Discours sur les prix littéraires 2017

Le 30 novembre 2017

Michael EDWARDS

Discours sur les prix littéraires

PRONONCÉ PAR

M. Michael EDWARDS
Directeur en exercice

le 30 novembre 2017

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Monsieur Emmanuel Macron, Président de la République, protecteur de l’Académie française, nous a fait savoir qu’il n’est pas en mesure d’assister à notre séance, mais qu’il souhaite adresser ses chaleureuses félicitations aux lauréats que l’Académie a choisi de distinguer.

 

Nous ne dirions plus, avec La Rochefoucauld, qu’il y a « une différence entre le goût qui nous porte vers les choses et le goût qui nous en fait connaître et discerner les qualités, en s’attachant aux règles ». Nous n’estimons pas qu’afin de dépasser une simple attirance envers un ouvrage, il nous faut demander à des règles, universelles et immuables, de nous en révéler les vrais mérites. Tout change, et ne cesse de changer. On réinvente continuellement la poésie, le théâtre, le roman, on conçoit d’autres façons de philosopher, d’écrire l’histoire, car chaque génération a son expérience propre et habite une réalité différente. La langue se transforme également. Les Français ne prononcent plus, comme autrefois, presque toutes les consonnes ; ils ne placent plus, comme au Moyen Âge, la plupart des adjectifs avant le substantif. Si un peuple est orienté par sa langue, il la fait aussi évoluer selon les demandes du corps et de l’esprit.

L’Académie est consciente de cette transformation continuelle, grâce à son histoire, longue et toujours vivante dans sa mémoire, et aux grands personnages fort divers qui l’ont illustrée et qui semblent introduire dans leur débat intemporel d’innombrables points de vue.
Tout change, et chaque écrit – nos lauréats le savent – est une aventure, un voyage vers l’inconnu. Tout travail authentique de l’esprit ouvre sur l’inédit. De la poésie à l’érudition pure, on assiste à l’apparition, à la lente mise en place d’un univers en grande partie insoupçonné. Du poète qui se meut parmi des figures, des émotions, des souvenirs vrais et faux, des bribes de phrases, dans la chair et la musique des idées, au chercheur examinant des hypothèses et des faits, nous trouvons très souvent là où nous n’avons pas cherché.
Le travail de l’écriture est néanmoins une volupté que l’on éprouve seul, sauf dans la mesure où l’on sent la présence du lecteur futur, être fictif et quotidien à qui on adresse une parole que l’on découvre en l’écrivant et avec qui on se promène comme dans un pays inexploré. Et la solitude, qui aboutit aujourd’hui à une reconnaissance publique et prestigieuse, s’accompagne en effet d’une joie certaine. Les critiques supposent que pendant la période des tragédies, Shakespeare était mélancolique, alors qu’en composant Hamlet, Le Roi Lear ou Macbeth, ne serait-on pas heureux comme tout ?
Si, en écrivant, on s’expose à l’inconnu, la même occasion s’offre au lecteur, et à ceux qui lisent afin d’attribuer des prix. En dressant son palmarès, l’Académie, comme tout juge, tout critique, se remet en question et accepte, devant le réellement nouveau, de modifier ses critères. Juger, c’est poursuivre son apprentissage. Les lauréats nous font ainsi beaucoup de bien, et nous leur en sommes reconnaissants. Nous accueillons avec plaisir toutes ces personnes qui nous ont impressionnés et éclairés.
On n’écrit pas, et l’on ne s’engage pas dans les autres activités que nous couronnons cet après-midi, pour obtenir un prix, mais il est légitime d’en espérer un. Les tragiques grecs, après avoir sondé, disons, la gloire, l’horreur, le mystère de la condition humaine, dans de longues trilogies et de la manière la plus sérieuse, concouraient pour un prix dans les Dionysies. Saint Paul courait, selon une image tirée des jeux grecs, pour recevoir le prix du salut et exhortait tout chrétien à suivre son exemple.
Nous qui ne sommes immortels que provisoirement comprenons bien l’aspiration à la reconnaissance hic et nunc. La lecture de notre palmarès constitue, pour les lauréats comme pour l’Académie, une heure de satisfaction après un travail accompli. Nous sommes ravis de partager avec eux, sous la célèbre Coupole, ce moment solennel, unique, presque irréel, moment qui nous rapproche également du monde de Richelieu, Mazarin, Louis XIV. Ici, le déchirement encore sensible de la Révolution se trouve apaisé, non pas pour encourager la nostalgie de l’Ancien Régime, mais pour rappeler la difficile persistance de la France. C’est aussi un moment bien ancré dans la réalité, et qui nous conduira vers la réception de notre Secrétaire perpétuel et vers le champagne.
 

Voici donc notre palmarès. Les lauréats des Grands Prix voudront bien se lever à l’appel de leur nom et nous les applaudirons chacun à la fin de son éloge.

 

Grand Prix de la Francophonie : M. Tierno Monénembo

Né en 1947 en Guinée, Tierno Monénembo a fui la dictature de Sékou Touré en 1969, a rejoint le Sénégal puis la Côte d’Ivoire pour y poursuivre des études de biochimie. Il a enseigné au Maroc, en Algérie et dans divers autres lieux, avant de se consacrer entièrement à l’écriture. Arrivé en France en 1973, il est aujourd’hui retourné vivre à Conakry.
Le thème de l’errance et de l’exil, celui de la quête d’une identité que l’on croit perdue, sont au cœur de son écriture, mais avec des cadres différents pour chacune des histoires qu’il raconte : la Guinée, Abidjan, Lyon, le Brésil… C’est à La Havane qu’il fait évoluer le personnage de son ouvrage Les coqs cubains chantent à minuit, en Algérie celui de son dernier roman, Bled.
Le Roi de Kahel, qui avait obtenu le prix Renaudot en 2008, n’avait, à ce moment-là, pas été très bien reçu en Afrique en raison du sujet colonial qu’il abordait, mais, comme le note M. Xavier Darcos, l’œuvre de Tierno Monénembo, qui comporte une douzaine de romans, fait l’objet d’une véritable reconnaissance, de plus en plus établie au fil des parutions.
 

