Réponse au discours de réception de Joseph Séguy

Le 15 mars 1736

Charles d’ORLÉANS de ROTHELIN

RÉPONSE

De M. l’Abbé DE RHOTELIN, recteur de l’Académie Françoife, au Difcours de M l’Abbé Séguy.

 

MONSIEUR,

Si l’Académie, pour nommer fes Officiers, prenoit les mêmes précautions qu’elle apporte à l’élection d’un Académicien, tout autre que moi rempliroit aujourd’hui la place honorable que j’occupe. Mais dans l’un de ces cas préfident l’examen, le difcernement & le choix ; dans l’autre, le hafard feul décide. Là rien n’eft accordé qu’au mérite ; ici tout eft donné, le fort ; & c’eft à des titres fi différens que nous devons, vous, MONSIEUR, votre entrée dans cette Compagnie, moi l’avantage de vous y recevoir.

 

Pour en profiter felon mes défirs, que ne puis-je me livrer uniquement au plaifir de vous pofféder parmi nous ! Mais l’amitié, la reconnoiffance & le devoir exigent que nos jours de fête foient en même temps pour nous des jours de deuil.

 

Le Confrère dont la perte nous afflige, eft d’autant plus digne de nos regrets, qu’il joignoit à une érudition peu commune, la douceur & l’affabilité qui la rendent aimable. Dès fa plus tendre jeuneffe, les Langues favantes & l’hiftoire ancienne partagèrent fon loifir. L’Hébreu même ne le rebuta pas ; mais il fut, ce me femble, plus eftimable d’avoir fu comprendre de bonne heure combien il eft effentiel d’ajouter à la lecture affidue des Auteurs Grecs & des Latins, une étude fuivie & méthodique de la Langue & de l’Hiftoire de fon pays.

 

Muni des fecours abondans qu’une application continuelle lui avoit procurés, M. Adam fe propofa d’éclaircir plufieurs points difficiles de notre Hiftoire ; & dans fes doctes differtations, la fagacité de fon efprit ne fe fit pas moins remarquer, que l’exaftitude & l’étendue de fa critique. Peu aprés, dans la feule vue de hâter le progrès des Lettres, il forma le projet de nous donner une traduction correcte d’Athénée ; projet qui aurait effrayé les Cafaubons & les Saumaifes : car il n’ignoroit pas que cet Auteur, dont le texte eft le plus corrompu de tous ceux qui nous reftent de l’Antiquité, ne pouvoit être rendu en François, fans avoir été auparavant corrigé, & s’il eft permis de le dire, refait en une infinité d’endroits. Il s’agiffoit, pour y réuffir, de préparer à la fois deux éditions, l’une Grecque, & 1’autre Françoife. Notre Confrère les entreprit avec courage ; & s’il n’a pu conduire à fa fin un travail de tant d’années, c’eft de l’immenfe difficulté de l’ouvrage, & non du laborieux Ouvrier qu’on doit fe plaindre.

 

Cependant le fruit de fes veilles ne fera point perdu pour le Public. La traduction eft en état de paroître ; & l’édition Grecque qui n’a pas, à la vérité, reçu encore la dernière main, eft peu éloignée de fa perfection. Il y a déja près de trois ans que cédant par politeffe à mes inftances réitérées, M. Adam m’avoua qu’il avoit rétabli plus de fix mille paffages du texte d’Athénée ; & quoiqu’un fi grand nombre de reftitutions femble prefque incroyable, ceux qui le connoiffent comme nous, favent tous qu’il portoit jufqu’au fcrupule la crainte d’en trop dire, lorfqu’il parloit de lui, & de n’en pas dire affez, quand il parloit des autres.

 

En effet, une fimplicité digne des premiers fiècles de la Philofophie, formoit particulièrement fon caractère. Toujours avide d’écouter, & jamais empreffé de parler, on auroit dit qu’il attendoit des leçons de ceux qui venoient le confulter. En un mot, ce don fublime du Ciel que la Religion a confacré fous le nom d’humilité, & qui par-là n’en étoit que plus cher à M. Adam, la modeftie couronnoit fes vertus & fon favoir, mais les voiloit en les couronnant.

 

Il falloit donc, je l’avoue, quelque recherche pour découvrir les excellentes qualités de fon cœur & de fon efprit ; mais c’eft auffi ce qui doit nous exciter, nous à qui fa jufte valeur étoit connue, à le montrer dans le plus grand jour après fa mort, pour lui faire obtenir déformais dans la Littérature le rang qu’il fut également foigneux de mériter & de fuir pendant fa vie.

