Funérailles de M. le marquis de Lally-Tollendal

Le 13 mars 1830

Antoine-Vincent ARNAULT

FUNÉRAILLES DE M. LE MARQUIS DE LALLY-TOLLENDAL

DISCOURS DE M. ARNAULT,
DIRECTEUR DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

SAMEDI 13 MARS 1830.

 

MESSIEURS

Les lettres doivent un tribut à la mémoire de l’homme honorable dont nous accompagnons ici les restes. S’il tient d’elles une de ses illustrations, ne les a-t-il pas illustrées par le noble emploi qu’il en a fait dans le cours de sa longue carrière ?

La source de l’éloquence est dans le cœur sans doute ; mais lors même qu’il a l’esprit pour auxiliaire, l’éloquence suffit-elle au triomphe de l’orateur s’il n’a pas acquis l’art de mettre en œuvre les inspirations du cœur ?

Tel fut le premier objet des travaux de M. DE LALLY. Stimulé par le besoin de venger un père à qui un assassinat juridique n’avait pas ôté seulement la vie, il consacra à l’étude de l’art oratoire sa jeunesse qui n’a pas connu d’autre passion que la piété filiale. Ses travaux n’ont pas été vains. Grâce à un talent qui s’est élevé au niveau de sa vertu, il obtint, en en faisant l’essai, la révocation d’un arrêt doublement meurtrier, et mérita que Voltaire mourant se ranimât pour le féliciter d’un triomphe que ce grand homme avait appelé de tous ses vœux, préparé par tous ses efforts, et qu’il a salué de ses dernières paroles. Dès-lors M. DE LALLY a pris rang parmi les hommes les plus remarquables de l’époque.

L’éloquence qu’il déploya en cette circonstance s’est retrouvée dans toutes celles où il a parlé depuis ; c’est l’éloquence d’un cœur essentiellement honnête et généreux, d’un cœur dominé par une sensibilité quelquefois exubérante.

Dans les discussions politiques même où les meilleurs esprits peuvent être séduits par des illusions nées de leur position sociale, la droiture de ses intentions se manifeste encore ; elle se reproduit dans toutes ses opinions qui souvent n’ont été que l’expression de ses affections.

Une grande droiture d’esprit en caractérise aussi quelques-unes. Entre plusieurs preuves, citons en celle-ci ; elle est tirée d’un discours qui lui crée un droit imprescriptible à l’estime de tous les bons esprits, il l’estime de quiconque ne prend pas l’oppression pour l’ordre, et le désordre pour la liberté. Voici comment M. DE LALLY s’exprimait en 1816 dans une discussion relative à une liberté sur laquelle repose la garantie de toutes les autres. « Point de liberté publique ni individuelle, disait-il, sans la liberté de la presse, point de liberté de la presse sans la liberté des journaux ; point de liberté de la presse ni des journaux partout où les délits de la presse et des journaux sont jugés autrement que par un jury soit ordinaire soit spécial ; enfin, point de liberté d’aucun genre si à côté d’elle n’est une loi qui en garantit la jouissance par cela même qu’elle en réprime les abus ».

On ne saurait mieux raisonner.

M. DE LALLY appartenait à la littérature par plus d’un rapport. Il a traduit plusieurs discours de l’orateur romain, avec fidélité, c’est à dire avec beaucoup d’élégance ; car en traduisant Cicéron, si l’on n’est pas élégant, on n’est pas fidèle. Il s’est exercé aussi avec succès dans l’art dramatique, et c’est encore dans son cœur qu’il a puisé, quand il a retracé avec tant de pathétique, dans la fin déplorable du comte de Straffort, la catastrophe qui l’avait privé de son père. Enfin, indépendamment de plusieurs poèmes en vers, imités de l’anglais, il a composé quelques poésies dans un genre où notre nation a toujours excellé, et qui de nos jours a été porté à un degré d’élévation dont il ne semblait pas susceptible. Les chansons de M. DE LALLY sont de celles que le goût des plaisirs honnêtes peut inspirer à d’honnêtes esprits, et dont la gaîté, produit des épanchements de l’amitié, n’est pas incompatible avec la décence.

Ces titres auraient suffi pour ouvrir à M. DE LALLY l’accès de l’Institut. Il semblait néanmoins les croire insuffisants ; et pendant quinze ans il s’est appliqué si constamment à les augmenter par son assiduité à partager nos travaux, son empressement à verser dans nos discussions les lumières que de longues méditations lui avaient acquises, que long-temps avant ce jour où nos regrets nous donnent la mesure de l’estime que nous lui portions, l’Académie ne voyait plus dans ce confrère que nous n’avions pas choisi qu’un des plus digues collègues que nous aurions pu nous donner.