Grande Médaille de la Francophonie : M. François Boustani

Cardiologue né au Liban et installé en France, François Boustani a eu une initiative remarquable : créer un site où les cardiologues puissent accéder, en langue française, à ce qui se fait de mieux dans leur discipline. Trop souvent, dans les domaines scientifiques, on se contente du matériau en langue anglaise, sans se soucier du fait que la compréhension subtile et approfondie des praticiens est indispensable à l’exercice optimal de leur art. Notre lauréat, comme nous l’indique M. Amin Maalouf, n’a pas cédé à cette facilité. Qu’il en soit chaudement remercié.
 

Grand Prix de Littérature : M. Charles Juliet, pour l’ensemble de son œuvre

Charles Juliet est auteur de théâtre, poète et avant tout prosateur. Après une enfance très douloureuse et son entrée comme enfant de troupe à l’école militaire d’Aix-en-Provence, il rejoint celle de Lyon où il restera jusqu’à l’âge de vingt ans. Devenu écrivain, il évoque sans cesse son propre chagrin et témoigne de la douleur qui l’entoure. Si le noir prend toutes les formes dans son œuvre, c’est par la littérature qu’il se sauve, et s’il concentre tous les malheurs dans ses livres, c’est pour nous permettre une écriture plus lumineuse. Il convient, comme l’affirme M. Dany Laferrière, que l’Académie française salue un écrivain de quatre-vingt-trois ans, à contretemps de notre époque de divertissement.
 

Grand Prix de Littérature Henri Gal (Prix de l’Institut de France) : M. Benoît Duteurtre, pour l’ensemble de son œuvre

Entre roman et souvenirs, les tribulations d’un homme jeune, en colère contre son temps, et qui trouve dans la littérature, la musique et l’art des raisons de croire dans la vie. Joyeux, mélancolique, iconoclaste, d’une grande sensibilité, le dernier roman de Benoît Duteurtre, Livre pour adultes, qui pourtant lui a été inspiré par la mort de sa mère, est aussi une réflexion sur la vieillesse, le temps qui passe et les bonheurs enfuis. Benoît Duteurtre évoque ses rencontres avec la veuve de Darius Milhaud, auquel, musicologue, il voue un véritable culte. C’est une promenade attachante, comme le remarque M. Jean-Marie Rouart, enchantée par le style, pleine de sensibilité et de culture, où l’auteur déambule dans sa vie passée comme dans un véritable roman – et qui est représentative de l’œuvre entière, partagée entre romans familiaux ou autobiographiques, écrits sur la musique et essais nostalgiques.
 

Prix Jacques de Fouchier : M. Dominique Cordellier, pour Le Peintre disgracié

Le premier roman du conservateur en chef au cabinet des dessins du musée du Louvre nous fait découvrir, constate Mme Florence Delay, un peintre flamand du xviie siècle, Michael Sweerts, et son itinéraire étonnant de Bruxelles où il est né et où il apprit beaucoup de langues, à Goa où il mourut, en passant par Paris où il tomba amoureux, Rome, la Syrie, la Perse. Dès le titre, Le Peintre disgracié, dès l’exergue, on sait qu’il n’eut jamais la gloire des frères Le Nain, des Teniers, du Bamboccio, peintres comme lui de la vie familière, de « vies minuscules » dirait Pierre Michon, encore moins la gloire de celui qu’il appelait le seigneur Poussin. À travers ses voyages, paysages, conversations et rêveries, Dominique Cordellier tente de faire aimer Michael Sweerts, pour mettre fin à sa « disgrâce ».
 

Grand Prix du Roman : M. Daniel Rondeau, pour Mécaniques du chaos

Mécaniques du chaos est le parfait exemple, pour M. Frédéric Vitoux, de ces romans polyphoniques construits autour d’une dizaine de personnages dont les destins parfois indépendants les uns des autres se croisent, s’affrontent, s’attirent, et qui finissent par tisser la trame même d’une époque. Pour l’occasion, de Tripoli à Malte, ou des arcanes des ministères parisiens aux territoires perdus de la République du côté de Corbeil, Daniel Rondeau, en mettant en scène ses personnages tous parfaitement individualisés et dessinés, donne à son roman un souffle romanesque peu commun. Mieux, il traduit avec une urgence et une lucidité terrifiées les conflits et les convulsions de notre époque autour de cette Méditerranée dont l’auteur, comme écrivain aussi bien que comme diplomate, est devenu l’un de nos meilleurs analystes.
 

Prix de l’Académie française Maurice Genevoix : M. Nicolas Mariot, pour Histoire d’un sacrifice. Robert, Alice et la guerre

Robert Hertz était un jeune sociologue avant la guerre de 1914, normalien, agrégé de philosophie, disciple préféré de Durkheim et l’un des plus brillants de sa génération. Il s’était fait remarquer notamment par un livre très original sur la prééminence de la main droite. Sous-lieutenant, il mourut à trente-trois ans, en avril 1915, dans une attaque qu’il savait inutile.
Nicolas Mariot, directeur de recherches au C.N.R.S. et spécialiste des combattants de la Grande Guerre, fait revivre cette personnalité exceptionnelle à travers, en particulier, son abondante correspondance avec sa jeune femme. C’est l’histoire d’une préparation morale au consentement patriotique, le cheminement intérieur d’un intellectuel juif et socialiste pour aller au bout de ses idées, de son dévouement à la France, de son humanisme éclairé. Une étonnante illustration, comme le dit M. Pierre Nora, de la mentalité d’une génération prête à « mourir pour la patrie ».
 

