Rapport sur les concours de l’année 1837

Le 9 août 1837

Abel-François VILLEMAIN

RAPPORT DE M. VILLEMAIN,

SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

SUR LES CONCOURS DE L’ANNÉE 1837,

 

 

L’Académie, en couronnant, l’année dernière, le beau livre de la Démocratie en Amérique, exprimait la crainte de ne pouvoir de longtemps décerner avec autant de justice et d’éclat ces prix annuels, établis par la munificence d’un sage, et qu’il faut rehausser encore par le mérite de ceux qui les obtiennent. Ce langage était vrai. Toutefois, si l’importance du sujet, l’élévation des vues, le talent, et cette pureté d’âme qui embellit le talent, plaçaient dans un rang à part l’ouvrage de M. de Tocqueville, on peut supposer sans peine des travaux moins éminents, moins rares, mais dont l’utilité morale frapperait davantage tous les esprits, et paraîtrait plus exactement remplir la pensée du fondateur de ce concours. Ce seront surtout les ouvrages qui s’adressent à un mal présent de la société, pour le consoler ou pour le guérir, les ouvrages qui proposent quelque réforme praticable, quelque bien à faire aux hommes, quelque manière de se rendre soi-même meilleur, en les rendant plus heureux.

À ce titre, l’attention de l’Académie a dû se porter, cette année, sur un ouvrage récent, consacré à une classe de malheureux que la nature elle-même a faite au milieu de la société, et dont la charité ne peut qu’adoucir le sort, sans le changer jamais, les Aveugles-nés. Attaché depuis vingt ans, à l’instruction de quelques-uns d’entre eux, dans un établissement public, l’auteur de ce livre, M. Dufau, a étendu son intérêt sur tous. Il a calculé leur nombre en France, et l’insuffisance des asiles qui leur sont ouverts. Assidu témoin de leurs inclinations, de leurs études, de leurs progrès, il a décomposé le travail de leur intelligence ; et, dans l’absence même de l’organe qui leur manque, il a vu briller d’une plus vive lumière l’action libre et intérieure de la pensée.

Un écrivain célèbre avait dit, dans le dernier siècle, que la morale dépend tout entière des sens, qu’elle change avec l’organisation physique, et qu’un aveugle-né, par exemple, est naturellement cruel parce qu’il ne voit pas le sang couler. Le nouvel observateur, en repoussant cette étrange théorie, défend et les droits de l’infortune et la dignité même de la nature humaine.

Si l’âme, tout ensemble noble captive et maîtresse impérieuse du corps, ne peut se passer de tous les sens à la fois pour agir au dehors, du moins elle peut les remplacer l’un par l’autre, leur apprendre à faire ce qui n’est pas leur ouvrage naturel, et montrer d’autant mieux, par l’instrument imparfait qui exécute, la sublime essence qui dirige, à peu près comme la supériorité d’un grand chef apparaît dans la médiocrité même des serviteurs qu’il emploie, et qui suffisent à son génie.

Ainsi l’aveugle voit les objets par le toucher, mesure l’espace par le son, comprend la lumière par la pensée. Tel fut ce célèbre mathématicien, aveugle de naissance, Saunderson, qui, dans des leçons publiques, expliquait l’optique de Newton, comme Arago la compléterait, et du fond de ses ténèbres analysait la lumière devant ceux qui la voyaient pour lui.

La première partie de l’Essai sur les Aveugles de M. Dufau peut devenir une leçon de spiritualisme, d’autant plus persuasive qu’elle n’est pas cherchée, quelle est involontaire, et qu’elle sort de l’observation même. Bientôt, à ces principes qu’on peut tirer de son ouvrage, viennent se réunir en foule les expériences ingénieuses et les conseils d’utilité pratique. La véritable nouveauté de ce livre, c’est que l’auteur, en perfectionnant l’éducation spéciale des Aveugles-nés, c’est-à-dire, l’art de substituer un sens à l’autre, veut en même temps leur donner, dans une proportion habile, l’éducation commune, de telle sorte que ces hommes soient rendus à la société, en même temps qu’ils sont secourus par elle, et que, dans les sciences, dans les arts, les métiers, ils puissent devenir tous laborieux et utiles, comme quelques-uns ont été grands et sublimes. Voilà ce que l’auteur expose tour à tour par des inductions et par des exemples. Ici, l’aveugle instruit est professeur plus attentif ; là, par la subtilité d’un toucher plus infatigable et plus délicat que la vue, il fabrique des ouvrages d’horlogerie. Ce sont des prodiges, dites-vous. Oui sans doute ; mais, sur un nombre annuel de quarante mille Aveugles-nés, qu’a supputé l’auteur, il y a place pour les exceptions et les prodiges. Et il est beaucoup d’autres industries plus simples que tous pourraient apprendre, et qui leur permettraient plus tard de vivre de leur travail dans la société qui seulement les aurait élevés.

