Homélie prononcée lors des obsèques de M. Alain Decaux, en la cathédrale Saint-Louis des Invalides

Le 4 avril 2016

Claude DAGENS

Homélie

de

Mgr Claude DAGENS

prononcée

en la cathédrale Saint-Louis des Invalides

le 4 avril 2016

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ALAIN  DECAUX,  TEL  QUE  NOUS  L’AIMIONS

 

Le Christ ressuscité ! Il est aussi cet inconnu qui s’est approché de ces deux hommes désemparés, sur la route d’Emmaüs, et qui les écoute d’abord. Ensuite, il ouvrira le livre de l’Alliance pour révéler que sa passion, scandaleuse aux yeux des hommes, est un passage ouvert de ce monde violent à son Père.

Alain Decaux nous a quittés le jour de Pâques et il nous réunit maintenant, nous qui l’avons connu et aimé, en admirant cette bienveillance qui rayonnait souvent sur son visage. Il savait écouter, et il était sûr, à son tour, d’être écouté. Il ne cessait d’apprendre ce qu’il racontait. Il avait le tempérament d’un découvreur et d’un éveilleur. Et il me semble que sa foi en l’invisible de Dieu se mêlait à son art non pas de résoudre des énigmes, mais de s’approcher du réel de l’histoire.

Car il croyait que l’humanité du Dieu vivant fait aussi partie de ce réel complexe. Je peux l’attester : la personne de Jésus comptait vraiment pour lui. Il le nommait avec joie, quand il le pouvait. Et il était fier d’avoir mis en scène son histoire avec son ami Robert Hossein.

Sa foi venait de loin. À plusieurs reprises, il m’a parlé de ce prêtre qui, durant son enfance à Lille, lui avait enseigné ce que l’on appelait le catéchisme. Il avait, dès ce moment, perçu le sens de ce mot : la foi naît d’une Parole qui fait écho en nous et cette Parole peut devenir comme une musique intérieure, une vibration, au milieu de tous les bruits du monde.

Alain Decaux savait raconter l’histoire en la faisant vibrer. Sa rhétorique n’était pas celle d’un maître qui voudrait à tout prix transmettre son savoir. Il ne s’imposait pas. Il cherchait plutôt à susciter chez d’autres le désir de comprendre ce qu’il avait lui-même compris.

La démarche de sa foi n’était pas séparable de son style d’historien. Il se laissait conduire à travers ses recherches et ses découvertes avec la conviction que des cheminements ouverts font partie de l’histoire et de nos propres vies.

C’est pourquoi j’ai choisi, pour cette messe d’aujourd’hui, ce récit de l’Évangile de Luc, qui commence par un grand désarroi, au sortir de Jérusalem, et qui va déboucher sur une lumière intérieure, alors que l’Inconnu n’est plus là. Ils le reconnaîtront après le geste du pain rompu, c’est ce Jésus, le crucifié, que Dieu, son Père, a ressuscité des morts et qu’il envoie maintenant vers nous.

Depuis plusieurs mois, Alain Decaux avait beaucoup de mal à parler, mais il comprenait tout. Je suis allé le voir. Je me suis assis près de lui et j’ai prononcé le nom de Jésus, et j’y ai ajouté un autre mot de l’Évangile : « Emmaüs ». Et il a répété lui-même ces trois syllabes « Emmaüs » en souriant. J’ai eu la certitude, à travers son regard, que le chemin du Ressuscité était ouvert en lui.

J’aurais dû ne pas en être étonné, car ce familier de l’histoire ne doutait pas de la puissance de l’éternité dans le temps des hommes, tel qu’il est, avec ses violences et ses tragédies, et aussi, ses lumières de bonté et de paix et parfois de gloire.

Alain Decaux percevait ces lumières plutôt que l’obscurité du mal. Comme le père Carré, près de qui je l’avais rencontré pour la première fois.

Nous fêtions le 70e anniversaire de l’ordination de ce grand ami dominicain. Je célébrais la messe en présence de quelques personnes qui se souviennent. Alain Decaux était là, intensément attentif à cette liturgie.

Quelle lumière dans ses yeux ! La présence du père Carré y était pour beaucoup. Mais je suis sûr aussi que cette lumière venait du plus profond de lui-même, là où le Ressuscité peut tout saisir et tout renouveler dans notre existence, comme pour cet autre ami nommé Paul, l’apôtre qui se dit l’avorton de Dieu, mais qui est surtout un passionné du Christ et de l’évènement de Pâques.

C’est cet évènement qui nous réunit aujourd’hui autour d’Alain Decaux, de sa famille et de ses amis. Le Christ ressuscité ne s’impose jamais. Mais nous pouvons souhaiter qu’Alain Decaux soit désormais vivant dans sa lumière et qu’il lui soit donné de nous devancer sur nos routes, là où nous apprenons, comme lui, dans la dureté du monde à comprendre, à croire, à espérer et à aimer !