Grand Prix Hervé Deluen : M. Daniel Maximin

Daniel Maximin est un romancier, poète et essayiste français né à Saint-Claude (à la Guadeloupe) en 1947. Il fut pendant longtemps le directeur littéraire des éditions Présence africaine et il continue à produire, sur France Culture, l’émission Antipodes. En 1989, il devint directeur régional des affaires culturelles de Guadeloupe et fut chargé en 1997 d’organiser la célébration nationale du 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage. Daniel Maximin a été de 2000 à 2005 conseiller au ministère de l’Éducation nationale (« Mission pour les arts et la culture »), tout en animant la rédaction de Riveneuve Continents, une revue des littératures de langue française. Il a ensuite rejoint l’inspection générale du ministère de la Culture et de la Communication. Il fut commissaire général de 2011, l’année des outre-mer, puis nommé « délégué général à l’action culturelle internationale des outre-mer » auprès de l’Institut français.
Constamment engagé au service de la culture de langue française dans l’outre-mer, Daniel Maximin mérite, comme l’affirme M. Xavier Darcos, la reconnaissance de l’Académie.
 

Grand Prix de Poésie : M. Anthony Phelps, pour l’ensemble de son œuvre poétique

Né à Port-au-Prince en 1928, Anthony Phelps, avant de se consacrer à la littérature, avait d’abord fait des études de chimie et de céramique aux États-Unis et au Canada. Avant d’être contraint de fuir Haïti en raison des nombreux séjours en prison que lui valut son engagement contre la dictature, il avait fondé le groupe Haïti Littérature et la revue Semences. Établi depuis 1964 à Montréal, il mène une carrière dans le théâtre, à la radio, à la télévision ainsi que dans le journalisme, tout en développant une œuvre variée, puissante, généreuse, qui aborde tous les genres. Traduite dans de nombreuses langues, elle obtient de grandes récompenses internationales, dont, deux fois, le Prix de poésie Casa de las Americas de Cuba.
Comment résumer cette œuvre magnifique, se demande Mme Danièle Sallenave, traversant l’histoire singulière et douloureuse de son île, et témoignant d’une recherche insatiable et passionnée ? Ce « surréaliste caribéen » puise toutes ses ressources dans l’oralité, dans les modulations d’une voix colorée, musicale, dont le rythme dicte sa scansion au poème.
 

Grand Prix de Philosophie : M. Christian Jambet, pour l’ensemble de son œuvre, à l’occasion de la publication de son dernier ouvrage, Le Gouvernement divin. Islam et conception politique du monde

Agrégé de philosophie, directeur d’études émérite à l’École pratique des hautes études, où il reprit la direction d’étude sur l’islam shiite et la pensée persane de son maître Henry Corbin, Christian Jambet s’est imposé, nous assure M. Jean-Luc Marion, comme l’un des meilleurs, sinon le premier, des spécialistes français de cette tradition philosophique. Il lui consacra ses premiers travaux scientifiques, La Logique des Orientaux et La Grande Résurrection d’Alamût. S’ensuivit un ensemble impressionnant d’études sur, et de traductions de, Mollâ Sadrâ, dont L’Acte d’être. Le Caché et l’Apparent, Mort et résurrection en islam et Se rendre immortel, suivi de la traduction du Traité de la résurrection de Mollâ Sadrâ Shîrâzî. Tous ces travaux, menés par un authentique philosophe et pas seulement un philologue, s’appliquent, à la suite de ceux d’Henry Corbin, à souligner la dimension spirituelle, voire contemplative et eschatologique, d’une figure d’un islam trop souvent confondu avec son rival, l’islam sunnite.
 

Grand Prix Moron : M. Luc-Alain Giraldeau, Dans l’œil du pigeon. Évolution, hérédité et culture

Notre histoire est truffée de « biologisme » et de faux darwinismes appuyant des atrocités impardonnables. À partir de ce constat, remarque M. Michel Serres, cet essai tente de rétablir les ponts entre les sciences naturelles et les sciences humaines. L’auteur propose une réflexion sur l’indéniable rapport entre l’humain et le monde animal et ses conséquences. Un lien biologique, mais selon une biologie qui se veut pertinente sans être pour autant déterministe. Il démontre au fond l’improbabilité et l’étrangeté de la vie elle-même. Quant à l’homme, serions-nous la première espèce à la fois biologique et culturelle ? Cette culture qui est au cœur même des préoccupations des sciences humaines serait-elle d’origine biologique ? L’auteur invite ainsi les collègues de biologie évolutive et de sciences humaines à jeter ensemble les premiers jalons d’une nouvelle compréhension de l’éthos humain, ce singulier animal culturel.
 

Grand Prix Gobert : M. Jean-Pierre Rioux, pour Ils m’ont appris l’histoire de France et l’ensemble de son œuvre

Jean-Pierre Rioux est, pour M. Pierre Nora, un spécialiste éminent de l’histoire de la France contemporaine et un des artisans les plus actifs de l’essor de l’histoire culturelle.
Il a une œuvre multiple, mais c’est surtout par une série d’essais très personnels qu’il s’est illustré. Ils vont d’une étude passionnée d’Erckmann-Chatrian, à Au bonheur la France et La France perd la mémoire, aux trois titres qui ont scandé les années récentes : La Mort du lieutenant Péguy, Vive l’histoire de France et, cette année même, Ils m’ont appris l’histoire de France. Ce dernier est un beau récit d’apprentissage, un mélange émouvant d’« ego-histoire » et de « lieux de mémoire » personnels tissés à la grande histoire, le tout dominé par Michelet, Jaurès, Péguy, de Gaulle, sans oublier les plus proches, René Rémond et Jean-Louis Crémieux-Brilhac. Autant de modèles et d’héritages, autant d’inspirateurs de confiance dans une France d’unité et de rassemblement.
 

Prix de la Biographie littéraire : M. Marc Hersant, pour Saint-Simon

Marc Hersant nous retrace le destin exceptionnel d’un homme qui, promis seulement à la succession de son père, se transforme en héraut d’une cause perdue : la défense de la dignité ducale. Il devient ainsi le recréateur d’un monde et l’un des plus grands écrivains de langue française. Écrite avec sérieux et passion, constate Mme Danièle Sallenave, cette biographie ne cache pas l’immense admiration de son auteur pour l’art des portraits, la violence d’évocation, la puissance de formules qui traverse les sept mille pages des Mémoires. La biographie de Marc Hersant devient ainsi, dans sa brièveté et sa concision, le passeur indispensable d’un des monuments de la littérature française. Nous avons besoin aujourd’hui que se diffusent largement des ouvrages de cette sorte, qui peuvent donner à un large public le désir de découvrir ou de redécouvrir une œuvre dont la dimension peut parfois effrayer. Et l’aider à y entrer.
 

