Funérailles de M. Raynouard

Le 29 octobre 1836

Jean-Baptiste SANSON de PONGERVILLE

FUNÉRAILLES DE M. RAYNOUARD.

DISCOURS DE M. DE PONGERVILLE,
DIRECTEUR DE LACADÉMIE FRANÇAISE,

PRONONCÉ AUX FUNÉRAILLES

DE M. RAYNOUARD,

Le 29 octobre 1836.

 

Messieurs,

Appelé par l’Académie à l’honneur de la présider, je viens ici remplir un devoir bien douloureux pour moi, l’élève, et depuis si longtemps l’ami du confrère que nous pleurons ; mais c’est environné de ses nombreux amis, que j’adresse, au nom de tous, des adieux à cet homme illustre : son éloge est dans leur pensée, et la mémoire de leur cœur suppléera à mes paroles, troublées par une profonde affliction. Il est des hommes dont la perte, quoique annoncée de loin par l’âge ou les souffrances, n’en cause pas moins un deuil universel, tel fut M. Raynouard. Son nom, inscrit le premier parmi les nôtres, atteste qu’il a vu renouveler entièrement l’Académie ; aussi lui avait-il voué un attachement paternel : assidu à ses travaux, il ne manqua jamais de lui apporter son savant tribut. Contemporain d’un autre âge, il nous semblait un Nestor de la littérature et de l’érudition. Son expérience, son zèle, ses lumières le rendaient en quelque sorte notre loi vivante ; les regrets que notre confraternité nous rend si vifs seront ressentis par toute la France ; elle perd en lui un brillant écrivain, un savant profond, un citoyen courageux. L’absence d’un tel homme sera longtemps aperçue, car dans ses diverses carrières il avait largement marqué sa place, celui dont le début éclatant sur la scène tragique offrit la littérature consolée un émule de nos maîtres ; celui qui, plaçant auprès de l’art des vers le génie de l’érudition, ressuscita cette belle langue, heureux instrument de la civilisation européenne ; celui qui le premier, à la tribune nationale, revendiqua le droit le plus cher à la France, la liberté de la presse ; celui qui, citoyen dévoué, avait associé son intrépide vertu à l’éloquence de notre incorruptible Lainé, pour opposer la puissance d’une conscience pure à l’envahissement du despotisme. Nul ne comprit mieux que M. Raynouard les devoirs et la mission du littérateur ; il le regardait comme investi du sacerdoce de la pensée ; aussi voulait-il que l’homme de talent fût irréprochable, afin que sa parole fût écoutée avec confiance. Pour lui, comme pour tous les esprits supérieurs, la littérature n’était pas un but, mais un heureux moyen de plaire en instruisant, et de mettre en circulation les idées utiles et généreuses. Il fut fidèle à ses sages principes. Philosophe pratique, simple dans ses goûts, modeste dans ses succès, il ne semblait heureux que de la pureté et de la modération de sa vie. Peut-être, dans l’intérêt de l’art, dédaigna-t-il trop la renommée ; peut-être se plongea-t-il trop longtemps dans sa retraite laborieuse : comme poète, il avait amassé de nombreux titres de gloire ; mais il mit à les cacher aux yeux du monde le même empressement qu’un autre aurait apporté à les faire applaudir.

Ce sentiment de modestie et d’indépendance lui fit abandonner, encore dans la force de l’âge, un titre qu’il portait en digne successeur des Duclos, des d’Alembert et des Marmontel ; il ne regretta jamais ses nobles fonctions, parce que toujours il les vit remplir avec honneur ; dernièrement encore il se félicitait avec nous que son brillant héritage fût passé en des mains faites pour en augmenter l’éclat. La profonde méditation qu’il apportait à l’étude ne le détournait pas des plus douces affections : il s’est montré bien souvent généreux ; mais il s’appliqua à cacher les mouvements de son cœur. Le temps est venu de soulever le voile de sa modestie : on peut dire dans ce jour funèbre, où ses vertus, son caractère, comme ses talents et son génie, sont livrés aux regards de la postérité ; on peut dire qu’il préféra sa famille à lui-même, que pour elle il sacrifia en un jour un bien acquis par trente ans de nobles travaux. Cet héroïsme d’amitié ne lui coûta point d’efforts, il l’accomplit avec sa simplicité accoutumée. L’âge et l’affaiblissement de ses forces ne lui ravirent rien de son énergique pensée : il ne craignait que de laisser incomplet l’un de ses grands ouvrages ; mais il se hâta d’en élever les premiers fondements. II avait la certitude de sa fin prochaine, et sa résignation ne se démentit pas un moment : le noble usage qu’il avait fait permettait d’en envisager le terme sans douleur ; et sans doute il avait la conscience que la plus noble partie de lui-même ne mourrait pas : que ses services rendus à la science, que les traits sublimes de son génie se perpétueraient dans l’admiration des âges. Oui, noble écrivain, l’avenir t’appartient ; tu te survivras aussi dans notre mémoire ; absent, tu nous guideras encore ; nous ne verrons jamais dans notre enceinte le vide de ta place sans nous inspirer de tes pensées, et sans t’offrir un souvenir de reconnaissance et de vénération.