sans limite en sa force, et de soi-même élu,
Le peuple, enfin, ce roi, multiple, irresponsable,
Cruel, s’il le voulait, sans peur d’être coupable.
A peine il aperçoit le coup qu’il a porté ;
Vers le but qu’il convoite ardemment emporté,
Il se détourne, et, calme au sortir des tempêtes,
Relève, insouciant, son million de têtes.

 

Epure donc les mœurs pour adoucir la loi,
France, le monde entier tourne les yeux sur toi.
Même dans tes erreurs, sans cesse il te contemple,
Des utiles progrès, oui, tu lui dois l’exemple.
Ramène par les lois les jours de ta grandeur,
A force de vertus rentre dans ta splendeur ;
Quelle que soit la route où Dieu même t’entraîne,
Parmi les nations marche toujours en reine.