Pour atteindre ce but, l’auteur propose de multiplier dans les départements, et d’après un système sagement gradué, les institutions d’Aveugles-nés, qui n’existent encore que dans deux villes du royaume. Aux détails précis qu’il donne, aux résultats qu’il annonce, on reconnaît, non pas les rêves d’un homme de bien, mais l’expérience d’un maître habile et les plans praticables d’un bon citoyen, qui, en demandant quelques sacrifices nouveaux à l’État, lui montre, à côté de l’utilité morale, la première de toutes, un profit de travail et de temps. Je ne sais cependant, Messieurs, si les vues de l’auteur ne seront pas lentes et difficiles à réaliser. Mais qu’il est beau d’entrer dans cette voie, et de continuer ainsi l’œuvre de Valentin Haüy, ce premier instituteur des aveugles, qui rappelle un nom cher à l’Institut ! Qu’il est beau de projeter le bien, lors même qu’on ne peut l’accomplir encore !

Il y a quatre siècles, en France, à Paris, devant la cour la destination qu’on donnait aux aveugles, c’était d’en mettre quelques-uns aux prises, couverts de fer et armés de longs bâtons, pour égayer les spectateurs par la maladresse des coups qu’ils se portaient. De cette barbarie on est venu aux inventions, aux soins, aux délicatesses ingénieuses de la charité moderne et maintenant un esprit judicieusement inventif propose, pour cette classe d’hommes, nombreuse parmi les pauvres, un système complet d’asile, d’enseignement et d’avenir social. Le public y prend intérêt ; les académies en parlent ; et l’État ne peut manquer d’être attentif an nouveau bienfait qu’on réclame de lui.

En décernant à M. Dufau, à l’auteur de l’Essai sur l’état physique, moral et intellectuel des Aveugles-nés, un prix de 6,000 francs, l’Académie ne prétend pas payer son zèle, mais signaler de nouveau son nom et son projet. La vraie récompense de ce généreux citoyen commencera le jour qu’une de nos villes industrieuses et riches aura fondé, d’après ses conseils, un établissement de plus pour les infortunés dont il a si bien plaidé la cause.

Du malheur irréprochable, qu’il est si juste de secourir, la bienfaisance éclairée de notre siècle a porté ses regards sur le vice et même sur le crime. On sait ce que la législation a déjà fait pour adoucir les peines, et écarter les flétrissures ineffaçables. L’administration publique, sous la même influence, s’occupe chaque jour de réformes utiles, soit pour préparer l’amélioration morale des condamnés, soit pour épargner à la foule le spectacle de leur impudence. La pensée des écrivains a dû se porter sur quelques points des mêmes questions.

L’Académie ne pouvait oublier la tentative d’un poëte ingénieux et facile, pour donner à un problème assez triste la forme et l’intérêt d’une œuvre dramatique. Le Libéré de M. de La Ville de Mirmont a été remarqué par elle. L’auteur, sous ce titre, a voulu peindre l’hostilité sociale qui suit le condamné après sa détention, et qui s’attache peut-être moins à la faute qu’il a commise qu’au lieu d’expiation d’où il sort. Sans doute, en lisant l’ouvrage de M. de La Ville, quelques incertitudes se présentent sur la vérité de la leçon. Il s’agit d’un orphelin condamné dès l’enfance, pour un vol d’aliment, à dix années de prison, et qui, devenu, dans sa captivité, un modèle de vertu, plein d’honneur, de savoir et d’industrie, n’en reste pas moins, lorsqu’il rentre dans la société, sous une insurmontable disgrâce, est chassé de partout, exclu de tout travail, et revient, après dix ans, commettre un vol à la porte de sa prison, pour obtenir la faveur de s’y réfugier. La supposition est-elle assez vraisemblable ? et le poëte, qui sans doute ne veut pas détruire tout à fait le préjugé social, mais seulement l’avertir, et qui conseille non l’indifférence sur le passé, mais le discernement, n’a-t-il pas choisi un exemple auquel le préjugé lui-même aurait cédé ?

Quoi qu’il en soit, l’effort de M. de La Ville pour attirer l’intérêt public sur un grave problème, la pureté des sentiments qu’il exprime, et le pathétique touchant de quelques scènes, ont frappé l’Académie.