Prix de la Biographie historique : M. Bernard de Montferrand, pour Vergennes. La gloire de Louis XVI

En écrivant une biographie de Vergennes, ambassadeur et ministre de Louis XVI dont l’œuvre a été balayée par la Révolution et le souvenir éclipsé par celui de Talleyrand, c’est à une réhabilitation historique que s’emploie l’auteur, diplomate lui-même. Il entend en effet montrer le succès d’une politique étrangère qui, faisant de la France une nation non pas tant combattante ou conquérante que garante des équilibres européens, assure sa suprématie, nous dit Mme Hélène Carrère d’Encausse, notamment face à l’Angleterre qu’elle parvient à affaiblir.
 

Prix de la Critique : M. Jean-Yves Pouilloux, pour L’Art et la Formule

Ce livre séduit, nous dit Mme Florence Delay, par la sincérité du ton – qui n’est ni celui d’un « émérite » de l’université, ni celui du spécialiste reconnu de Montaigne et de Rabelais. C’est celui d’un lecteur qui ressent l’urgence d’ouvrir « les portes de la perception » (Blake, repris par Huxley) en faisant communiquer entre elles des œuvres apparemment éloignées, qui personnellement l’ont touché. « Je ne sais ce que je vois qu’en travaillant », disait Giacometti, qu’en écrivant, semblent dire des inventeurs aussi différents que Proust, Paulhan (souci du réel et défaut de la littérature), Queneau (« pleurire aux larmes »), Michon (« comment trouver une phrase ? »). Ou encore ne savoir que par le sentir, et c’est la très belle fin du livre, sentir les arbres plutôt que les phrases, le tremble qui tremble, le charme qui charme, le frêne, frêle et léger, « et moi, dit l’auteur, non moins frêle et fragile, mais pesant et terrien ».
 

Prix de l’Essai : M. Jacques Henric, pour Boxe

La rencontre de Jacques Henric avec le boxeur français d’origine guadeloupéenne Jean-Marc Mormeck est le point de départ d’un livre sur la vie et les combats des grands pugilistes de l’histoire de la boxe, Georges Carpentier, Marcel Cerdan, Sugar Ray Robinson, ou Mohamed Ali. À travers des épisodes de sa propre enfance et le portrait de ces figures glorieuses et déchues, Jacques Henric aborde, constate Mme Danièle Sallenave, dans une langue rapide, précise, et directe, les grands thèmes de la violence, du racisme, du sexe, entre lesquels il décèle des connexions vertigineuses.
 

Prix de la Nouvelle : Mme Claire Veillères, pour Une poule rousse et autres nouvelles

Les cinq nouvelles de ce recueil sont puissantes, nous assure M. Dany Laferrière, et décrivent un univers qu’on nous raconte de moins en moins souvent. C’est un monde boueux de gens qui passent leur temps dans le sous-sol de la vie. Ils n’arrivent à avoir aucun contact avec le monde extérieur, encerclés qu’ils sont par un monde plus riche, plus puissant, définitivement hors de leur portée. Ils n’ont pas l’air de chercher à y entrer mais quand parfois cela arrive, ils s’y accrochent jusqu’à la mort. La première nouvelle est une œuvre ronde, forte et juste. C’est par les animaux que le lien se fait entre les puissants et les faibles : une poule rousse, un cheval, un loup… Dans cet univers où les personnages ont tant de mal à respirer, la prose de Claire Veillères nous touche au poumon, ce qui permet au cœur de prendre des vacances.
 

Les Prix d’Académie sont cette année au nombre de trois. Ils vont à

   1. Dom Jean-Éric Stroobant de Saint-Éloy, bénédictin, pour son édition et sa traduction de l’ensemble des commentaires de saint Thomas d’Aquin aux épîtres de saint Paul aux communautés
C’est une remarquable entreprise, qui aboutit cette année, après plusieurs autres volumes, à donner enfin une traduction scientifique des commentaires de textes bibliques par saint Thomas d’Aquin. Ainsi se trouve rééquilibrée, comme le dit M. Jean-Luc Marion, notre appréciation d’un auteur qui consacra la meilleure partie de son temps à la méditation des Écritures et à leur spiritualité.

   2. M. François Chapon, à l’occasion de la parution d’Empreintes sur un buvard. Pages de journal (1953-1989)
François Chapon, pendant plus de trente ans à la tête de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, a enrichi la personnalité de la bibliothèque, et préservé la place majeure faite au surréalisme et aux livres qui illustrent le mariage entre peinture et poésie, révélant au public à travers diverses expositions l’aspect inventif des collections dont la première, évidemment, est celle du grand couturier. Les « pages de journal » que nous saluons sont tout ce qui subsiste du journal que ce grand conservateur a tenu, un « reliquat » dont il s’explique. D’autant plus précieuses qu’elles font découvrir « en direct » les liens qu’il entretenait avec ceux qu’il aimait, ceux aussi dont il souhaitait la venue dans « sa » bibliothèque : propos de Reverdy, remise des papiers de son père par Divine Saint-Pol-Roux, fin de journée chez Pierre-Jean Jouve. Ces Empreintes sur un buvard, titre modeste d’un témoin important, sont un cadeau, souligne Mme Florence Delay, dont nous remercions l’auteur.

   3. M. Dominique Noguez, pour l’ensemble de son œuvre
L’œuvre de Dominique Noguez, comme le remarque M. Pierre Rosenberg, est inclassable. Ce normalien, agrégé de philosophie, a touché à tous les genres littéraires, des romans : Amour noir qui a obtenu le prix Femina, des essais : Les Trois Rimbaud qui font vivre le poète jusqu’en 1937, des écrits sur le cinéma expérimental français et américain et de beaux récits autobiographiques : Une année qui commence bien, parue en 2013. Il est d’une lecture à la fois captivante et touchante. Il y a chez Dominique Noguez une curiosité toujours en éveil et surtout un non-conformisme revigorant, un souci constant d’éviter les ornières de la routine.
 