 

Pour vous, MONSIEUR, que la Providence deftinoit au miniftère de la parole, votre zèle & votre devoir vous ont forcé d’attirer fur vous les yeux du Public, & l’attention de l’Académie. Sans faire trop valoir ici un talent, dont tant d’autres fe parent, & que nous avons couronné de nos mains, le fuccès général d’une de vos premières productions que vous confacrâtes au plus faint de nos Rois, fous les aufpices de cette Compagnie, lui fit augurer que dans peu l’intérêt de fa gloire demanderoit qu’elle s’affociât à la vôtre. Dès ce moment elle fe crut engagée à ne plus vous perdre de vue ; fes vœux vous fuivirent dans tous les lieux où votre voix fe fit entendre ; elle recueillit avec un fecrette complaifance ce qui pouvoit fervir à lui prouver que vous vous rendiez de plus en plus digne d’elle.

 

Enfin, MONSIEUR, votre dernier ouvrage ne lui a plus permis de balancer. Parmi tant de nobles motifs qui vous déterminèrent à l’écrire, vous avez compté (nous le savons, & cette marque d’attachement de votre part ne pouvoit nous échapper, ni nous furprendre ;) oui vous avez compté le plaifir d’employer une feconde fois votre plume pour l’Académie. Je dis plus, vous exprimiez les fentimens de nos cœurs, par ces traits pleins de force & de vérité avec lefquels vous avez peint ce grand homme, dont le nom infcrit dans nos faftes doit les illuftrer à jamais.

 

C’eft lui, c’eft ce défenfeur de fa Nation, qui par foixante années de fatigues, de combats & de triomphes, avoit, pour ainfi dire, fixé le deftin de la France en fa perfonne. Il réuniffoit fur fa tête toute la gloire qu’un Sujet fidelle peut acquérir, & tous les honneurs que peut offrir la reconnoiffance d’un Monarque puiffant. C’eft lui que nous avons vu au premier coup d’œil de fon Maître, s’arracher du fein de fa famille, & tel que le fameux Agéfilas, guerrier octogénaire, voler fur les ailes de la victoire jufques dans des climats éloignés où l’appeloient les vœux de nos Soldats & les défirs de nos Alliés. Sans doute le facrifice de fa propre vie, qui lui reftoit à faire ce à généreux Citoyen, étoit auffi le feul qui égalât fon zèle & fon amour pour fon Roi & pour fa Patrie.

 

Pardonnez-moi, MONSIEUR, d’avoir ofé jetter quelques fleurs fur un tombeau décoré fi magnifiquement par vos foins. Ce n’eft pas que j’aye préfumé de pouvoir l’orner encore. Mais avant que d’être votre Héros, M. le Maréchal de Villars étoit le Héros de fon Pays. La qualité de François m’obligeoit donc à faifir avec empreffement l’occafion de lui rendre ce léger hommage ; & quelle que pût être ma Patrie, ne m’eût-il pas fuffi d’en avoir une, pour fentir que je dois honorer celui qui ne vécut & n’eft mort que pour le fervice de la fienne ?

 

L’aveu fincère que je vous ai fait, MONSIEUR, des difpofitions favorables de l’Académie, doit vous prouver notre fatisfaction à l’approche de l’inftant heureux qui vous unit à nous. Elle croîtra de jour en jour, quand affidu à nos exercices vous nous communiquerez vos lumières, & rendrez plus doux & plus facile un travail qui n’exige pas moins de pénétration & de fineffe, que de jufteffe & de précifion dans l’efprit.

 

Mais ce que nous attendons de vous, c’eft fur-tout de nous aider à tranfmettre à la poftérité un portrait fidelle de notre augufle Protecteur. Les vertus dont fon ame eft ornée, pour être célébrées dignement, demandent un Orateur dont l’éloquence auffi noble que brillante, ait été, MONSIEUR, comme la vôtre, uniquement confacrée à l’éloge de la vérité.

 

Vous direz, & la France entière vous applaudira, que dans un âge où la nature femble fe refufer à tout ce qui n’a point l’apparence du plaifir, rien ne peut détourner notre jeune Roi de l’importante & férieufe occupation de travailler à notre bonheur. Faut-il après cela s’étonner fi l’éclat des victoires ne l’éblouit point, fi l’appas des conquêtes ne peut le féduire, & fi plus touché du nom de père, que flatté du titre de vainqueur, il ne veut recueillir d’autre fruit de la fupériorité de fes armes, que d’affurer par une paix glorieufe la tranquillité de fes Sujets ?

 

Heureux les Peuples gouvernés par un Prince que l’efprit de Religion anime, qui fait unir par le plus étroit lien la juftice & la paix dans fon Empire, & qui fage eftimateur de la vraie gloire, fait confifter principalement la fienne à exercer ces vertus bienfaifantes, qui, plus encore que le pouvoir fuprême, rendent les Rois de la terre les images de la Divinité.