Dans notre existence moderne, surchargée de travail et avide de distractions, les romans, il faut l’avouer, sont de puissants précepteurs pour le bien et pour le mal. C’est la seule lecture de tous ceux qui n’ont pas le temps de lire. Leurs fictions agitent les âmes ; leur philosophie impose ; leurs passions font des imitateurs ; on les cite à la tribune ; et la vie réelle les copie quelquefois.

La société devra donc reconnaissance aux hommes de talent qui font servir cette voie de communication rapide et populaire à l’encouragement de nobles penchants, à la culture de l’âme, ou même à de purs et gracieux délassements de l’esprit.

Le même ordre d’idées, sous un aspect différent, a valu le suffrage de l’Académie à l’ouvrage intitulé Allan, le jeune Déporté. L’auteur, M. Ernest Fouinet, homme savant et occupé de profondes études, a pris une forme de composition romanesque, pour atteindre un but sérieux. Son livre n’est pas sans quelques défauts ; mais sa morale, belle et persuasive, entremêlée d’aventures attachantes, peut occuper utilement l’imagination oisive du jeune lecteur des grandes villes. Les tentations du vice, ses souffrances et son repentir y sont peints avec force et surtout avec une pureté sévère. Quelques traits de ce tableau ne semblent pas indignes du Vicaire de Wakefield, le meilleur des livres de morale amusants qu’on ait jamais faits.

Un autre ouvrage, un roman à demi psychologique, à demi mondain, Picciola, l’histoire d’une fleur et d’un prisonnier, pour principaux personnages, a paru présenter un intérêt moral.

Il y a bien des siècles, un écrivain fort grave, presque un Père de l’Église, disait aux athées de son temps : « Une fleur, non pas de la prairie, mais du buisson, ne suffit-elle pas pour vous montrer un sublime artisan dans le Créateur[1] ? » M. de Saintine a-t-il emprunté à Tertullien cette pensée, sujet de sa fiction ou plutôt ne l’a-t-il pas trouvée dans l’étude chérie de la botanique, dont il s’occupe comme des lettres ? Il suppose un homme comblé de tous les biens de l’esprit et de la fortune, mais devenu sceptique par l’abus du raisonnement et la satiété du bonheur des sens. Ce bonheur cesse. Prisonnier d’État tout à coup, l’homme incrédule à Dieu et aux affections de la vie est averti de la Providence par l’aspect d’une petite fleur, qui croît entre les pavés de la sombre cour de son cachot. Il s’y attache comme à la compagne de sa solitude ; il la contemple ; il l’aime ; ce faible ouvrage de la nature le ramène insensiblement vers le Dieu qu’il a méconnu, et, en attirant sur lui, dans sa prison même, d’autres regards humains, le conduit vers une affection plus réelle et plus douce, à laquelle il doit bientôt la liberté et le bonheur de l’âme.

Cette fiction, placée sous la date de Marengo et de l’Empire, contraste un peu avec la fierté politique et guerrière d’une telle époque. Mais cela même n’est pas sans quelque charme. On croit lire parfois un de ces poëtes mystiques de l’Orient qui, dans les jardins délicieux de Schiraz, chantaient les amours du rossignol et de la rose, et d’une image gracieuse faisaient sortir un élan vers le ciel. Mais le roman de M. de Saintine a deux mérites assez rares, même de nos jours : l’imagination y est pure, et la sensibilité vraie.

Les trois ouvrages si divers que je viens de rappeler, ont paru à l’Académie mériter une distinction semblable : elle décerne à chacun des auteurs une médaille de 3,000 francs.

Loin d’être embarrassée, comme on l’a dit, pour répartir le dépôt qui lui est confié, l’Académie regrette quelquefois que ce dépôt ne soit pas plus riche encore elle voudrait en faire un supplément à ces récompenses littéraires que, dans l’ancienne société, le talent rencontrait sous tant de formes, quelquefois sous des abus, et qui, de nos jours, sont plus disputées et plus rares. Elle voudrait y voir, non seulement un prix passager, mais un appui durable pour ceux qui parcourent la carrière des lettres. Elle ne peut encore, sur les bienfaits de M. de Montyon, acquitter que faiblement cette noble dette : elle l’essayera du moins.