Prix du cardinal Grente : Père Jean-Robert Armogathe, pour l’ensemble de son œuvre

Jean-Robert Armogathe, directeur de la revue catholique internationale Communio, dirige depuis un quart de siècle le prestigieux Institut Bossuet. Il a été éditorialiste au Figaro et, prêtre séculier, prédicateur à Notre-Dame. Il a mené toute sa carrière de chercheur à l’École pratique des hautes études. Son rayonnement international et ses talents linguistiques ont fait de lui une référence absolue. Extraordinaire érudit, selon l’expression de M. Jean-Luc Marion, il a réédité maints auteurs essentiels, parcourant tous les xviie et xviiie siècles. Ses recherches détaillées ont abouti à des chefs-d’œuvre définitifs : Theologia cartesiana, L’Antéchrist à l’âge classique et surtout La Nature du monde : science nouvelle et exégèse au xviie siècle. Il a aussi dirigé deux ouvrages collectifs de référence, Le Grand Siècle et la Bible et l’Histoire générale du christianisme, présidé la Société du xviie siècle et participé à la fondation du « Centre d’études cartésiennes » de l’université Paris-Sorbonne et de l’Académie catholique de France. L’Académie honore une figure exceptionnelle de prêtre, d’universitaire et de savant.
 

Prix du Théâtre : M. Philippe Caubère, pour l’ensemble de son œuvre dramatique

Il est rare, comme le note Mme Florence Delay, de pouvoir saluer un homme qui à lui seul incarne l’aventure théâtrale puisqu’il est acteur, auteur, metteur en scène, et qu’il écrit les pièces qu’il joue depuis qu’il a créé en 1981, au festival d’Avignon, La Danse du diable. Cette pièce a engendré une étonnante suite, Le Roman d’un acteur, qui est sa jeunesse resongée, sa comédie personnelle. Il l’a jouée un peu partout et elle lui a attiré l’affection du public populaire au sens où l’entendait Jean Vilar.
Philippe Caubère fut premièrement comédien, un des piliers du Théâtre du Soleil dirigé par Ariane Mnouchkine, et quand elle tourna Molière ou la vie d’un honnête homme, dans ce beau film il fut Molière. Combien de prix portant ce nom l’ont récompensé, cette année même celui du comédien. À côté du grand modèle, Caubère aime à en citer un autre qui nous touche ici particulièrement : Marcel Pagnol. Dans La Gloire de mon père et Le Château de ma mère, films d’Yves Robert, il incarna le père, et le fils dans la pièce Jules et Marcel, d’après les lettres qu’échangèrent Raimu et Pagnol. De ce dernier il aime particulièrement dire cette phrase qui définit le théâtre : « la lampe magique qui rallume les génies éteints ».
Dans la vie, Philippe Caubère est un homme passionné, un citoyen qui n’hésite pas à dire ce qu’il pense. De cela aussi nous le remercions.
 

Prix du Jeune Théâtre Béatrix Dussane-André Roussin : M. Christophe Pellet, pour Aphrodisia et l’ensemble de son œuvre

On peut raccorder le théâtre de Christophe Pellet, qui se détache, en France, du peloton des jeunes dramaturges, au théâtre de la cruauté cher à Antonin Artaud. Ses personnages s’entrechoquent, selon la comparaison imagée de M. Angelo Rinaldi, comme des boules de billard sur le tapis de feutre, pour s’éloigner, ensuite, à proportion de cette violence. C’est qu’ils ont découvert dans leurs interlocuteurs défauts et vices qu’ils vont en même temps déceler chez eux-mêmes. Et malgré leur répulsion, une aimantation les ramène à leur point de départ, coupant leur texte de plaintes rêvées, respiration suspendue, lèvres entrouvertes sans un mot parfois.
Ils semblent ainsi prolonger le cri de Munch, avant de s’éloigner à jamais chacun de son côté, « la bouche pleine d’ombre, les yeux pleins de gémissements », dirait Cocteau. Et riches seulement d’une vérité qui les écrase dans un monde dont ils n’ont rien à attendre, ce qu’ils ignoraient encore.
 

Prix du Cinéma René Clair : M. Stéphane Brizé, pour l’ensemble de son œuvre cinématographique

« Sans être un protestant austère, dit Stéphane Brizé, la simple distraction ça ne m’intéresse pas. Je veux d’abord être vrai. » Né à Rennes en 1966, Stéphane Brizé construit de film en film une œuvre, nous dit Mme Danièle Sallenave, puissante, discrète, originale. Dès ses premiers films, Je ne suis pas là pour être aimé (en 2005) puis Mademoiselle Chambon (en 2009), il est remarqué pour sa manière à la fois lente, silencieuse et forte de capter des moments où le réel dévoile ses lois et les rapports humains, leurs enjeux.
 

La Grande Médaille de la Chanson française : M. Gérard Manset, pour l’ensemble de ses chansons

Avec Gérard Manset, nous couronnons l’œuvre d’un mystère fécond, d’une légende fantôme de la chanson française, selon l’expression de M. Marc Lambron, délibérément invisible aux médias, toujours présent par son talent polymorphe. Pionnier du rock symphonique en 1970 avec La Mort d’Orion, il donne avec son dernier album, Opération Aphrodite, une variation sur des poèmes de Pierre Louÿs. Ayant collaboré avec Juliette Gréco, Jane Birkin, Julien Clerc ou Alain Bashung, il est le seul musicien français dont l’on puisse dire qu’il est à la fois lauréat du Concours général, signataire d’une chanson intitulée Tristes Tropiques, et auteur de divers romans ou albums photographiques. Entre Angkor et Obock, entre les routes du Siam et l’abbaye de Fontevraud, il aime voyager en solitaire, mais c’est à un singulier pluriel, à un artiste protéiforme que notre Compagnie rend hommage aujourd’hui.
 

