Discours prononcé lors de la visite du président de la République fédérale d'Allemagne, M. Joachim Gauck

Le 26 janvier 2017

Valéry GISCARD d’ESTAING

 

DISCOURS

DE

M. Valéry GISCARD d’ESTAING

 

 

Monsieur le Président de la République,

Monsieur le Ministre,

Je suis heureux que notre Académie ait pu évoquer avec vous, Monsieur le Président, le thème du romantisme – mouvement littéraire venu d’Allemagne et d’Angleterre à la fin du xviiie siècle et qui est rapidement devenu un mouvement artistique européen diffusé sur tout le continent.

Le romantisme nous a donné, en France, de grands poètes et écrivains comme Victor Hugo, Musset, Chateaubriand ou Stendhal,… en Allemagne, Novalis, Heinrich Heine, Brentano ou Schlegel. Je me suis rendu deux fois à Weimar pour mieux connaître le romantisme allemand !

Pour rappeler devant vous, Monsieur le Président, les liens d’amitié qui lient nos deux pays, je vous citerai trois vers du poète Novalis, qui écrivit, à la fin du 18è siècle :

“Was passt, das muss sich ründen -    (“ce qui se ressemble doit s’assembler

Was sich versteht, sich finden        -    ce qui se comprend, se trouver

Was gut ist, sich verbinden”          -    ce qui est bon, s’unir”)

 

Ce sont là des mots simples, mais qui expriment de manière universelle les fondements de l’amitié.

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Après trois guerres en l’espace de moins d’un siècle, nos deux pays ont réussi à s’unir pour la paix et à devenir amis. C’est un succès inestimable, rendu possible par quelques hommes – Jean Monnet, Robert Schuman, Konrad Adenauer, Walter Hallstein et Helmut Schmidt – pour ne citer que ceux parmi les pères fondateurs de l’Europe issus de nos deux pays.

Notre histoire partagée, le destin tragique avec des millions de morts dans les deux camps, nous lie à jamais.

Situés au cœur de l’Europe, l’Allemagne et la France forment, aujourd’hui, l’épicentre de l’ensemble européen sans lequel l’unification de notre continent serait inexistante.

Ensemble, nos deux pays représentent près de 30% de la population de l’UE et près de 40% de son PIB. Nos populations partagent les mêmes préoccupations, les mêmes espoirs aussi.

Cette force nous donne une responsabilité commune, en Europe.

C’est pourquoi je voudrais dire solennellement ici combien l’amitié avec votre pays, Monsieur le Président, compte pour nous et combien il est important de revivifier le couple franco-allemand !

L’Allemagne est et reste le partenaire le plus naturel de la France en Europe.

C’est aussi le mérite de nos peuples qui, par l’apprentissage de la langue de l’autre et par le biais de nombreux échanges organisés institutionnellement ou par la société civile, ont su tisser des liens étroits.

Quelque soient les divisions, les déséquilibres économiques ou les divergences de vues qu’il peut y avoir entre nos pays ou nos dirigeants – l’idée de ce partenariat amical reste incontestée et sa pratique exemplaire en Europe et dans le monde.

Si la réconciliation franco-allemande est une œuvre historique, elle est aussi un engagement de tous les jours !

Vous êtes, vous-même – Monsieur le Président – un Européen convaincu. Encore la semaine dernière (le 18 janvier), au Château Bellevue, vous avez dit que l’Allemagne devait « faire preuve de plus de volonté créatrice » et vous avez appelé à ce qu’elle fasse tout « pour prémunir l’Union européenne contre les tentatives de délitement ».

Vous avez raison. La France aussi doit revenir au rôle plus actif et inventif que nous lui connaissions jadis en Europe – le rôle qui lui incombe en tant que membre fondateur de l’Union, et qui a inspiré toutes ses grandes avancées.

Aujourd’hui ce n’est plus seulement la paix qui dépend de la qualité de la relation entre l’Allemagne et la France, mais l’avenir de l’Europe !

Hugo avait dit en son temps : « l’inévitable avenir de l’homme, c’est la liberté ; l’inévitable avenir des peuples, c’est la République ; l’inévitable avenir de l’Europe, c’est la Fédération ».

Nous avons la liberté, nous avons la République et nous sommes en marche vers la Fédération d’États-nations qu’il appelait de ses vœux au milieu du xixe siècle !

Face aux changements tumultueux d’un monde globalisé, l’Europe doit maintenant viser la puissance pour agir, et pour se protéger.

Pour faire de l’Europe un ensemble capable de peser sur l’état du monde, face aux États-Unis, la Chine ou la Russie, il n’y a pas de tâche plus urgente – et plus noble – que de doter l’Union d’un moteur franco-allemand fort.

Pour reprendre Novalis : « was gut ist, sich verbinden ».

Alors unissons-nous, pour passer de la paix à la puissance.

Ainsi pourrons-nous, un jour, saluer, avec Hugo, « l’aube bénie des États-Unis d’Europe » !