Parmi les ouvrages philosophiques dont elle s’est occupée cette année, avec le regret de ne point admettre le plus éminent de tous, elle a distingué un dernier écrit qui rappelle une vie entière, une vie contemplative et pure, celle d’un écrivain recommandable par son talent et sa persévérance dans un même système, M. Azaïs. Il y a trente ans, lorsque le génie des conquêtes, du haut de la France impériale, pesait sur l’Europe, M. Azaïs était déjà célèbre ; et devant la grandeur démesurée d’un homme, devant les trônes menacés ou tombant, il faisait écouter son innocente théorie des Compensations. Depuis, la face du monde a changé, plusieurs fois changé ; et M. Azaïs, à travers toutes les fortunes, continuait de reproduire son explication universelle. La science en avait condamné sans retour quelques parties, et lui refusait le droit de recommencer Newton, dont l’œuvre ne peut être égalée, puisqu’il n’y a qu’un système du monde. Mais la morale approuvait ses vues consolantes, ses douces illusions et les vérités qui s’y mêlent. L’âge, et peut-être le malheur ont encore ajouté au caractère touchant de cette philosophie, et rendu respectable l’ingénieux auteur.

L’Académie décerne à M. Azaïs, auteur de la Physiologie du bien et du mal, etc., une médaille de 5,000 francs.

Le talent de M. Azaïs, ses vastes espérances pour l’humanité, son ambition modeste pour lui-même, attachent à son nom beaucoup de lecteurs que ses écrits n’ont pas convaincus. J’ai vu, quand il parlait, M. Cuvier applaudir parfois en souriant, et l’homme de génie exact et sévère s’intéresser avec une affectueuse estime à l’éloquent démonstrateur de conjectures douteuses, mais de nobles sentiments. Que n’est-il donné à l’Académie de réaliser tout à fait cette illustre recommandation, et d’assurer le repos et l’aisance aux dernières années d’une vie laborieuse, et toujours désintéressée !

Ce vœu, qu’a plus d’une fois formé l’Académie, de pouvoir, dans quelques rares circonstances, aider efficacement les lettres, honorer les travaux d’un vieillard, doter pour l’avenir l’indépendance d’un jeune et grand talent, vous le savez, Messieurs, la générosité d’un émule de M. de Montyon nous met à portée de le voir bientôt accompli ; et je dois l’annoncer aujourd’hui, non pas aux candidats, car ils n’auront nulle démarche à faire, nul ouvrage à envoyer, mais au public, dont le jugement doit précéder le nôtre, pour que le nôtre soit bon. À partir du 22 mars 1839, l’Académie s’occupera de désigner le morceau éloquent d’histoire le plus digne à ses yeux de la dotation fondée par le baron Gobert, et annuellement affectée au même ouvrage, tant qu’il ne s’en présentera pas un meilleur. Elle décernera également le second prix annuel fondé par le testateur, en rattachant à ce double concours les écrits historiques publiés depuis 1834, première date de ce bienfait singulier dans l’histoire des lettres, et qui sera célèbre un jour, s’il inspire un beau travail.

Après tous ces concours, il reste à vous parler de celui qui n’est pas le moins difficile, le concours de poésie. Le sujet annoncé était l’Arc de Triomphe, ce monument si longtemps interrompu de nos victoires, à bon droit achevé par le règne nouveau, qui les a toutes adoptées et reconnues. Tant de souvenirs devaient inspirer le talent, s’ils ne l’accablaient pas ; mais il y avait à craindre l’uniformité des grandes images, la monotonie de la gloire.

Dans cet amas de célébrités guerrières, entre les noms de trois cent quatre-vingt-quatre généraux inscrits sur ce portique du triomphe et de la mort (et tous n’y sont pas), l’admiration hésite épouvantée. Elle ne sait à quoi se prendre. Dira-t-elle les grandes guerres et les capitaines héroïques de notre révolution, Hoche, Marceau, Kléber, ou celui qui écrasa toutes les renommées, en les couronnant de la sienne ? Ah ! que l’imagination, dans un tel sujet, s’attache surtout à la France ; qu’elle ne redoute aucun des grands souvenirs de la France ; que la France soit son unité politique ! C’est la France qui a souffert, qui a vaincu, qui a grandi, et qui debout regarde les tombeaux de ceux qui l’ont servie, et de ceux qui ont dominé sur elle.

Cette pensée de patriotisme et de civilisation qui s’offrait d’elle-même a été peut-être trop négligée. La plupart des jeunes talents qu’avait attirés le concours ont faiblement répété ce que le nom de l’empereur a déjà fait dire à des voix si fortes, fisse sont éblouis eux-mêmes, en réfléchissant des images éclatantes, mais connues.

