Homélie prononcée lors des obsèques de M. Philippe Beaussant, en la cathédrale Saint-Louis de Versailles

Le 13 mai 2016

Claude DAGENS

HOMÉLIE

de

Mgr Claude DAGENS

prononcée en la cathédrale Saint-Louis de Versailles le 13 mai 2016

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UN HOMME PRÊT À L’ÉMERVEILLEMENT

 

 

« Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment connaîtrions-nous le chemin ? » Ces paroles ne sont pas celles d’un homme qui doute et qui se résignerait à douter. Elles laissent plutôt transparaître un vif désir de surmonter les obstacles qui empêchent de progresser dans la découverte de Dieu.

Jésus ne semble pas surpris par cette attitude de l’apôtre Thomas. Il ne lui reproche pas son ignorance. Mais il lui répond par une affirmation extraordinairement personnelle : « C’est moi qui suis le Chemin, la Vérité et la Vie. »

Pour un homme familier de la Tradition juive, comme l’était Thomas, cette parole a dû faire écho à celle qui avait été adressée à Moïse à travers le buisson ardent. Celui qui se révèle alors se nomme à la première personne : « Je suis Celui qui suis. »

Mais, maintenant, en cet homme nommé Jésus, c’est la proximité de Dieu qui se manifeste, et non plus seulement sa transcendance. Puisqu’il est le chemin… L’étonnement risque de redoubler. Cet étonnement dont nous nous dispensons si souvent.

Philippe Beaussant était capable d’étonnement. Il était prêt à s’émerveiller. Je le revois parmi nous il y a un peu plus de trois semaines. Il était là, fidèle, présent, prêt à écouter et à comprendre.

À la fin de notre séance de travail, il s’est avancé vers moi. Il voulait me saluer de façon personnelle. Il m’a regardé d’abord et son regard était très attentif, à la fois timide et confiant. Il exprimait une sorte d’ouverture intérieure qui lui était habituelle.

Nous avons échangé quelques paroles apparemment banales, mais plus tard, quand j’ai appris l’évènement de sa mort, j’ai compris que nos rencontres ordinaires peuvent révéler l’au-delà que nous portons en nous. L’au-delà qui n’est pas lointain, et qui est aussi présent dans nos façons de nous rencontrer.

Cet au-delà si proche, nous pouvons l’appeler mystère, en donnant à ce mot son plein sens : il ne s’agit pas seulement de ce qui nous dépasse, mais de ce qui nous est le plus intérieur, et qui passe par bien des chemins personnels.

La musique est sans doute un de ces chemins, surtout quand on ne l’enferme pas dans des catégories préétablies. Philippe Beaussant était familier de ce mystère de la musique et de sa puissance de révélation, qui déborde les limites de l’histoire. Il savait se référer à l’époque classique, à la culture baroque, aux arts de la Renaissance et du Grand Siècle. Mais il ne cherchait pas du tout à adapter les traditions à la modernité. Il croyait à ce qu’il y a de toujours neuf dans ce qui jaillit d’un orchestre, à ce qui est florissant dans des danses et des chants anciens, à cette grâce naturelle qui ne demande pas d’explications.

La musique était pour lui, comme pour bien d’autres, une source vive de joie, une sorte de révélation inépuisable que l’on est appelé à recevoir, et non pas à reconstruire sans cesse. L’important, c’est ce mouvement intérieur qui se déploie et qui relie ceux et celles qui jouent et qui chantent à ceux et celles qui écoutent. Philippe Beaussant savait pratiquer et susciter ce dialogue invisible et réel.

Pour lui, ou plutôt à ses yeux, les peintres participent à ce même mystère de révélation et de dialogue. Il faut relire le beau livre qu’il a consacré aux dernières œuvres de Titien, à Venise, peu avant l’épidémie de peste qui devait l’emporter.

C’est un terme musical qu’il a donné pour titre à ce livre : Le Chant du cygne, avec tout ce que cette expression porte en elle de beauté et d’émotion. Il y évoque une des dernières œuvres du peintre : une pietà, où l’on voit Marie, la mère de Jésus, portant et montrant le corps meurtri de son fils.      

Elle nous regarde et, en nous regardant, elle éveille ou réveille notre attention. Et la méditation de Philippe Beaussant devient alors comme une prière, imprégnée de tendresse.

Cette contemplation appelle au silence. Non pas au silence du deuil, qui sépare, mais à ce silence qui relie et dans lequel se mêlent la souffrance et l’espérance.

Que Dieu nous donne d’entrer dans ce silence qui nous ouvre à la Résurrection du Christ, comme il l’a fait pour Philippe Beaussant !