L’Académie attribue cette année quatre Prix du Rayonnement de la Langue et de la Littérature françaises. Ils vont à

   1. Mme Bérénice Angremy
Bérénice Angremy est attachée culturelle à l’ambassade de France à Pékin, directrice de l’Institut français de Pékin. Tout en assumant cette charge importante, elle est devenue l’une des figures phares de la scène artistique contemporaine à Pékin. Elle est l’épouse de Huang Rui, un des artistes les plus importants de l’avant-garde de l’art contemporain chinois, francophile, connu pour sa critique sociale et culturelle.
Le rayonnement personnel de Bérénice Angremy et son action obstinée, sur la longue durée, en profondeur, in situ, contribuent grandement au dialogue culturel et artistique franco-chinois, dans le domaine des arts d’aujourd’hui et de la création contemporaine. Dans cette spécialité, elle est même devenue, comme l’affirme M. Xavier Darcos, une figure dominante, connue et estimée.

   2. M. Yannis Kiourtsakis
Romancier et essayiste grec, grand connaisseur de la France et de la civilisation européenne, Yannis Kiourtsakis parle des rapports entre la Grèce et le reste du continent, affirme M. Amin Maalouf, avec une voix empreinte d’inquiétude, de générosité et d’infinie sagesse.

   3. M. Piotr Tcherkassov
Piotr Tcherkassov, que nous présente Mme Hélène Carrère d’Encausse, est un historien russe qui a depuis de longues années consacré son œuvre aux relations diplomatiques entre la France et la Russie du xviie siècle à nos jours. Ses recherches dans les archives diplomatiques des deux pays ont donné naissance à six volumes qui doivent aux qualités de rigueur de l’historien et à un talent littéraire incontestable de passionner non seulement les spécialistes, mais aussi un large public. En même temps que Piotr Tcherkassov était distingué par l’Académie, il était élu à l’Académie des sciences de Russie.

   4. M. Edmund White
Romancier américain de grand renom, né à Cincinnati en 1940, Edmund White est également un amoureux de la France et, nous rappelle M. Amin Maalouf, l’un des meilleurs connaisseurs de la littérature française. Il a consacré à Rimbaud, à Proust et à Jean Genet des ouvrages qui font aujourd’hui référence.
 

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Après les Grands Prix, viennent désormais les Prix de fondations. Les lauréats se lèveront également à l’appel de leur nom mais je leur demanderai de bien vouloir accepter d’attendre la fin de la proclamation pour recevoir ensemble nos applaudissements.

 

PRIX DE POÉSIE

 

Prix Théophile Gautier : M. Hervé Piekarski, pour L’État d’enfance II

Ce subtil recueil de poèmes en prose fait défiler, avec pudeur et nuances, les mouvements d’une conscience aux aguets. Ce lyrisme discret est très lumineux et les sensations sont effleurées, comme réveillées, sans emphase ni artifice. La poésie reflète ici une voix et un regard qui palpent l’essentiel d’un art de vivre.
 

Prix Heredia : Mme Flora Aurima-Devatine, pour Au vent de la piroguière. Tifaifai

Poète du déracinement culturel de la Polynésie, Flora Aurima-Devatine est écrivain, compositeur, professeur, auteur de poèmes traditionnels en tahitien et de poèmes libres en français. Elle tente d’apporter une réponse à l’appel de « ces enfants qui sont à la recherche de leur terre, leur identité, leur culture ».
 

Prix François Coppée : M. Max Alhau, pour Si loin qu’on aille

On reconnaît en Max Alhau un poète authentique. Usant d’un langage retenu, épuré, mais efficace, il fait entendre un chant où les instants présents font écho à des appels lointains. Une vision ouverte dans laquelle cohabitent des thèmes apparemment contraires : absence et présence, attente et accueil, errance et espérance.
 

Prix Paul Verlaine : M. Xavier Houssin, pour L’Herbier des rayons

Ce petit livre aussi précieux que le ciel par-dessus le toit compte trente-six jours et trente-six poèmes, du cœur de l’hiver au début du printemps. À chaque poème correspond la planche d’un herbier et le nom de la rue où la plante fut cueillie. Une suite mémorable de « petites particules de souvenirs épars ».
 

Prix Henri Mondor : M. Dominique Delpirou, pour La Mort de Mallarmé. Échos français et étrangers

Il s’agit d’un recueil de nécrologies de Mallarmé et d’études de fond, souvent inédites et pour la première fois réunies. L’ouvrage, savant et érudit, permet de voir émerger, avec difficulté, l’image de Mallarmé comme défricheur de nouveaux horizons.
 

Prix Maïse Ploquin-Caunan : M. Emmanuel Echivard, pour La Trace d’une visite

C’est sa première publication. La « visite » est celle, devine-t-on, de quelque chose comme l’être, qui paraît dans chacun de ces poèmes discrètement émouvants comme un simple « tu ». De courts poèmes en prose, toujours en trois parties, la dernière s’adressant à « tu » et éveillant la surprise. Une série d’apparitions d’autre chose, dans un rire, une angoisse, le vent dans les branches, le bois d’une table, une chute, la poussière.
 

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PRIX DE LITTÉRATURE ET DE PHILOSOPHIE

 

Prix Montyon : M. Denis Lacorne, pour Les Frontières de la tolérance

Livre précieux à une époque où on a vu réapparaître l’accusation de blasphème, et où le retour du religieux, la montée des fanatismes menacent le projet émancipateur des philosophes. M. Denis Lacorne, en explorant l’histoire de la « tolérance des Modernes », qui prône de nouveaux droits, dont la liberté de conscience, nous fait redécouvrir cette grande tradition afin de nous rendre conscients de ses enjeux, et de nous aider à mieux la défendre.
 

Prix La Bruyère : M. Pierre Vesperini, pour Droiture et mélancolie. Sur les écrits de Marc Aurèle

Dans ce livre important, Pierre Vesperini revient sur l’image d’un Marc Aurèle considéré comme un philosophe stoïcien à part entière, alors que sa droiture n’est pas une philosophie du « soi », mais une philosophie sociale. Pierre Vesperini remet ainsi en cause les lectures de Pierre Hadot et de Michel Foucault, et nous donne un éclairage très nouveau et original sur les « Anciens ».
 