Toutefois, l’Académie ne se plaint pas de cet essai. D’éloquentes inspirations, de belles promesses de talent s’y rencontrent. Le concours était achevé, avant la pompe nationale et touchante qui a dignement inauguré l’arc de triomphe par l’entrée civique et paternelle du roi, sous les auspices d’une amnistie désirée. Nos jeunes poëtes, sans allusion au présent, ont respiré surtout l’atmosphère du passé. Ils ont tâché de revivre sous ce ciel de gloire et d’airain. Une jeune fille même n’a pas eu peur de ces rudes souvenirs, et s’est essayée à en redire les bruits éclatants. Vous croirez sans peine que la force lui a quelque peu manqué. On reconnaît Herminie qui chancelle et qui tremble sous la pesante armure. D’heureux traits de sentiment et d’élégance ont frappé du moins l’Académie dans l’ode guerrière de Mlle Elisa Moreau. L’auteur peut cultiver ce goût des vers qui a tant de grâce dans une femme, et qui, de nos jours, en a si glorieusement inspiré quelques-unes. À seize ans, elle a déjà du poëte l’accent pur et l’harmonie.

Moi, triste et frêle jeune fille,
Au son de voix plaintif et lent,
Oiseau caché dans la charmille,
Et qui ne chante qu’en tremblant ;
Si j’avais la voix prophétique,
Au timbre vibrant et magique,
Qu’on écoute en joignant les mains,
Comme autrefois la Pythonisse,
Sur le trépied du sacrifice,
Ouvrait l’avenir aux humains,

Je dirais : « Le ciel de la France,
Semé d’astres éblouissants,
Rayonne comme l’espérance
Sur un visage de seize ans. »
Je dirais : « D’une ère nouvelle
L’aube se lève calme et belle ;
Sur les flots d’un lac argenté
Le vaisseau de l’État s’avance,
Laissant flotter sa voile immense
Au souffle de la liberté !...

Une autre pièce, placée plus haut, a été jetée dans le concours par un homme de lettres très-connu, et que distingue l’élévation du talent critique. Habitué à l’étude comparée des littératures, il a conçu le sujet sous la forme d’un symbole où Babylone et l’Égypte sont poétiquement évoquées, devant la France nouvelle qui les écoute, et leur répond. À cette fiction, qui peut surprendre plutôt que plaire, l’ingénieux auteur a mêlé de beaux vers, et une sorte d’imagination orientale. Voici quelques traits de son fabuleux dialogue :

 

BABYLONE.

Ma sœur, sais-tu quelle est cette jeune guerrière
Qui prétend marcher sur nos pas ?
Dans mon vieil Orient quand j’ai clos ma paupière,
Ce me semble, elle n’était pas.

 

L’ÉGYPTE.

Sous la forme d’un aigle, aigle aux ailes rapides,
Qui réveilla d’un cri le tombeau de Memnon,
Je la vis s’élancer au front des pyramides,
Et j’appris quel était son nom.

 

LA FRANCE NOUVELLE.

Je suis la France nouvelle ;
La vieille France, avant de descendre au tombeau,
Eut comme vous ses jours d’une gloire éternelle :
Puis ma mère mourut ; et je porte comme elle
Dans une main un glaive, et dans l’autre un flambeau.

 

D’autres pièces, les n° 6, 12, 39 et 18 se sont fait remarquer par des traits de talent mêlés aux erreurs de goût. Le n° 33 a plus longtemps fixé l’attention de l’Académie, et partagé les suffrages. Malgré trop de diffusion peut-être, on y reconnaissait l’art habile et l’éclat élégant d’un écrivain qui s’est initié à tous les artifices de l’expression poétique. Cette pièce, qui a le plus approché du prix, sera sans doute publiée ; et nous craindrions d’en affaiblir l’effet, en ne la citant que par fragments. L’auteur est M. Bignan, souvent couronné dans ces concours, et estimé dans les lettres à plus d’un titre.

Le prix enfin a été remporté par un émule moins exercé, mais dont quelques inspirations ont frappé davantage. Un plan poétique et simple, de la force et même du naturel, quelque chose de nerveux et d’agile, qui semble marquer l’élan du jeune athlète fait pour vaincre, un sentiment vrai sous la parure des vers, voilà ce qui, malgré les fautes, a fixé nos suffrages.

L’auteur est M. Boulay-Paty. Plein d’ardeur et d’inexpérience, il mérite cette faveur qui anime le talent, et que le talent justifie. Il va lire lui-même son ouvrage. Vous l’accueillerez pour lui donner la force d’être mieux entendu car il n’a besoin que de l’être.

 

 

[1] Unus, opinor, de sepibus flosculus, non dico de pratis, non sordidum artificem pronunciabit tibi Creatorem ? (TERTULL.)