Prix Jules Janin : Mme Claire de Oliveira, pour sa traduction de La Montagne magique de Thomas Mann

Ce roman, œuvre d’un des plus grands esprits européens, fut mal traduit en 1931. Il est maintenant bien traduit, et l’Académie est heureuse de couronner un travail sans doute coûteux en temps et en efforts, au service d’un chef-d’œuvre trop longtemps négligé.
 

Prix Émile Faguet : MM. Pierre Masson et Jean-Pierre Prévost, pour André Gide - Oscar Wilde. Deux immoralistes à la Belle Époque

C’est une très bonne enquête sur les rapports complexes entre les deux écrivains. Comment et combien de fois ils se sont rencontrés, quelle influence capitale a exercée Wilde sur Gide, comment l’opinion de ce dernier sur Wilde a évolué au cours des années, tout cela est raconté et expliqué avec précision. Lumière est faite sur un chapitre important de l’histoire littéraire et morale du début du xxe siècle.
 

Prix Louis Barthou : M. François Cérésa, pour Poupe

Poupe est le nom affectueux que François Cérésa et sa sœur donnaient à leur père, dont l’écrivain nous livre ici le beau portrait. Tout sonne vrai, dans ces réminiscences. « On ne chante jamais aussi juste que dans les branches de son arbre généalogique », disait Cocteau. La formule trouve ici son plein sens.
 

Prix Anna de Noailles : Mme Nathacha Appanah, pour Tropique de la violence

« Ne t’endors pas, ne te repose pas, ne ferme pas les yeux, ce n’est pas terminé. Ils te cherchent. » Cette adresse anxieuse, ce ton haletant, c’est toute la manière de ce livre, œuvre puissante et tragique, plongée dans l’enfer d’une jeunesse livrée à elle-même sur l’île française de Mayotte, dans l’océan Indien. « Il m’a fallu, dit-elle, cinq ans pour me débarrasser de tous les faux-semblants et trouver le ton juste pour raconter cette histoire. »
 

Prix François Mauriac : M. Jean-François Roseau, pour La Chute d’Icare

Sous une forme librement romanesque, l’auteur, âgé de vingt-six ans, raconte la vie héroïque d’Albert Preziosi, jeune pilote de l’armée française qui, parmi les tout premiers, gagna Londres en 1940, puis combattit sur le front russe où il fut porté disparu. Le livre, bien documenté, porte en lui un véritable souffle romanesque.
 

Prix Georges Dumézil : M. Louis-Jean Calvet, pour La Méditerranée. Mer de nos langues

Louis-Jean Calvet retrace plus de trois mille ans d’histoire linguistique de l’espace méditerranéen à travers les contacts, les conflits et les échanges entre les mondes latin, byzantin et musulman. Il tente de construire une méthodologie globalisante par une passionnante approche pluridisciplinaire, qui associe les points de vue de la sociolinguistique, de l’écologie des langues et des politiques linguistiques.
 

Prix Roland de Jouvenel : M. Stéphane Lambert, pour Avant Godot

Stéphane Lambert raconte comment Beckett s’est arrêté, dans les musées de l’Allemagne nazie, devant deux tableaux de Caspar David Friedrich, dont Deux hommes contemplant la lune qui est entré dans la genèse d’En attendant Godot. Nombre de citations soutiennent l’étonnante et émouvante « filiation », ou croisement de vies.
 

Prix Biguet : R.P. Michel Corbin, pour La Doctrine augustinienne de la Trinité

C’est un remarquable commentaire, presque linéaire, de chaque chapitre du De Trinitate, avec un regard comparatif sur le De Trinitate d’Hilaire de Poitiers. Il constitue l’accomplissement du parcours d’un grand théologien et savant connaisseur de la pensée médiévale, qui mérite largement une récompense.
 

Prix Pierre Benoit : M. Stéphane Maltère, pour La Grande Guerre de Pierre Benoit

L’anthologie de l’expérience de guerre de Pierre Benoit est précédée d’une importante introduction, qui rappelle en détail et chronologiquement ce qu’a vécu le jeune écrivain, sa mobilisation dans un régiment béarnais, la longue marche jusqu’à Charleroi et son repli jusqu’aux alentours de Provins, l’expérience des tranchées à Craonne et au Chemin des Dames. Ces précisions permettent non seulement de suivre dans les lettres le quotidien de ceux qui sont au feu, mais de lire aussi, en arrière-plan des romans et des quelques nouvelles qui terminent l’ouvrage, l’écho plein de gravité de ce traumatisme de 1914.
 

Prix Jacques Lacroix : M. Christian Laborde, pour La Cause des vaches

Il s’agit d’un essai vigoureux, voire pamphlétaire, pour dénoncer le calvaire que nous infligeons (en particulier) aux vaches, à l’heure où l’animal cesse d’être un animal pour ne devenir qu’une machine à lait ou à viande. Un magnifique plaidoyer.

 

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PRIX D’HISTOIRE

 

Prix Guizot : M. Pierre-François Souyri, pour Moderne sans être occidental. Aux origines du Japon d’aujourd’hui

Pierre-François Souyri, professeur d’histoire japonaise à l’Université de Genève, porte un regard subtil, original, éclairant sur la modernisation du Japon, où l’on découvre qu’elle a commencé plus tôt qu’on ne le croit d’ordinaire, et dans un autre état d’esprit.
 

Médaille du Prix Guizot : M. Dominique Julia, pour Le Voyage aux saints. Les pèlerinages dans l’Occident moderne (xve-xviiie siècles)

L’auteur retrace la longue histoire du pèlerinage et insiste sur quelques parcours, tel Saint-Jacques-de-Compostelle, à la fois traditionnels et modernes. Son ouvrage, passionnant, jette un éclairage précieux sur les pratiques religieuses de l’Europe et sur les inquiétudes spirituelles de nos contemporains.
 

Prix Thiers : M. Patrick Barbier, pour Voyage dans la Rome baroque. Le Vatican, les princes et les fêtes musicales

En étudiant pour la première fois la vie musicale à Rome pendant les siècles baroques, sous un angle à la fois musical, politique et économique, Patrick Barbier met parfaitement en lumière un aspect trop peu connu de la Rome des xviie et xviiie siècles.
 

Prix Eugène Colas : Mme Fanny Cosandey, pour Le Rang. Préséances et hiérarchies dans la France d’Ancien Régime

Fanny Cosandey aborde le thème du rang et de la préséance sous un jour nouveau, faisant ressortir l’influence des critères d’ancienneté de la charge, de grade, de titre et de sexe. Il en ressort que sous l’Ancien Régime la femme possédait un rang plus important que de nos jours.
 

Médaille du Prix Eugène Colas : M. Dominique Kalifa, pour La Véritable Histoire de la « Belle Époque »

Dans un ouvrage aussi original et savant qu’agréable à lire, Dominique Kalifa étudie toutes les formes – mémoires, expositions, cinéma et autres – de la représentation de l’idée de « belle époque ». Son livre inaugure un type de recherche très prometteur, axé sur les expressions destinées à dénommer une période.
 

Prix Eugène Carrière : M. Michel Hochmann, pour Colorito. La technique des peintres vénitiens à la Renaissance

Dans un ouvrage d’une grande nouveauté et d’une érudition impeccable, Michel Hochmann pose, au sujet des couleurs utilisées par les peintres vénitiens de la Renaissance, des questions inhabituelles, sur leur fabrication, leur prix, sur l’origine des pigments, sur le choix des couleurs : décidé par le peintre ou imposé par le commanditaire ?
 

Prix du maréchal Foch : M. Gérard Chaliand, pour Pourquoi perd-on la guerre ? Un nouvel art occidental

Le géopoliticien Gérard Chaliand analyse avec justesse et lucidité le renversement stratégique qui s’est opéré entre les victoires coloniales des Occidentaux, pourtant inférieurs en nombre, et l’échec de leurs armées suréquipées, technologiquement supérieures, dans tous les conflits contemporains, du Vietnam à la Syrie.
 

Prix Louis Castex : partagé entre MM. Stéphane Demilly et Sylvain Champonnois, pour Henry Potez. Une aventure industrielle

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t Mme Nastassja Martin, pour Les Âmes sauvages. Face à l’Occident, la résistance d’un peuple d’Alaska

Le premier de ces ouvrages est la biographie d’un ingénieur et industriel qui traversa le xxe siècle et y joua un rôle si important, y compris politiquement, que son histoire s’identifie non seulement avec celle de l’aviation, mais aussi avec celle de la France.
Le livre de Nastassja Martin, anthropologue, est le fruit de deux ans passés avec les Gwich’in d’Alaska, dont la vie est fondée sur un rapport direct à la nature et qui font face aux bouleversements provoqués par le réchauffement climatique, avec une faculté d’adaptation à l’éternelle métamorphose du monde qui pourrait nous servir de leçon.
 

Prix Monseigneur Marcel : M. Florent Libral, pour Le Soleil caché. Rhétorique sacrée et optique au xviie siècle en France

Dans un ouvrage de synthèse qui fera date, Florent Libral examine la problématique à la fois théologique, philosophique, rhétorique et artistique de l’optique comme image du monde et de son Créateur, au moment où la science de l’optique est en train de changer de rôle dans les études de Galilée et de ses disciples.
 

Médaille du Prix Monseigneur Marcel : Mme Édith Garnier, pour Guillaume du Bellay. L’ange gardien de François Ier 

Vu pour la première fois de face, alors qu’il paraît d’ordinaire dans des travaux sur Rabelais ou François Ier et passe derrière son frère Jean du Bellay, Guillaume du Bellay est présenté dans cette biographie comme celui qui définit pour longtemps la politique étrangère de la France et qui contribue fortement à la centralisation de l’État.
 

Prix Diane Potier-Boès : M. Michel Kaplan, pour Pourquoi Byzance ? Un empire de onze siècles

Ce livre est tout à la fois une histoire de Byzance, une explication politique, religieuse, géographique, culturelle de cette histoire, et une réflexion sur ce que l’Europe doit à Byzance en matière de civilisation et de droit. Un travail remarquable d’érudition, mais aussi de qualité d’écriture.
 

Prix François Millepierres : Mme Marie-Françoise Baslez, pour Les Premiers Bâtisseurs de l’Église. Correspondances épiscopales (iie-iiie siècles)

Recherche originale et concrète sur les fonctions réelles des premiers évêques chrétiens, sous la forme d’un dossier précis, érudit et objectif de leurs relations épistolaires.
 

Prix Augustin Thierry : Mme Juliette Sibon, pour Chasser les juifs pour régner. Les expulsions par les rois de France au Moyen Âge

En traçant l’histoire de l’expulsion des juifs par les rois de France durant trois siècles, mais aussi celle de leurs rappels pour des raisons économiques, Juliette Sibon soutient que ces décisions contraires contribuent activement à la construction de la monarchie et du royaume.
 

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PRIX DE SOUTIEN À LA CRÉATION LITTÉRAIRE

 

Prix Henri de Régnier : M. Serge Airoldi, après Rose Hanoï

Ce livre merveilleusement décousu est un étonnant voyage de couleurs vues, dans des paysages, des tableaux, et de couleurs lues, chez les écrivains, les ethnologues. Par les couleurs qui resurgissent de la mémoire de l’auteur, l’émotion rejoint l’ivresse.
 

Prix Amic : Mme Isabelle Spaak, après Une allure folle

Isabelle Spaak poursuit, avec ce livre, le douloureux retour vers sa mémoire familiale. Elle brode de déchirantes variations autour des portraits de sa grand-mère et de sa mère, avec une élégance lointaine et blessée, dans une écriture subtile et douce.
 

Prix Mottart : M. François Garde, après L’Effroi

François Garde raconte ici l’histoire d’un altiste qui, lorsqu’un chef d’orchestre, monté sur son estrade au début d’un concert au palais Garnier, fait le salut nazi, quitte la fosse suivi de tout l’orchestre. Commence alors une nouvelle vie pour celui qui devient célèbre comme « l’homme qui a dit non ».
 

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Les lauréats des Prix de fondations sont désormais invités à se lever tous ensemble et nous leur rendrons hommage en les applaudissant.